Le monde entier a pour le moins été « saisi » par la pandémie de la Covid-19[1]Comme expliqué à la fin de cet éditorial, nous avons fait le choix dans ce numéro de donner le genre féminin à cette Covid-19.. Et le « petit » monde humanitaire n’y a pas échappé. Sans doute a-t-il d’ailleurs été le moins surpris par cette déflagration, même s’il tente encore d’en mesurer tous les dommages directs et collatéraux. C’est tout le sens de ce numéro qui, dans l’urgence ainsi provoquée, nous a amenés à revoir notre programme de publication.
Faut-il parler d’ironie dans une crise aussi grave ? En février 2016, nous consacrions notre tout premier numéro à l’épidémie d’Ebola ayant sévi en Afrique de l’Ouest en 2014 et 2015[2]Alternatives Humanitaires, « Ebola : la fin du cauchemar ? », numéro inaugural, février 2016, http://alternatives-humanitaires.org/fr/numero-inaugural-fevrier-2016. Tirant les enseignements de cette crise (qui allait perdurer jusqu’au début de l’année 2016, avant de déclarer de nouveaux foyers en 2018 en République démocratique du Congo), tous les auteurs convergeaient pour alerter sur les perspectives qui s’ouvraient. Les épidémiologistes Michael Edelstein et David L. Heymann affirmaient : « Ces questions requièrent une réponse urgente avant l’émergence de la prochaine crise sanitaire mondiale. » Jean-François Delfraissy (actuel président du conseil scientifique sur la Covid-19 en France) et Benoît Miribel (cofondateur de la revue Alternatives Humanitaires) prévenaient : « La question de la responsabilité des gouvernements et des ministères face aux enjeux de santé publique doit être suivie de près afin d’inciter et encourager les responsables politiques à prendre les mesures de protection des populations dont ils ont la charge. La vulnérabilité sanitaire des pays dépourvus de système de santé concerne aussi les pays développés car ils peuvent se retrouver à tout moment exposés à des pathogènes émergents ou ré-émergents ». En 2018, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) innovait en plaçant dans sa liste des pathologies pouvant représenter un danger international – à côté d’Ebola, de Zika ou de deux coronavirus, le MERS et le SRAS – la « maladie X » : cette pathologie a « été incluse dans la liste, non pour terrifier, mais pour veiller à ce que la communauté internationale en santé soit prête à s’attaquer à toutes les formes de menaces, prévisibles et imprévisibles », déclarait alors l’OMS. Depuis le 31 décembre 2019, date de la découverte des premiers cas d’une maladie infectieuse en Chine, ce sont 188 pays dans le monde qui sont touchés par la Covid-19, avec plus de 13 millions de cas confirmés et plus de 570 000 morts (au 14 juillet 2020)[3]Tableau de suivi de Johns Hopkins University, https://coronavirus.jhu.edu/map.html. Quasiment la moitié de la population mondiale a été peu ou prou confinée, à divers degrés, avant que l’étau ne se desserre.
En intégrant au mieux les contraintes de temps et d’évolution de la pandémie de la Covid-19 à l’échelle mondiale, il s’agit dans ce numéro spécial de notre revue d’appréhender les enjeux qu’a soulevés – et soulève encore – la Covid-19 dans le champ humanitaire, en anticipant ceux qui vont se faire jour d’ici la sortie d’un second numéro spécial en novembre. Il convient d’abord de comprendre les origines et causes de cette pandémie, les enseignements des pandémies passées (y compris ceux qui n’ont pas été suivis d’effets) dans lesquelles les humanitaires ont souvent été en première ligne et de mettre en lumière ce qu’il faut impérativement encourager, à savoir une nécessaire solidarité internationale, au-delà des huis clos nationaux que cette crise a trop souvent créés.
Il nous fallait donc comprendre comment la Covid-19 s’inscrit dans la longue liste des épidémies passées et actuelles, ce que le savoir épidémiologique accumulé au fil de ces épidémies permet d’élaborer et les enseignements des interventions humanitaires en contexte épidémique. Les textes de Jean Freney, de Stéphanie Maltais et de François Grünewald s’y emploient. Et l’interview de Robert Sebbag prolonge la réflexion sur notre site internet* en évoquant le parallèle avec la pandémie du VIH-sida[4]Robert Sebbag, « Il y a eu une véritable solidarité de la peur », http://alternatives-humanitaires.org/fr/2020/06/12/il-y-a-eu-une-veritable-solidarite-de-la-peur.
Nous verrons aussi quel rôle les ONG ont pu jouer dans leurs pays respectifs comme à l’étranger en dépit de leurs propres contraintes (personnels confinés, transports réduits…) et quels enseignements elles retirent déjà de cette crise. L’article de Chloé Cébron, Shelley-Rose Hyppolite et Nadja Pollaert de Médecins du Monde Canada s’y attelle en mettant en avant le nécessaire travail communautaire, tandis que celui de Miriam Kasztura et Françoise Duroch de Médecins Sans Frontières Suisse revient sur les défis moraux auxquels ont été confrontées les équipes de MSF. L’article de Michiel Hofman aborde une problématique largement sous-déterminée (l’impact de la Covid-19 dans les zones de guerre), tout comme Dominique Kerouedan le fait pour les demandeurs d’asile en France (sur notre site également[5]Dominique Kerouedan, « La demande d’asile dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire en période d’épidémie de la Covid-19 en France », … Continue reading).
Essentielle à la compréhension et à la prise en charge de cette crise, l’analyse des chercheurs avait bien évidemment sa place dans ce dossier. Qu’il s’agisse de mieux comprendre la « réception » et les représentations de la pandémie en Afrique, comme le font les anthropologues Yannick Jaffré, Fatoumata Hane et Hélène Kane. Ou qu’il soit question de prendre la mesure des enjeux humanitaires et des outils mobilisables comme le font Karl Blanchet et Alex Odlum du Centre d’enseignement et de recherche en action humanitaire (CERAH).
À ces regards croisés, il fallait ajouter des mises en perspective. Celle de Norah Niland, disséquant la « métaphore guerrière » largement à l’œuvre dans cette crise inédite et celle d’Anna Khakke, interrogeant la nature autant politique qu’humanitaire de cette dernière, annoncent déjà les réflexions plus globales qu’il nous faudra tirer de cette pandémie.
Et si elles referment ce dossier, ces contributions n’épuisent pas les sujets collatéraux, mais bien essentiels, qui viennent le nourrir. Des liens désormais évidents entre cette pandémie et l’environnement qu’aborde Jean-François Mattei à la critique du néolibéralisme que dessinent Alain Caillé et Bertrand Livinec, en passant par la possible réactivation de la localisation de l’aide que pressentent Martin Vielajus et Jean-Martial Bonis-Charancle, on mesure les chantiers que ce virus « en forme de couronne » a ouverts. Comme s’il avait décidé d’encercler l’humanité dans ses propres contradictions, dont il lui faudra bien sortir.
* Face à la richesse des réactions qu’a provoqué cette crise, nous avons ouvert notre site – encore plus largement que d’habitude – à des contributions qui ne pouvaient trouver leur place dans l’espace restreint de cette publication : le lecteur y trouvera profusion de textes, interviews et ressources bibliographiques relatifs aux impacts de la Covid-19 dans le champ humanitaire. D’autres viendront régulièrement nourrir notre site jusqu’à notre second dossier consacré au même thème, en novembre prochain.
La Covid-19 : question de genre
Pour uniformiser le genre accolé au virus qui nous intéresse ici, nous nous sommes rangés à l’avis de l’Académie française (www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19). Considérant que « les sigles et acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation », les Immortels ont en effet opté pour le genre féminin puisque le noyau de « corona virus disease » « est un équivalent du nom français féminin maladie ». Cette règle ne s’applique pas dans le cas de citations ou de références bibliographiques qui auraient employé le masculin. |
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ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-656-0