United Against Inhumanity (UAI) est une organisation non gouvernementale (ONG) qui œuvre contre les brutalités de la guerre et contre le démantèlement du droit d’asile (voir le site www.against-inhumanity.org).
l’Afghanistan constitue un des axes prioritaires du travail d’UAI. En mars 2022, l’organisation a lancé une campagne visant à mettre un terme à la politique menée par les États-Unis et certains gouvernements européens, qui ont gelé les réserves de fonds placés à l’étranger par la Da Afghanistan Bank (DAB), la banque centrale afghane. Ces ressources appartiennent au peuple afghan, qui n’a pas eu voix au chapitre quant au retour des talibans au pouvoir en 2021. La saisie arbitraire de cet argent était ‒ et reste aujourd’hui ‒ un facteur clé dans l’effondrement de l’économie afghane et de son secteur bancaire. Emanuele Giordana, journaliste italien fort d’une expérience de plusieurs décennies en Afghanistan, explique dans l’article ci-dessous les conséquences de ce type de politique : une pauvreté et une malnutrition qui atteignent des niveaux catastrophiques, avec plus des deux tiers de la population dépendant désormais de l’aide humanitaire pour survivre.
Les politiques des talibans envers les filles, les femmes et les minorités sont profondément condamnables, mais cela ne justifie pas d’infliger des souffrances supplémentaires à la vaste majorité des Afghans qui luttent pour leur survie au quotidien. UAI demande qu’une mesure immédiate soit prise : le déblocage progressif, suivant un processus géré par les institutions internationales, des 9,1 milliards de dollars appartenant au peuple afghan. Dans sa déclaration du 26 juin 2023, l’organisation souligne que « La recapitalisation de la DAB est la seule option réaliste, éthique et morale afin d’assurer la survie et l’avenir de millions d’Afghans qui sont en danger ». L’intégralité de la déclaration est disponible sur la page : https://www.against-inhumanity.org/2023/06/26/bin-the-rhetoric-recapitalize-afghanistans-central-bank
Août 2023 marque le deuxième anniversaire de la fin de la guerre. Face à un gouvernement obscurantiste, l’Occident se doit d’examiner les mesures mises en œuvre pour sortir le pays de la pauvreté et donner aux Afghans les droits que nous clamons vouloir défendre. Avant tout, aidons-les à manger à leur faim.
L’Afghanistan est rongé par la pauvreté, la misère et la famine. Ces fléaux concernent la survie même de ces populations et s’ajoutent aux dérives, décriées à juste titre, du régime taliban : suppression de la liberté d’expression, de la presse et du droit légitime des femmes à accéder à l’éducation et à travailler.
Cette situation n’est pourtant pas nouvelle puisqu’en 2010, sous l’occupation encadrée par l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), une étude menée par l’Organisation des Nations unies (ONU) montrait que 36 % des Afghans vivaient dans un état de pauvreté extrême et que cet état de fait n’était « ni accidentel, ni inévitable ». En 2018, 54 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté. Ce chiffre dépasse aujourd’hui les deux tiers de la population. En mars 2022, Achim Steiner, chef du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD), avait déclaré : « Nous avons signalé à la fin de l’année dernière qu’environ 97% des Afghans pourraient vivre dans la pauvreté d’ici la mi-2022, et malheureusement, ce nombre est atteint plus rapidement que prévu… Et avec la flambée des prix des matières premières à l’échelle mondiale, nous savons que les gens ici ne peuvent pas se permettre de répondre à leurs besoins humains fondamentaux comme la nourriture, les soins de santé et l’éducation[1]ONU info, 31 mars 2022, https://news.un.org/fr/story/2022/03/1117392. Pour autant, j’ai pu constater la détermination dont font preuve les Afghans pour se relever et travailler à la construction d’une société plus stable. » Selon le PNUD, pour la seule année 2021, l’économie afghane a connu une chute de 21 %. De fait, si l’on en croit le Programme alimentaire mondial, sur une population de 41 millions d’Afghans, plus de quinze millions d’entre eux ‒ soit plus d’un tiers ‒ se trouvent dans une situation d’« insécurité alimentaire aigüe » et près de trois millions atteignent un niveau d’« insécurité alimentaire d’urgence ». En somme, plus de la moitié des Afghans souffrent de la faim, et pour certains d’entre eux la famine est déjà une réalité.
Cette situation cruelle est en partie causée par un gouvernement irresponsable et corrompu, par la marginalisation des femmes dans l’espace public et par l’incapacité du pays à gérer ses propres ressources, déjà amoindries. Il faut également souligner qu’avant même le retour des talibans au pouvoir en août 2021, le budget afghan était largement soutenu par des fonds étrangers (venus des pays de la coalition sous l’égide de l’OTAN) ‒ une aide désormais indisponible. On constate en outre une baisse de la coopération, qu’elle soit bilatérale ou par le biais des Nations unies et des ONG : à l’heure actuelle, moins de 15 % des appels de fonds lancés par l’ONU pour 2023 ont été approvisionnés.
Il existe cependant un troisième facteur dont on parle peu : le gel des réserves souveraines par les États-Unis et leurs alliés, facteur déterminant dans l’effondrement de l’économie et du secteur bancaire du pays. Plus de neuf milliards de dollars placés à l’étranger par la banque centrale afghane (Da Afghanistan Bank) sont bloqués par la Réserve fédérale américaine et dans des banques européennes. Or il ne s’agit pas de l’argent du gouvernement, mais bien de celui des citoyens afghans. Cet argent contribuait à la stabilité de la monnaie nationale et rendait possible le commerce avec d’autres pays, ce qui est de fait aujourd’hui impossible. Un autre des effets de ce gel des avoirs s’illustre par une diminution radicale du nombre de billets de banque en circulation. Lorsqu’ils sont trop détériorés, ils ne peuvent même plus être remplacés.
United Against Inhumanity sonne l’alarme
Ces dernières années, seules quelques voix se sont élevées pour dénoncer cette « guerre économique » et ce qui pourrait s’apparenter à une vengeance cruelle de l’Occident après la perte de la guerre d’Afghanistan. Sept milliards de dollars sont détenus par les États-Unis et le reste par des banques européennes. Ces pays, dont les armées possèdent les technologies les plus avancées au monde, ont vu leurs analystes, espions et soldats perdre la guerre contre des combattants en sandales équipés de simples Kalachnikovs. L’ONG United Against Inhumanity a lancé en mars 2022 une campagne de grande envergure visant à mettre un terme à la politique imposée par les États-Unis et certains gouvernements européens à la banque centrale afghane, afin que lui soient restitués les 9,1 milliards de dollars lui appartenant. Cet argent représente le trésor national souverain du pays et est aujourd’hui gelé dans les banques de ces mêmes pays qui ont envahi l’Afghanistan il y a vingt-deux ans[2]https://www.against-inhumanity.org/afghanistan-campaign.
Alors que les politiques occidentales s’attachent à ébranler le régime taliban, ce sont les Afghans, appauvris et marginalisés, qui en paient le prix. Les femmes, bien sûr, sont en première ligne, ainsi que leurs enfants et époux ‒ ces mêmes personnes que nous affirmons vouloir défendre contre un système théocratique et radical. Comme récemment déclaré par UAI : « Peu de personnes soulèvent l’importance stratégique et l’impératif moral d’une recapitalisation de la Da Afghanistan Bank (DAB) […] qui a besoin de ses ressources en capitaux pour assumer ses responsabilités essentielles en tant que banque centrale ». L’ONG appelle à une recapitalisation urgente de la DAB. Les réserves de change souveraines afghanes doivent être de nouveau accessibles, dans un cadre contrôlé et pragmatique qui permette au pays d’opérer conformément à sa charte et aux normes bancaires standards, car « la relance de l’économie est cruciale pour mettre fin à la souffrance en Afghanistan ».
UAI précise que le 14 septembre 2022, Washington et Bern ont annoncé la création en Suisse d’un nouveau fond de 3,5 milliards de dollars en faveur de l’Afghanistan, une démarche « accueillie, avec la prudence qui s’impose, comme un premier pas dans la bonne direction ». Pour autant, dix mois plus tard, cet argent ‒ supposément « destiné au peuple afghan » ‒ n’a ni servi à la recapitalisation de la DAB, ni à d’autres projets. D’aucuns pourraient y voir un nouveau gel de fonds, qui restent immobilisés tandis que la malnutrition, elle, avance. Irait-on jusqu’à affirmer que l’extrême radicalisation de l’émirat taliban est également le fait de cet état d’injustice manifeste ? Lorsqu’un chat est acculé et craint pour sa vie, il feule, crache et l’on peine à retrouver le compagnon apprivoisé qu’il était. Que ce lien de cause à effet soit avéré ou non, il n’en reste pas moins que l’injustice est réelle et que la population afghane ‒ ces enfants, hommes et femmes, jeunes ou âgés que nous prétendons défendre depuis plus de vingt ans ‒ en paie le prix.
Une dernière problématique mérite d’être soulevée : celle de la présence des représentations diplomatiques qui, même sans reconnaissance officielle du régime taliban, pourrait constituer une base de négociation solide et un engagement important. Après la prise de pouvoir par les talibans, l’Union européenne avait pour objectif d’ouvrir un bureau de liaison à Kaboul, projet qui n’a jamais abouti. Quelques contacts sporadiques persistent entre certains États et le régime, mais il n’existe à l’heure actuelle aucune voie de négociation réelle avec les pays occidentaux. Les États-Unis organisent parfois des réunions à Doha avec les talibans pour aborder, entre autres, le sujet de l’antiterrorisme, sans progrès manifeste. Il est nécessaire d’ouvrir un canal de communication sur le terrain pour la défense des droits fondamentaux et les besoins d’un pays sortant de plus de quarante ans de conflit. Les pays occidentaux, du fait de leur rôle dans cette guerre de plusieurs décennies, doivent prendre leurs responsabilités face au peuple afghan, quel que soit le régime qui le gouverne.
Une version antérieure de cet article est parue dans Atlante Guerre le 18 juillet 2023. Il est publié ici dans une version enrichie par l’auteur (août 2023), avec l’aimable autorisation d’Atlante Guerre.
Traduit de l’anglais par Floryse Atindogbe