Rôle de l’agroécologie face aux enjeux alimentaires

Caroline Broudic
Caroline BroudicCo-fondatrice du bureau d’étude GéoEco Alternatives, Caroline Broudic, socio-économiste de formation, a près de trente années d’expérience sur les enjeux liés à l’agriculture et à l’alimentation. Son expertise porte sur les aspects politiques, économiques, sociaux et écologiques de la question alimentaire, abordée dans des contextes aussi bien d’urgence (conflits, catastrophes naturelles…) que de « développement ». Son sujet de prédilection : l’agroécologie dans la réflexion comme dans la pratique d’une approche respectueuse du vivant et outil de transformation sociale. Caroline accorde par ailleurs une attention toute particulière aux problématiques liées au genre dans les domaines de l’agriculture et l’alimentation. Elle participe actuellement à la création d’une association à gouvernance collégiale sur les rapports des humains au vivant.

On parle beaucoup d’agroécologie sans toujours savoir ce que recouvre ce système alternatif de production. C’est ce que nous explique l’autrice, revenant sur les présupposés de plus en plus décriés de la Révolution verte qui fondent toujours en grande partie la conception de la sécurité alimentaire.


En 2015, sous l’égide des Nations unies, la communauté internationale s’était engagée à éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable à l’horizon 2030. Ce deuxième Objectif de développement durable était ambitieux, mais les Nations unies s’appuyaient à l’époque sur une tendance à la baisse des taux d’insécurité alimentaire et nutritionnelle au cours des années précédentes. Force est de constater que non seulement l’objectif ne sera pas atteint dans six ans, mais, plus grave encore, que la situation alimentaire et nutritionnelle mondiale n’a cessé de se dégrader depuis 2015.

Un système actuel basé sur des postulats dépassés

Les systèmes agricoles et alimentaires actuels hérités de la « Révolution verte » sont désormais crédités d’importants impacts négatifs. Fondée sur l’intensification des productions agricoles à travers la mécanisation, le développement de l’irrigation et l’usage à large échelle de variétés de céréales à hauts potentiels de rendement et d’intrants de synthèse, cette politique a contribué à la dégradation des écosystèmes, à la pollution des sols, de l’eau et de l’air, à la perte massive de biodiversité et aux inégalités économiques et sociales. Les coûts cachés (écologiques, sociaux, économiques) des systèmes agroalimentaires ont en effet été estimés à 12 700 milliards d’USD en 2020, soit l’équivalent de 10 % du PIB mondial[1]FAO, Les coûts cachés de l’agroalimentaire, 2024, https://www.fao.org/interactive/state-of-food-agriculture/fr/?fbclid=IwAR2zoQqJwtFYGmcxdhod_JFeCVwf3H0ca6qGG8Eei6-3IwlBAAHSzPeg6bA.

La conception de la sécurité alimentaire et de l’agriculture portée par les organisations internationales et par les grandes organisations non gouvernementales (ONG) internationales  s’inspire en grande partie de cet héritage. Elle repose en effet sur la maximisation des rendements, partant du postulat qu’accroître la production améliorerait la disponibilité et contribuerait mécaniquement à la réduction des prix des produits alimentaires pour les rendre plus accessibles. Ce postulat est en cela le reflet des politiques et stratégies agricoles des pays occidentaux depuis les années 1950. Or, cette conception dominante de la sécurité alimentaire est problématique à plus d’un titre.

Elle repose en effet sur une vision simpliste et réductrice des systèmes agricoles et alimentaires. Axée sur quelques productions, de préférence en lien avec le marché, elle ne reflète ni la diversité ni la complexité des modèles paysans et/ou autochtones. Elle évacue cette complexité en invisibilisant ou en minimisant des pans entiers de l’économie alimentaire des populations rurales en actant un principe selon lequel ce qui ne serait pas quantifiable n’existerait pas. C’est le cas, par exemple, des jardins nourriciers (ou « jardins de case ») dont le rôle dans l’alimentation des familles est largement sous-estimé, ou de l’occultation pure et simple de la cueillette de fruits ou de plantes sauvages. Dans un autre registre, cloisonner des activités comme la production agricole et l’élevage – alors qu’ils font partie d’un même système agricole – est une aberration économique, culturelle, sociale et écologique. Cette approche, résultat d’une dérive basée sur la spécialisation, est en cela déconnectée de la réalité des modes de vie ruraux où la polyculture-élevage prédomine.

Par ailleurs, cette conception de la sécurité alimentaire est porteuse d’un héritage colonial qu’elle perpétue à travers l’idéologie qui la structure. Elle est en effet construite sur des présupposés méprisants, voire racistes, d’une prétendue ignorance et incompétence des populations rurales du Sud. Les organisations internationales poursuivent ainsi la « mission civilisatrice » des pays occidentaux en prétendant éduquer les populations « aux bonnes » pratiques agricoles, nutritionnelles et hygiénistes. La répétition des mêmes activités de sensibilisation durant des années est rarement questionnée puisque la responsabilité de l’échec est systématiquement imputée à l’ignorance des populations elles-mêmes. Par l’effet d’un tel raisonnement circulaire, l’échec en vient même à justifier l’activité. La supposée incompétence des populations rurales se nourrit du mépris et de la dévalorisation des savoirs empiriques au profit d’une approche techniciste. Or, cette perception est en réalité le miroir de l’ignorance du personnel des organisations internationales dont les cadres sont majoritairement issu·es du milieu urbain et n’ont, la plupart du temps, qu’une compréhension partielle et biaisée du monde rural. L’illettrisme des femmes est, par exemple, présenté comme la limite indépassable à leurs connaissances, sans considération d’autres formes de transmission, et surtout en ignorant l’étendue de leurs savoirs dans le domaine des plantes médicinales ou alimentaires, de la foresterie, ou encore des semences.

En outre, le modèle dominant de la sécurité alimentaire a longtemps véhiculé des stéréotypes sexistes sur l’agriculture, en minimisant le rôle des femmes dans la production agricole ou en les assignant à quelques cultures, notamment maraîchères. La prise en compte des problématiques liées au genre a permis de contrecarrer cette vision, reflet de l’invisibilisation des femmes dans le monde agricole occidental. Pour autant, l’argument de l’émancipation des femmes est parfois utilisé pour justifier de vastes programmes de privatisation des terres. En arguant de l’archaïsme de sociétés qui nieraient les droits de propriété foncière des femmes, l’objectif d’organisations internationales telles que la Banque mondiale est de poursuivre l’entreprise coloniale de démantèlement de la propriété collective ou publique. La promotion des droits des femmes légitimerait ainsi la marchandisation des terres en éludant les réalités historiques qui démontrent que ces politiques de privatisation n’ont jamais profité, bien au contraire, aux plus pauvres et encore moins aux femmes[2]Fatiha Talahite, « Pour une économie politique genrée des droits de propriété », Cahiers du Genre, vol. 1, n° 62, mai 2017, p. 19-42.. La sécurité alimentaire et l’égalité entre les hommes et les femmes peuvent ainsi être instrumentalisées pour justifier l’accaparement des ressources naturelles.

Enfin, les organisations promotrices de la sécurité alimentaire entretiennent des relations de plus en plus décomplexées avec le secteur privé, notamment les grandes multinationales de l’agroalimentaire (engrais, semences, produits phytosanitaires, etc.) et d’internet. Le Programme alimentaire mondial ​participe ainsi, depuis 2004, au Forum économique mondial de Davos dans une volonté assumée de développer des partenariats avec le secteur privé. Il est vrai que les systèmes alimentaires, présentés comme un secteur équivalant à 8000 milliards de dollars en 2021, ont de quoi susciter les convoitises. L’agriculture intelligente face au climat est une illustration de cette collusion entre les agences des Nations unies et les acteurs engagés dans le domaine des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information et de la cognition) dont « la volonté [est] d’assujettir les processus naturels aux besoins de l’économie[3]Hélène Tordjman, La croissance verte contre la nature. Critique de l’écologie marchande, Éditions La Découverte, 2021. ». Les partenariats avec le secteur privé se retrouvent également de manière croissante au niveau local sous forme de délégation de services publics, évinçant les collectivités territoriales comme les comités d’usagers. Cette pratique conduit, dans certains cas, à une privatisation souvent synonyme de privation des communs (semences, terres, eau) et interroge sur l’affectation indirecte de subventions publiques à des intérêts privés.

« Les mêmes réponses sont apportées depuis parfois des décennies auprès des mêmes populations sans qu’une amélioration de leur situation alimentaire et économique puisse être observée. »

Et, alors même que ce modèle hégémonique est porté par les agences des Nations unies, les bailleurs de fonds (USAID, l’agence américaine de développement, Union européenne, Banque mondiale…) et – il faut bien le dire – les principales ONG internationales qui interviennent dans le domaine de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, il est un échec. Il se nourrit même de la perpétuation des crises. Preuve en est que les mêmes réponses sont apportées depuis parfois des décennies auprès des mêmes populations sans qu’une amélioration de leur situation alimentaire et économique puisse être observée – quand elle ne s’aggrave pas – et sans que l’absence de résultats remette en question les réponses apportées et les financements alloués. La responsabilité de l’échec est alors imputée à l’incurie des gouvernements, au clientélisme des collectivités locales, ou encore à l’archaïsme de sociétés rurales rétives au changement. Quant à l’exercice des évaluations dites « indépendantes », il est bien trop biaisé[4]Les organisations dont les projets sont évalués sont en effet juges et parties dans le processus d’évaluation : recrutement des consultant·es, partage des informations, validation des … Continue reading pour remettre en question la conception idéologique de l’aide humanitaire ou au développement. S’il n’est jamais exigé de l’agroalimentaire qu’il prouve sa capacité à répondre aux défis agricoles et alimentaires du xxie siècle, il est en revanche attendu en permanence des systèmes alternatifs qu’ils s’y soumettent. C’est le cas pour l’agroécologie dont les preuves scientifiques de l’efficacité face aux principaux enjeux alimentaires (changement climatique, dégradation des sols, compétition sur les ressources en eau et forestière, inégalités sociales) abondent pourtant aujourd’hui[5]HLPE, Approches agroécologiques et autres approches novatrices pour une agriculture et des systèmes alimentaires durables propres à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition, Rapport du … Continue reading.

L’agroécologie comme contre-modèle viable et juste

L’agroécologie est définie à la fois comme un ensemble de pratiques agricoles, un partage des savoirs et un mouvement social. Elle cherche à maintenir la fertilité des sols sur le long terme, à préserver l’équilibre des écosystèmes et à garantir l’autonomie des paysan·nes en promouvant des approches fondées sur la valorisation des processus écologiques et le respect de la diversité. Il est désormais largement admis que les transitions agroécologiques doivent se produire au-delà des seules pratiques agricoles, et qu’elles requièrent aussi des processus de changement social, politique et culturel[6]Omar Felipe Giraldo and Peter M. Rosset, “Agroecology as a territory in dispute: between institutionality and social movements”, The Journal of Peasant Studies, vol. 45, no. 3, 2018, … Continue reading. L’agroécologie implique de fait un changement de paradigme par rapport au modèle dominant de la sécurité alimentaire. Elle nécessite le passage d’une démarche linéaire, sectorialisée et spécialisée à une démarche systémique des systèmes agricoles et alimentaires[7]Emile A. Frison, From uniformity to diversity: A paradigm shift from industrial agriculture to diversified agroecological systems, IPES-Food, June 2016, … Continue reading. Il ne s’agit plus de maximiser les résultats dans une seule dimension (par exemple, les rendements ou les récoltes d’une seule culture) en utilisant des « paquets techniques » standardisés, comme c’est le cas pour le secteur actuellement dominant. L’agroécologie propose au contraire des solutions localement adaptées, identifiées en suivant une démarche adaptative, c’est-à-dire basées sur l’observation, le partage d’expériences et la co-construction entre une pluralité d’acteurs.

« L’agroécologie implique de fait un changement de paradigme par rapport au modèle dominant de la sécurité alimentaire. »

L’originalité du concept de l’agroécologie est qu’il s’est construit sur une double filiation, à la fois dans le travail scientifique nord-américain et dans l’engagement des mouvements sociaux de plusieurs pays d’Amérique latine. L’agroécologie parvient ainsi à rapprocher le domaine scientifique des préoccupations politiques, sociales et sociétales. Les observations faites par plusieurs agronomes et écologues au cours de leurs recherches de terrain latino-américaines les ont incités à construire un modèle alternatif de développement à partir d’une évaluation critique des impacts de la Révolution verte. Le plus connu d’entre eux est Miguel Altieri, agronome d’origine chilienne, enseignant à l’université de Berkeley (Californie) qui définit l’agroécologie comme « l’application de concepts et de principes écologiques à la conception et à la gestion d’agro-écosystèmes durables[8]Miguel A. Altieri, Agroecology: The scientific basis of alternative agriculture, University of Berkeley, 1983 et Agroecology: The science of sustainable agriculture, Westview Press, 1995. ». Autrement dit, il s’agit de s’appuyer sur les régulations naturelles de l’agro-écosystème plutôt que sur les intrants, pour assurer la production agricole sans gaspiller les ressources, en particulier celles qui ne sont pas renouvelables[9]Jean-Marc Meynard, L’agroécologie, un nouveau rapport aux savoirs et à l’innovation, EDP Sciences, 2017.. Le cadre théorique élaboré par ces scientifiques offrira à divers acteurs sociaux déjà engagés dans des pratiques agroécologiques un cadre de référence pour penser une alternative à l’agriculture chimique.

« Les organisations des sociétés civiles de défense des droits des paysan·nes ont joué un rôle central et historique dans la définition de l’agroécologie. »

Les organisations des sociétés civiles de défense des droits des paysan·nes ont joué un rôle central et historique dans la définition de l’agroécologie[10]Allison Loconto and Eve Fouilleux, “Defining agroecology: Exploring the circulation of knowledge in FAO’s Global Dialogue 1”, The International Journal of Sociology of Agriculture and Food, … Continue reading. Cette dernière est étroitement liée à la conception de la souveraineté alimentaire telle que définie par la Via Campesina en 1996[11]Déclaration de Rome de la Via Campesina sur la souveraineté alimentaire (1996)., puis dans la Déclaration de Nyéléni de 2007 et de 2015[12]Le Forum international sur l’agroécologie (Nyéléni, 2015) présente « l’agroécologie comme un élément clef dans la construction de la souveraineté alimentaire ».. Elle met l’accent sur les rapports de domination, en dénonçant notamment le contrôle sur les ressources nécessaires pour produire, transformer et distribuer les aliments exercé par les acteurs de l’agroalimentaire, au détriment des petits producteurs. Pour les organisations des sociétés civiles, l’agroécologie n’est pas un ensemble étroit de techniques agricoles, mais elle est, au-delà des pratiques, une lutte politique qui exige que les populations « remettent en question et transforment les structures de pouvoir dans la société ».

Les années 2000 constituent une étape décisive dans l’évolution de l’agroécologie, qui traduit la prise de conscience grandissante des menaces climatiques et écologiques sur les systèmes agricoles et alimentaires. La notion de transition agroécologique, théorisée par de nombreux auteurs[13]Steve Gliessman, “Transforming food systems with agroecology”, Agroecology and Sustainable Food Systems, vol. 40, no. 3, 2016, pp. 187–189 ; François-Xavier Côte, Emmanuelle … Continue reading, permet de refléter les défis protéiformes auxquels les systèmes agricoles et alimentaires sont aujourd’hui confrontés dans les pays du Nord comme du Sud : urgences environnementales, dérèglements climatiques, inégalités sociales, artificialisation et accaparement des terres et de l’eau, pour n’en citer que quelques-uns.

La conception de l’agroécologie la plus largement partagée aujourd’hui est celle qui repose sur les treize principes proposés en 2019 par le Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle (High Level Panel of Experts –HLPE en anglais)[14]HLPE, Approches agroécologiques et autres approches novatrices…, op. cit.. Sans prétendre à l’exhaustivité, les trois éléments suivants peuvent illustrer la contribution de l’agroécologie à l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

L’autonomie comme élément fondateur

L’autonomie des paysan·nes et des écosystèmes ne constitue pas l’un des treize principes du HLPE, mais il peut être admis que chacun d’entre eux converge vers cet objectif. La recherche d’un équilibre au sein des écosystèmes permet de s’abstraire de l’utilisation d’intrants chimiques et ainsi de limiter sa dépendance au marché. L’agroécologie, en relocalisant et renforçant les pouvoirs de décisions et d’actions des paysan·nes et des citoyen·nes, leur permet de choisir les pratiques et modèles agricoles et alimentaires qui leur conviennent le mieux. L’agroécologie, en défendant les droits d’accès et d’usage au foncier et aux ressources naturelles des populations rurales, notamment les plus marginalisées, contribue à l’autonomisation alimentaire des populations rurales. Elle favorise, en les sécurisant, les investissements réalisés sur les terres (amendements, plantations d’arbres, systèmes d’irrigation, etc.).

La diversité comme contrepoint à la standardisation

La diversité agit sur les pratiques agricoles (cultures sur sol vivant[15]La culture sur sol vivant implique de ne plus travailler le sol et de lui apporter de la matière organique pour stimuler les cycles naturels., association de cultures, végétation naturelle associée aux cultures, agroforesterie, pollinisation…), sur les paysages (bocages, intégration des arbres dans le système agraire, pâturages…), sur les milieux (préservation des écosystèmes tels que les zones humides, les savanes herbacées, les forêts…), sur les cultures (diversité des espèces et variétés, semences paysannes…), sur les régimes alimentaires (produits adaptés localement, saisonniers, diversifiés, nutritifs…) ou encore sur l’organisation sociale et économique (pluralité d’acteurs et d’activités, diversité des marchés dont locaux, contrôle des ressources foncières ou hydriques limitant les risques de concentration et favorisant la concertation entre acteurs). La biodiversité contribue à l’amélioration de la qualité des sols qui elle-même renforce la valeur nutritive des aliments (quinze des dix-huit nutriments essentiels aux plantes sont fournis par les sols, d’après la FAO). La préservation de la biodiversité atténue les risques liés aux changements climatiques, aux attaques de bioagresseurs ou de maladies (notamment liées à l’utilisation de pesticides), et aux crises de natures diverses.

Le «dialogue des savoirs» comme déconstruction d’un modèle hiérarchisé

En considérant les connaissances paysan­nes et autochtones et en les entremêlant à la recherche scientifique, l’agroécologie stimule les dynamiques collectives de création et de partage de connaissances[16]Miguel Altieri, “Agroecology, Small Farms, and Food Sovereignty”, Monthly Review, vol. 61, no. 3, 2009, pp. 102–113.. L’approche se distingue de la vulgarisation agricole par son horizontalité, par le type d’acteurs qu’elle mobilise et les rôles qu’elle leur attribue. Les conseillers agricoles ne sont plus les détenteurs d’un savoir qu’ils transmettent aux paysans, mais se positionnent dans une démarche d’expérimentation collective. Les groupes d’échanges entre paysan·nes jouent un rôle central pour l’apprentissage de solutions innovantes et la diffusion des connaissances de pair à pair se réalise à travers les réseaux de paysan·nes relais ou les organisations paysannes. La recherche-action est ainsi constitutive de l’agroécologie, dans le sens où elle accompagne un changement par une démarche participative alliant pratique et production de connaissances.

L’agroécologie n’est donc pas un simple substrat pour écologiser la sécurité alimentaire, mais une conception décoloniale de l’alimentation. Il est donc important d’en comprendre les fondements pour ne pas vider le concept de sa substance et le réduire à quelques pratiques écologiquement acceptables. L’enjeu est d’autant plus important que l’appropriation du terme par des acteurs aux visions parfois très différentes peut être à la fois un atout et un risque. Quand la recherche de compromis avec les tenants de l’agroalimentaire en vient, par exemple, à tolérer l’utilisation de produits chimiques dans les pratiques agroécologiques, alors même que celle-ci est incompatible avec l’atteinte d’un équilibre au sein de l’écosystème, le risque est fort que l’agroécologie soit dénaturée. La responsabilité des praticien·nes est alors d’en défendre les valeurs émancipatrices et de décons­truire une approche de l’agriculture et de l’alimentation fortement standardisée et idéologisée.

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References

References
1 FAO, Les coûts cachés de l’agroalimentaire, 2024, https://www.fao.org/interactive/state-of-food-agriculture/fr/?fbclid=IwAR2zoQqJwtFYGmcxdhod_JFeCVwf3H0ca6qGG8Eei6-3IwlBAAHSzPeg6bA
2 Fatiha Talahite, « Pour une économie politique genrée des droits de propriété », Cahiers du Genre, vol. 1, n° 62, mai 2017, p. 19-42.
3 Hélène Tordjman, La croissance verte contre la nature. Critique de l’écologie marchande, Éditions La Découverte, 2021.
4 Les organisations dont les projets sont évalués sont en effet juges et parties dans le processus d’évaluation : recrutement des consultant·es, partage des informations, validation des rapports, paiement des honoraires.
5 HLPE, Approches agroécologiques et autres approches novatrices pour une agriculture et des systèmes alimentaires durables propres à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition, Rapport du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition, 17 juillet 2019, https://www.fao.org/fileadmin/templates/cfs/HLPE/reports/HLPE_Report_14_FR.pdf
6 Omar Felipe Giraldo and Peter M. Rosset, “Agroecology as a territory in dispute: between institutionality and social movements”, The Journal of Peasant Studies, vol. 45, no. 3, 2018, pp. 545–564.
7 Emile A. Frison, From uniformity to diversity: A paradigm shift from industrial agriculture to diversified agroecological systems, IPES-Food, June 2016, https://www.ipes-food.org/_img/upload/files/UniformityToDiversity_FULL.pdf
8 Miguel A. Altieri, Agroecology: The scientific basis of alternative agriculture, University of Berkeley, 1983 et Agroecology: The science of sustainable agriculture, Westview Press, 1995.
9 Jean-Marc Meynard, L’agroécologie, un nouveau rapport aux savoirs et à l’innovation, EDP Sciences, 2017.
10 Allison Loconto and Eve Fouilleux, “Defining agroecology: Exploring the circulation of knowledge in FAO’s Global Dialogue 1”, The International Journal of Sociology of Agriculture and Food, vol. 25, no. 2, 2019, pp. 116–137.
11 Déclaration de Rome de la Via Campesina sur la souveraineté alimentaire (1996).
12 Le Forum international sur l’agroécologie (Nyéléni, 2015) présente « l’agroécologie comme un élément clef dans la construction de la souveraineté alimentaire ».
13 Steve Gliessman, “Transforming food systems with agroecology”, Agroecology and Sustainable Food Systems, vol. 40, no. 3, 2016, pp. 187–189 ; François-Xavier Côte, Emmanuelle Poirier-Magona, Sylvain Perret et al., La transition agro-écologique des agricultures du Sud, Éditions Quae, 2019 ; Alexander Wesel, Barbara Gemmill-Herren, Rachel Beznel Kerr et al.,“Agroecological principles and elements and their implications for transitioning to sustainable food systems. A review”, Agronomy for Sustainable Development, vol. 40, no. 6, 2020.
14 HLPE, Approches agroécologiques et autres approches novatrices…, op. cit.
15 La culture sur sol vivant implique de ne plus travailler le sol et de lui apporter de la matière organique pour stimuler les cycles naturels.
16 Miguel Altieri, “Agroecology, Small Farms, and Food Sovereignty”, Monthly Review, vol. 61, no. 3, 2009, pp. 102–113.

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