S’appuyant sur l’exemple de Médecins Sans Frontières (MSF), Françoise Duroch et Emmanuel Noyer reviennent sur les mesures prises par l’organisation non gouvernementale (ONG) pour lutter contre les violences sexuelles. Les auteurs montrent le relativisme moral qui traverse les organisations humanitaires soucieuses de préserver leur image publique. Certes elles sont de plus en plus conscientes de leur obligation de veiller aux comportements de leurs salariés, mais les dispositifs doivent s’attaquer aux inégalités, notamment de genre. Pour les auteurs, les ONG n’y parviendront qu’en intégrant des approches intersectionnelles.
Les abus sexuels en temps de guerre ont longtemps été considérés comme le corollaire inéluctable des situations de conflits armés. Ils contribuaient ainsi bien souvent à matérialiser l’humiliation du vaincu[1]Anonyme, Une femme à Berlin. Journal. 20 avril – 22 juin 1945, trad. de Françoise Wuilmart, coll. « Folio », Gallimard, 2008. par le viol des femmes et des filles ou, plus prosaïquement, faisaient figure de rétribution pour les contingents militaires.
Particulièrement répandues lors de la guerre de Bosnie et officiellement reconnues par différentes résolutions de l’Organisation des Nations unies (ONU) dans les années 1990, les violences sexuelles en temps de guerre ont été criminalisées[2]Claire Fourçans, « La répression par les juridictions pénales internationales des violences sexuelles commises pendant les conflits armés », Archives de politique criminelle, 2012/1, n° 34, … Continue reading, spécialement au regard de leur caractère massif et répétitif. Une politique de tolérance zéro à l’égard des abus sexuels susceptibles d’être commis par les Casques bleus a été formellement établie en 2003[3]Circulaire du Secrétaire général des Nations unies, « Dispositions spéciales visant à prévenir l’exploitation et les abus sexuels », ST/SGB/2003/13, 9 octobre 2003, … Continue reading.
Les années 1990 ont donc été marquées par un ensemble de scandales qui ont éclaboussé les forces de maintien de la paix, mêlant exploitation sexuelle de personnes vulnérables et affaires de mœurs, impliquant quelquefois des cadres de l’ONU, des militaires et des civils. Ils ne tarderont pas à s’étendre aux organisations non gouvernementales (ONG) humanitaires.
Le scandale de la Mano River : « big men » et « local girls »
En 2002, un rapport du Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) et de Save the Children souligne l’implication d’une quarantaine d’ONG dans l’exploitation sexuelle de réfugiés dans les pays dits de la Mano River[4]Le rapport accuse des dizaines d’organisations non gouvernementales de conditionner leur aide à des faveurs sexuelles dans les camps de réfugiés de Guinée, de Sierra Leone et du Libéria. … Continue reading. L’extrême dénuement des populations vivant alors dans ces camps ouest-africains, en particulier des femmes, en faisait des proies faciles pour un ensemble d’acteurs au pouvoir social et financier plus conséquent[5]« Big men » est le nom sous lequel les mineures entendues par les enquêteurs de Save the Children désignaient leurs « exploiteurs sexuels ». Michel Agier, « 41. Le chaos et les camps. … Continue reading. L’ONU relativisera plus tard les conclusions de cette enquête[6]Pierre Hazan, « L’ONU relativise les dérives de l’humanitaire », Libération, 25 octobre 2002, … Continue reading, mais le scandale médiatique[7]Pierre Hazan, « L’humanitaire vire au sordide en Afrique », Libération, 28 février 2002, https://www.liberation.fr/planete/2002/02/28/l-humanitaire-vire-au-sordide-en-afrique_395317 qui s’est ensuivi a poussé certaines organisations, dont MSF, à se doter de mécanismes de gestion des cas d’abus commis par leurs personnels.
La crainte de voir entachée la réputation de l’organisation, avec pour conséquence une baisse possible de financements, a largement orienté cette décision. On retrouvera plus tard cette ambivalence inaugurale. Deux objectifs principaux et quelquefois concurrents dans la lutte contre les comportements inappropriés pouvaient en effet être identifiés : la protection de l’image des institutions versus le devoir de diligence de tout employeur à l’égard de ses personnels. Les discussions internes en cours à MSF en ce début des années 2000 sont pour certaines partiellement empreintes de relativisme moral, tandis que d’autres évoquent des conceptions culturalistes de la sexualité. Tout le monde s’accorde pourtant à dire que ces abus émergent de contextes où les populations sont fortement paupérisées et où de considérables disparités économiques entre les acteurs en présence favorisent l’exploitation sexuelle des plus faibles. Il convient de noter qu’à la suite de ce scandale, MSF développera de manière drastique ses opérations d’aide en faveur des victimes de violences sexuelles[8]Françoise Duroch et Catrin Schulte-Hillen, « Soigner les victimes de violences sexuelles, une organisation face à ses limites : le cas de Médecins Sans Frontières », Revue internationale de … Continue reading.
Presque dix-huit ans après le rapport révélant le scandale de la Mano River, une nouvelle enquête évoque la persistance de telles pratiques. Dans un article de presse, un employé de l’Organisation mondiale de la Santé dénonce des travailleurs de l’aide issus des Nations unies et d’ONG pour abus sexuels lors de l’épidémie d’Ebola ayant sévi en République démocratique du Congo entre 2018 et 2020[9]Robert Flummerfelt et Nellie Peyton, « Comment les travailleurs humanitaires ont pu commettre des abus sexuels en toute impunité lors de l’épidémie d’Ebola au Congo », The New … Continue reading. Dans la région particulièrement fragile qui est concernée, on retrouve les composantes principales de l’affaire de la Mano River : pauvreté, impunité, inégalités économiques et sociales.
#MeToo et scandale Oxfam
Les années 2017 et 2018 voient éclater une série de scandales largement relayés via les médias et les réseaux sociaux. Dans le sillage de l’affaire Weinstein qui secoue l’industrie du cinéma, l’actrice Alyssa Milano relance le hashtag MeToo[10]Pauline Croquet, « #MeToo, du phénomène viral au “mouvement social féminin du xxie siècle” », Le Monde, 14 octobre 2018, … Continue reading initié en 2006 par la travailleuse sociale Tarana Burke[11]Gurvinder Gill and Imran Rahman-Jones, “Me Too founder Tarana Burke: Movement is not over”, BBC News, 9 July 2020, https://www.bbc.com/news/newsbeat-53269751. C’est dès lors un mouvement mondial de dénonciation d’abus sexuels subis par les femmes dans les domaines privés et professionnels qui se structure. De manière concomitante, l’organisation Oxfam doit alors faire face à un ensemble de plaintes visant certains de ses personnels, dont un de ses cadres de terrain, accusé d’avoir organisé une partie fine peu après le séisme ayant frappé Haïti en 2010[12]« Oxfam : la presse britannique parle d’un scandale sexuel “plus important que l’affaire Weinstein” », Le Monde, 12 février 2018, … Continue reading. Déjà précarisée par la baisse de ses financements, l’ONG britannique subira une perte de plusieurs millions de livres sterling, alors que le député conservateur Jacob Rees-Mogg présentera à la Première ministre britannique une pétition signée par plus de 100 000 personnes demandant des coupes dans le budget de l’aide au développement. Megan Nobert, elle-même victime de violence sexuelle au sein de son organisation, publiera dans The Guardian une tribune mettant en garde contre la tentation de diaboliser l’ensemble du secteur humanitaire[13]Megan Nobert, “The Oxfam scandal does not justify demonising the entire aid sector”, The Guardian, 17 February 2018, … Continue reading. Peu de temps après, un article de la BBC souligne chez MSF, à partir de témoignages d’anciens employés, la tolérance de l’organisation vis-à-vis de la consommation d’actes prostitutionnels et, plus globalement, le caractère généralisé du harcèlement sexuel au sein de ses équipes. Suite à ces événements, les dirigeants de l’association prennent une série de mesures afin de prévenir et de sanctionner les problèmes de comportement de manière plus ambitieuse[14]« Engagements pour un comportement responsable », MSF, juin 2018 ; création de l’Intersectional ethics platform on behaviors (IPOB) pour la prévention et la gestion des comportements … Continue reading.
Comme pour l’affaire de la Mano River quinze années plus tôt, l’organisation, toujours sensible à la protection de son image institutionnelle, semble avancer dans le domaine de la lutte contre les abus au rythme des différents scandales médiatiques[15]Laura Motet, « Violences sexuelles par des humanitaires : les ONG peinent à trouver des solutions », Le Monde, 1er mars 2018, … Continue reading. Le champ des actes qu’elle estime non tolérables va peu à peu s’étendre à d’autres types de populations – collègues employés localement et patients – et à d’autres types de comportements, notamment ceux liés à la prostitution. Ainsi, en 2018, l’organisation adopte un texte[16]MSF, « Engagements pour un comportement responsable », https://www.msf.ch/travailler-avec-nous/engagements-comportement-responsable aux fins de promouvoir un comportement responsable en édictant un certain nombre de principes, dont celui de ne pas avoir recours à des professionnel·le·s du sexe lors de missions à l’étranger.
Leadership moral ?
Toujours en 2018, Penny Mordaunt, députée conservatrice britannique, déclarait qu’Oxfam et plus généralement le secteur de l’aide avaient échoué dans leur rôle de leadership moral[17]“Oxfam Haiti sex claims: Charity ‘failed in moral leadershipʼ”, BBC News, 11 February 2018, https://www.bbc.com/news/uk-43020875. Ce fut le point de départ d’une série de débats visant à déterminer si une organisation de solidarité internationale se devait d’être un parangon de vertu, tout en intégrant la tension d’ordre éthique inhérente entre la délivrance de la mission sociale et les comportements inappropriés, spécialement envers les plus vulnérables. Parmi ces derniers, et pour une association médicale telle que MSF, les patients constituent un groupe social à protéger en premier lieu, alors même que très peu de cas sont actuellement rapportés. En effet, si l’organisation s’est dotée d’un ensemble d’outils et a renforcé ses capacités de gestion, de prévention et de détection des abus, le nombre de cas parmi les bénéficiaires de ses actions n’en reste pas moins marginal au regard de la taille de l’association (plus de 64 000 personnes[18]MSF International Human Resources Indicators 2019.).
« L’organisation, toujours sensible à la protection de son image institutionnelle, semble avancer dans le domaine de la lutte contre les abus au rythme des différents scandales médiatiques. »
Par ailleurs, malgré les mesures prises, il est difficile d’obtenir des remontées d’informations auprès des collaborateurs recrutés localement, lesquels représentent plus de 90 % des équipes sur les terrains d’intervention. Peur de représailles, manque de confiance dans le caractère confidentiel de la démarche, blocages liés à la maîtrise d’une langue étrangère, méconnaissance des processus de dépôt de plainte, difficulté pour l’organisation d’établir une ligne claire entre des comportements relevant de la sphère privée et du cadre professionnel[19]Erwan Queinnec, « Scandale Oxfam : peut-on vraiment contrôler la vie privée des employés dans les ONG ? », The Conversation, 20 février 2018, … Continue reading, ou contextes culturels, politiques et légaux. Ce sont là autant de barrages qui ne favorisent pas la dénonciation d’abus, notamment ceux d’ordre sexuel.
Il convient également de noter qu’une plus grande diversité dans la composition des équipes a été perçue par certains cadres comme pouvant limiter nombre d’abus. En effet, elle permettrait de restreindre les zones de « confort culturel », notamment quand les personnels sont issus de sociétés où la question du contrôle de mœurs demeure une valeur essentielle et où la mixité sociale et de genre est présente. Fonctionnant à la manière d’un contre-pouvoir au sein des groupes, la diversité des référentiels culturels de la population expatriée autorise le questionnement de certains comportements pouvant être jugés inadéquats selon la sensibilité morale des personnes en présence.
Abus sexuels, racisme et discriminations : vers une approche intersectionnelle ?
Le mouvement Black Lives Matter a suscité de nombreux débats dans la société et le secteur de l’aide n’y a pas échappé[20]Africa Stewart, “Standing in solidarity with our black colleagues and the black community in the United States”, Doctors Without Borders, 3 June 2020, … Continue reading. Ainsi, la question de la discrimination sur motif racial a-t-elle donné lieu au sein de MSF[21]« L’ONG Médecins Sans Frontières en proie à des débats sur son “racisme institutionnel” », L’Express, 10 juillet 2020, … Continue reading à un ensemble d’initiatives visant à lutter contre le racisme. Pour autant, la notion d’intersectionnalité[22]Alexandre Jaunait et Sébastien Chauvin, « Intersectionnalité », in Catherine Achin, Laure Bereni (dir.), Dictionnaire. Genre et science politique, Les Presses de Sciences Po, 2013, … Continue reading – c’est-à-dire la convergence de plusieurs types de discriminations, de dominations, voire de violences envers des catégories de populations particulièrement vulnérables – a été tardivement prise en considération. Très polarisés sur la question raciale, les échanges associatifs ont peut-être manqué l’occasion d’aborder la question des stigmatisations sous un angle plus global, qui aurait permis d’identifier les personnes particulièrement à risque et de porter les efforts vers cette population prioritaire.
On connaît depuis longtemps l’existence de « plafonds de verre » dans les sièges de l’organisation qui se manifestent par une représentation de cadres issus des terrains d’intervention très minoritaire. De même, si des politiques de diversité et d’inclusion[23]Maria Giuseppina Bruna, « Diversité dans l’entreprise : d’impératif éthique à levier de créativité », Management & Avenir, vol. 43, n° 3, 2011, p. 203-226, … Continue reading ambitieuses ont été mises en place, elles ne manquent pas de se heurter à la réalité de contextes sociaux et politiques marqués par un accès des femmes à l’éducation difficile, voire inexistant[24]En Afrique subsaharienne, 4 millions de filles ne seront jamais scolarisées contre 2 millions de garçons. Au total, 32 millions d’enfants âgée de 6 à 11 ans ne sont pas scolarisés dans la … Continue reading, à la présence de minorités culturelles ostracisées, à l’impossibilité dans certains cas de vivre une orientation sexuelle alternative ou d’accéder à une opportunité professionnelle de qualité quand un individu est porteur de handicap. Autant de facteurs qui limitent a priori et en amont la diversité des professionnels recrutés dans le cadre des opérations menées par MSF. Ils favorisent ainsi des mécanismes de reproduction sociale au bénéfice des personnes issues de milieux sociaux favorisés, au sein desquels les femmes demeurent peu présentes, notamment dans les fonctions de haute responsabilité. À ce titre, et sans grande surprise, l’organisation se révèle très perméable aux mouvements sociaux et politiques des pays dans lesquels elle évolue, qu’elle reproduise dans ses dynamiques internes les caractéristiques sociales propres à un contexte ou qu’elle s’approprie les termes d’un débat de société qui n’avait été alors que faiblement pris en compte.
Au-delà du concept de vulnérabilité
Souvent sous la pression de scandales médiatiques, MSF s’est dotée d’un ensemble de procédures et de mécanismes pour lutter contre les violences sexuelles en son sein, tout en peinant à concilier la préservation de son image avec la protection effective de ses personnels en tant qu’employeur responsable. Des critiques ont émergé sur l’efficacité de certaines de ces politiques qui sont allées de pair avec la multiplication de plateformes et autres entités en charge de la gestion des abus. Il est néanmoins évident que la lutte contre les violences sexuelles renvoie in fine chaque individu à ses responsabilités propres : nécessaire identification des personnes à risque et diagnostic contextualisé sur la nature des vulnérabilités spécifiques de catégories de populations, tout en se gardant de stéréotypes préétablis et de catégorisations trop hâtives[25]Ahmed Al-Dawoody et Saman Rejali, “Who are you calling ‘vulnerableʼ? Muslim women and inclusive humanitarianism”, Humanitarian Law & Policy, 17 December 2020, … Continue reading. La prise en considération d’un faisceau de discriminations sociales alliant non seulement le genre, mais également un ensemble de particularismes, devrait affiner les actions de l’organisation, alors que le danger d’un écueil moral et politique qui consisterait à opposer les victimes d’abus entre elles reste présent. Une approche en silo, fragmentée, qui aborde successivement des catégories d’abus – violences faites aux femmes hier, discrimination raciale aujourd’hui –, peine à rendre compte de la complexité de ces phénomènes, de leurs inscriptions dans des rapports de force politiques et sociaux, ainsi que de leurs dimensions systémiques. Elle pourrait induire une rhétorique de la division, peu encline à servir les intérêts des personnes abusées et favorisant l’émergence d’une concurrence des victimes délétère[26]Jean-Michel Chaumont, « Du culte des héros à la concurrence des victimes », Criminologie, vol. 33, n° 1, p. 167-183, … Continue reading. Or il s’agit bien de souder les équipes vers un but commun, notamment une recherche d’équité, bien au-delà de la préservation de l’image institutionnelle. Il s’agit tout autant d’éviter de sombrer dans la tentation du relativisme culturel à propos de sujets sensibles, au carrefour de conceptions singulières sur la nature des relations hommes-femmes ou le regard individuel que l’on peut poser sur la différence culturelle, raciale ou d’origine sociale.
« Le danger d’un écueil moral et politique qui consisterait à opposer les victimes d’abus entre elles reste présent. »
Exemplarité ?
Si aucune organisation ne peut endosser le rôle de modèle de vertu, chacune doit néanmoins pouvoir renvoyer ses membres à leurs responsabilités individuelles quand il s’agit d’apprécier le caractère abusif et quelquefois contingent d’une relation, d’une situation ou d’un comportement. Les politiques institutionnelles, aussi nécessaires soient-elles, ne pourront en aucun cas se substituer à cet impératif éthique, celui de pouvoir prévenir, détecter, apprécier et résoudre à l’échelle de l’individu les comportements abusifs. Ainsi cette casuistique, qui consisterait à interroger systématiquement les ambivalences de comportements dans des situations souvent marquées par des inégalités criantes, devrait cependant s’affranchir de toute tendance paternaliste ou intrusive. L’immixtion normative dans les sphères privées d’un professionnel en exercice demeure une tendance dangereuse, spécialement dans des contextes à l’histoire coloniale douloureuse[27]Philippe Testard-Vaillant, « De la domination sexuelle dans les empires coloniaux », CNRS Le Journal, 3 décembre 2019, … Continue reading. De même, l’enfermement de pans de la population dans des catégories désignées d’emblée comme vulnérables présente le risque d’infantiliser les adultes concernés, notamment quand il s’agit de caractériser la nature de relations.
« L’exemplarité comportementale des travailleurs de l’aide s’avère être un horizon normatif difficilement atteignable. »
Certes, les relations affectives et sexuelles entre collègues nationaux et internationaux – ou encore avec des personnes issues de la société dans laquelle l’organisation intervient – nécessitent d’être encadrées, notamment pour des questions d’éthique ou de sécurité. On doit néanmoins pouvoir questionner le postulat quelquefois entendu qu’aucune relation n’est a priori envisageable entre des personnes aux statuts économique et social trop inégalitaires. Les personnes concernées peuvent en effet estimer à raison qu’il s’agit là d’un déni de leur libre arbitre et de leur autonomie, alors que d’autres ont encore en tête une période de l’histoire où le contrôle des mœurs était essentiel, et où le colonisateur s’arrogeait le droit de dicter la règle en la matière. Enfin, l’exemplarité comportementale des travailleurs de l’aide s’avère être un horizon normatif difficilement atteignable – spécialement au regard des facteurs de stress et d’épuisement fréquents dans les contextes dangereux ou difficiles. Elle doit pourtant demeurer centrale dans un exercice professionnel qui ne pourrait totalement s’affranchir de son but premier, celui de servir et d’aider au mieux des populations en danger, en tentant d’éviter à tout prix de leur nuire. En cela, la priorité pour une organisation médicale humanitaire telle que MSF reste encore d’investir massivement dans la détection et la gestion des abus éventuellement commis sur ses patients. Ce processus s’annonce déjà comme un chantier aussi énorme que complexe, mais il sera d’autant plus porteur de résultats structurants qu’il se déroulera sans être indexé sur les dynamiques médiatiques et les dénonciations publiques.
Les auteurs tiennent à remercier l’ensemble des membres du comité de réponse aux abus de MSF à Genève, ainsi que Duncan McLean, Sofia Mili, Stephen Cornish, Christine Jamet et Amy Mavor pour leur relecture attentive.
Cet article n’engage que ses auteurs et nullement l’organisation à laquelle ils appartiennent.
ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-7783-3 |