La revue Alternatives Humanitaires lance un appel à contributions pour le dossier de son 29e numéro, à paraître en juillet 2025 et qui sera consacré au thème : « ONG et communication : défis et stratégies à l’ère des fake news et de la « post-vérité »» (titre provisoire). Si vous êtes travailleur.euse ou chercheur.euse dans le domaine de l’humanitaire et que vous souhaitez soumettre un projet d’article sur ce sujet, merci d’envoyer un résumé de votre problématique ainsi qu’un plan provisoire (deux pages maximum) et une courte biographie avant le 22 janvier 2025, à l’adresse mail suivante : contact@alternatives-humanitaires.org. Une réponse vous sera adressée au plus tard le 27 janvier 2025.
Les articles finalisés — rédigés en français ou en anglais — devront être soumis avant le 26 mai 2025 et compter autour de 2 200 mots (en anglais) ou 2 400 mots (en français), notes de bas de page comprises. Sept à huit articles environ seront retenus pour ce Focus.
Pour chaque numéro, nous étudions également les articles en lien avec l’action humanitaire qui explorent d’autres sujets que celui proposé dans le dossier. Ils pourront être publiés dans les rubriques Perspectives, Transitions, Innovations, Éthique, Reportage ou Tribune. Nous vous invitons à nous faire parvenir vos propositions.
ONG et communication : défis et stratégies à l’ère des fake news et de la « post-vérité »
Un dossier Focus copiloté par Valérie Gorin – Directrice des programmes au Centre d’Études Humanitaires de Genève et membre du Comité de rédaction d’Alternatives Humanitaires – et Dana Popescu-Jourdy – Présidente de Communication Sans Frontières et membre du Conseil scientifique d’Alternatives Humanitaires –, avec Boris Martin, rédacteur en chef
Les relations entre médias et acteurs humanitaires – depuis longtemps observées, analysées et/ou critiquées – sont marquées par une interdépendance stratégique, mais aussi par des défis liés à l’indépendance et à la véracité des informations. Au cours des cinquante dernières années – si l’on considère seulement l’émergence du mouvement sans-frontières en France –, les relations entre les médias et l’humanitaire ont évolué de manière significative. Si les journalistes ont souvent été des soutiens engagés dans les années 1970, les crises humanitaires ont été principalement relayées par des reportages sensationnalistes au cours des années 1980, comme lors de la famine en Éthiopie en 1984-1985. Et puis, au diapason de la création de la Direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes de la Commission européenne (ECHO) en 1992, les organisations humanitaires ont davantage professionnalisé leurs relations publiques dans les années 1990[1]Rony Brauman et René Backmann, Les Médias et l’humanitaire, CFPJ, 1996 ; Susan Moeller, Compassion Fatigue. How the Media Sell Disease, Famine, War and Death, Routledge, 1999. Faisant face aux critiques sur leur dépendance aux médias tout en devant affronter différentes crises qui altèrent leur image, les acteurs humanitaires ont repensé leurs stratégies de communication pour concilier efficacité et éthique[2]Jonathan Benthall, Disasters, Relief and the Media, Sean Kingston Publishing, 1993 ; Johannes Paulmann (ed.), Humanitarianism and Media. 1900 to the Present, Berghahn Books, 2019.. L’émergence d’Internet et des réseaux sociaux dans les années 2000 a transformé le paysage, permettant aux organisations de devenir elles-mêmes des médias, en publiant directement leurs messages et contenus journalistiques pour constituer, fidéliser et mobiliser leurs communautés en ligne.
Cette évolution a certes permis de reconfigurer la relation avec les journalistes professionnels, mais elle a également conduit à une saturation de l’information et à une concurrence accrue pour capter l’attention, les discours des acteurs humanitaires ne permettant pas toujours de toucher un vaste public dans l’espace public numérique[3]Glenda Cooper, Reporting Media Disasters in a Social Media Age, Routledge, 2018.. En suivant les évolutions des pratiques, la recherche sur la communication humanitaire s’est d’abord essentiellement concentrée sur la professionnalisation des relations publiques au sein des ONG. Mais un nombre croissant de travaux enrichit aujourd’hui la compréhension de la diversification des acteurs participant à la conception des discours humanitaires[4]New Media Networks, www.newmedianetworks.net, par exemple, qui propose LivingEvidence, pour accompagner des projets de solidarité pour une information « accessible et participative » en temps … Continue reading ou bien des contextes géopolitiques de production d’information dans un monde globalisé, où Al-Jazeera et le China Global Television Network concurrencent CNN, des caractéristiques de ce que l’on a appelé le « journalisme humanitaire »[5]Martin Scott, Kate Wright and Melanie Bunce, The State of Humanitarian Journalism, University of East Anglia, October 2018; Kate Wright, “NGOs as News Organizations”, in Oxford Research … Continue reading.
Ainsi, au fil de ces décennies, médias et acteurs humanitaires ont appris à constamment naviguer entre collaboration et prudence pour garantir une information responsable et éthique. En somme, ces relations reposent sur un rapport particulier entre l’événement, en tant que construction médiatique de l’information, et le discours des acteurs humanitaires, organisé en fonction de stratégies discursives des organisations.
Le projet de solidarité redéfinit, en soi, la communication. Il met en scène non seulement des crises, des causes et des engagements, mais aussi des arguments qui légitiment l’action et soulignent le principe de responsabilité vis-à-vis des différents publics. à côté des pratiques classiques de communication institutionnelle et de celle visant la collecte de dons, les acteurs humanitaires développent des campagnes spécifiques d’information, de sensibilisation ou de plaidoyer, constituant ainsi un véritable laboratoire d’adaptation et d’innovation. Ils développent de nouvelles compétences en tant que producteurs et diffuseurs de contenu informationnel.
Pour autant, la question des nouvelles postures informationnelles des acteurs humanitaires dans l’espace public numérique dépasse le domaine des outils et techniques de communication. Cette dimension informationnelle révèle des transformations dans les discours de solidarité, non seulement dans les rapports entre acteurs, mais aussi dans les formes d’engagement et, plus largement, dans l’expression politique, citoyenne des organisations qui auraient dépassé le récit compassionnel des appels traditionnels pour aller vers des stratégies de communication « post-émotionnelles », souvent liées à des pratiques de consommation ludique ou ironique[6]Lilie Chouliaraki, The Ironic Spectator: Solidarity in the Age of Post-Humanitarianism, Wiley, 2013..
Aujourd’hui, les acteurs humanitaires adoptent sur les réseaux sociaux une relation dialectique entre information (expertise, légitimité) et communication, et mettent généralement en place une stratégie en deux étapes : d’abord, la construction d’une légitimité à partir de la diffusion d’informations ; puis, l’orientation des utilisateurs vers des outils de fidélisation, permettant de constituer et d’animer de véritables communautés des donateurs.
D’un côté, les ONG deviennent des représentants de « donacteurs », voire de « citoyens-acteurs », offrant ainsi une forme d’empowerment participatif[7]Marion Carrel, « Injonction participative ou empowerment ? Les enjeux de la participation en France ». Les Politiques Sociales, n° 3-4(2), p. 79-89. Bien utilisés, les dispositifs numériques peuvent valoriser leurs discours sur les causes de solidarité, les crises politiques et humanitaires, les vulnérabilités ou les victimes, et révéler des crises oubliées des grands médias. Ces discours, fortement informationnels, coexistent souvent en « concurrence » avec le discours journalistique, souvent axé sur les crises « visibles », car ils reposent sur des critères différents en termes d’agenda et de ligne éditoriale et ne sont pas soumis aux mêmes contraintes économiques que les médias. En plaçant le donateur/militant au centre de la communication et en contribuant à la construction de communautés autour de leurs engagements, les ONG utilisent les réseaux sociaux comme des dispositifs participatifs, à la fois pour la communication et l’échange d’informations. De cette manière, le numérique redéfinit la participation citoyenne et génère de nouvelles formes d’engagement, d’éducation et de valorisation de l’action solidaire.
D’un autre côté, la transparence et l’émotion, caractéristiques des discours dans l’espace public numérique, peuvent contribuer à une « fictionnalisation » des récits, à la fragmentation du lien social et à l’illusion de la « communauté » qui ne serait que l’addition de réflexes compassionnels « new génération » (syndrome du « clic humanitaire »). L’engagement, bien que multiplié, devient plus volatile, construit autour d’idéaux davantage que de causes, et s’envisage souvent en opposition à d’autres. Cette dynamique est quasi-paradoxale : d’un côté, elle favorise la construction de communautés, et de l’autre, elle accentue les divisions, à l’image des algorithmes des réseaux sociaux
Dans cette construction de l’information, il faut aussi compter avec la présence de fake news qui, dans le secteur humanitaire, soulèvent des questions spécifiques. En tant que sources d’information pour les médias, notamment sur des terrains difficiles, les humanitaires peuvent régulièrement faire face à la circulation de fausses informations, comme ce fut le cas pendant l’épidémie de Covid-19[8]Organisation mondiale de la Santé, « Se mobiliser pour lutter contre les rumeurs sur la riposte à la COVID-19 en République démocratique du Congo », 4 mars 2022, … Continue reading. Mais l’on peut aussi penser aux rumeurs nées au moment de la crise Ebola en 2013-2014, voire, plus anciennes encore, celles faisant état de trafic d’enfants après le tsunami de 2004. Les organisations humanitaires deviennent par ailleurs de plus en plus souvent des cibles de campagnes de désinformation, visant à discréditer leurs actions et leur crédibilité, ce qui réduit la confiance du public – l’exemple le plus significatif ayant été la campagne de désinformation vis-à-vis du Comité international de la Croix-Rouge au début du conflit en Ukraine[9]Comité international de la Croix-Rouge, « Conflit armé international Russie-Ukraine : halte aux fausses informations sur l’action menée par le CICR », 26 juin 2024, … Continue reading.
Dans le cadre de ce numéro, nous souhaitons donc interroger les défis liés à la communication humanitaire, qui s’est construite historiquement pour arriver à notre époque. Une époque marquée par l’avènement du numérique, des fake-news et de la « post-vérité »[10]Alain Cambier, Philosophie de la post-vérité, Hermann, 2019. où l’opinion personnelle, l’idéologie, l’émotion ou les croyances l’emportent sur la réalité des faits, où la frontière entre vrai et faux s’articule de manière plus floue, où les faits sont souvent interprétés ou manipulés pour servir des intérêts spécifiques. Les organisations humanitaires doivent à nouveau réinventer leur communication – et au-delà, leur image et crédibilité – tout en respectant les principes d’éthique, de transparence et de confiance.
Avec le recul qu’offrent cinq décennies de développement d’un humanitaire militant porté par les ONG aux côtés des acteurs traditionnels (CICR et Nations unies) quelles seraient les principales étapes dans l’histoire des relations entre médias et acteurs humanitaires ? Quelles sont les stratégies des organisations face aux nouveaux enjeux informationnels ? Comment pensent-elles leur rôle dans l’espace public numérique et l’impact de leur communication sur les réseaux sociaux ? Quelles pratiques mettent-elles en place pour limiter les risques face aux fausses informations et aux cyberattaques ? Doivent-elles s’engager davantage dans des partenariats avec les médias et/ou d’autres acteurs pour encourager l’esprit critique citoyen, en passant par une meilleure éducation aux médias et à l’information éthique ?
