Il a comme phrase de ralliement : « Pour ne pas rester les yeux fermés ». Un leitmotiv qui résonne aux oreilles des humanitaires, acteurs du développement ou travailleurs sociaux et qui justifie, comme nous le faisons avec d’autres, de tourner l’objectif vers ces révélateurs que sont les photographes.
Le collectif item, à travers une production d’images documentaires, interroge des problématiques sociales, politiques, et environnementales. C’est une structure qui permet à ses quinze membres de mutualiser des moyens et des compétences, mais aussi et surtout d’évoluer dans un espace de travail qui se donne le temps et les moyens nécessaires pour construire une réflexion commune. Au fil des années, il est devenu un lieu d’émulation, d’élaboration et de résistance, pour refuser la facilité et la fatalité, mais surtout pour proposer et construire. Ensemble ils imaginent comment diffuser et accompagner travaux respectifs, et projets collectifs au delà de la diffusion presse, notamment auprès des publics éloignés des médias. Ils s’engagent dans la médiation avec des scolaires, ou participent à des ateliers d’éducation à l’image. Six images de 6 photographes du collectif sont publiées ici pour montrer la diversité de leurs écritures et des sujets traités.
Province de la Tshuapa, République démocratique du Congo, octobre 2016.
Des femmes se rendent au marché dans un village voisin pour y vendre leur production de chikwangue(mets traditionnel à base de manioc) et d’autres « produits non ligneux » issus de leurs cultures ou ramassés en forêt. Les populations locales, qui dépendent largement de la forêt pour leur subsistance, vont au fil des saisons y chercher des chenilles et d’autres produits alimentaires ou médicinaux.
Prenzlau, Allemagne, mars 2017.
À 7 h 00 du matin, de nombreuses femmes polonaises sont dans la salle d’attente gynécologique. Magda (22 ans) est venue avec Tomek (21 ans) de Bialystok (Pologne), à 800 km de Prenzlau. Leur voyage a duré 28 heures. Pour un avortement – illégal en Pologne –, le médecin leur avait demandé 50 000 PLN (zloty polonais, environ 11 500 euros), soit 25 fois ce que Tomek gagne par mois. Lui et Magda ont déjà une fille d’un an qui a été traitée plusieurs fois à l’hôpital, période pendant laquelle Tomek travaillait 20 heures par jour et souffrait d’hypertension et de problèmes de vision. Il a emprunté de l’argent pour pouvoir conduire Magda dans cette clinique allemande.
Entre Clavières (Italie) et Montgenèvre (Hautes-Alpes), mars 2018.
Avancer, quoiqu’il arrive et quelles que soient les conditions. Les migrants s’enfoncent dans la nuit et dans la neige pour traverser le plus discrètement possible la frontière. Quand ils rejoignent la route asphaltée, certains se blessent en essayant de se cacher sur les bas-côtés au passage d’une voiture. La peur de croiser la police qui a multiplié ses patrouilles ne les arrête pas. Elle leur fait juste prendre davantage de risques et emprunter des chemins plus hasardeux dans la neige. Au lieu de marcher pendant quatre heures pour rejoindre la ville de Briançon, leur périple peut durer plus de sept heures. La route des Alpes empruntée par les migrants est particulièrement dangereuse. Pour pallier les rigueurs de l’hiver comme les défaillances des pouvoirs publics, un important réseau de solidarité s’est mobilisé dans le Briançonnais. Mais les bonnes volontés ne suffisent plus.
Mokolo, Extrême-Nord, Cameroun, 11 août 2017.
Femmes regroupées lors d’un mariage dans ce chef-lieu du département de Mayo-Tsanaga, situé à une trentaine de kilomètres de la frontière nigériane. C’était au petit matin, suite à une commande de l’ONG médicale ALIMA, je suis partie avec le chauffeur, et nous sommes tombés sur une foule en train de partager un repas pour célébrer un mariage. Mokolo est épargnée par les attaques de Boko Haram, qui sévit non loin. Les habitants disent que c’est à cause des montagnes qui entourent la ville. Mais dans cette région, déjà délaissée par l’État camerounais avant le début de l’insurrection de Boko Haram, l’accès aux soins reste problématique. Et avec l’arrivée de réfugiés nigérians et de déplacés des alentours, problèmes de nutrition ou de choléra se multiplient. Au centre de santé où ALIMA se charge de la malnutrition et des enfants de moins de cinq ans, les gens affluent des environs. Des mères font parfois des heures de moto, leur bébé dans les bras, pour s’y rendre.
Port-Louis (Île Maurice), 4 décembre 2014.
« Personne fait rien pour band’ Chagossiens ! Et puis quoi faire contre band’ Zaméricains ! Nou la ziste la misèr’… » Rosemay parle vite et fort, elle harangue, elle rit, elle vocifère puis vous regarde avec ses yeux rieurs. Assise fièrement devant sa case, Rosemay se charge d’animer la rue. Une jeune fille enceinte se tient à ses côtés sur le bord de route, elle a 14 ans. Rosemay en a 67. Elle en a vu d’autres.
Dans cette parcelle qu’elle partage avec d’autres familles, Rosemay vit seule. Elle nous conduit dans sa case dont le toit est un simple amas de tôles. L’intérieur est usé par le temps qui passe, inlassablement. Assise sur son lit, Rosemay raconte : elle est née à plus de 2 000 kms de Port-Louis, à Peros Banhos, dans l’archipel des Chagos. Comme tous les autres Chagossiens elle en a été déportée dans les années 1960, quand le Royaume-Uni s’est entendu avec les États-Unis pour faire main-basse sur cet archipel stratégique. Installée de force à Maurice, Rosemay s’est mariée à un Mauricien, mort depuis, et la nostalgie de son île natale ne faiblit pas : « Là-bas, c’était plus beau qu’ici, à cent pour cent ». Rosemay vit de sa maigre pension. Personne ne l’aide. Ses enfants ne l’aident pas non plus. Et à l’en croire, Olivier Bancoult ne l’aide pas non plus : « Volèr sa ! Tout pour lui et sa famille ! Belle maison, voyages et nou quoi ? La misèr ! La misèr ! ».
Le jardin du sabot, ZAD de Notre-Dame-des-Landes, 30 octobre 2012.
« L’opération César », destinée à déloger les opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est en cours. Un militant casse des cailloux à coups de pioche pour organiser la défense du « jardin du sabot ». Pendant deux ans, ce jardin avait été cultivé collectivement pour permettre l’autosuffisance alimentaire de la ZAD. Ce lieu symbolique fut le théâtre de violents affrontements entre forces de l’ordre et militants. Aspergé par une quantité importante de gaz lacrymogène, la culture de ce jardin a finalement été abandonnée fin 2012.
En 2018, sont fondées les éditions collectif item, un outil qui leur permet de transmettre d’une autre manière encore, et d’élargir leur terrain de jeu. Marche ou rêve est le premier livre collectif qui suit, dans un mouvement poétique et politique, la marche de solidarité avec les migrants laquelle, du mois d’avril à juillet 2018, a traversé la France, de la vallée de la Roya à Calais. Les quatre photographies qui referment cette rubrique sont tirées de ce livre, un travail qui illustre la capacité des membres du collectif item à se fédérer autour d’un projet et la manière dont, individuellement et photographiquement, ils sont concernés par le sujet. C’est une pluralité de regards qui dialoguent, et qui montrent que ce collectif n’est pas seulement l’agrégation d’une somme d’individualités, mais bien une entité à part entière ! Ensemble, ils mettent en action cette belle phrase : « Notre tâche, c’est de déciller ces yeux aveugles »[1]Dominique Desanti, Jean Toussaint Desanti et Roger-Pol Droit, La liberté nous aime encore, Odile Jacob, 2004..
Yaya, migrant Guinéen, participe à la Marche Citoyenne et Solidaire près de Saint-Maximin (Var), le 10 mai 2018.
Les marcheurs cherchent leur chemin dans un champ de blé. Étape 43 : Évry (Essonne)-Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), le 15 juin 2018.
Riwal, marcheur. Étape de Villefranche-sur-Saône à Belleville (Saône-et-Loire), 27 mai 2018.
Omar, marcheur et membre du collectif « sans papier 75 », écoute la radio pendant une pause dans un café du centre-ville avant la marche festive entre Douai et Lille (Hauts-de-France), le 30 juin 2018.
ISBN de l’article (HTML): 978-2-37704-516-7