De quelle manière la socialisation genrée impacte davantage les femmes que les hommes dans le secteur humanitaire? C’est à cette question que les trois autrices tentent de répondre.
Les dernières années ont vu une multiplication des études sur l’importance de la santé mentale chez les humanitaires de terrain et sur les pratiques permettant de réduire l’impact psychologique de leur travail[1]Adeyinka Akinsulure-Smith, Adriana Espinosa, Tracy Chu et al., “Secondary traumatic stress and burnout among refugee resettlement workers: The role of coping and emotional intelligence”, Journal … Continue reading. En effet, ces personnels font souvent face à l’isolement, à de lourdes charges de travail, à des déploiements qui s’enchaînent rapidement, à un espace de vie restreint qui limite l’intimité et mélange fréquemment vie personnelle et vie professionnelle. De plus, ils évoluent dans des contextes sécuritaires généralement difficiles où règnent souvent incertitudes politiques, difficultés de déplacements et stress physique[2]John H. Ehrenreich and Teri L. Elliott, “Managing stress in humanitarian aid workers: A survey of humanitarian aid agencies’ psychosocial training and support of staff”, Peace and Conflict: … Continue reading. La littérature fait état d’un nombre élevé de troubles psychologiques liés ou exacerbés par le travail humanitaire[3]Liza Jachens, Jonathan Houdmont and Roslyn Thomas, “Work-related stress in a humanitarian context: A qualitative investigation”, Disasters, vol. 42, no. 4, March 2018, pp. 619–634 ; … Continue reading, à l’image de l’étude Global Staff Wellbeing Survey[4]UNHCR, Staff Well-being and Mental Health in UNHCR Survey Report 2016, https://www.unhcr.org/56e2dfa09.pdf qui rapporte que :
- 79 % du personnel humanitaire a expérimenté des difficultés en termes de santé mentale dans les années précédentes ;
- 36 % présentaient un risque élevé de développer un syndrome de stress post-traumatique (SSPT)[5]À titre de comparaison, au sein de la population générale, au Canada, il a été déterminé que le taux de personnes ayant des symptômes de SSPT était de 8 % : Statistique Canada, Enquête … Continue reading, avec la présence d’autres facteurs de comorbidité (25 % présentaient une dépendance à la consommation d’alcool, par exemple) ;
- 38 % de celles et ceux travaillant en contact étroit avec des réfugié·es étaient considéré·es à risque élevé de traumatisme vicariant.
Un contraste apparaît donc entre l’image de solidité et de résilience généralement accolée aux travailleur·euses humanitaires et la réalité dans laquelle nombre d’entre elles et eux souffrent psychologiquement.
L’exposition aux événements traumatisants et au stress est une caractéristique commune et inévitable de l’environnement de travail des humanitaires[6]Barbara Lopes Cardozo, Carol Gotway Crawford, Cynthia Eriksson et al., “Psychological distress, depression, anxiety, and burnout among international humanitarian aid workers: A longitudinal … Continue reading. Le burn-out, la fatigue compassionnelle ou le traumatisme vicariant[7]Niveen Rizkalla and Steven P. Segal, “Trauma during humanitarian work: The effects on intimacy, wellbeing and PTSD-symptoms”, European Journal of Psychotraumatology, vol. 10, no. 1, 2019, … Continue reading y sont qualifiés de « risques professionnels » ou de « frais de soins », ce qui suggère que les symptômes sont des conséquences directes du travail[8]Adriana Espinosa, Adeyinka Akinsulure-Smith and Tracy Chu, “Trait emotional intelligence, coping, and occupational distress among resettlement workers”, Psychological Trauma: Theory, Research, … Continue reading.
Différentes politiques et pratiques organisationnelles ont vu le jour pour affirmer l’importance de soins psychologiques aux humanitaires[9]nMHPSS-MSP, 2.3 Care for staff and volunteers providing MHPSS. Relevant guidelines, standards and tools, … Continue reading après une sensibilisation grandissante à l’importance de la formation et de la préparation[10]Fondation Antares, Gestion du stress chez les travailleurs humanitaires. Guide de bonnes pratiques, mars 2012, … Continue reading. Malgré cela, le nombre important d’humanitaires aux prises avec des problèmes psychologiques indiquerait que le milieu n’offre pas les conditions optimales pour garantir la santé psychologique de son personnel, recruté à l’international ou non.
En outre, on peut se demander comment l’environnement de travail impacte de manière différenciée – selon le genre – la santé psychologique de ce personnel humanitaire. C’est ainsi que nous explorerons dans cet article, à partir de concepts féministes, certaines dimensions genrées dans la problématique de la santé mentale en contexte de travail humanitaire, en portant l’accent sur la fatigue compassionnelle.
Edge work, injonctions de genre et masculinité toxique
En écho à la formule de culture of edgework (aussi appelée aid cowboy culture dans la littérature[11]Garry J. Stevens, Asra Sharma and Kelsey Skeoch, “Help-seeking attitudes and behaviours among humanitarian aid workers”, International Journal of Humanitarian Action, vol. 7, no. 16, August … Continue reading) qu’a forgée Silke Roth[12]Silke Roth, The Paradoxes of Aid Work: Passionate Professionals, Routledge, 2015. pour exprimer que le danger est vu comme à la base du travail humanitaire, on considère parfois que les conditions de ce domaine professionnel sont « trop dangereuses pour des femmes[13]Les autrices tiennent à souligner que leur définition de « femmes » comprend toutes celles se définissant comme telles (idem pour « hommes »), bien qu’elles soient conscientes que … Continue reading » (zones de conflits, risques élevés d’attaques, etc.).
L’existence de cette culture de la « dangerosité » du milieu entraînerait le façonnement d’un environnement de travail où il est considéré comme normal (c’est-à-dire acceptable) de se couper de ses émotions pour accomplir son travail. En conséquence, une culture du silence se serait développée, impliquant souvent que les humanitaires considèrent qu’il est plus important d’exécuter leur travail que d’exprimer leurs émotions à propos de celui-ci[14]John H. Ehrenreich, Coping with Disaster: A Guide to Psychosocial Intervention, 2001,
https://www.hhri.org/wp-content/uploads/2021/01/Coping-With-Disaster.pdf.
Il est vrai que le métier d’humanitaire, à l’instar d’autres métiers de relation d’aide, est de ceux considérés comme nécessitant un investissement émotionnel soutenu. Il n’est pas rare que certain·es humanitaires gèrent le stress en utilisant des mécanismes de défense inadaptés ou des comportements autodestructeurs comme la surconsommation d’alcool et de stupéfiants, le déni ou l’isolement social et/ou affectif, quand il s’agit d’extérioriser des émotions difficiles et/ou une détresse psychologique[15]Barbara Lopes Cardozo, Carol Crawford, Pilar Petit et al., “Factors affecting mental health of local staff working in the Vanni region, Sri Lanka”, Psychological Trauma: Theory, Research, … Continue reading. Ainsi, se permettre de « ressentir » différentes émotions dites « négatives » (tristesse, colère, angoisse, etc.) dans des situations auxquelles les humanitaires sont exposé·es peut remettre en question leur estime de soi, voire, dans le cas des hommes, leur masculinité[16]Benita N. Chatmon, “Males and Mental Health Stigma”, American Journal of Men’s Health, vol. 14, no. 4, 2020.. Par ailleurs, étant en position privilégiée face aux populations ciblées par l’aide, les humanitaires peuvent juger que certaines de leurs émotions négatives vis-à-vis de leur vie personnelle et/ou professionnelle sont injustifiées, voire ridicules. Pour citer une humanitaire interviewée : « On a l’air con si on pleure, ou si on stresse pour des choses de base comme un parent malade ou du stress au bureau. C’est comme si on ne se donne pas le droit d’avoir mal par comparaison. » Ce facteur potentiel d’atteinte à l’égo peut à son tour provoquer du stress[17]CESH, Recette du stress, Centre d’études sur le stress humain, https://www.stresshumain.ca/le-stress/comprendre-son-stress/source-du-stress, et donc décupler et/ou exacerber l’état de stress général des travailleur·euses humanitaires. Stevens et al. soulignent que cela se perçoit davantage chez les humanitaires plus âgé·es. Ce qui, en creux, pourrait suggérer un certain changement dans la génération plus récente.
À cela s’ajoute que la santé des travailleur·euses humanitaires est censée être bonne au début de chaque contrat (des tests sont souvent réalisés). Par conséquent, admettre un burn-out ou un mal physique récurrent (parfois psychosomatique) risque de leur « coûter » professionnellement (perte de missions et d’avancement professionnel). Certain·es jugent alors préférable de ne pas divulguer leur mal-être, ce qui, dans une certaine mesure, est cohérent puisque des pratiques de disqualification à l’embauche d’humanitaires ayant eu par le passé des problèmes de santé psychologique ont été rapportées, par exemple au Peace Corps[18]Ellen Barry, “Peace Corps sued over mental health policy, New York Times, 27 September 2023..
Partant du postulat qu’une certaine culture où domine le modèle du parfait humanitaire (hyper-) masculin est présente, cela engendre différentes attentes genrées en matière de santé émotionnelle et psychologique. Les masculinités[19]Raewyn Connell, Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, Éditions Amsterdam, 1995/2014. toxiques et hégémoniques, entendues comme la pression que peuvent ressentir les hommes d’agir de façon dominante et nuisible, impliquent « une image étroite de ce que c’est être un homme, et s’insère dans une culture qui survalorise l’autonomie chez les garçons, normalise l’agression et l’intimidation et exige des hommes de prouver leur masculinité en tout temps »[20]Association canadienne pour la santé mentale, La masculinité toxique, un obstacle à la santé mentale des hommes ? Conférence du 31 janvier 2024, … Continue reading. D’emblée, on attend plus fréquemment des hommes qu’ils n’expriment pas leurs émotions. Ils seraient socioculturellement considérés comme « suffisamment forts » pour faire face aux situations sans ressentir le besoin d’analyser leurs sentiments ni les contrecoups des situations difficiles qu’ils vivent. Ce stéréotype de genre, ou plutôt cette injonction genrée, pèse également sur les hommes qui doivent « performer » leur genre d’une manière bien normée et composer avec des attentes genrées et les réalités psychologiques du travail humanitaire souvent bien éloignées les unes des autres. Certes, ce stéréotype met aussi des barrières aux femmes qui ne correspondent pas à cette injonction à paraître « calme » ou à faire preuve d’une sorte de « force tranquille ». Une étude[21]Humanitarian Women’s Network, Full Survey Results, 2016, https://interagencystandingcommittee.org/sites/default/files/migrated/2016-11/hwn_full_survey_results_may_2016.pdf rapporte ainsi que 67 % des femmes sondées témoignent avoir entendu des hommes discuter du fait qu’elles seraient trop émotives. Ce constat pénalise tout autant les hommes qui ne se retrouvent pas forcément dans le modèle du boys club humanitaire. Ainsi, tel un cercle vicieux, cette culture du edgework/aid cowboy, faite de masculinité toxique et de silence, participe fort probablement à l’exacerbation des problèmes de santé psychologique chez les travailleur·euses humanitaires.
Être femme dans le secteur humanitaire : le double poids de la gestion des émotions
La socialisation genrée fait que les femmes sont souvent les principales responsables de la gestion des émotions dans le foyer et dans la sphère personnelle. Ces comportements ont tendance à se reproduire dans la sphère professionnelle. Si ce phénomène est souvent ignoré, c’est parce qu’il répond au stéréotype genré affirmant que cette attitude est l’expression de la nature des femmes, et non un rôle qu’elles jouent en l’absence d’autres options dans la famille. Les femmes sont généralement socialisées de sorte que l’on s’attend à ce qu’elles soient douces et pleines de sollicitude[22]Francine Descarries, Marie Mathieu et Marie-Andrée Allard, Entre le rose et le bleu : stéréotypes sexuels et construction sociale du féminin et du masculin, Conseil du statut de la femme, 2010, … Continue reading. Néanmoins, il faut comprendre que cette tâche quotidienne peut mener au développement de problèmes de santé mentale, en particulier la fatigue compassionnelle, dans le milieu professionnel.
Des autrices[23]Amy S. Wharton and Rebecca J. Erickson, “The consequences of caring: Exploring the links between women’s job and family emotion work, The Sociological Quarterly, vol. 36, no. 2, … Continue reading ont amené plusieurs pistes qui peuvent facilement s’appliquer au milieu humanitaire. À travers leurs recherches, elles posent l’hypothèse qu’un certain niveau d’énergie peut être utilisé à travers les activités quotidiennes, que ce soit le travail ou les tâches « ménagères ». Cette hypothèse admet donc une certaine tension entre le travail et la famille pour mobiliser cette énergie. Alors que les études actuelles s’attardent sur l’effet de cette compétition sur le burn-out, on peut affirmer que l’effet est similaire en cas de fatigue compassionnelle. Au fil du temps, les femmes perçoivent alors leur travail comme une augmentation de leur charge émotive liée au care, c’est-à-dire le soin pour d’autres personnes. Il a été prouvé que la combinaison du travail humanitaire et du travail familial rendait les femmes plus sujettes au burn-out et à la fatigue compassionnelle[24]Siddharth Ashvin Shah, Elizabeth Garland and Craig Katz, “Secondary traumatic stress: Prevalence in humanitarian in India”, Traumatology, vol. 13, no. 1, March 2007, pp. 59–70.. Elles voient donc le travail dans le milieu de l’humanitaire comme potentiellement négatif pour leur santé mentale tandis que les hommes, socialement conditionnés à moins se soucier des émotions des autres, ne ressentiraient pas aussi fréquemment d’effets négatifs (ou les refouleraient). Ces contraintes pèsent plus lourd sur les épaules des femmes et témoignent des défis que la socialisation genrée fait peser sur leur santé mentale.
Grossesse et travail humanitaire : quand un plus un ne fait pas deux
L’attribution de rôles genrés tout comme la persistance de l’image de « gestionnaire » de la famille pèsent encore sur les femmes, y compris celles du milieu humanitaire. Les femmes subissent généralement une pression indue lorsqu’il s’agit d’équilibrer famille et travail, ce qui exacerbe les risques de problèmes de santé mentale. Même si, dans le cadre de missions humanitaires, une partie de cette charge familiale est souvent déléguée à des personnels de service, cette responsabilité accrue des femmes humanitaires dans leur foyer demeure, si bien que les effets croisés et réciproques de leurs actions professionnelles sur leur famille doivent faire l’objet d’une attention particulière.
Des autrices[25]Isabelle Auclair, Sophie Brière, Dominique Tanguay et al., « La carrière des femmes en coopération internationale : un parcours à démystifier » in Sophie Brière (dir.), Les femmes dans … Continue reading ont ainsi démontré que l’accouchement posait un obstacle majeur à la carrière des femmes[26]Cisgenres / avec un utérus. humanitaires. Néanmoins, avant même celui-ci, la non-formalisation des politiques organisationnelles relatives à la maternité ou à la non-maternité (difficulté d’accès rapide à la pilule du lendemain, à un avortement, etc.) pose problème et peut amener une exacerbation du stress ressenti par les professionnelles. En effet, selon les chercheures citées, pour les femmes en humanitaire, avoir un enfant requiert de la planification et de la négociation, ce qui augmente la charge mentale et émotive avant même la naissance de l’enfant. Les femmes doivent en effet composer avec une certaine pression de « l’horloge biologique » dans la mesure où les années durant lesquelles elles pourraient concevoir un enfant sont souvent celles où les opportunités professionnelles sont les plus présentes. Et lorsque l’enfant naît, cela pose un obstacle majeur à l’évolution professionnelle des travailleuses humanitaires. Une absence prolongée du terrain (par exemple, plusieurs mois de grossesse et de congé de maternité) limite cette évolution. À l’inverse, leurs collègues masculins – qui ne prennent pas forcément de congé parental long, quand ils en prennent – peuvent davantage obtenir des missions plus prestigieuses qui renforceront leur profil professionnel, alors que les femmes seront plutôt cantonnées à des terrains plus stables et moins bien rémunérés. En outre, il est fréquent que les assurances santé des organisations humanitaires ne couvrent pas les visites gynécologiques ni les avortements, alors que ceux-ci sont souvent couverts dans le pays de résidence des travailleuses humanitaires. Puis, s’il advient qu’une femme humanitaire œuvre dans un milieu où l’avortement est illégal ou inaccessible et qu’elle souhaite y recourir, il lui faudra prendre sur ses congés personnels pour réaliser l’intervention. Par conséquent, la carrière des hommes est généralement beaucoup moins affectée, posant moins de stress sur les plans financier et professionnel.
Tandis que la majorité des hommes sondés dans l’étude de Hannah Strohmeier et Catherine Panter-Brick[27]Hannah Strohmeier, and Catherine Panter-Brick, “Living with transience in high-risk humanitarian spaces: the gendered experiences of international staff and policy implications for building … Continue reading ne prévoient pas de sortir du milieu humanitaire sous peu, une grande majorité de femmes planifient leur sortie du secteur afin d’avoir une famille et de se consacrer à leur vie privée. L’arrivée d’enfants dans le ménage nécessite le développement de stratégies individuelles bien souvent exigeantes afin de permettre aux femmes de conserver leur poste. Certaines restent cependant dans le milieu, mais comme le soulignent plusieurs femmes dans l’étude de Gema Houldey[28]Gema Houldey, “Humanitarian response and stress in Kenya: gendered problems and their implications”, Gender & Development, vol. 27, no. 2, 2019, pp. 337–353., les organisations mettent rarement en place des dispositifs pour les aider à concilier famille et emploi. L’une des professionnelles interrogées, Winnie (nom fictif), raconte ainsi comment, après avoir dû annuler une réunion pour rester avec son enfant malade, son superviseur l’a accusée d’avoir inventé la maladie de son fils afin de ne pas venir travailler. Propos révélateur, mais qui fait état d’une situation qui n’est pas propre au milieu de l’humanitaire.
Harcèlement et violences basées sur le genre : facteurs de risque de troubles psychologiques chez les femmes humanitaires
Le harcèlement lié au genre, qu’il provienne de personnes extérieures ou appartenant à l’organisation, est une composante centrale avec laquelle les travailleuses humanitaires doivent composer. Certaines femmes évoquent l’utilisation répétée de termes injurieux qui les qualifient de faibles et d’incapables, créant un milieu professionnel hostile et stressant. La part de masculinité toxique et hégémonique à l’œuvre dans le milieu professionnel humanitaire – reposant notamment sur cette conception du travail humanitaire d’edgework/aid cowboy – donne en effet lieu à des abus et faits de harcèlement psychologique, sexuel ou physique, voire de violences, vécus par des femmes et provenant directement de leurs collègues, tels ceux rapportés ces dernières années[29]Charlotte Lydia Riley, “Powerful men, failing upwards: The aid industry and the ‘Me Too’ movement, Journal of Humanitarian Affairs, vol. 2, no. 3, September 2020, pp. 49–55 ; Cheryl … Continue reading.
Cette forme d’insécurité liée à des abus dans le cadre même du travail, vécus sur soi-même ou constatés – le fait de savoir que des collègues commettent ou subissent des abus – contribue certainement à l’augmentation du risque de développer des problèmes de santé psychologique chez les femmes humanitaires. Ce faisant, ces femmes rapportent avoir l’impression de ne jamais pouvoir baisser la garde, sachant qu’elles ne bénéficieront que de peu, voire d’aucun support, ce qui les pousse vers un état nocif d’hyper vigilance[30]Dyan Mazurana and Phoebe Donnelly, Stop the Sexual Assault against Humanitarian and Development Aid Workers, Feinstein International Center, May 2017, … Continue reading. En outre, d’autres auteur·ices[31]Vandra Harris and Andrew Goldsmith, “Gendering transnational policing: experiences of Australian women in international policing operations”, International Peacekeeping, vol. 17, no. 2, … Continue reading rapportent les témoignages de plusieurs femmes humanitaires indiquant avoir été harcelées par certains de leurs collègues, principalement sous la forme de commentaires désobligeants sur leur physique. Ce phénomène ressort aussi dans l’étude du HWN où 69 % des travailleuses de l’humanitaire rapportent avoir entendu leurs collègues commenter leur apparence physique. Ce harcèlement peut jouer un rôle dans le développement de problèmes de santé mentale.
L’environnement de travail humanitaire influe sur la santé psychologique de son personnel de manière différenciée selon le genre. S’il nuit davantage aux femmes, il n’encourage pas non plus les hommes en désaccord avec ces éléments problématiques à s’y opposer. En somme, le dilemme entre les valeurs d’attention aux autres portées par les principes humanitaires et la réalité des attentes genrées en contexte de travail humanitaire affecte non seulement les travailleuses en priorité, mais également beaucoup de leurs collègues masculins. Si de nombreux milieux professionnels ne sont pas favorables aux femmes et présentent une culture de masculinité toxique, ceux-ci n’ont pas tous la prétention de reposer sur des valeurs humanistes. Au final, c’est le secteur tout entier qui en pâtira, s’il ne se saisit pas de tels dysfonctionnements.
Les autrices remercient Isabelle Auclair, professeure ayant supervisé la rédaction des deux essais de maîtrise qui ont mené en partie à la rédaction de cet article, ainsi que leur amie et collègue Florence Gagnon-Bergeron pour son appui à la révision.
Laurie Druelle a participé à cet article de manière individuelle, et celui-ci n’engage en rien ses employeurs passés et actuels.