Déplacés et réfugiés au Cameroun  : une hydre silencieuse

Achille Valery Mengo
Achille Valery MengoDiplômé de l’université de Yaoundé I (master en Histoire des relations internationales), de l’Institut régional des études en sécurité sociale (formation de cadre de développement) et de l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC) où il a obtenu un master en Coopération internationale, action humanitaire et développement durable. Achille Valery Mengo a travaillé plusieurs années comme consultant indépendant en management organisationnel et stratégique des associations de solidarité nationale et internationale. Il est actuellement consultant pour France Volontaires Cameroun et administrateur du blog « Afrik Humanitaires » (http://achillemengo.blogspot.fr/), un espace d’échanges, de débats et d’informations sur les problématiques humanitaires.

Loin de la crise migratoire en Europe, le Cameroun, à l’instar de nombreux autres pays du Sud, connaît une problématique migratoire complexe, au cœur des soubresauts que connaît l’Afrique centrale. Observateur privilégié et connaisseur du tissu associatif local, Achille Valery Mengo lève le voile sur une crise humanitaire à bas bruit, souligne les difficultés des acteurs internationaux et milite pour une reconnaissance plus forte des acteurs locaux, à même d’apporter leur expertise.

Le Cameroun est confronté depuis plusieurs années à une crise humanitaire complexe dans ses régions de l’Est, l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord. L’instabilité politique dans les pays voisins a conduit des centaines de milliers de personnes à s’y réfugier. Ces mouvements de populations, qui se sont accrus en 2014 avec la dégradation de la crise en République centrafricaine, ont été exacerbés par les inondations, la sécheresse et la montée en puissance de la secte terroriste Boko Haram. Les populations centrafricaines, nigérianes et camerounaises sont aujourd’hui durement affectées. L’observation de la réponse apportée à cette situation, de l’augmentation du nombre de réfugiés et des enjeux socio-économiques autour de la question humanitaire soulève des préoccupations sur la problématique des réfugiés au Cameroun. Dans la pers­pective d’y répondre, cette réflexion porte sur l’état des lieux humanitaire, la réponse apportée, les difficultés rencontrées et des propositions pour la rendre plus efficace.

La situation des réfugiés et des déplacés internes au Cameroun

L’accueil des étrangers est une valeur culturelle que l’État camerounais a institutionnalisée en ratifiant des conventions internationales relatives aux réfugiés. La loi du 27 juillet 2005 portant statut des réfugiés au Cameroun légalise cette tradition au plan national et justifie la présence au Cameroun de plusieurs centaines de milliers de personnes fuyant les exactions et les violences dans leurs pays. On rencontre trois grandes catégories de populations affectées : des réfugiés centrafricains, des réfugiés nigérians et des déplacés internes.

Les premières vagues de réfugiés centrafricains au Cameroun sont enregistrées à partir de 2002. La dégradation défini­tive du contexte sécuritaire en République centrafricaine (RCA) survient en 2014 avec les affrontements entre les milices dites « Séléka » et « antibalaka » qui entraînent la fuite des centaines de milliers de Centrafri­cains vers les pays d’Afrique centrale. Le Cameroun en accueille la majorité, soit 253 000 personnes.

Les mouvements de réfugiés nigé­rians vers le Cameroun sont eux dus aux exactions de la secte terroriste Boko Haram. Ce groupe semant la désolation au sud-est du Nigeria a causé la fuite de plusieurs milliers de personnes. Les offensives militaires de ses membres sur le territoire camerounais ayant été repoussées par l’armée du pays, ils procèdent par des attentats kamikazes qui accentuent l’arrivée des réfugiés. Les ressortissants nigérians se trouvent pour la plupart dans le camp de Minawao qui accueille 54  806  personnes sur les 70  658  réfugiés nigérians enregistrés au Cameroun.

Les déplacements des populations camerounaises enfin se concentrent dans la région de l’Extrême-Nord en grande partie du fait des catastrophes naturelles et de l’insécurité. En effet, cette région se caractérise par un niveau de pauvreté élevé, et les populations y sont très vulnérables. Depuis 2012[1]En septembre 2012, les pluies diluviennes ont causé l’inondation de la ville de Maga par les eaux du fleuve Logone ; 7 000 personnes ont dû fuir pour se réfugier dans des villes voisines., des milliers de familles ont été délocalisées par les autorités sur des sites d’accueil aménagés où les conditions de vie demeurent préoccupantes. Déjà très affectées, ces populations ont été replongées dans l’horreur par l’insurrection du groupe Boko Haram à partir de 2014. Dans un contexte sécuritaire volatile, elles ont été victimes de toutes sortes d’exactions. Les déplacements des populations dans cette région se sont accrus ces derniers mois : en avril dernier, l’OIM[2]Organisation internationale pour les migrations-Mali, Rapports de matrice de suivi des déplacements (DTM), n° 3, avril … Continue reading dénombrait 190 591 personnes déplacées. Elles se retrouvent majoritairement dans des familles d’accueil, en location pour certains et en plein air pour une minorité.

Quelle réponse humanitaire?

L’État du Cameroun est le premier acteur concerné. Des mesures militaires ont été prises pour sécuriser non seulement les frontières avec la RCA et le Nigeria, mais des camps ont également été aménagés pour les réfugiés. De nouvelles unités ont été créées au sein de l’armée en 2013 et un important dispositif matériel et humain a été déployé dans les régions de l’Est, du Nord et de l’Extrême-Nord. L’armée veille sur les frontières et couvre toute la zone pour neutraliser les insurgés islamistes. Une Force multinationale mixte (FMM) est opérationnelle dans la zone du bassin du lac Tchad[3]Mise en place sous l’égide de l’Union africaine, la FMM est composée de 8 500 soldats mis à disposition par le Tchad, le Nigeria, le Cameroun, le Niger et le Bénin .. Sur le plan humanitaire, les superficies nécessaires pour l’aménagement des camps de réfugiés ont été octroyées. Un comité interministériel ad hoc chargé de la gestion des situations d’urgence concernant les réfugiés au Cameroun a été mis en place. Les ressources gouvernementales sont également impliquées dans tous les clusters mis en œuvre.

Les capacités techniques des organisations humanitaires internationales réparties au sein de ces différents clusters couvrent l’essentiel de la réponse humanitaire. Sous l’autorité du HCR et des organisations onusiennes, une vingtaine d’ONG comme Action contre la Faim, Médecins Sans Frontières, Solidarités International, International Medical Corps, mais aussi la Croix-Rouge française ont déployé leurs équipes dans les quatre régions concernées par la crise. Ces partenaires internatio­naux effectuent un travail de renforcement des capacités des acteurs locaux, des aspects capitaux de la dynamique humanitaire (l’information, la planification de la réponse, les financements des actions).

D’après l’Office de coordination des affaires humanitaires (OCHA), six ONG nationales sont engagées dans la réponse humanitaire, en situation de sous-traitance auprès des organisations onusiennes. Ces acteurs locaux œuvrent dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de la sanitation et sont déployés dans les quatre régions affectées. Cette présence reste néanmoins insuffisante et interroge la politique humanitaire du Cameroun. Selon nous, il s’agit moins d’une question de capacité des acteurs locaux que de l’illustration d’une politique nationale qui ne tient pas compte du rôle que peut jouer la société civile dans une crise de cette ampleur. Reste que les conditions d’intervention sont périlleuses à différents niveaux.

Il en va, bien sûr, des difficultés liées à l’insécurité. La région de l’Extrême-Nord est la cible des exactions de la secte Boko Haram au Cameroun depuis 2013. Malgré l’efficacité de la réponse militaire, cette région demeure la plus dan­gereuse du Cameroun. De même, l’ins­tabilité en République centrafricaine influence la réponse humanitaire, les Centrafricains réfugiés au Cameroun n’ayant aucune voie de retour dans un pays où ils seraient difficilement protégés. Cette situation maintient la pression sur les ressources disponibles. Les attaques perpétrées en territoire camerounais par des groupes armés centrafricains ne facilitent pas le travail des humanitaires. Il est difficile en effet pour ces derniers de couvrir les zones en proie à des combats. Les insurgés étant mêlés aux populations, le risque est grand d’être pris dans une embuscade ou entre deux feux, même si l’armée travaille à protéger les acteurs humanitaires.

L’insécurité alimentaire aggrave la situ­ation. L’extrême pauvreté des populations hôtes ne permet pas à ces zones de supporter la pression exercée sur les ressour­ces disponibles. La réponse humanitaire ne concerne dès lors plus seulement les réfugiés et les déplacés internes uniquement : elle doit tenir compte des populations locales qui consentent à partager leurs très maigres ressources. Souvent incapables de cultiver leurs champs à cause des exactions des terroristes de Boko Haram, certaines sont exposées à la famine. Les finan­cements, enfin, sont notoirement insuffisants. La réponse humanitaire nécessiterait 282,2 millions de dollars pour l’année 2016. Or OCHA faisait savoir qu’au 19 juillet 2016, le financement s’élevait à 62,4 millions. Des appels à la mobilisation internationale ont été lancés par Stephen O’Brien, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence d’OCHA, et Najat Rochdi, la Coordonnatrice du Système des Nations unies au Cameroun, pour interpeller les bailleurs de fonds sur l’impératif de soutenir la réponse humanitaire.

L’analyse de la question des réfugiés au Cameroun pose le problème de l’implication des acteurs locaux à côté des acteurs internationaux. Face à l’impératif d’améliorer cette réponse humanitaire, des initiatives devraient être prises tant par l’État que par la société civile pour consolider l’architecture humanitaire locale.

Des mesures incitatives pour susciter davantage l’implication de la société civile dans la réponse humanitaire

Le cadre institutionnel au Cameroun est régi par les lois du 19 décembre 1990 portant liberté d’association et du 22 décembre 1999 régissant les orga­nisations non gouvernementales. Certaines dispositions jouent néanmoins un rôle de verrous, limitant l’accès à des ressources financières et affaiblissant d’autant les organisations et leur capacité à entreprendre des initiatives constructives. Par ailleurs, et comme nous l’avons déjà évoqué, les organisations locales recensées par OCHA sont en situation de sous-traitance auprès des organisations onusiennes : octroyer à certaines d’entre elles le statut d’utilité publique s’inscrirait dans une logique de pérennisation des acquis, de valorisation des expériences et de construction progressive d’une dynamique de réponse humanitaire nationale.

De fait, et contrairement à ce qui est parfois proclamé par les autorités, la société civile n’est pas perçue comme un potentiel acteur humanitaire. Un regroupement au sein d’un collectif est impératif face à l’urgence de consolider un tissu humanitaire national, à côté du déploiement international. Une organi­sation porte-parole devrait pouvoir mener un plaidoyer pour davantage de visibilité et une réelle prise en compte des organisations de la société civile dans la réponse humanitaire. Le système humanitaire international reste encore trop hermétique, à tel point qu’il est presque impossible pour des organi­sations locales de s’exprimer individuellement. Cette dispersion d’énergies ne valorise pas les efforts fournis par ces organisations de première ligne.

De leur côté, les organisations locales doivent réviser leurs stratégies de mobili­sation des ressources. Le volon­tariat et le bénévolat, qui permettent aux citoyens de mettre leurs capacités au service des causes d’intérêt général, sont des outils très efficaces. Or les organisations de la société civile ne reposent pas sur une logique d’adhésion populaire. Il appartient donc aux entrepreneurs so­ciaux d’attirer l’attention des citoyens, d’aménager un cadre qui leur permette d’accueillir des adhérents bénévoles ou volontaires. Cette démarche contribuera à consolider une capacité de réponse aux crises et à crédibiliser les acteurs locaux.

Hydre silencieuse, la question des réfugiés et déplacés internes au Cameroun révèle tout à la fois l’ampleur d’une crise méconnue et l’absence de liens entre les organisations internationales et nationales. Très lente­ment, mais sûrement, elle a généré la crise humanitaire la plus sévère que le Cameroun ait jamais connue. Toute la société camerounaise est interpellée car la culture d’accueil légendaire de ce pays a aujourd’hui un coût très élevé. Malgré le poids de ce devoir culturel et humain, notre société a l’obligation de secourir tous ceux qui viennent y chercher re­fuge. Il est impératif d’aménager un cadre plus incitatif pour les volontés locales. La construction d’une capacité de réponse nationale repose sur tous les citoyens. C’est la condition pour que le soutien et toutes les contributions internationales soient efficaces et pérennes.

ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-130-5

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References

References
1 En septembre 2012, les pluies diluviennes ont causé l’inondation de la ville de Maga par les eaux du fleuve Logone ; 7 000 personnes ont dû fuir pour se réfugier dans des villes voisines.
2 Organisation internationale pour les migrations-Mali, Rapports de matrice de suivi des déplacements (DTM), n° 3, avril 2016, http://mali.iom.int/sites/default/files/CMP%20reports/DTM_Avril_2016.pdf
3 Mise en place sous l’égide de l’Union africaine, la FMM est composée de 8 500 soldats mis à disposition par le Tchad, le Nigeria, le Cameroun, le Niger et le Bénin .

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