Comment rassembler dans un même ouvrage la théorie et la pratique de l’action humanitaire ? Cette ambition s’incarne parfaitement dans ce livre-somme réalisé sous la triple direction de Sandra Szurek et Marina Eudes, accompagnées de main de maître par Philippe Ryfman.
Ensemble, ils ont accompli la prouesse de mobiliser près de 80 experts pour s’atteler à cette tâche immense. Parmi eux, des personnalités reconnues telles que Xavier Emmanuelli et Jean-François Mattei mais aussi des praticiens de terrain, des dirigeants d’organisations et des chercheurs. L’axe privilégié par les trois coordinateurs est celui d’une approche juridique combinée, selon les cas, aux ressources d’autres disciplines, telles la science politique, la sociologie, l’économie, l’anthropologie, l’histoire et aux apports de praticiens expérimentés. Ainsi, l’ouvrage entend répondre à un besoin d’une vision générale, systématisée et scientifiquement établie d’un domaine souvent controversé de la vie internationale : l’action humanitaire.
Riche d’une diversité de contributions rassemblées dans 970 pages, l’ouvrage est construit autour de quatre grandes parties dont la première porte sur l’assistance humanitaire avec ses composantes normatives et contextuelles. La deuxième aborde l’offre humanitaire et décrit les acteurs, l’économie de l’aide ainsi que la coordination et la conduite de l’action. Ensuite, la troisième partie concerne la réception de l’aide humanitaire, avec une description des bénéficiaires selon les contextes et les conditions d’accès, avec un point sur les finalités de cette aide. La dernière partie met en exergue les risques, responsabilités au regard du droit et de l’éthique.
Nul doute que cet ouvrage conséquent et très documenté s’est déjà imposé comme une référence pour toutes les personnes intéressées et concernées par le domaine de l’action humanitaire.
À travers ses quatre grandes parties, ce traité nous permet de naviguer entre une approche académique et pratique avec, à chaque fois, des sections précises rédigées par un expert. Il en résulte un kaléidoscope de connaissances et d’expériences apportées par des femmes et des hommes, pour la plupart, des professionnels connus et reconnus de l’action humanitaire.
Cette approche plurielle de l’action humanitaire exprimée par autant d’experts reflète parfaitement la diversité des acteurs, observateurs et chercheurs impliqués autant que l’envergure d’un domaine que l’on a souvent du mal à enfermer dans des frontières précises. Ce n’est pas le moindre mérite des directeurs de cet ouvrage que d’avoir su rendre les nuances qui, du développement au maintien de la paix en passant, bien sûr, par l’urgence teintent « l’action humanitaire internationale du XXIe siècle » qui, écrivent-ils en introduction, « se présente comme l’une des premières, sinon la première politique publique internationale qui se déploie sur tous les continents ».
Alors que dire au-delà de saluer ce travail immense porté dans un seul ouvrage et d’encourager sa lecture ? Qu’il y a là une base forte pour la mise à jour d’une deuxième édition qui viendra forcément dans quelques temps. Comment pourrait-elle enrichir cette première édition ?
S’il est évoqué la complexité des « titres à agir » avec leurs cadres normatifs variés entre le droit international humanitaire et les divers textes existants face aux catastrophes naturelles ou aux épidémies, on lirait d’abord avec intérêt une section sur les principes humanitaires en tant que tels. Mais qu’en est-il de la motivation et de l’engagement des acteurs humanitaires qui s’engagent dans les organisations humanitaires, du terrain au siège ? Une section qui témoignerait de l’engagement des divers acteurs permettrait – tout en leur rendant hommage – de mieux appréhender les sources d’actions, de solidarité, de dignité, de justice, entre indignation, compassion et coopération. Par ailleurs, une section qui regrouperait des exemples de positionnements majeurs portés par des organisations humanitaires face à des situations complexes serait bienvenue tant elle permettrait de mettre en lumière la force du plaidoyer et de la communication médiatique, atouts indispensables des ONG pour ne pas sombrer dans une sorte d’industrialisation et d’instrumentalisation de leur actions. De même, dans l’actuel chapitre sur les caractéristiques contemporaines, pourquoi ne pas inclure une section sur les réfugiés climatiques ou les débats qui traversent le secteur, par exemple les entraves à l’action humanitaire ? Enfin, on pourrait souhaiter un chapitre sur le rôle des coordinations, des coalitions, sur les consortium et les mécanismes de mutualisation de capacités. Ce sont là autant de pistes qui disent toute la potentialité d’évolution d’un ouvrage qui, de traité, aurait vocation – pourquoi pas ? – à devenir une encyclopédie en perpétuel mouvement, au plus près des questions qui se font jour.