Avec l’expression « réfugiés climatiques », ce sont deux actualités qui se télescopent. Celle des migrants et celle du changement climatique. Elles convergent pour étendre la problématique des mouvements forcés de population à un niveau jamais atteint et relancent, s’agissant de ces migrants d’un nouveau type, la question de leur reconnaissance juridique.
Avec le changement climatique et l’écho médiatique de ce sujet, les migrations environnementales font la Une des journaux. Il existe de très nombreuses raisons pour une personne de migrer et les déplacements du fait du climat ne sont pas un phénomène nouveau. Cependant, les effets du changement climatique font du facteur environnemental la première cause de déplacement. Entre stratégie d’adaptation aux effets du changement climatique et facteur de vulnérabilité, les migrations environnementales restent un phénomène flou et difficilement perceptible dans son ensemble. Ces déplacements multiformes et parfois invisibles compliquent l’évaluation de la situation ainsi que l’élaboration d’une réponse globale en droit comme sur le terrain.
L’ampleur des migrations climatiques
Chercheur spécialisé dans les liens entre écologie et économie, Norman Myers lançait en 1995 un chiffre qui sera par la suite repris dans de nombreux discours : 200 millions de réfugiés climatiques en 2050[1]Voir notamment Environmental refugees: an emergent security issue, 13th Economic Forum, Prague, 23-27 May 2005, http://www.osce.org/eea/14851?download=true et Environmental refugees: a growing … Continue reading. De l’aveu même de Myers, cette estimation représentait une extrapolation d’une situation à un moment donné, sans prise en compte de la capacité d’adaptation et de résilience des populations touchées, ni des mesures qui seraient éventuellement prises pour endiguer le changement climatique et ses conséquences. Cependant, il est vrai que le nombre de déplacés climatiques ne cesse d’augmenter, l’environnement devenant un des facteurs de migration les plus importants. Plus de 41 millions de personnes auraient été déplacées du fait du changement climatique et des catastrophes naturelles en 2015[2]Pour plus de détails sur ces déplacements voir l’Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques de … Continue reading. Néanmoins, il est difficile, voire impossible, d’avoir des chiffres fiables. Le changement climatique amplifie les facteurs déjà existants et il est impensable de le déconnecter des facteurs économiques, politiques ou sociaux. Les seuls chiffres fiables sur les mouvements de population dus au climat demeurent le nombre de déplacés suite aux catastrophes naturelles qui ne donnent, bien sûr, qu’un aperçu tronqué de la réalité. Par ailleurs, la plupart des migrations dues au climat se font sur de petites distances, à l’intérieur des frontières. Un peu plus de 19 millions de personnes se sont ainsi déplacées dans leurs propres pays du fait de catastrophes naturelles en 2015, plus de deux fois le nombre de déplacés internes dus à des violences ou à des conflits armés. En outre, il existe des déplacements invisibles ; souvent successifs, causés par des catastrophes soudaines comme des inondations mais également par la dégradation lente de l’environnement. Ces migrations « hors radars » ne peuvent pas être comptabilisées rendant une quelconque réponse difficile. De même, nous n’avons aucune donnée sur le nombre de personnes qui s’implantent et renoncent à retourner dans leur région d’origine. Cette impossibilité d’un état des lieux clair et précis sur les migrations climatiques actuelles explique l’absence de projection sur leurs évolutions.
Si l’ampleur des migrations dues au climat est difficilement quantifiable, cinq scénarios de déplacements ont été identifiés par Walter Kälin[3]The Climate Change. Displacement Nexus présenté par le Pr W. Kälin, disponible sur https://www.brookings.edu/on-the-record/the-climate-change-displacement-nexus/ ; les déplacements dus aux catastrophes hydrométéorologiques (inondations, ouragans, glissements de terrain, etc.), à la qualification par les gouvernements de zones comme étant à haut risque pour l’habitat humain, aux dégradations de l’environnement et les catastrophes à déclenchement lent, à la hausse du niveau des mers et le risque de submersion, et les déplacements dus aux conflits armés amorcés par la raréfaction des ressources. Les modèles de déplacement des populations face à ces différentes hypothèses diffèrent. Ainsi, confrontées à une catastrophe naturelle soudaine, les personnes migreront en masse, sur une courte période et dans un rayon restreint. Une dégradation lente de leur environnement engendrera quant à elle un déplacement plus diffus, sur une période longue et des distances variables avec de possibles franchissements de frontières.
Nous assistons donc, et ce phénomène devrait s’amplifier, à un accroissement des migrations internes et régionales du fait de la multiplication des catastrophes naturelles, particulièrement en Asie du Sud-Est, en proie aux inondations et aux tempêtes. De même, les sécheresses et la raréfaction des ressources naturelles produisent une migration invisible et diffuse. L’élévation du niveau des mers engendrera également de nombreux déplacements. Du fait du coût économique, mais également social, élevé de la migration, la majorité des déplacements se fera à une échelle régionale. Si les pays en développement sont les premiers « producteurs » de migrants environnementaux, ils sont également les premiers à accueillir les populations déplacées. Ces migrations incommensurables entraînent davantage de vulnérabilités, enrayent le développement économique et empêchent le pays de remplir son devoir de protéger sa population. Ce constat illustre la nécessité de ne pas considérer les pays en développement uniquement comme des victimes du changement climatique, mais également comme des acteurs de la lutte et de l’adaptation à ses effets. Et ceci explique l’importance d’une justice climatique entre pays développés et en développement. Du fait de cette multitude de causes et de formes des migrations environnementales, apporter une réponse englobante semble néanmoins impossible.
La chimère de la réponse juridique
L’expression « réfugié climatique » est aujourd’hui utilisée fréquemment. Mais il est important de rappeler que le statut de réfugiés répond aux critères de la Convention de Genève de 1951, convention qui ne prévoit en aucun cas la reconnaissance de ce statut pour ceux qui auraient fui du fait du climat[4]En 2013, puis en 2015, un avocat a défendu le cas emblématique d’un demandeur d’asile demandant le statut de réfugié climatique en Nouvelle-Zélande du fait de la montée des eaux menaçant … Continue reading. La conception même de la Convention de Genève s’oppose à la reconnaissance d’un tel statut : porteuse d’une approche individualiste, la détermination du statut de réfugié se fait sur la crainte objective et personnelle du demandeur d’asile. Or cette approche ne peut convenir aux migrations environnementales qui appellent au contraire à une vision collective. La reconnaissance prima facie – c’est-à-dire, une détermination du statut de réfugié sur la base de circonstances apparentes et objectives dans le pays d’origine motivant l’exode[5]Selon la définition du HCR. –, utilisée en réponse aux situations exceptionnelles, semblerait plus adéquate. Faut-il par conséquent amender ou renégocier la Convention de 1951 ? Le monde connaît aujourd’hui des déplacements de populations de grande ampleur entraînant un renforcement des frontières et une remise en cause du droit d’asile, ce qui explique qu’une opinion largement majoritaire est opposée à une modification de la Convention de peur d’une régression de la protection internationale.
L’Union européenne qui, depuis quelques années, a entrepris une communautarisation du droit d’asile est muette sur la question des réfugiés climatiques. La seule possibilité résiderait dans l’accueil et la protection temporaire en cas d’afflux massif prévu par la Directive 2001/55/CE du Conseil de l’Union européenne du 20 juillet 2001. Cependant, cette possibilité semble inadaptée, notamment du fait du caractère temporaire de la protection[6]L’article 4 de la directive prévoit que la protection est attribuée pour une durée initiale d’un an. Une prolongation maximale et exceptionnelle peut porter cette protection à trois ans.. Certains textes régionaux ouvrent pour leur part une plus grande place à la reconnaissance d’un statut de réfugié climatique. La Convention d’Addis-Abeba de l’Union africaine de 1969 et, dans une certaine mesure, la Déclaration de Carthagène de 1984 définissent notamment le terme « réfugié » comme s’appliquant à toute personne ayant été obligée de fuir en raison « d’événements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité[7]Article premier de la Convention de l’UA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique adoptée le 10 septembre 1969 ainsi que III, 3, de la Déclaration de Carthagène … Continue reading ». Nous pouvons imaginer que le trouble grave à l’ordre public dont il est fait question pourrait inclure les conséquences du changement climatique et des catastrophes naturelles. Cependant, une telle interprétation n’a jamais été admise pour le moment. De son côté, la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification établit un lien entre la désertification et l’appauvrissement des terres avec les causes de migrations, sans pour autant offrir de protection aux migrants environnementaux.
Aucun texte international n’offre donc de statut et de protection aux déplacés du climat. Cependant, ce vide juridique est suppléé, en partie, par le mandat large du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). Nous l’avons vu, le phénomène migratoire est un phénomène sous-tendu par de nombreux facteurs, et les conséquences du changement climatique se font ressentir également de différentes manières. Ainsi, l’élément climatique a pu entrer en ligne de compte dans la décision des réfugiés de fuir la Somalie ; la montée du niveau des mers et les risques de submersion de certains États insulaires peuvent produire des apatrides, et nous l’avons vu, la majorité des déplacements environnementaux se font à l’intérieur des frontières d’un pays. Pourraient-ils donc, à l’instar des réfugiés, apatrides et déplacés internes « classiques », relever du mandat de protection du HCR et bénéficier donc d’une potentielle assistance et d’un statut ?
À de nombreuses reprises, l’idée de créer un statut de réfugié climatique a été évoquée. Il semble cependant que la mise en place d’un tel statut soit inenvisageable. Comme déjà évoqué, le caractère multifactoriel de la migration rend impossible la déconnexion des raisons économiques, sociales ou politiques du facteur climatique et donc complexifie la définition des critères pour le statut de réfugié climatique. Le terme « réfugié » désigne une personne qui a été contrainte de fuir : comment définir la coercition du départ dans le cas d’une dégradation lente de l’environnement ou de la montée du niveau de la mer ? De même, il faudrait repenser notre approche individualiste de l’asile qui, nous l’avons vu, ne correspond pas aux besoins des migrations climatiques. Le droit international est lui aussi inadapté, alors que la non-ingérence et la souveraineté des États sont proclamées et défendues par de nombreux textes internationaux : il serait donc nécessaire que ce statut s’applique sans distinction aux déplacés internes comme aux réfugiés. In fine, la protection accordée aux réfugiés « classiques » est temporaire, puisqu’elle peut cesser si les raisons qui ont motivé la reconnaissance du statut disparaissent ; or au vu de la question climatique, il faudrait que cette protection puisse être permanente et développer la réinstallation des migrants dans des pays qui ne sont pas touchés par les effets du changement climatique.
Il est impossible à l’heure actuelle de proposer un statut de réfugié climatique, ni en renégociant la Convention de Genève, ni en espérant l’adoption d’une convention spécifique, qui au vu du contexte actuel de repli sur soi, semble hors de propos.
Quelles pistes, quels espoirs ?
Plusieurs projets et initiatives montrent cependant la prise de conscience politique de la nécessité et de l’urgence d’une protection. L’Initiative Nansen, processus lancé par les gouvernements suisse et norvégien, a produit en octobre 2015, suite à des consultations régionales, l’Agenda de protection à mettre en œuvre par les gouvernements afin de répondre aux besoins des personnes déplacées. De même, certaines législations et pratiques nationales, telles que le non-refoulement des migrants environnementaux ou le refus de renvoi vers un pays touché par les effets du changement climatique démontrent l’importance croissante de la question. Enfin, de nombreuses ONG se sont emparées de la question, mettant en place des programmes de réduction des risques de désastres (RRD), à l’image d’Action Contre la Faim au Bangladesh. Depuis 2007, l’ONG travaille, en partenariat avec une ONG locale, à renforcer la capacité des communautés, des partenaires locaux et des autorités gouvernementales à lutter contre les effets du changement climatique et à se préparer aux catastrophes naturelles.
Si ce n’est donc par le droit et les instances internationales responsables de sa production, c’est peut-être sur le terrain, au plus près des populations, que se joue leur protection pour les quelques années à venir. Jusqu’à ce que le droit prenne enfin le relais lorsque le changement climatique aura rendu visibles tous ces réfugiés en devenir ?
ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-134-3