Publié le 6 décembre 2024
Quid de la solidarité internationale dans un monde à +2°C ? C’est en partant de cette question que le Groupe URD a organisé, le 4 juin dernier, en partenariat avec Alternatives Humanitaires, une conférence réunissant une cinquantaine de participant·es (organisations non gouvernementales, bailleurs de fonds, collectivités territoriales et scientifiques). De quoi prendre conscience des défis auxquels les actrices et acteurs de terrain devront savoir s’adapter dans les années à venir.
Thermomètre atteignant des sommets encore jamais vus en Inde, méga-feux au Canada, en France la région du Nord-Pas-de-Calais en proie à des inondations à répétition, coulées de boue meurtrières en Afghanistan… La planète chauffe, les catastrophes climatiques se multiplient, et tendent encore à s’accentuer (+ 800 % des besoins financiers humanitaires liés à des catastrophes climatiques extrêmes au cours des deux dernières décennies, selon Oxfam[1]https://www.oxfam.org/fr/communiques-presse/800-daugmentation-des-besoins-financiers-humanitaires-lies-des-catastrophes). Avec, toujours – et de plus en plus souvent – en première ligne, des populations déjà grandement vulnérables : si environ 200 millions de personnes ont déjà subi les conséquences des catastrophes d’origine naturelle, 3,6 milliards vivent actuellement dans des zones estimées très sensibles au changement climatique. Sur le terrain, l’impact du phénomène se fait également sentir pour les acteurs de la solidarité, « qui sont déjà à flux tendu et manquent de plus en plus souvent de fonds », rappelle ainsi Jérôme Faucet, chargé de recherche, de formation et d’évaluation, et référent « Adaptation » pour le Groupe URD. Il faisait partie de la dizaine d’intervenant·es qui se sont succédé à la tribune. Toujours selon Jérôme Faucet, « pour prendre en compte ces effets de cascade, nous allons devoir apprendre à agir autrement, à changer plus vite et tout le temps, tout en intervenant potentiellement dans de nouvelles régions, y compris en France. La question est donc de savoir si cela est possible, et surtout comment ». C’est, de fait, sur ces questions que se sont penché·es les participant·es à cet événement pensé par le Groupe URD, en partenariat avec Alternatives Humanitaires, le 4 juin 2024 à l’Académie du Climat, à Paris. L’idée : rassembler, prendre le temps d’échanger, se projeter, et partager connaissances et bonnes pratiques déjà expérimentées ou en passe de l’être.
Un nécessaire changement de prisme
Pionnier en la matière, le mouvement Croix-Rouge et Croissant-Rouge développe depuis les années 2010 de nouvelles approches et outils en matière d’adaptation au changement climatique. En témoignent, notamment, sa préparation aux urgences, des actions anticipatoires[2]L’action anticipatoire désigne les mesures prises pour réduire les impacts humanitaires d’un danger prévu avant qu’il ne se produise, ou avant que ses effets les plus aigus ne se … Continue reading, ou encore des programmes de financements basés sur des prévisions intégrant les tendances climatiques. Dans un registre similaire, le marqueur de résilience climatique imaginé par l’organisation non gouvernementale (ONG) CARE a évolué pour mieux se plier aux aléas. Approche simplifiée, sensibilisation aux impacts, prise en compte plus explicite de ces problématiques dans l’évaluation des projets : cette ONG propose désormais des critères d’analyse et des indicateurs plus solides afin de jauger le degré d’intégration de la résilience climatique sur le terrain, via un système de notation. Une vision de plus en plus nécessaire, alors que le Programme des Nations unies pour l’Environnement a pointé du doigt dans un rapport[3]Programme des Nations unies pour l’Environnement, « Rapport 2023 sur le déficit de l’adaptation au climat », 2 novembre 2023, … Continue reading le déficit d’adaptation au climat, en matière de planification, d’orientation et de financement des investissements. La question de la « maladaptation », elle aussi, se pose de plus en plus souvent. Traduction : nombre de projets lancés pour réduire la vulnérabilité au changement climatique ont un impact négatif sur d’autres systèmes, secteurs ou groupes sociaux. « Il est aujourd’hui incohérent d’entrevoir un projet en ne répondant qu’à des solutions à l’instant T sans penser aux besoins ou conséquences à plus long terme. C’est un peu le cas du réservoir d’eau que l’on installe, mais pour lequel on n’a pas pris en compte la forte évolution des variations saisonnières. Certes, il y des bonnes pratiques qui émergent, mais cela reste encore trop anecdotique », poursuit Jérôme Faucet.
Données clés
Selon la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, près de 110 millions de personnes dans le monde étaient dans le besoin d’une aide humanitaire à cause du réchauffement ou des catastrophes climatiques en 2018. Un chiffre qui pourrait atteindre 150 millions d’ici 2030, et 200 millions d’ici 2050.
Le réchauffement moyen de +2 à 2,5°C prévu sur la planète rendra inhabitable plusieurs régions très peuplées d’ici 2070 (pourtour méditerranéen, Inde, péninsule indochinoise, nord de l’Australie, une partie du Mexique, des États-Unis et du bassin amazonien).
En 2100, plusieurs zones (Amazonie, Afrique tropicale, Asie du sud-est, Inde…) connaîtront des chaleurs potentiellement mortelles plus de 300 jours chaque année.
S’unir plus pour agir mieux
Autre piste clef, la coopération entre les divers intervenant·es apparaît également comme incontournable. Actrices et acteurs des secteurs de l’humanitaire et de l’environnement se doivent en effet, pour trouver des solutions bénéfiques, de travailler avec les organisations de la société civile locale. Appels à projets conjoints, appropriation des Solutions Fondées sur la Nature (SFN), utilisation des sciences sociales et savoir locaux, etc. : pour plus d’efficacité, l’inclusion s’avère primordiale. « Cela implique que les ONG, mais aussi les donneurs et bailleurs de fonds, prennent plus de risques », appuie Jérôme Faucet, en rappelant l’intérêt de rendre le financement climatique plus accessible et équitable – notamment en intégrant les considérations d’égalité des genres dans ses mécanismes – tout en donnant la priorité aux régions touchées par les conflits ainsi qu’aux communautés marginalisées. Plus que de simples adaptations techniques et programmatiques, le changement climatique bouleverse la façon de faire d’une aide internationale plus que jamais à l’aube d’un incontournable virage, aussi collectif que radical. L’heure de la transformation a définitivement sonné.
« Aller vers une transformation profonde »
Trois questions à Véronique de Geoffroy, directrice générale du Groupe URD
En quoi le changement climatique influe sur la solidarité internationale ?
C’est un fait : le nombre de catastrophes naturelles et de déplacements de populations liés au climat explose. Cela pose des questions sur les capacités de réponses et leurs modalités. Je pense que le secteur de la solidarité est arrivé aux limites de son propre système. Plus qu’une évolution, c’est une métamorphose qui est nécessaire, pour ne pas s’enfermer sur le seul sujet des secours. L’humanitaire doit trouver sa juste place dans un environnement où les acteurs – dont certains sont bien plus experts sur les questions d’adaptation au changement climatique – sont désormais multiples. Les impacts organisationnels ? Il est aujourd’hui de plus en plus urgent de mieux anticiper les actions, de mieux les préparer, ce qui est particulièrement difficile quand on est pris dans le quotidien de la réponse aux crises. En d’autres termes, de prendre de la hauteur. Tout cela est possible si on s’entoure des bons partenaires… Les enjeux varient d’un territoire à l’autre, et il y a toujours, sur place, des expertises sur lesquelles s’appuyer.
Quelles sont les bonnes pratiques qu’il vous semble intéressant de décliner ?
Là encore, les réponses varient en fonction des zones d’intervention. On constate tout de même de nombreuses expérimentations en matière d’agroécologie, d’analyse des risques et de préparation communautaire, de culture vivrière inspirée de méthodes ancestrales, avec l’idée de diversifier les risques afin d’être plus résilients face aux aléas. Ce sont des pistes parmi d’autres. De façon plus globale, je crois beaucoup à l’intérêt, pour les humanitaires, de travailler avec les acteurs du développement, de la préservation des écosystèmes et de l’environnement. Ces ponts sont encore à construire. Une forme de plaidoyer pour une justice climatique plus engagée est aussi nécessaire. Et même si certains acteurs de terrain pensent que cela n’est pas leur rôle, ils doivent, à mon sens, du fait de leur place de témoin en première ligne des effets du changement climatique sur les populations les plus fragiles, y participer.
Un moment d’échange comme celui proposé par le Groupe URD en juin dernier pourrait-il faire bouger les lignes ?
Ce rendez-vous a au moins le mérite d’avoir permis aux acteurs de terrain de se donner le temps qu’ils n’ont que rarement pour prendre du recul et réfléchir. Les bailleurs de fonds, eux, commencent à se pencher sérieusement sur le besoin d’anticiper le changement climatique. Il y a un corpus de connaissances qui se construit, des opportunités de travailler différemment, des prises de position et des façons de faire qui évoluent. Il est temps d’accélérer.
Propos recueillis par Damien Guillou