Kiev, Ukraine

Ukraine, Gaza : deux poids, deux mesures

Rony Brauman
Rony BraumanRony Brauman, né en 1950, est médecin, diplômé en épidémiologie et médecine tropicale. Après avoir travaillé plusieurs années comme médecin sur le terrain, principalement dans des situations de conflits et des camps de réfugiés, il est devenu président de Médecins Sans Frontières en 1982 et a occupé ce poste jusqu’en 1994. Il a été chargé de cours (1992-2000), puis professeur associé à Sciences Po Paris, et professeur au Humanitarian and Conflict Response Institute (HCRI), Université de Manchester, Grande-Bretagne, de 2003 à 2015. Il est actuellement directeur d’études à la Fondation Médecins Sans Frontières. Il est l’auteur de nombreux articles sur l’action humanitaire, de films documentaires et de plusieurs livres, dont La médecine humanitaire, Que Sais-je ?, PUF, 2009 (3e édition en 2018) et Guerres humanitaires ? Mensonges et intox, Éditions Textuel, 2018.

La violence des combats qui se déroulent en Ukraine et dans la bande de Gaza dissimule mal les différences dans le traitement – politique, médiatique et humanitaire – réservé à chacun des deux conflits. Rony Brauman décrypte ici les ressorts de ce « deux poids, deux mesures » qui, au mépris des victimes civiles, ajoute à la tragédie qui s’y joue le déshonneur des démocraties occidentales.


Parmi les quelque cinquante conflits en cours dans le monde – c’est-à-dire, suivant une convention généralement admise, les affrontements armés causant plus de 1000 morts dans l’année –, deux se détachent nettement, en tout cas vus d’Europe : la guerre russo-ukrainienne et la guerre israélo-palestinienne. Si elles sont toutes deux au premier plan, ce n’est certes pas à égalité, les répercussions médiatiques et les retombées politiques en Europe de la guerre de Gaza l’emportant largement.

Reste que ce sont ces deux conflits qui occupent la scène publique ainsi que les esprits, ne serait-ce qu’en raison de la forte implication européenne dans chacun d’entre eux. Et l’on ajoutera d’emblée : en raison également du traitement politique contradictoire réservé par les institutions et gouvernements européens à ces deux conflits, source de critiques et de mobilisations, notamment étudiantes.

Je reviendrai sur cette tension, après avoir noté les points de convergence ou de rapprochement entre les deux. L’un et l’autre se déroulent sur des territoires proches de l’Union européenne, et non dans de lointains confins ; l’un et l’autre sont rythmés par des accusations croisées de génocide ; l’un et l’autre se déploient sous la conduite de leaders poursuivis par la Cour pénale internationale (CPI), à l’exception du président Zelensky ; dans l’un et l’autre, de façon toutefois inégale, la thématique humanitaire tient une place de premier plan ; l’un et l’autre, enfin, produisent des confrontations politiques fortes, de nature et d’échelles différentes, mais inédites par leur intensité, du moins si l’on en juge par leur présence dans les discours électoraux et leur retentissement public.

Voilà qui semblait suffisant aux éditeurs de ce numéro pour proposer de croiser les regards d’acteurs humanitaires et d’observateurs sur ces deux conflits-là, plutôt que, par exemple, entre l’Afghanistan et le Myanmar, ou même entre le Soudan et l’Éthiopie, conflits très meurtriers.

Politique et humanitaire : la confusion

Commençons par constater le flou et l’ambiguïté des notions entrecroisées de solidarité politique et d’assistance humanitaire, présentes dans les deux situations. « Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, lit-on sur le site Toute l’Europe, l’Union européenne a toujours affiché son soutien au pays. Financières, humanitaires et militaires, les différentes aides comptent pour plus de 143 milliards d’euros[1]Boran Tobelem, « Guerre en Ukraine : quels sont les montants des aides de l’Union européenne depuis 2022 ? », site Internet Toute l’Europe, 4 juin 2024, … Continue reading ». Sont associés ici divers types d’assistance, en un ensemble apparemment homogène où les fonds qui ne sont pas d’ordre budgétaire ou militaire sont classés humanitaires (protection civile, déplacés et réfugiés). Comme dans d’autres circonstances, l’aide civile fournie au titre du soutien politique est qualifiée d’humanitaire, retirant ainsi à celle-ci son attribut principal, celui d’être non-partisane. Nous verrons que cela n’est pas un détail.

Les exemples ne manquent pas, au cours de l’histoire récente, dans lesquels l’humanitaire est assujetti à une cause politique dès lors qu’il vient en aide à une population victime d’un pouvoir que l’on combat. Ainsi Laurent Fabius, lors d’une visite en Jordanie en août 2012, déclarait-il :

« La position de la France est claire : nous pensons que Bachar el-Assad est le bourreau de son propre peuple, qu’il doit partir, que le plus tôt sera le mieux et qu’il faut mener des actions politiques […], des actions militaires, c’est ce que font les résistants sur le terrain et des actions humanitaires. Les deux types d’actions ne sont pas contradictoires. Tout cela est complémentaire et nous aidons la population syrienne, en particulier l’opposition, notamment à travers les réseaux locaux, qu’il s’agisse de celui des médecins ou d’autres. Il y a aussi d’autres actions évidemment secrètes[2]Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, sur la situation en Syrie notamment la question des réfugiés, au camp de Zaatari (Jordanie), 16 août 2021, … Continue reading»

Remplaçons « el-Assad » par « Netanyahou », « population syrienne » par « population palestinienne », et l’on imagine les effets produits par une telle confusion de notions. S’il va de soi qu’un gouvernement procède par nature à des choix et des alliances politiques, ce devrait précisément être une affirmation de ses choix que de qualifier les divers compartiments de son aide par les termes qui conviennent. Il ne s’agit pas ici de s’en prendre à la couverture humanitaire d’opérations armées clandestines, comme l’ont fait les États-Unis de Reagan pour dissimuler leur soutien à l’opposition armée au Nicaragua[3]Françoise Bouchet-Saulnier, Dictionnaire pratique du droit humanitaire, Éditions La Découverte, 2013, p. 605., mais plus prosaïquement à une facilité de langage qui abolit toute distinction entre diverses formes d’aide et de solidarité. Il s’agit surtout de rappeler qu’une équipe humanitaire n’est pas supposée s’installer dans un pays avec un programme de soutien politique, ce que laisse entendre a contrario la déclaration du ministre français des Affaires étrangères. Notons que c’est bien souvent ce qu’attendent également – et c’est bien compréhensible – nos interlocuteurs sur les terrains de guerre et d’occupation, ce qui est bien le cas des deux conflits traités ici.

Un « droit de se défendre » à géométrie variable

J’ai indiqué plus haut ce qui justifiait le thème de ce dossier, à savoir ce que les guerres d’Ukraine et de Gaza avaient en commun. Il est temps d’ajouter une qualification non plus descriptive mais critique, celle que résume la formule « deux poids, deux mesures », pour caractériser le traitement politique de ces deux conflits par les gouvernements occidentaux. L’occupation militaire et l’annexion de territoires par la force – traits communs à la Russie et à Israël dans ces deux situations – suscitent des réactions occidentales diamétralement opposées : dans un cas, le droit de se défendre revient, comme il se doit, à la partie victime de l’occupation, l’Ukraine, et l’occupant russe est sanctionné ; dans l’autre cas, c’est à l’occupant israélien qu’est accordé le droit de se défendre, assorti ici et là d’appels à faire preuve de retenue sans que soient rappelés son statut d’occupant, ses obligations de protection et d’assistance, tout comme le droit de résistance de la partie occupée.

Précisons : il n’est pas question ici de justifier les atrocités commises par le Hamas le 7 octobre 2023 à l’encontre de civils israéliens. Il s’agit d’un crime de masse, d’actes de terreur. Pour autant, cette attaque injustifiable n’est pas inexplicable. Comme l’a dit le Secrétaire général des Nations unies, elle « n’est pas arrivée dans le vide », mais après des décennies « d’occupation suffocante »[4]Libération et AFP, « Le chef de l’ONU juge que l’attaque du Hamas n’est pas “arrivée dans le vide” provoquant la colère d’Israël », 24 octobre 2023, … Continue reading.

La ferme condamnation de l’attaque du 7 octobre relève de la décence la plus élémentaire, de même que devrait relever de la même élémentaire décence la reconnaissance du contexte dans lequel elle est survenue.

La ferme condamnation de l’attaque du 7 octobre relève de la décence la plus élémentaire, de même que devrait relever de la même élémentaire décence la reconnaissance du contexte dans lequel elle est survenue. Les milliers de prisonniers détenus sans charges, la pratique légalisée de la torture, les expulsions, vols de terres (2370 hectares depuis le 7 octobre), agressions constantes par des colons en Cisjordanie, les guerres successives et le blocus de Gaza, les milliers de morts et de blessés, voilà ce qui constitue le « contexte ». L’histoire israélo-palestinienne ne débute pas le 7 octobre 2023 à 6 h 30, cela devrait tomber sous le sens. Pourtant, évoquer cette réalité – non comme une circonstance atténuante, mais comme un ensemble de faits éclairants – reviendrait à cautionner le terrorisme, si l’on en croit ce qui se dit en boucle sur les plateaux de chaînes d’information continue.

Rien à voir, donc, avec l’unanimisme humanitaire concernant la guerre d’Ukraine. Dans une étude sur ce sujet, le Danish Institute for International Studies (DIIS) note qu’« un certain nombre d’humanitaires expérimentés ont indiqué ne jamais avoir travaillé dans un contexte où les intérêts géopolitiques, les préférences des bailleurs et les mécanismes de financement étaient aussi étroitement alignés[5]Jethro Norman, “Humanitarian principles are under fire in Ukraine”, Danish Institute for International Studies, Policy Brief, 21 February 2024, … Continue reading ».
Plus loin, analysant les conditions de sécurité des organismes de secours proches de la ligne de front, l’auteur relève une pratique qui vaudrait une exécution médiatique immédiate à quiconque songerait à la transposer à Gaza, où tout déplacement est sujet à autorisation de l’armée (et n’est pas sûr pour autant) :

« Des témoignages d’organisations affiliées à l’USAID [U.S. Agency for International Development, l’agence des États-Unis pour le développement international, NDLR] suggèrent un profil de risque accru et même un ciblage direct. […] Cela a donné lieu à un débat parmi les organisations non gouvernementales (ONG) concernant le marquage des véhicules et les tenues vestimentaires dans les zones de conflit. De nombreux groupes de volontaires ont choisi de peindre leurs véhicules, y compris les ambulances, aux couleurs militaires afin de se fondre dans la masse près des lignes de front. Ils portent également des tenues qui ressemblent à des vêtements militaires, en partie pour se fondre dans la masse et en partie parce que cela impressionne. »

Les choix qu’ont fait en Ukraine ces organisations non gouvernementales (ONG) locales, pour critiquables qu’ils puissent sembler au regard des principes de la Croix-Rouge – et sans doute aussi du point de vue de la pertinence et de la sécurité –, n’ont rien de choquant en eux-mêmes. Revêtir une tenue camouflée, circuler en véhicules banalisés pour porter assistance dans une zone de combat, cela se justifie au nom de l’efficacité dans des conditions données. Après tout, que faisaient d’autre Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde ou Solidarités en Afghanistan dans les années 1980 ?

Entre solidarité politique et engagement humanitaire, la frontière peut être floue, mettant en difficulté les tenants d’une action humanitaire encadrée par les principes d’impartialité et de neutralité. D’autant que, dans l’une et l’autre de ces guerres, les ONG sont à pied d’oeuvre d’un seul côté. Il ne s’agit pas ici de juger cette façon de faire, mais plutôt de constater que l’aide aux Ukrainiens n’a fait l’objet d’aucune discussion publique : les secouristes sont alignés sur les positions occidentales, ils sont du « bon côté », donc hors de portée de toute critique. L’analyste danois se contente de souligner que les principes de neutralité et d’impartialité sont mis à rude épreuve dans ce conflit.

Un droit de critique à sens unique ?

C’est sans doute du côté des organisations de défense des droits humains que la polarisation politique apparaît le plus crûment. Le 4 août 2022, après plusieurs communiqués et rapports détaillés sur les crimes de guerre russes, Amnesty International (AI) publiait un communiqué « Ukraine : les tactiques de combats ukrainiennes mettent en danger la population civile »[6]Amnesty International, Ukraine : les tactiques de combats ukrainiennes mettent en danger la population civile, communiqué de presse, 4 août 2022, … Continue reading. C’est en effet à l’occasion d’un rapport sur l’action des forces militaires russes que l’association documentait notamment comment :

« Les forces ukrainiennes mettent en danger la population civile en établissant des bases et en utilisant des systèmes d’armement dans des zones résidentielles habitées, notamment des écoles et des hôpitaux, lors des opérations visant à repousser l’invasion russe qui a débuté en février. Ces tactiques de combat violent le droit international humanitaire et mettent gravement en danger la population civile, car elles transforment des biens de caractère civil en cibles militaires. Les frappes russes qui en ont résulté dans des zones habitées ont tué des civils et détruit des infrastructures civiles.[7]Idem. »

Insistons sur le fait que les crimes de guerre commis par les Russes avaient été abondamment documentés et dénoncés par AI, dont l’enquête de terrain avait à plusieurs reprises été confrontée aux installations militaires évoquées dans le communiqué. Fallait-il taire ces manquements au droit international humanitaire (DIH) ? C’est manifestement ce qu’auraient attendu nombre de chroniqueurs, si l’on en juge par la campagne de dénigrement qui s’est abattue sur l’ONG à la suite de cette déclaration. Le président Zelensky lui-même avait ouvert le feu, si l’on ose dire, en accusant dès le lendemain AI de « tenter d’amnistier l’État terroriste » de Russie, et de « mettre sur un pied d’égalité agresseur et agressé »[8]Marianne Lecach avec AFP, « Guerre en Ukraine : pour Zelensky, Amnesty International “tente d’amnistier l’État terroriste” de Russie », Le Journal du Dimanche, 5 août 2022, … Continue reading, voire de « transférer la responsabilité de l’agresseur à l’agressé »[9]RFI, Ukraine : Volodymyr Zelensky répond aux accusations d’Amnesty International, 5 août 2022, … Continue reading. On ne reprochera pas à un chef d’État de défendre son armée, mais il n’est que juste de souligner le caractère outrancier et infondé de cette critique. Rappelons que, par sa nature même et par définition, le DIH ne fait pas de différence entre les belligérants, ne juge pas qui a tort ou raison, qui agresse et qui est agressé. Son rôle se borne à encadrer les méthodes de guerre, afin d’en bannir les excès de cruauté[10]Pour une analyse critique de cette ambition, lire Rony Brauman, « À quoi sert le droit humanitaire ? », Annuaire Français des Relations Internationales, vol. XX, 2019, … Continue reading.

Si le chef d’État ukrainien était dans son rôle en l’occurrence, on ne peut en dire autant des chroniqueurs et intervenants médiatiques qui prirent son parti en noyant les faits incriminés sous un flot de propos soupçonneux, voire insultants. Il en va ainsi de ce tweet de Bernard-Henri Lévy, que bien d’autres auraient pu rédiger : « Accuser l’Ukraine d’opérer depuis des zones civiles ? C’est comme reprocher aux résistants français de se battre dans les rues de Paris en août 1944. Mélange de stupidité et de cynisme. Renvoyer dos à dos agresseurs et agressés. Jouer le jeu de Poutine. On en est là. Immonde »[11]Bernard-Henri Lévy, tweet du 4 août 2022, https://twitter.com/BHL/status/1555210902936473600. Où l’on constate que, selon que l’on se trouve en Ukraine ou en Palestine, la population civile ne se définit pas à l’identique.

Deux guerres diamétralement opposées

Le bilan humain de la guerre d’Ukraine n’est pas précisément connu, les chiffres de morts et blessés militaires étant tenus secrets des deux côtés. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme a publié en août 2024 un bilan des victimes civiles depuis février 2022 : plus de 11 000 morts et 22 000 blessés. Le nombre de combattants tués se situe, selon des estimations prudentes, entre 42 000 et 80 000 du côté ukrainien et le double dans les armées russes[12]Ned Garvey avec Meduza, “Dueling claims on Ukrainian losses. What we know”, 29 February 2024, https://meduza.io/en/feature/2024/02/29/dueling-claims-on-ukrainian-losses. Ces chiffres procèdent d’estimations diverses d’experts militaires, non de décomptes, et sont donc à prendre avec recul, mais ils indiquent un ordre de grandeur total, probablement minimum, de deux cent mille morts et deux à trois fois plus de blessés.

Le bilan humain de la guerre de Gaza est, lui aussi, approximatif. On dénombre 41 000 morts en septembre 2024, selon le ministère de la Santé palestinien, auxquels s’ajoutent les victimes ensevelies sous les décombres et non recensées, ainsi que les victimes indirectes, mortes ou menacées de mort imminente faute de soins. Si l’on rapportait ces chiffres à la population de l’Ukraine, vingt fois supérieure, la mortalité directe infligée à la population de Gaza avoisinerait le million de morts.

Côté israélien, toujours en septembre 2024, aux 1200 victimes de l’attaque du 7 octobre (400 militaires et policiers, 800 civils tués, 5200 blessés) s’ajoutent 350 morts et 2300 blessés militaires[13]Statista, Israël / Territoires palestiniens : nombre de morts et de blessés en raison de l’attaque du Hamas contre Israël et des contre-attaques d’Israël dans la bande de Gaza et en … Continue reading. Le même exercice de comparaison rapportée à la population ukrainienne, quatre fois plus importante, conduirait aux chiffres de 6000 morts et 30 000 blessés israéliens. Tel est le bilan comparatif pour le moins contrasté des pertes humaines entre ces deux conflits, montrant d’une part la disproportion des pertes israéliennes et palestiniennes, et d’autre part un rapport inversé entre morts civils et combattants : trois quarts de soldats en Ukraine, trois quarts de civils – dont plus de 10 000 femmes et 20 000 enfants – à Gaza.

« Pour les humanitaires d’ONG, ces deux guerres sont diamétralement opposées. »

Pour les humanitaires d’ONG, ces deux guerres sont diamétralement opposées. Les besoins d’assistance sont immenses à Gaza, en raison de la destruction méthodique des infrastructures publiques – notamment les hôpitaux –, de l’enfermement territorial et du déracinement de la quasi-totalité de la population. Ils sont limités à des niches en Ukraine, où les autorités disposent de ressources importantes, d’infrastructures majoritairement intactes, d’un vaste territoire offrant une sécurité aux réfugiés internes, et de voisins alliés accueillant près de six millions de réfugiés. Non que la guerre soit propre en Ukraine – les nombreux crimes de guerre russes sont effroyables –, mais c’est à une entreprise génocidaire que sont confrontés les Palestiniens dont l’intégralité des conditions d’existence est en cours de destruction accélérée. Médecins, secouristes, journalistes y ont été tués par centaines, comme dans aucune autre guerre ces cinquante dernières années.

D’autres conflits font rage, notamment au Soudan, en Éthiopie, en République démocratique du Congo, mais aucun des belligérants ne se voit accorder, par des États occidentaux toujours prompts à rappeler l’importance du droit, un permis implicite de tuer en masse une population prisonnière. À l’exception d’Israël, en effet, aucun État pratiquant l’apartheid, la colonisation, et engagé dans des actes génocidaires caractérisés, n’est gratifié du titre de démocratie, ni ne reçoit un tel appui militaire, diplomatique et économique, rendant possible la poursuite de sa politique d’écrasement. Dans aucune autre situation analogue, on ne voit des personnes dénonçant des crimes majeurs et appelant à y mettre fin se retrouver soupçonnées, voire accusées, d’incitation à la haine raciale.

« Ce ne sont ni le droit international ni les principes humanitaires qui sont enfouis sous les décombres des bombardements israéliens, mais ce qui restait de légitimité aux États occidentaux à affirmer en être les défenseurs. »

En Ukraine, le témoignage des humanitaires va dans le sens des vents dominants. Dénonçant, à juste titre, les exactions russes, ils apportent cependant peu aux informations fournies par les journalistes, et s’inscrivent dans le partage occidental du bien et du mal, du juste et de l’injuste.

À Gaza, il en va tout autrement. Ce ne sont ni le droit international ni les principes humanitaires qui sont enfouis sous les décombres des bombardements israéliens, mais ce qui restait de légitimité aux États occidentaux à affirmer en être les défenseurs.

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References

References
1 Boran Tobelem, « Guerre en Ukraine : quels sont les montants des aides de l’Union européenne depuis 2022 ? », site Internet Toute l’Europe, 4 juin 2024, https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/guerre-en-ukraine-quels-sont-les-montants-des-aides-de-l-union-europeenne-depuis-un-an
2 Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, sur la situation en Syrie notamment la question des réfugiés, au camp de Zaatari (Jordanie), 16 août 2021, https://www.vie-publique.fr/discours/185700-laurent-fabius-16082012-situation-en-syrie-refugies-syriens
3 Françoise Bouchet-Saulnier, Dictionnaire pratique du droit humanitaire, Éditions La Découverte, 2013, p. 605.
4 Libération et AFP, « Le chef de l’ONU juge que l’attaque du Hamas n’est pas “arrivée dans le vide” provoquant la colère d’Israël », 24 octobre 2023, https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/le-chef-de-lonu-juge-que-lattaque-du-hamas-nest-pas-arrivee-dans-le-vide-provoquant-la-colere-disrael-20231024
5 Jethro Norman, “Humanitarian principles are under fire in Ukraine”, Danish Institute for International Studies, Policy Brief, 21 February 2024, https://www.diis.dk/en/research/humanitarian-principles-are-fire-in-ukraine
6 Amnesty International, Ukraine : les tactiques de combats ukrainiennes mettent en danger la population civile, communiqué de presse, 4 août 2022, https://www.amnesty.fr/actualites/ukraine-les-tactiques-de-combats-ukrainiennes-mettent-en-danger-la-population-civile
7 Idem.
8 Marianne Lecach avec AFP, « Guerre en Ukraine : pour Zelensky, Amnesty International “tente d’amnistier l’État terroriste” de Russie », Le Journal du Dimanche, 5 août 2022, https://www.lejdd.fr/International/guerre-en-ukraine-pour-zelensky-amnesty-international-tente-damnistier-letat-terroriste-de-russie-4126738
9 RFI, Ukraine : Volodymyr Zelensky répond aux accusations d’Amnesty International, 5 août 2022, https://www.rfi.fr/fr/europe/20220805-ukraine-volodymyr-zelensky-r%C3%A9pond-aux-accusations-d-amnesty-international
10 Pour une analyse critique de cette ambition, lire Rony Brauman, « À quoi sert le droit humanitaire ? », Annuaire Français des Relations Internationales, vol. XX, 2019, https://msf-crash.org/fr/guerre-et-humanitaire/quoi-sert-le-droit-humanitaire
11 Bernard-Henri Lévy, tweet du 4 août 2022, https://twitter.com/BHL/status/1555210902936473600
12 Ned Garvey avec Meduza, “Dueling claims on Ukrainian losses. What we know”, 29 February 2024, https://meduza.io/en/feature/2024/02/29/dueling-claims-on-ukrainian-losses
13 Statista, Israël / Territoires palestiniens : nombre de morts et de blessés en raison de l’attaque du Hamas contre Israël et des contre-attaques d’Israël dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, depuis le 7 octobre 2023 au 11 septembre 2024, 13 septembre 2024, https://fr.statista.com/statistiques/1423795/guerre-israel-territoires-palestiniens-nombre-morts-et-blesses

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