Environ six mois se sont écoulés depuis que l’administration Biden a pris les rênes du gouvernement américain, le 20 janvier dernier. Le moment semble opportun pour examiner ce qu’elle a réalisé dans le domaine de la santé mondiale. Ron Waldman, président de Médecins du Monde-USA, se prête à cet exercice aussi délicat qu’indispensable pour apprécier la relance du multilatéralisme, tellement mis à mal sous l’ère Trump.
Le président Biden a hérité d’une situation chaotique caractérisée par le retrait total, opéré par l’administration Trump, de son engagement actif et constructif au sein de la communauté internationale. Il faut reconnaître au 46e président des États-Unis d’avoir su agir rapidement et de manière décisive pour inverser ce que la plupart des praticiens considéraient comme une litanie de politiques malavisées ayant un potentiel d’impact non seulement sur l’architecture de la santé mondiale, mais aussi parfois directement sur la santé des individus et des communautés à travers le monde.
Dans cet article, je passerai en revue ce qui s’est passé et, tout aussi important, ce qui ne s’est pas passé, en matière de participation multilatérale des États-Unis dans trois domaines de la santé mondiale au cours du premier semestre 2021. Il en va ainsi de la collaboration dans le cadre des organisations et des accords internationaux, en particulier avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), des questions de santé sexuelle et reproductive et du thème des réfugiés et des flux migratoires. J’évoquerai évidemment la pandémie de la Covid-19 qui plane sur tous les aspects de la santé mondiale, et aura des répercussions durables sur l’évolution des politiques et des activités des États-Unis au cours des prochaines décennies. Pour les mêmes raisons, la question climatique doit être abordée, même si le cadre restreint du présent article ne permet pas de la développer à la mesure des enjeux.
Mais avant de commencer, il est important de noter que le contexte politique américain reste extrêmement controversé. Il n’existe aucun accord entre les partis sur la plupart des questions politiques, sociales et économiques et il semble y avoir peu de possibilités de compromis – même sur des questions relativement mineures – dans un avenir proche. Si les démocrates semblent favorables à la collaboration internationale dans divers domaines – malgré d’importantes réserves –, les républicains ont adopté, sous l’influence de l’ancien président Donald Trump, l’approche « America First » qui vise à promouvoir les intérêts américains sans se soucier des conséquences sur les alliés traditionnels des États-Unis (comme ceux de l’Organisation de coopération et de développement économiques) ni sur les pays à revenu moyen et faible à travers le monde.
Il est important de comprendre que l’isolationnisme et le protectionnisme ont été les principaux thèmes populistes de la politique américaine dès les premiers jours de l’indépendance des États-Unis vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Le slogan « America First » a déjà été employé au XIXe siècle, mais il a surtout été popularisé au début du XXe siècle par le président Woodrow Wilson dans le but d’empêcher les États-Unis de participer à la Première Guerre mondiale[1]Il est intéressant de noter que Wilson lui-même était très favorable à une implication internationale et son adhésion à la politique de l’« America First » était une stratégie … Continue reading. Par la suite, il a été adopté par les isolationnistes qui cherchaient à empêcher la participation des États-Unis à la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, sous la direction du populaire aviateur Charles Lindbergh, le Comité America First a continué à promouvoir l’idée, bien que son orientation anti-guerre et isolationniste se soit rapidement teintée d’antisémitisme, de sentiment anti-immigration et de sympathie pour l’idéologie fasciste[2]“Germany and the America First movement”, Britannica, https://www.britannica.com/biography/Charles-Lindbergh/Germany-and-the-America-First-movement. Récemment relancé dans le cadre de la plate-forme politique de Trump lors de la campagne électorale de 2016 et après son élection, « America First » représente une tradition unilatéraliste de longue date qui, combinée à l’intolérance, a toujours attiré une partie importante de l’électorat américain.
« Les républicains ont adopté, sous l’influence de l’ancien président Donald Trump, l’approche “America First” qui vise à promouvoir les intérêts américains sans se soucier des conséquences sur les alliés traditionnels des États-Unis. »
La coopération en matière de santé mondiale réanimée
De manière pour le moins surprenante, alors que la pandémie de Covid-19 se propageait rapidement dans le monde, le président Trump annonçait en mai 2020 son intention de mettre fin au financement américain de l’OMS et, plus globalement, à toute participation américaine à cette organisation. Si les raisons invoquées étaient cohérentes avec la philosophie de l’« America First », cette décision ne la reflétait qu’en partie, tant elle semblait puiser à une profonde animosité envers la Chine. Trump affirmait en effet que la Chine ne disait pas la vérité sur sa connaissance des origines de la pandémie de SARS-CoV-2, ce « virus chinois » selon ses propres termes, tandis qu’il accusait Pékin d’exercer « un contrôle total sur l’OMS[3]Elisabeth Mahase, “US to withdraw from WHO as China has ‘total control’ over it, Trump claims”, BMJ, 1st June 2020, https://www.bmj.com/content/369/bmj.m2178 ». Les États-Unis sont pourtant, depuis longtemps, le principal contributeur au budget global de l’organisation, fournissant environ 400 à 500 millions de dollars par an, soit 15 % du budget total et 22 % des contributions fixes. Alors que d’autres grands bailleurs exprimaient leur soutien à l’organisation, soulignant le rôle essentiel qu’elle jouait dans la coordination de la réponse mondiale à la pandémie, le retrait des États-Unis risquait de porter un coup fatal à sa capacité à mener à bien à la fois ses activités de contrôle d’urgence et son programme de travail habituel.
Le 7 juillet 2020, affirmant que l’OMS n’avait pas agi pour mettre en œuvre les réformes exigées par son administration, Trump mettait sa menace à exécution en envoyant une lettre officielle au Congrès américain et à l’Organisation des Nations unies (ONU), annonçant le retrait des États-Unis de l’agence de santé. La réglementation américaine stipule néanmoins que les États-Unis ne peuvent se retirer d’une agence de l’ONU qu’en respectant un préavis d’un an. À l’approche des élections présidentielles de novembre 2020, le candidat Joseph Biden a aussitôt annoncé : « Dès mon premier jour en tant que président, je réintégrerai l’OMS et restaurerai notre leadership sur la scène mondiale. » De fait, quelques heures à peine après son investiture en janvier, il a envoyé une lettre officielle au Secrétaire général de l’ONU, annulant le retrait annoncé de l’OMS et s’engageant à honorer son engagement financier envers l’organisation.
Lors de la soixante-quatorzième Assemblée mondiale de la santé, en mai 2021, le secrétaire à la Santé et aux Services sociaux américain Xavier Becerra, à la tête de la délégation américaine, a déclaré que « la collaboration internationale sera essentielle pour relever les nombreux défis qui nous attendent encore » et que « nous le ferons ensemble avec une OMS forte et agile[4]Xavier Becerra, “Secretary Becerra Delivers Remarks to the 74th World Health Assembly”, HHS, 25 May 2021, … Continue reading ». S’il semble bien que le rôle des États-Unis au sein de l’OMS restera donc important et contributif, voire même qu’il sera renforcé à la lumière des circonstances actuelles, il subsiste apparemment une profonde suspicion à l’égard de la Chine. L’exécutif a ordonné aux services de renseignement de mener une enquête sur les origines de la pandémie, estimant manifestement que l’OMS n’avait pas abordé cette question de manière satisfaisante. L’hypothèse de la « fuite d’un laboratoire », défendue par Trump et ses partisans aux États-Unis, a gagné en crédibilité aux yeux de scientifiques respectés et pourrait devenir un point de discorde de plus en plus sérieux dans les mois à venir entre les États-Unis et la Chine. L’OMS, elle, risque d’être prise entre deux feux. Malgré tout, le fait que les États-Unis resteront – au moins pour un temps – un membre fort et influent de l’organisation, honorant ses engagements financiers actuels, est une bonne nouvelle et un signe clair de l’engagement renouvelé des États-Unis envers le multilatéralisme.
Les États-Unis et l’équité en matière de vaccins
Lancé en avril 2020, le dispositif d’accès mondial au vaccin contre la Covid-19 (COVAX) était organisé par l’OMS, la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) et la GAVI – l’Alliance du vaccin. Son objectif est d’assurer une distribution équitable de vaccins efficaces en fournissant un mécanisme d’achat et de distribution de vaccins aux pays qui auraient du mal à s’en procurer sur un marché ouvert. COVAX espère fournir suffisamment de doses pour vacciner complètement vingt pour cent de la population dans quatre-vingt-douze pays. COVAX a immédiatement bénéficié d’un large soutien international et semble, pour la plupart des experts, un moyen pratique d’accélérer la distribution de vaccins vitaux pour les pays à revenu faible et intermédiaire. Les États-Unis, sous Trump, ont toutefois refusé d’y participer, la Maison Blanche affirmant alors qu’elle « ne par des organisations multilatérales influencées par une Organisation mondiale de la Santé corrompue et par la Chine[5]Emily Rauhala and Yasmeen Abutaleb, “U.S. says it won’t join WHO-linked effort to develop, distribute, coronavirus vaccine”, The Washington Post, 1st September 2020, … Continue reading ».
Parallèlement, et grâce en partie à l’opération Warp Speed, une initiative de Trump, deux vaccins contre la Covid-19 efficaces étaient approuvés en décembre 2020 pour une utilisation en urgence par l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, après avoir été développés en un temps record. Les États-Unis – et d’autres pays riches ayant signé des contrats avec les laboratoires pharmaceutiques Pfizer et Moderna, les développeurs des vaccins – ont pu se procurer suffisamment de doses de vaccins pour leurs populations, et dans certains cas assez pour subvenir plusieurs fois aux besoins de ces dernières, au fur et à mesure qu’elles étaient disponibles. Cette pratique a conduit à une situation de mauvaise distribution flagrante d’une ressource essentielle, un « bien commun », et laissé de nombreux pays pauvres sans aucun accès. L’expression « nationalisme du vaccin » est apparue pour souligner une approche « moi d’abord » de la gestion de la pandémie qui semblait aller à l’encontre du multilatéralisme et de l’équité mondiale en matière de santé.
Alors que les États-Unis avaient élaboré un plan d’exportation de vaccins vers d’autres pays du monde, Trump a publié un décret en décembre 2020 réaffirmant l’approche « America First ». Il disposait que « les Américains .)).
Malgré ce revirement et l’annonce d’un don de quatre-vingts millions de doses de vaccins AstraZeneca non utilisés appartenant aux États-Unis, Biden a également déclaré, le 1er mai 2021, que « chaque Américain y aura accès avant cela ». Cette stratégie apparemment contradictoire, qui tente de combiner approche « America First » et reconnaissance d’une responsabilité internationale, a fait craindre à beaucoup que l’équité mondiale en matière de vaccins passe au second plan, derrière les intérêts nationaux et, par conséquent, entrave sérieusement l’effort de contrôle de la pandémie dans de nombreux pays.
À l’heure où j’écris ces lignes , seuls quatre pays d’Afrique ont vacciné jusqu’à 10 % de leur population avec une seule dose de vaccin contre la Covid-19[6]Statista, “Number of administered coronavirus (COVID-19) vaccine doses per 100 people in Africa as of June 10, 2021, by country”, … Continue reading. De nombreuses personnes hautement prioritaires, notamment les personnels de santé, les personnes âgées et les personnes atteintes de comorbidités, n’y ont toujours pas eu accès, alors qu’aux États-Unis, plus de la moitié de la population a reçu au moins une dose de vaccin, environ 40 % étant entièrement vaccinés. Les enfants âgés d’au moins 12 ans, un groupe généralement considéré comme à faible risque, peuvent actuellement recevoir les vaccins contre la Covid-19 et l’administration Biden s’est engagée à vacciner 70 % des adultes américains avec au moins une dose d’ici le 4 juillet. Cette inégalité flagrante entre les pays riches et ceux qui n’ont pas les moyens de produire et/ou de se procurer une quantité suffisante de vaccins a conduit le directeur général de l’OMS à déclarer le 18 janvier 2021 que « le monde est au bord d’une défaillance morale catastrophique, et le prix de cette défaillance sera payé en vies humaines et en moyens de subsistance dans les pays les plus pauvres du monde[7]WHO, “WHO Director-General’s opening remarks at 148th session of the Executive Board”, 18 January 2021, … Continue reading ». En dépit de ce sentiment, il semble clair que les États-Unis, qui n’ont pas fait grand-chose pour remédier aux inégalités mondiales en matière de vaccins pendant les années Trump, restent excessivement attachés à une approche « America First » de la distribution des vaccins contre la Covid-19. Ils pourraient faire davantage pour assurer une distribution équitable de cet outil qui change la donne. Il convient toutefois de mentionner que, en rupture avec de nombreux autres pays riches – ce qui est tout à leur honneur –, les États-Unis ont annoncé leur soutien à une renonciation temporaire aux droits de propriété intellectuelle sur les vaccins[8]Andrew Green, “US backs waiver for intellectual property rights for COVID-19 vaccine”, Devex, 6 May 2021, … Continue reading.
« Les États-Unis, qui n’ont pas fait grand-chose pour remédier aux inégalités mondiales en matière de vaccins pendant les années Trump, restent excessivement attachés à une approche “America First” de la distribution des vaccins contre la Covid-19. »
Le changement climatique
Le multilatéralisme se caractérise aussi par l’adhésion à des traités et pactes internationaux. Le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris est un autre exemple du changement que cette administration opère par rapport aux politiques précédentes. L’Accord de Paris vise à combattre l’autre grande menace existentielle pour la société, en dehors des pandémies, en s’attaquant au changement climatique et en limitant l’émission de gaz à effet de serre. Le changement climatique a évidemment des conséquences majeures pour la santé humaine, animale et planétaire, que je ne peux développer ici. Disons seulement que la décision de Trump de se retirer de tous les dispositifs de l’Accord de Paris – décision inédite parmi tous les États parties – au motif que les États-Unis, principal émetteur de gaz nocifs au monde, étaient traités injustement par rapport à la Chine et à l’Inde, avait le potentiel de miner un traité international majeur, et de mettre davantage en danger les populations de nombreuses nations. Les États-Unis ont heureusement rejoint l’accord le 19 février dernier et nommé John Kerry – influent ancien candidat à la présidence – comme envoyé spécial, ce qui témoigne de l’importance qu’ils attachent à la fois à la question elle-même et à la manière multinationale et coopérative dont elle doit être traitée[9]Helen Briggs, “What is the Paris climate agreement and why did the US rejoin?”, BBC News, 22 April 2021, https://www.bbc.com/news/science-environment-35073297.
Santé sexuelle et reproductive
Il n’est pas de sujet plus clivant et controversé dans la politique américaine que l’avortement. C’est devenu un rituel pour les administrations républicaines, dès leur premier jour aux affaires, d’instituer la « règle de Mexico City », également appelée règle du bâillon mondial. Cette politique, depuis sa première formulation en 1984, interdit l’octroi de tout financement américain de planification familiale aux ONG étrangères pratiquant ou faisant la promotion de l’avortement – y compris toute forme de conseil incluant l’avortement comme option[10]Les ONG américaines sont restreintes de la même manière, par d’autres lois.. L’administration Trump a largement étendu cette règle du bâillon mondial, en appliquant les mêmes restrictions aux organisations étrangères recevant des fonds du Plan d’urgence du président pour la lutte contre le sida (PEPFAR), pour la santé maternelle et infantile, le paludisme, la nutrition ou d’autres enveloppes d’aide étrangère. Le fait qu’une administration démocrate annule cette règle dès ses premiers jours fait également partie du rituel politique. Biden n’a pas failli en annonçant, le 28 janvier 2021, l’abandon de la règle élargie[11]KFF, “The Mexico City Policy: An Explainer”, 28 January 2021, https://www.kff.org/global-health-policy/fact-sheet/mexico-city-policy-explainer. Néanmoins, son administration devra se battre pour maintenir une position plus libérale. Au niveau national, le droit à l’avortement est menacé et la Cour suprême – qui a le dernier mot sur les questions constitutionnelles – n’a jamais été, dans son histoire récente, aussi conservatrice. La Cour a en effet récemment déclaré qu’elle se prononcerait sur une affaire constituant une menace importante pour le droit existant de recourir à l’avortement aux États-Unis, tel qu’il est défini dans un arrêt historique de 1973 connu sous le nom de Roe contre Wade. Si le droit de choisir était affaibli ou renversé au niveau national, on voit mal comment des politiques plus libérales en matière d’avortement pourraient exister dans le cadre de l’aide étrangère américaine.
Immigration et demande d’asile
Comme rappelé ci-dessus, la doctrine « America First » est associée à des positions anti-immigration. Durant l’ère Trump, les politiques de longue date en matière de réfugiés ont été inversées – es États-Unis ne pouvant plus être considérés comme un pays où les persécutés et les opprimés pouvaient venir commencer une nouvelle vie, plus libre. Les admissions annuelles de réfugiés ont diminué chaque année et, à la fin de l’année 2021, il est prévu qu’elles soient limitées à 15 000, un niveau record[12]“Trump administration sets record low limit for new U.S. refugees”, Reuters, 28 October 2020, https://www.reuters.com/article/us-usa-immigration-refugees-idUSKBN27D1TS.
Bien que Biden se soit engagé pendant sa campagne à relever le plafond, il a d’abord conservé le niveau de l’ère Trump, ne le portant à 62 500 qu’après une vive réaction des membres de son propre parti et de groupes de défense des droits de l’Homme. Il a également annoncé que le plafond de 125 000 admissions annuelles de l’ère Obama serait rétabli au cours de sa deuxième année de mandat, bien qu’il ne soit pas certain que le département d’État soit en mesure de gérer un tel nombre[13]“Biden backtracks on keeping Trump cap on refugees”, BBC News, 17 April 2021, https://www.bbc.com/news/world-us-canada-56778721.
Ce qui est encore plus déroutant, c’est l’incapacité de l’administration Biden, au cours des six premiers mois de son mandat, à revenir sur l’invocation absurde du Titre 42 du Code des États-Unis pour empêcher certaines demandes d’asile aux États-Unis, en violation de l’article 14(1) de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Le Titre 42, adopté en 1944 et inchangé depuis, permet aux autorités de santé publique « d’interdire, en tout ou en partie, l’introduction de personnes et de biens en provenance de pays ou de lieux nécessaire[14]“42 U.S. Code § 265 – Suspension of entries and imports from designated places to prevent spread of communicable diseases”, Cornell Law School, … Continue reading ». En mars 2020, les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies – sous la pression politique et contre la volonté des scientifiques – ont interdit, en vertu du Titre 42, l’accès à une catégorie unique de personnes : celles qui traversent les frontières terrestres avec le Mexique et le Canada et qui pourraient être arrêtées par les autorités d’immigration[15]Human Rights Watch, “Q&A: US Title 42 Policy to Expel Migrants at the Border”, 8 April 2021, https://www.hrw.org/news/2021/04/08/qa-us-title-42-policy-expel-migrants-border. Les autres – y compris des citoyens américains de retour au pays et des personnes franchissant la frontière avec des visas valides (notamment des étudiants et des gens d’affaires) – n’étaient pas concernés par la règle et pouvaient continuer à entrer aux États-Unis. Cela n’a évidemment aucun sens du point de vue sanitaire – la Covid n’infecte pas les personnes en fonction de leur statut juridique. Néanmoins, tout en s’engageant à assouplir les restrictions sévères et les pratiques inhumaines à la frontière sud qui étaient monnaie courante sous l’administration Trump, Biden a fermement refusé de révoquer cette utilisation du Titre 42, au mépris des conventions internationales sur les droits de l’Homme dont les États-Unis sont signataires. Ici, la protection de la santé de la population américaine n’est évidemment pas une motivation et il est difficile d’expliquer cette position, mais elle semble être basée uniquement sur des considérations politiques, ce qui la rend difficilement compatible avec un retour espéré au multilatéralisme.
« Et tout en étant teintée d’éléments America First 2.0, l’approche de Biden reste une bouffée d’air frais bienvenue par rapport à ce qui l’a précédé. »
Dans cet article, j’ai essayé de montrer qu’un retour au multilatéralisme semble être un principe sous-jacent de l’approche de l’administration Biden en matière de santé mondiale, bien qu’il ne semble pas encore y avoir de stratégie claire. À défaut, des demi-mesures semblent bien souvent prises avec pour aiguillon des considérations de politique intérieure : les États-Unis ne quitteront pas l’OMS, mais ils mèneront leur propre enquête sur les origines de la pandémie ; des vaccins seront achetés et donnés à COVAX, mais en quantité insuffisante pour lui permettre d’atteindre son objectif, et trop tard pour éviter un lourd tribut dans les pays à revenu faible et intermédiaire qui subissent désormais de plein fouet la pandémie ; les politiques d’immigration très restrictives seront quelque peu assouplies, mais les vestiges des politiques injustifiables de l’administration précédente demeureront intacts. Elle ne représente peut-être pas tout ce que l’on pouvait espérer mais, dans l’ensemble, et tout en étant teintée d’éléments America First 2.0, l’approche de Biden reste une bouffée d’air frais bienvenue par rapport à ce qui l’a précédé. C’est mieux, mais ce n’est pas suffisant.
Traduit de l’anglais par Benjamin Richardier
ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-843-4 |