Les contrats à impact social ou l’État pyromane

Joël Le Corre
Joël Le CorreMédecin et membre du conseil d’administration de Médecins du Monde. Après deux ans de coopération au Yémen, il effectue toute sa carrière en Seine-Saint-Denis comme responsable de services de santé et de services sociaux, départementaux et municipaux. Dans la même période, il opère plusieurs missions humanitaires en Éthiopie, en Somalie, en Roumanie et pilote le premier programme de coopération décentralisée entre une ville française et une ville éthiopienne. Il rejoint Médecins du Monde à sa retraite comme coordinateur médical au Niger, puis au Yémen.

Évoquée dans l’article de Mathieu Dufour, « Les ONG ont-elles le monopole des bonnes intentions ? », paru dans le précédent numéro de notre revue, la question des « contrats à impact social » est ici approfondie par Joël Le Corre. Il le fait non seulement sous l’angle des entreprises, premières impliquées dans ce dispositif, mais surtout au regard du rôle que joue ainsi l’État dans la mise en place de cet outil, certes innovant, mais pour le moins « questionnant » pour les ONG.

Si les contrats à impact social (CIS) soulèvent l’intérêt d’un certain nombre d’organisations[1]À l’image d’Alima dont le directeur financier Mathieu Dufour écrit : « Lancée en France en 2016, cette initiative arrive selon nous tardivement après avoir été expérimentée et fait ses … Continue reading, ils rencontrent la défiance de beaucoup d’autres. Le livre de Boris Martin, L’Adieu à l’humanitaire ?, a déjà largement exploré les évolutions récentes du monde humanitaire entre le retour en force des États et l’arrivée des entreprises[2]Boris Martin, L’Adieu à l’humanitaire ? Les ONG au défi de l’offensive néolibérale, Éditions Charles Léopold Mayer, 2015, désormais téléchargeable : … Continue reading. Et le potentiel explosif de ce dispositif. Mais à la date de publication de son ouvrage, les CIS n’étaient encore qu’un projet qui n’avait pas encore été mis en œuvre en France. C’est désormais chose faite et une lecture critique s’impose, dans le contexte d’une évolution de l’État français qui sera passé en quelques décennies de l’exercice du monopole de l’intérêt général à la recherche d’« investissements à impact social ». Les conséquences pour les organisations à but non lucratif, opérateurs de la nouvelle politique, sont à mesurer à l’aune de leurs propres engagements. 

Contrats à impact social: cheval de Troie de la financiarisation des politiques publiques

Les contrats à impact social, traduction de social impact bonds (SIB), sont des instruments de financement complexes qui associent un gouvernement ou une instance publique, une population cible, des investisseurs privés ou sociaux et/ou des fondations philanthropiques, une entreprise intermédiaire, des opérateurs privés à but lucratif ou non, mais aussi des consultants, conseillers, juristes et autres évaluateurs indépendants. Plus simplement expliquée par Boris Martin, « la technique consiste à faire financer des actions sociales par des investisseurs privés que l’acteur public (État, collectivité locale ou établissement public par exemple) rembourse après-coup avec un taux d’intérêt[3]Ibid., p. 84-85.  ».

Le risque est ici théoriquement supporté par l’investisseur qui, en cas d’obtention des résultats contractualisés, est remboursé de son investissement et perçoit en outre une prime négociable, laquelle a atteint 13 % par an pour les SIB américains financés par… Goldman Sachs.

L’objectif du montage est d’aboutir à des résultats mesurables dans le champ social et de réduire les coûts qu’aurait eu à supporter le commanditaire public. Le gain financier ainsi réalisé est censé rémunérer l’intermédiaire, assurer un taux de retour satisfaisant pour l’investisseur et dégager des économies pour la puissance publique.

Ainsi, pour prendre l’exemple du SIB London Homelessness de Londres, parfaitement décrit par Christine Cooper et ses collègues[4]Christine Cooper, Cameron Graham and Darlene Himick, « Social Impact Bonds: The securization of the homeless », Accounting, Organizations and Society, vol. 55, novembre 2016, p. 63-82. , l’objectif « social » est de mettre à l’abri les personnes sans domicile fixe du centre de Londres. Le commanditaire est The Great London Authority, le payeur The Department for Communities and Local Government, les investisseurs sont représentés par un consortium d’organisations philanthropiques et caritatives, les intermédiaires par la société Social Finance Ltd et la banque hollandaise Triodos, les opérateurs par les organisations caritatives St Mungo et Thames Reach. La population cible est composée de 830 personnes, sans domicile fixe, identifiées et dénommées inbetweeners permet d’identifier un capital humain, puis de l’accroître, et de le faire fructifier comme une source de profit[5]Ibid., p. 78 (traduction de l’auteur). Les auteurs se réfèrent largement aux cours de Michel Foucault sur le néolibéralisme : Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège … Continue reading ».

Big Society et marché de la finance sociale

Imaginé par un économiste néo-zélandais à la fin du XXe siècle, le principe des social impact bonds a été repris au Royaume-Uni par Sir Ronald Cohen, un financier britannique reconnu comme le « père du capital risque et de l’investissement à impact social[6]Ronald Cohen, https://en.wikipedia.org/wiki/Ronald_Mourad_Cohen ». Il est le fondateur en 2007 de Social Finance UK, un organisme privé basé à Londres dont l’objet est la création d’un marché de la finance sociale au Royaume-Uni.

Le premier SIB, dédié à la réduction des récidives chez les personnes incarcérées, est lancé en 2010 sous le gouvernement New Labour de Gordon Brown, peu après la crise des subprimes. Mais c’est sous le gouvernement conservateur de David Cameron et son projet de Big Society que cet instrument sera largement promu. Les trois piliers de la Big Society, énoncés lors d’un discours du Premier ministre britannique le 19 juillet 2010, sont de favoriser une culture du volontariat et de la philanthropie, de réformer le service public en « le débarrassant de sa bureaucratie » et en l’ouvrant à de nouveaux acteurs comme les organisations caritatives ou les entreprises, et de « créer des communautés de gens audacieux dans les quartiers qui reprennent leurs affaires en main[7]David Cameron, « Le vent nouveau de la Big Society », Le Monde Diplomatique-Manière de voir, n° 153, juin-juillet 2017, www.monde-diplomatique.fr/mav/153/CAMERON/57546  ».

Cette annonce s’opère dans le contexte du renflouement des banques en faillite et de la récession provoquée par la crise de 2008 qui s’est accompagnée d’une réduction dramatique des budgets publics et sociaux, ainsi que des financements publics du secteur associatif. L’un des outils de cette politique à venir est le social impact bond.

Contesté au Royaume-Uni, où les inégalités déjà sévères – fruit de plusieurs décennies de New Public Management – s’aggravent, David Cameron cherche à faire légitimer ses choix par une reconnaissance internationale, tout en confortant sa politique interne par différents textes législatifs et documents d’orientation. Alors que le Royaume-Uni préside le G8 en 2013, Cameron nomme Sir Ronald Cohen à la tête d’une Task Force pour la promotion de l’investissement social, à laquelle participent des représentants des pays du G8 mandatés par leurs gouvernements. Le rapport final de la Task Force s’intitule Le cœur invisible des marchés. Pour Sir Cohen, « le monde est au bord d’une révolution dans la manière dont nous résolvons les problèmes les plus aigus de la société. La force capable de mener à bien cette révolution est l’investissement à impact social qui lie l’esprit d’entreprise, l’innovation et le capital pour dynamiser le progrès social[8]Impact investment: the invisible heart of the markets. Harnessing the power of entrepreneurship, innovation and capital for public good, p. 1, … Continue reading ». Dans son discours du 23 janvier 2014, à la Mansion House de Londres, il évalue à 150 milliards de livres (170 milliards d’euros) par an le marché de l’investissement à impact social au Royaume-Uni, soit la moitié du budget social de l’État[9]Sir Ronald Cohen, Revolutionising Philanthropy: Impact Investment, Mansion House speech, jeudi 23 janvier 2014, … Continue reading.

Importation dans l’Hexagone

En France, le rapport de Hugues Sibille, représentant du ministre Benoît Hamon auprès de la Task Force du G8 et ancien vice-président exécutif du Crédit coopératif, soutient la mise en place de contrat à impact social[10]Comment et pourquoi favoriser des investissements à impact social  ?, Innover financièrement pour innover socialement, Rapport du Comité français sur l’investissement à impact social, … Continue reading. L’évaluation du marché français aboutit à des montants plus modestes qu’en Grande-Bretagne, mais le document inclut l’intégralité du discours de Sir Cohen à la Mansion House, signifiant sans doute par-là que les ambitions peuvent être revues à la hausse. Le rapport est remis en septembre 2014 à la secrétaire d’État à l’Économie sociale et solidaire Carole Delga qui déclare « qu’aucune suite ne lui sera donnée » et que « la recherche d’un impact social à court terme par les investisseurs solidaires n’éclipsera pas ce qui fonde le modèle français de l’investissement à impact social : le maintien à long terme des solidarités construites à la fois autour de l’entreprise solidaire et des mécanismes de solidarité nationale, mais aussi le rôle essentiel des services publics[11]Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, communiqué de presse n° 069 du 14 septembre … Continue reading ». Celle qui va lui succéder, Martine Pinville, n’aura pas les mêmes préventions : son secrétariat d’État lance en mars 2016 un appel d’offres pour des contrats à impact social, sorte de concours Lépine de l’innovation sociale en quête d’investisseurs, pour lequel aucun thème n’est imposé.

Les deux premiers contrats sont ratifiés le 24 novembre 2016 en présence du président François Hollande. Ils portent sur la formation d’auto-entrepreneurs – autre élément du lexique néolibéral – dans les cités à problèmes et les zones rurales en déshérence. Ainsi, malgré les mises en garde du Haut Comité à la vie associative[12]Avis du Haut Conseil à la vie associative relatif à l’appel à projets de « social impact bonds », 2 mars 2016, … Continue reading, celles du Collectif des associations citoyennes[13]Collectif des associations citoyennes, Les contrats à impact social : des SIB à la française !, http://www.associations-citoyennes.net/?p=7662 et même celles de l’OCDE[14]OCDE, Social Impact Bonds: Promises and Pitfalls, http://www.oecd.org/cfe/leed/sib-seminar-2015.htm, le gouvernement français est passé outre. À ce jour, une dizaine de CIS sont opérants en France. Un décompte mondial en 2017 évaluait le nombre de SIB clôturés à 25 (dont 19 en Grande-Bretagne) et à 67 les SIB actifs (dont 13 en Grande-Bretagne) ; en outre, 29 étaient en préparation dans divers pays. Des adaptations des SIB à d’autres contextes ont été élaborées sous le nom de development impact bonds, ou de humanitarian impact bonds, défendus, voire mis en œuvre, par le PNUD et le CICR. Ils relèvent du même mécanisme d’un préfinancement de projets par des investisseurs privés et de « l’achat » des résultats par des commanditaires publics, nationaux ou multinationaux.

Une contestation solide et négligée

Si la communication promotionnelle enthousiaste sur les SIB est surtout le fait des intermédiaires – sociétés d’audit, d’ingénierie financière et juridique (KPMG, Deloitte, etc.) –, dont on peut penser qu’ils ont le plus intérêt à la multiplication de ces contrats, les analyses scientifiques ou militantes qui émergent proviennent principalement, du fait de leur antériorité, du monde anglo-saxon. Parmi celles-ci, on peut se référer à l’étude exhaustive de Dexter Whitfield[15]Dexter Whitfield, Alternative to Private Finance of the Welfare State: A global analysis of Social Impact Bond, Pay-for-Success and Development Impact Bond projects, Adelaïde, Australian Workplace … Continue reading, aux diverses publications des enseignants-chercheurs Michael J.Roy, Stephen Sinclair et Neil McHugh[16]Michael J. Roy, Neil McHugh, Stephen Sinclair, « Social Impact Bonds. Evidence-based policy or ideology? », in Bent Greve (ed.), Hand Book of Social Policy Evaluation, Edward Elgar Publishing, … Continue reading, à l’étude particulièrement saisissante de Christine Cooper, Cameron Graham, Darlène Himick déjà évoquée[17]Christine Cooper et al., « Social Impact Bonds…  », art. cit., p. 80., aux articles de Mildred E. Warner de l’Université Cornell. En France, on peut citer les travaux des chercheurs de l’Institut Godin[18]Emmanuelle Besançon, Sylvain Celle, Nicolas Chochoy, Thibault Guyon et Yannick Martell, « L’investissement à impact social : vers une financiarisation de l’économie sociale et … Continue reading et ceux de Frédéric Marty qui opèrent des méta-analyses sur les SIB du monde anglo-saxon, ou encore ceux de Nicole Alix et Eve Chiapello sur le concept d’impact social[19]Eve Chiapello et Nicole Alix, « La mesure de l’impact social comme nouvelle panacée : l’industrie financière veut “changer la vie” », Les voyelles, avril 2014, … Continue reading. Les critiques portent sur le coût de tels montages, la complexité des champs d’intervention et la difficulté de mesurer des résultats sociaux, les manipulations et instrumentalisations liées au paiement au résultat, les questions politiques et éthiques engagées.

Pour les bénéficiaires, jamais associés à l’élhttp://www.cairn.info/revue-informations-socialesaboration de ces projets, les prestations fournies peuvent ne pas correspondre à leurs besoins tant elles sont formatées en fonction des résultats attendus. Traiter ces personnes comme si elles étaient « des marchandises factices », pour reprendre l’expression de Karl Polanyi, ne peut que dégrader la cohésion sociale. Selon Christine Cooper et ses collègues le London Homeless SIB, « en tant qu’ostensible solution par le marché d’un problème social, véhicule avec lui une pléthore de rationalités néolibérales. Il traite les sans-abri, non en traitant la société, mais en sortant la société de l’équation[20]Christine Cooper et al., « Social Impact Bonds…  », art. cit., p. 80 (traduction de l’auteur). ».

Compte tenu des sommes en jeu et de la technicité requise, les opérateurs – ONG, associations ou entreprises « sociales » – doivent disposer d’une forte capacité d’expertise et de gestion. Seules les grandes organisations peuvent prétendre être éligibles. Les coûts évités reposent en partie sur « la structure particulière de l’univers professionnel de ces associations, composé de bénévoles et salariés engagés, rompus au don de soi, très diplômés, peu chers et flexibles[21]Emmanuelle Besançon et al., « L’investissement à impact social…  », art. cit., p. 322. », qui assument des missions d’intérêt général en lieu et place des agents publics. Leur immersion dans l’univers des affaires et de la finance peut conduire à un isomorphisme institutionnel, à une perte des valeurs et du sens de l’action.

La responsabilité démocratique et la transparence sont absentes ; l’État externalise ses services et les fonctions de contrôle qui lui incombent comme la conduite et l’évaluation des politiques publiques en les confiant à des acteurs du marché. Du fait de l’encastrement des projets dans les systèmes comptables du marché financier, « l’État perd de sa capacité à évaluer de manière critique ses propres activités selon une perspective humaine et politique[22]Christine Cooper et al., « Social Impact Bonds… », art. cit., p. 81 (traduction de l’auteur). ». Selon les observateurs, la forte motivation pour les SIB dans les pays anglo-saxons ne s’explique pas par le désir d’améliorer les politiques publiques, mais d’accroître l’investissement privé dans le financement et la délivrance de services publics.

De l’intérêt général à l’impact social, quelles perspectives pour les ONG françaises ?

Alors que l’on s’accorde à dire que les pays qui bénéficiaient d’un meilleur niveau de protection sociale et donc de redistribution keynésienne ont mieux résisté que les autres à la crise de 2008 et que ceux qui disposent de plus d’institutions philanthropiques sont les plus inégalitaires, pourquoi l’État français s’est-il engagé dans la voie dangereuse de la financiarisation de sa politique sociale ?

Il faut y voir sûrement la pression et le voisinage politique, sous la présidence Hollande, du milieu de l’Économie sociale et solidaire, réifiée par la loi éponyme de 2014, et dont Matthieu Hély dit qu’elle n’existe pas car trop hétérogène et hétéronome[23]Matthieu Hély, « L’économie sociale et solidaire n’existe pas », laviedesidées.fr, Essais et débats, 11 février 2008, http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20080211_ecosolidaire.pdf. Au nom de la croissance qu’elle génère en termes d’emplois et de valeur, et de sa supposée efficacité, ses représentants autorisés réclament plus de moyens et d’accès au crédit. Mais on peut aussi y reconnaître les mécanismes mis au jour par Michel Feher selon lequel « en recourant aux marchés obligataires pour boucler leurs budgets, les responsables politiques . L’abrogation des réglementations, l’allègement des impôts, la réduction des dépenses publiques par les voies de la privatisation et de la suppression de certains programmes sociaux sont autant de gestes qui suscitent leur enthousiasme[24]Michel Feher, Le temps des investis. Essai sur la nouvelle question sociale, La Découverte, 2017, p. 19-20. ».

Pour Matthieu Hély, « les entreprises sociales deviennent les opérateurs privés de politiques publiques au service d’un État néolibéral qui organise lui-même sa propre défection dans la prise en charge de l’intérêt général[25]Matthieu Hély, « L’économie sociale et solidaire peut elle ré-enchanter le travail ? », Agir par la culture, 7 octobre 2014, … Continue reading ». Le brouillage des frontières entre public et privé sous le concept d’utilité sociale « est le fruit d’un travail historique de dé-légitimation des missions de l’État social et de légitimation de l’entreprise dans sa contribution à la production des biens publics[26]Matthieu Hély, « L’économie sociale… », art. cit.  ; travail de rupture d’avec l’héritage républicain de la loi de 1901, où l’association pouvait faire figure d’institution citoyenne et démocratique et d’avec une tradition de l’État social où le monde associatif participait à l’extension des missions de la puissance publique dans de nombreux domaines[27]Mathieu Hély, « Le travail salarié associatif est-il une variable d’ajustement des politiques publiques ? », CNAF, Informations sociales, vol. 4, n° 172, 2012, p.  34-42, … Continue reading  ».

Si le fragile modèle économique des ONG mérite d’être revisité, les contrats à impact social ne sont pas pour autant une bonne idée. Ce sont des instruments conçus pour convertir les opérateurs associatifs à une lecture néolibérale du champ social dans une période de fortes contraintes sur les budgets publics. Néolibéralisme dont Pierre Bourdieu a démontré qu’il était « un programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur[28]Pierre Bourdieu, « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, mars 1998, p. 3, www.monde-diplomatique.fr/1998/03/BOURDIEU/3609 ».

Selon Karl Polanyi, les trois principes à retrouver au cœur d’un processus d’arrimage de l’économie à la société sont la réciprocité, la redistribution et le marché[29]Karl Polanyi, La Grande Transformation, Gallimard, Bibliothèque des Sciences Humaines, préface de Louis Dumont, 1983, p. 71-86.. Si la redistribution relève de l’État, la réciprocité est du domaine de la solidarité. Pour Jean-Michel Servet, lecteur de Polanyi, celle-ci ne se réduit pas à une relation de don contre don, elle est comprise par son inscription dans une totalité sociale et une interdépendance des acteurs. Plus que de générosité, il faut l’entendre comme souci d’autrui ; elle ne peut être confondue avec un calcul mathématique d’équivalences[30]Jean-Michel Servet, « Le principe de réciprocité chez Karl Polanyi, contribution à une définition de l’économie solidaire », Revue Tiers Monde, vol. 4, n° 190, 2007, … Continue reading.

À un moment où l’État français met en chantier la réforme de l’objet social de l’entreprise dans la perspective de concilier le marché et l’intérêt général, il serait opportun que, collectivement, les organisations solidaires s’accordent sur une définition et une appropriation de la notion d’utilité sociale, en France et à l’international, et qu’elles s’entendent aussi sur le modèle d’État social avec lequel elles pourraient dialoguer.

* Joël Le Corre s’exprime ici à titre personnel.

Cet article vous a été utile et vous a plu ? Soutenez notre publication !

L’ensemble des publications sur ce site est en accès libre et gratuit car l’essentiel de notre travail est rendu possible grâce au soutien d’un collectif de partenaires. Néanmoins tout soutien complémentaire de nos lecteurs est bienvenu ! Celui-ci doit nous permettre d’innover et d’enrichir le contenu de la revue, de renforcer son rayonnement pour offrir à l’ensemble du secteur humanitaire une publication internationale bilingue, proposant un traitement indépendant et de qualité des grands enjeux qui structurent le secteur. Vous pouvez soutenir notre travail en vous abonnant à la revue imprimée, en achetant des numéros à l’unité ou en faisant un don. Rendez-vous dans notre espace boutique en ligne ! Pour nous soutenir par d’autres actions et nous aider à faire vivre notre communauté d’analyse et de débat, c’est par ici !

References

References
1 À l’image d’Alima dont le directeur financier Mathieu Dufour écrit : « Lancée en France en 2016, cette initiative arrive selon nous tardivement après avoir été expérimentée et fait ses preuves à l’échelle mondiale sur plusieurs centaines de millions d’euros de projets. » Voir Mathieu Dufour, « Les ONG ont-elles le monopole des bonnes intentions ? », Alternatives Humanitaires, n° 6, novembre 2017, p. 34, http://alternatives-humanitaires.org/fr/2017/11/17/ong-ont-monopole-bonnes-intentions/
2 Boris Martin, L’Adieu à l’humanitaire ? Les ONG au défi de l’offensive néolibérale, Éditions Charles Léopold Mayer, 2015, désormais téléchargeable : http://docs.eclm.fr/pdf_livre/374adieuahumanitaire.pdf Voir notamment p. 84-88 pour les CIS/SIB.
3 Ibid., p. 84-85.
4 Christine Cooper, Cameron Graham and Darlene Himick, « Social Impact Bonds: The securization of the homeless », Accounting, Organizations and Society, vol. 55, novembre 2016, p. 63-82.
5 Ibid., p. 78 (traduction de l’auteur). Les auteurs se réfèrent largement aux cours de Michel Foucault sur le néolibéralisme : Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France. 1978-1979, Gallimard/Seuil/EHESS, coll. « Hautes Études », 2004, p. 221-244.
6 Ronald Cohen, https://en.wikipedia.org/wiki/Ronald_Mourad_Cohen
7 David Cameron, « Le vent nouveau de la Big Society », Le Monde Diplomatique-Manière de voir, n° 153, juin-juillet 2017, www.monde-diplomatique.fr/mav/153/CAMERON/57546
8 Impact investment: the invisible heart of the markets. Harnessing the power of entrepreneurship, innovation and capital for public good, p. 1, http://www.socialimpactinvestment.org/reports/Impact_Investment_Report_FINAL.pdf   (traduction de l’auteur).
9 Sir Ronald Cohen, Revolutionising Philanthropy: Impact Investment, Mansion House speech, jeudi 23 janvier 2014, www.portlandtrust.org/sites/default/files/newsfiles/revolutionising_philanthropy_impact_investment_-sir_ronald_cohen_-_mansion_house_speech_-_jan_2014.pdf  (traduction de l’auteur).
10 Comment et pourquoi favoriser des investissements à impact social ?, Innover financièrement pour innover socialement, Rapport du Comité français sur l’investissement à impact social, septembre 2014, www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/RapportSIIFce_vdef_28082014.pdf
11 Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, communiqué de presse n° 069 du 14 septembre 2014 http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/18037.pdf
12 Avis du Haut Conseil à la vie associative relatif à l’appel à projets de « social impact bonds », 2 mars 2016, http://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/Avis_du_HCVA_relatif_a_l_appel_a_projets_SIB_02-03-2016.pdf
13 Collectif des associations citoyennes, Les contrats à impact social : des SIB à la française !, http://www.associations-citoyennes.net/?p=7662
14 OCDE, Social Impact Bonds: Promises and Pitfalls, http://www.oecd.org/cfe/leed/sib-seminar-2015.htm
15 Dexter Whitfield, Alternative to Private Finance of the Welfare State: A global analysis of Social Impact Bond, Pay-for-Success and Development Impact Bond projects, Adelaïde, Australian Workplace Innovation and Social Research Centre, The University of Adelaide, 2015, www.european-services-strategy.org.uk/wp-content/uploads/2015/09/alternative-to-private-finance-of-the-welfare-state.pdf
16 Michael J. Roy, Neil McHugh, Stephen Sinclair, « Social Impact Bonds. Evidence-based policy or ideology? », in Bent Greve (ed.), Hand Book of Social Policy Evaluation, Edward Elgar Publishing, mars 2017, www.researchgate.net/publication/313889147
17 Christine Cooper et al., « Social Impact Bonds…  », art. cit., p. 80.
18 Emmanuelle Besançon, Sylvain Celle, Nicolas Chochoy, Thibault Guyon et Yannick Martell, « L’investissement à impact social : vers une financiarisation de l’économie sociale et solidaire ? », XVe rencontres du RIUESS, Reims, Institut Godin, mai 2015, http://base.socioeco.org/docs/besancon_chochoy.pdf
19 Eve Chiapello et Nicole Alix, « La mesure de l’impact social comme nouvelle panacée : l’industrie financière veut “changer la vie” », Les voyelles, avril 2014, www.les-voyelles.org/2014/04/24/la-mesurede-limpact-social-comme-nouvelle-panacee-lindustrie-financiere-veut-changer-la-vie-2/
20 Christine Cooper et al., « Social Impact Bonds…  », art. cit., p. 80 (traduction de l’auteur).
21 Emmanuelle Besançon et al., « L’investissement à impact social…  », art. cit., p. 322.
22 Christine Cooper et al., « Social Impact Bonds… », art. cit., p. 81 (traduction de l’auteur).
23 Matthieu Hély, « L’économie sociale et solidaire n’existe pas », laviedesidées.fr, Essais et débats, 11 février 2008, http://www.laviedesidees.fr/IMG/pdf/20080211_ecosolidaire.pdf
24 Michel Feher, Le temps des investis. Essai sur la nouvelle question sociale, La Découverte, 2017, p. 19-20.
25 Matthieu Hély, « L’économie sociale et solidaire peut elle ré-enchanter le travail ? », Agir par la culture, 7 octobre 2014, http://www.agirparlaculture.be/index.php/reflexions/237-l-economie-sociale-et-solidaire-peut-elle-re-enchanter-le-travail
26 Matthieu Hély, « L’économie sociale… », art. cit.
27 Mathieu Hély, « Le travail salarié associatif est-il une variable d’ajustement des politiques publiques ? », CNAF, Informations sociales, vol. 4, n° 172, 2012, p.  34-42, http://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2012-4-page-34.htm
28 Pierre Bourdieu, « L’essence du néolibéralisme », Le Monde diplomatique, mars 1998, p. 3, www.monde-diplomatique.fr/1998/03/BOURDIEU/3609
29 Karl Polanyi, La Grande Transformation, Gallimard, Bibliothèque des Sciences Humaines, préface de Louis Dumont, 1983, p. 71-86.
30 Jean-Michel Servet, « Le principe de réciprocité chez Karl Polanyi, contribution à une définition de l’économie solidaire », Revue Tiers Monde, vol. 4, n° 190, 2007, http://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2007-2-page-255.html

You cannot copy content of this page