Cette revue de littérature sur le thème des camps de réfugiés a été réalisée entre fin 2019 et mi-2022, à la demande de l’entreprise Nutriset[1]Voir la recension du livre du fondateur de Nutriset : « Aux sources du Plumpy’Nut », p. 146. , pour laquelle je travaille en tant qu’anthropologue. Actrice dans la lutte contre la malnutrition, cette entreprise a en effet exprimé le souhait de mieux connaître l’organisation et le fonctionnement des camps de réfugiés, dans lesquels de nombreuses personnes (jeunes enfants, personnes qualifiées de vulnérables, comme les femmes enceintes et allaitantes) reçoivent des produits nutritionnels fabriqués par l’entreprise et généralement distribués par des organismes humanitaires. Ce travail s’inscrit dans la perspective d’une étude exploratoire, compréhensive et descriptive des camps de réfugiés, du point de vue de leur organisation et des façons d’y vivre, au prisme des sciences humaines et sociales (géographie, anthropologie, sociologie).
Parmi les disciplines universitaires, la géographie compte de nombreux travaux sur les camps dans une approche spatiale et territoriale, mais aussi du point de vue des migrations humaines[2]Véronique Lassailly-Jacob, Jean-Yves Marchal et André Quesnel, Déplacés et réfugiés. La mobilité sous contrainte, Éditions de l’IRD, 1999 ; Luc Cambrézy, Réfugiés et exilés. Crise des … Continue reading. La sociologie et l’anthropologie ont apporté des contributions dans la connaissance des communautés « encampées », certains travaux soulignant leur invisibilisation, en corrélation avec leur marginalisation forte[3]Michel Agier, Gérer les indésirables : des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, 2008.. L’institutionnalisation des camps et les dispositifs de protection des réfugiés ont aussi été décrits dans une approche socio-anthropologique[4]Alice Corbet, Nés dans les camps : changements identitaires de la nouvelle génération de réfugiés sahraouis et transformation des camps, thèse de doctorat EHESS, sous la direction de Michel … Continue reading. Dans le contexte des camps, les personnes réfugiées sont bien souvent assimilées à des victimes, statut pouvant prendre le dessus sur leur histoire et tout ce qui les a façonnées avant de devenir des « réfugiés »[5]Virginie Tallio, « La construction de la catégorie “réfugié” dans un camp en R.D.C. : rôle de l’institution, stratégies des exilés et place du chercheur », e-Migrinter, n° 9, 2012, p. … Continue reading.
La littérature mobilisée relate divers aspects et facettes de la vie dans le camp, en lien avec les parcours migratoires, les mécanismes de l’aide et de l’action humanitaire, les acteurs en présence, les territoires et l’environnement, la vie socio-économique à l’intérieur des camps, la sécurité alimentaire ainsi que les questions sanitaires.
Cette note de lecture, qui s’organise en sept parties, propose tout d’abord un rapide aperçu des camps de réfugiés au xxie siècle et les travaux majeurs de sciences sociales à leur sujet. Dans un deuxième temps sont présentés les principaux acteurs en présence (étatiques, internationaux, non gouvernementaux…)[6]Éloïse Benoit, « Criminalité et justice sans souveraineté dans les camps de réfugiés du HCR : des systèmes de justice parallèle à l’impunité pour le personnel humanitaire », Revue … Continue reading. La troisième partie relate la posture de l’anthropologue dans un camp de réfugiés[7]Aurore Vermylen, « Une anthropologue dans un camp de réfugiés. Comment faire une ethnographie dans un contexte d’imposition discursive institutionnelle ? », Parcours anthropologiques, n° 11, … Continue reading, en vue de saisir la complexité de ce terrain et les analyses qui ressortent à travers ce prisme, comme les relations entre humanitaires et réfugiés, la figure du réfugié, ou encore le rapport au temps… Dans une quatrième partie sont décrits l’espace du camp et son organisation, avec des fenêtres proposées sur les contextes proches-orientaux (le camp historique de Nahr el-Bared au Liban, ceux se confondant avec le tissu urbain informel en Jordanie et en contexte asiatique (le camp de Kacha Garhi au Pakistan). Puis, dans un contexte africain, une fenêtre est proposée sur les camps de Dadaab – ex-camp au Kenya – et de Maheba (Zambie). Dans une cinquième partie, le thème de l’alimentation est ensuite abordé, avec tout d’abord des points de vue de chercheurs, puis un bref aperçu de la littérature humanitaire et, enfin, des informations relevant de travaux scientifiques (article et thèses). La sixième partie décrit le camp comme « lieu d’expérimentation », au sens des travaux de Léa Macias[8] Léa Macias, « Entre contrôle et protection : ce que les technologies de l’information et de la communication font au camp de réfugiés », Communications, 2019, n° 104, p. 107-117. qui décrit « le camp comme un espace en reconfiguration perpétuelle, au sein duquel les situations d’urgence deviennent chroniques, il s’agit d’un espace d’expérimentation humanitaire. » Enfin, la septième partie aborde la question de la santé dans les camps, au travers d’articles décrivant principalement des recherches en lien avec certaines pathologies (scorbut, anémie, diabète, ou VIH) ou relatant des pratiques d’hygiène, la santé périnatale, ou encore les enjeux économiques autour des questions de santé.
Cette première version de ce travail bibliographique aspire à donner un aperçu des camps de réfugiés établis depuis quelques années dans différentes régions, principalement en contexte africain et proche-oriental. L’approche des sciences humaines et sociales permet à la fois une description de ces lieux et une analyse de la façon dont la vie s’y organise.
Les camps peuvent apparaître comme des lieux de paradoxes. Initialement conçus en réponse à l’urgence, ils s’installent dans un temps long dont l’horizon demeure inconnu. La durabilité de ces derniers se traduit par le caractère « dur » de ce qui peut faire office de refuge : aux tentes se substituent progressivement des « constructions provisoires », lesquelles – dans certains cas et lorsque cela est possible – reprennent certains styles ou matériaux du ou des pays d’origine[9]Lucas Oesch, « L’amélioration des conditions de vie dans les camps de réfugiés palestiniens à Amman ou la dé-théâtralisation de l’urbanisme jordanien », Journal of Urban Research, n° 7, … Continue reading. Au fil du temps, une forme d’urbanisation est décrite, dans certains cas se fondant aux quartiers informels qui demeurent fortement marginalisés et invisibilisés. Les différents acteurs en présence contribuent au caractère « cosmopolite » des camps, où s’opère un renforcement ou une dilution des identités[10]Liisa H. Malkki, “Speechless Emissaries: Refugees, Humanitarianism, and Dehistoricization”, Cultural Anthropology, vol. 11, no. 3, August 1996, pp. 377–404.…
Télécharger les ressources bibliographiques