Dans la perspective de son 27e numéro à paraître en novembre 2024, la revue Alternatives Humanitaires lance un appel à contributions pour son dossier qui sera consacré au thème dont le titre provisoire est « Ukraine-Gaza : regards croisés ». Si vous êtes intervenant·e, chercheur·euse ou observateur·ice du milieu humanitaire international, et souhaitez soumettre un projet d’article sur ce thème, merci d’adresser un résumé de votre problématique, un plan provisoire et une courte biographie du/des auteur·rice·s (2 pages maximum) avant le 22 février 2024, à l’adresse mail suivante : contact@alternatives-humanitaires.org. La réponse vous sera adressée le 29 février 2024 au plus tard.
L’article final – rédigé en français ou en anglais – devra être rendu le 9 septembre 2024, le calibrage moyen se situant aux alentours de 15 000 signes, espaces compris (soit 2 400 mots environ en français, 2 200 mots en anglais). Six ou sept articles environ seront retenus dans le cadre de ce dossier.
Pour chaque numéro, nous étudions également les projets d’articles portant sur des thématiques en relation avec l’action humanitaire autres que celle du dossier, et qui trouvent place dans les rubriques Perspectives, Transitions, Innovations, Éthique, Reportage ou Tribune. Nous vous invitons à nous faire parvenir vos propositions.
Ukraine-Gaza : regards croisés
Un dossier/focus copiloté par Rony Brauman – médecin, ancien président de Médecins Sans Frontières (1982-1994) et directeur d’études au Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires de MSF-France (CRASH) – et Jean-François Corty – médecin, vice-président de Médecins du Monde et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) – avec Boris Martin, rédacteur en chef
Le conflit israélo-palestinien, violemment réactivé à la suite des attaques terroristes orchestrées par le Hamas le 7 octobre 2023, a presque remisé au second plan le conflit russo-ukrainien[1]« L’Ukraine menacée d’être une victime collatérale de la guerre de Gaza », France Inter, 9 novembre 2023 … Continue reading. Les regards du monde entier se sont alors en effet tournés vers cette étroite langue de terre coincée entre Israël, l’Égypte et la mer Méditerranée qu’est la bande de Gaza.
Une attention évidemment compréhensible, lorsque l’on constate le nombre élevé de victimes essentiellement civiles qu’a entraîné le conflit depuis lors. Pourtant, la crise engendrée par l’agression russe de l’Ukraine le 24 février 2022 n’a rien perdu de son ampleur : six millions de réfugiés sont encore en dehors du pays, tandis que cinq millions de personnes sont déplacées à l’intérieur de celui-ci[2]« Le dilemme des réfugiés ukrainiens face à l’intensification des frappes russes », Les Échos, 3 janvier 2024, … Continue reading. La « disparition » du conflit russo-ukrainien a amené le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à se démener pour maintenir l’attention médiatique et politique alors que les combats s’enlisent, et que grandit sa crainte d’une diminution du soutien international en réponse à l’invasion russe[3]« Comment le conflit à Gaza affecte la guerre en Ukraine », BBC, 11 novembre 2023 https://www.bbc.com/afrique/articles/c9r679yr1nvo ; « Guerre Israël-Hamas : la grande peur des … Continue reading.
À vrai dire, si le conflit israélo-palestinien semble avoir relégué dans l’oubli la grande majorité des situations de violence armée en cours dans le monde – y compris le conflit russo-ukrainien donc –, il faut se souvenir que celui-ci avait produit le même effet lorsqu’il avait éclaté en 2022. Et il faut rappeler également que, de l’Afghanistan au Soudan en passant par la Birmanie, le Yémen, la République démocratique du Congo, la Centrafrique ou encore Haïti, les « crises oubliées » ont été de tout temps en nombre bien plus élevé que les « crises médiatiques ».
Qu’ont donc de particulièrement révoltant, inquiétant et révélateur ces deux conflits à Gaza et en Ukraine ? Des conflits qui, par ailleurs – et c’est une donnée majeure – témoignent d’une concurrence et d’arbitrages aussi bien dans les budgets militaires (des acteurs directs et de leurs soutiens) qu’humanitaires (ressources limitées des bailleurs) qui ne font qu’ajouter à la tension et à la relégation que subissent les autres crises humanitaires dans le monde.
De toute évidence, nous ne sommes pas là dans une situation « classique » d’élan compassionnel et médiatique qui disparaitra avec la prochaine crise majeure : ces deux conflits nous interpellent parce qu’ils disent quelque chose de la géopolitique actuelle, d’une certaine forme de reconfiguration du monde, des usages du droit international humanitaire (DIH) et de la place accordée aux acteurs humanitaires par les belligérants. Ces deux conflits marquent déjà de leur empreinte la trop longue cohorte des conflits que le monde a connus ces dernières décennies.
De l’Ukraine à Gaza, deux guerres « en concurrence »[4]« Gaza, Ukraine : deux guerres en concurrence », Dernières nouvelles d’Alsace, 20 octobre 2023, https://www.dna.fr/defense-guerre-conflit/2023/10/20/gaza-ukraine-deux-guerres-en-concurrence se déroulent de façon simultanée aux frontières de l’Europe et au Proche-Orient. Les terrains et les actions militaires sont très différents, les acteurs directement impliqués aussi, mais dans les deux cas, sur les écrans de télévision les images de guerre se suivent, se ressemblent et se confondent presque. Rien n’évoque plus un massacre de civils qu’un autre massacre[5]« Ukraine, Gaza : la solitude de l’Occident », Les Échos, 29 novembre 2023, https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/ukraine-israel-meme-combat-2025593. Le traitement médiatique de ces deux conflits opère parfois un parallèle où la complexité de la situation laisse place à l’émotion[6]« Ukraine, Gaza : les certitudes du « camp du Bien », Le Point, 10 décembre 2023, https://www.lepoint.fr/monde/ukraine-gaza-les-certitudes-du-camp-du-bien-10-12-2023-2546405_24.php et une comparaison dangereuse de la compassion des uns et des souffrances des autres[7]“As Gaza reels, Ukraine war feels suddenly distant in Global South nations”, Al Jazeera, 12 December 2023, https://www.aljazeera.com/news/2023/12/12/as-gaza-reels-ukraine.
Du Donbass au Proche-Orient – mais on peut associer ce qui se passe dans le Caucase (Haut-Karabagh) –, on assiste à des guerres à la fois globales et de proximité : elles éclatent et se répondent sur une courte période, dans un périmètre euroméditerranéen restreint, enjeu d’une nouvelle compétition de puissances dont on pressent qu’elle peut aboutir à un embrasement et à une reconfiguration majeure du monde tel que nous le connaissons.
Les acteurs humanitaires doivent donc s’interroger sur ce monde qui peut se dessiner et sur le rôle qu’ils peuvent y jouer avec les limites que ces conflits auront peut-être tracées. C’est qu’ils recouvrent par ailleurs une dimension non seulement territoriale mais aussi identitaire et sociale puisqu’ils renvoient à la catégorie des « guerres existentielles » qui relient leurs peuples à un traumatisme collectif : Shoah chez les Israéliens, Nakba chez les Palestiniens, Holodomor chez les Ukrainiens, sans oublier Medz Yeghern (« grand carnage ») chez les Arméniens. La mémoire des génocides et d’autres tragédies – on pense à la mémoire coloniale – traverse les esprits et les générations[8]« Trois guerres en interaction, en Ukraine, à Gaza et dans le Haut-Karabakh », Le Monde, 2 novembre 2023, … Continue reading.
Le drame que traverse le Proche-Orient, et les craintes d’une extension du conflit, font écho à la sidération qui avait saisi le monde en février 2022 en Ukraine. Mais ils ne font aussi que renforcer les questions que les deux situations, comme en miroir, font surgir dans un contexte évident de résurgence des conflits de haute intensité et à forte mortalité. De nombreux analystes l’avaient annoncé, notamment dans le numéro que la revue Alternatives Humanitaires avait consacré au DIH[9]« Droit international humanitaire : le grand retour… en arrière ? », Alternatives Humanitaires, n° 23, juillet 2023, … Continue reading.
D’évidence, ces deux conflits nous marquent par leur ampleur et nous questionnent dans de multiples dimensions du déploiement – ou de l’empêchement – d’une aide humanitaire reposant sur des principes d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance, conformément au consensus européen sur l’aide humanitaire. Ils questionnent le rapport au droit international et au respect des principes humanitaires, dont on constate des violations flagrantes depuis leur proclamation[10]François Audet, Sara Germain, Stéphanie Maltais, « État de la situation en Ukraine : des violations flagrantes des principes humanitaires », Alternatives Humanitaires, 17 mars 2022, … Continue reading, y compris par les Européens eux-mêmes, dont la politique de deux poids-deux mesures entre Ukraine et Gaza est manifeste et choquante.
C’est pour participer à la nécessaire réflexion sur la réponse humanitaire apportée aux conséquences des conflits israélo-palestinien et russo-ukrainien autant qu’à ce qu’ils risquent d’engendrer que la revue Alternatives Humanitaires a décidé de lancer cet appel à contributions. Sa pertinence ne fait que se confirmer à l’aune de leurs évolutions respectives qui se font violemment écho, même si ces dernières pourraient tout autant nous amener à revoir les angles de cette problématique ou à discuter avec les auteurs et autrices afin que leurs contributions soient les plus pertinentes possibles à l’approche de la publication en novembre 2024.
Au moment où nous publions ces lignes, cet appel à contributions invite à opérer un regard croisé, à distance des prises de position politiques qui, si elles ont toute leur légitimité, disposent d’autres espaces éditoriaux pour s’exprimer. À travers ce numéro, notre but est de jeter un pont analytique entre ces deux conflits, pour mettre en perspective la véritable déflagration qu’ils représentent dans le secteur humanitaire et toutes les remises en cause qu’ils engendrent, la façon dont les acteurs humanitaires font face et s’adaptent[11]Sara Germain, Janyck Beaulieu, Stéphanie Maltais, François Audet, « Un an après le début de l’invasion russe en Ukraine : des besoins humanitaires toujours aussi criants », Alternatives … Continue reading, les difficultés rencontrées et moyens mis en œuvre pour les surmonter et améliorer le sort des victimes. Qu’est-ce que les conflits israélo-palestinien et russo-ukrainien changent et confirment pour le secteur humanitaire ? Comment amènent-t-ils à revoir les manières de travailler, à questionner l’ensemble des principes humanitaires, quels débats ont-ils suscité dans le milieu des ONG humanitaires[12]« For some aid workers, internal Gaza tensions unearth long-overdue debates », The New Humanitarian, 11 december 2023, … Continue reading ?
Tous nos remerciements à Vincent Léger et Pierre Gallien, membres du Comité de rédaction, pour leur travail sur la première version de cette problématique.