Parce que la rhétorique – et la pratique – de la lutte antiterroriste rejette les mouvements rebelles aux marges du droit international humanitaire, les ONG tomberaient de plus en plus sous la coupe des États. L’analyse avancée par Michiel Hofman s’appuie sur des exemples concrets et nous permet bien souvent d’être au cœur de la négociation humanitaire.
Nous devrions parvenir à un accord ; après tout, nous représentons tous deux une ONG », déclarait le négociateur en chef des talibans au représentant de MSF en Afghanistan en 2009. C’est vrai, puisque les organisations non gouvernementales (ONG) et les groupes armés non étatiques (GANE) sont définis par la négative et que, dans un cas comme dans l’autre, leur seule légitimité juridique internationale découle du droit international humanitaire (DIH). Tous les autres cadres juridiques nationaux et internationaux considèrent les groupes armés non étatiques comme illégaux, mais le DIH leur confère en effet le droit de recevoir des traitements médicaux et une aide humanitaire pour les populations placées sous leur contrôle. En vertu du DIH, les organisations non gouvernementales humanitaires peuvent demander l’accès aux zones contrôlées par les rebelles et établir un dialogue légitime. En un sens, les ONG et les GANE sont condamnés à coexister[1]Michiel Hofman, « Non-state armed groups and aid organisations », in Roger Mac Ginty et Jenny Peterson (dir.), The Routledge Companion to Humanitarian Action, Routledge, 2015, p. 324-336.
Il n’est pas étonnant que les acteurs humanitaires s’interrogent sur la notion d’accès négocié et de « dialogue avec les groupes armés non étatiques », à présent que l’espace opérationnel permettant d’intervenir dans les zones placées sous leur contrôle semble rétrécir. Cette approche, contrairement à la perception la plus répandue, n’est pas le résultat d’un déficit historique de groupes rebelles faisant preuve d’un manque de volonté à se conformer au DIH. On observe en réalité un renversement de situation, les GANE s’étant traditionnellement plus facilement pliés au DIH que les États. De fait, les violations les plus récentes et les plus manifestes du DIH (bombardement d’hôpitaux en Afghanistan, en Syrie et au Yémen) ont toutes été perpétrées par des États, les groupes rebelles ne disposant pas de forces aériennes. Les GANE ont davantage intérêt à se conformer au DIH, seul cadre juridique international qui leur confère quelques droits. À l’inverse, les États ont davantage à perdre dans le cadre du DIH, qui les oblige à laisser « l’ennemi » maintenir un flux de ressources et limite par essence leur souveraineté sur le territoire. C’est pourquoi les humanitaires avaient plus de facilités à négocier avec les GANE qu’avec les États souverains. Cette tendance s’est inversée à partir de la fin des années 1990, de plus en plus de GANE ayant rejoint la liste (auparavant bien plus restreinte) des organisations fermées à toute négociation, comme l’Armée de résistance du Seigneur et Boko Haram. La « guerre contre le terrorisme », qui se fonde sur un sentiment abstrait et constitue par nature un combat « pour gagner les cœurs et les esprits », a conduit de nombreux GANE précédemment ouverts à la négociation à mettre fin à leurs échanges avec les humanitaires (du moins occidentaux). La réalité de l’éloignement des humanitaires et des groupes d’opposition armés à l’aune de la « guerre contre le terrorisme » est particulièrement manifeste dans les grands conflits bénéficiant de soutiens internationaux, comme en Afghanistan, en Somalie ou en Syrie, mais elle n’est ni nouvelle ni propre à ces contextes.
La ligne rouge du ralliement à une cause : le cas des rebelles maoïstes au Népal
Il aura fallu deux ans à MSF pour parvenir à organiser une rencontre, en 2004, avec les dirigeants des forces rebelles maoïstes afin de négocier l’accès aux zones rurales contrôlées par ce groupe autour de la ville de Jumla, au Népal. La législation nationale adoptée en 2001 qualifiait les forces rebelles maoïstes de terroristes, criminalisant ainsi toute forme de communication avec elles. Il a donc fallu avoir recours à des voitures banalisées, accepter d’avoir les yeux bandés et changer trois fois de lieu pour pouvoir atteindre les maoïstes. Le dirigeant des forces rebelles avait effectué des recherches sur Internet et découvert que MSF travaillait avec des médecins volontaires dévoués, bénéficiant d’une solide expérience. Il a expliqué que c’est ce qui l’avait finalement décidé à accepter de rencontrer MSF. Il avait déjà préparé un protocole d’entente à faire signer par l’organisation. Il s’attendait à parvenir rapidement à un accord, étant convaincu que MSF partageait les mêmes valeurs de service volontaire à la communauté. Le protocole d’entente proposé demandait à MSF de remettre trois médecins au mouvement maoïste ; le transfert aurait lieu sur la ligne de front en périphérie de Jumla. En échange, les maoïstes s’engageaient à nourrir ces médecins et à leur fournir un toit, puis à les remettre indemnes à MSF tout juste deux ans plus tard. MSF n’a pas soumis cette proposition à sa base de médecins volontaires, même si certains auraient pu l’envisager sérieusement.
Le ralliement de personnels à une cause politique ou militaire constitue une ligne rouge évidente qu’aucune organisation humanitaire ne peut franchir sans remettre en cause le principe d’impartialité. Ce qui constituait initialement la contrainte majeure de cette négociation (la criminalisation de tout échange avec les groupes d’opposition armés) n’est pas ce qui a empêché la conclusion d’un accord. Les négociations ont échoué en raison du service que les rebelles maoïstes attendaient d’un organisme humanitaire. Une fois les maoïstes atteints, MSF espérait parvenir facilement à un accord. En effet, les forces maoïstes disposaient d’une hiérarchie claire et bien maîtrisée, étaient originaires du Népal, disposaient de liens avec les communautés et se présentaient elles-mêmes comme un gouvernement en devenir. Cet espoir s’est révélé infondé, le mouvement maoïste n’ayant aucun intérêt à respecter les règles internationales en matière de conflit. Il n’obéissait pas au DIH, n’ayant pas participé à sa rédaction et ne l’ayant pas signé[2]Département fédéral des affaires étrangères suisse, Humanitarian access in situations of armed conflict, Manuel pratique 1.0, p. 17.. En outre, le gouvernement auquel il s’opposait venait tout juste de l’exclure de ce droit en le qualifiant d’organisation terroriste. Il a donc fallu deux ans à MSF pour finalement établir un simple contact, des arguments classiques tels que « les besoins de la population » et « le droit d’accès pour les organisations humanitaires » n’ayant aucune résonance auprès des dirigeants maoïstes.
Le mouvement appliquait ses propres lois et sa philosophie sous-jacente, fondée sur la notion de services à la communauté, de volontariat pour les services publics et de loyauté inconditionnelle aux dirigeants. C’est donc le principe de volontariat de MSF, énoncé dans sa charte fondatrice, qui a convaincu les dirigeants de dialoguer. Il a fallu deux années supplémentaires pour parvenir à un accord. À ce moment-là, la guerre était presque terminée. Percevant une réelle possibilité d’accéder au gouvernement, les maoïstes ont alors décidé de modifier leurs politiques pour les rendre plus compatibles avec les normes internationales, y compris en matière d’accès pour les organisations humanitaires. Comme dans de nombreux conflits, les terroristes d’hier sont devenus les dirigeants de demain : un accord de paix a été signé en 2006, le roi a été démis de ses fonctions et les maoïstes ont formé un gouvernement de coalition lors du scrutin suivant. Ils sont toujours au pouvoir aujourd’hui.
Quand une rhétorique militaire déshumanisée empêche l’accès négocié direct en Afghanistan
En 2009, après des mois de négociation avec les commandants de grade inférieur des deux principaux adversaires dans la guerre en Afghanistan (les États-Unis et l’Émirat islamique d’Afghanistan ou EIA, plus connu sous le nom de talibans), les hauts-commandements des deux parties ont accepté une rencontre en face-à-face avec MSF. La première a été organisée avec des membres de la « Quetta Shura » (le Haut Conseil de l’EIA) dans un lieu tenu secret, en dehors de l’Afghanistan (mais pas à Quetta). Dans le cadre de conflits à forte capacité de collecte de renseignements, une complète transparence est essentielle. MSF a donc commencé la rencontre en informant ses interlocuteurs qu’un entretien similaire était également prévu avec les États-Unis. Cette annonce a tout d’abord donné lieu à un long discours expliquant que les États-Unis ne respectaient pas les Conventions de Genève et que les Afghans ne voyaient pas pourquoi ils devraient eux-mêmes s’y conformer. Pourtant, aucune objection n’a été formulée quant au fait que MSF dialogue avec les États-Unis. Au contraire, lorsqu’il est apparu que cette rencontre avec le haut-commandement américain n’avait pas encore eu lieu, les responsables de l’EIA ont demandé à MSF de transmettre plusieurs messages (ce que MSF a refusé de faire). La réunion a été fructueuse et les accords nécessaires ont été établis, sous réserve que l’armée américaine les accepte également (essentiellement de sorte que l’ensemble de leurs soldats et équipements militaires soient maintenus à distance de l’hôpital de MSF). Alors qu’il était sur le point de partir, le commandant taliban s’est retourné et a déclaré : « Une dernière chose : ne rencontrez jamais aucun commandant américain sur le territoire afghan. Si l’un de nos informateurs vous voit entrer sur une base de l’armée américaine, nous vous considérerons comme des espions et nous n’aurons d’autre choix que de vous tuer. »
Moins de deux semaines plus tard, le même groupe de négociateurs de MSF se retrouvait à Tampa, en Floride, au siège du CENTCOM, qui gère l’ensemble des opérations militaires américaines au Moyen-Orient et en Asie centrale, notamment en Afghanistan. Le fait que MSF ait déjà rencontré le haut-commandement taliban n’a pas posé problème et a simplement donné lieu à un discours étonnamment similaire sur le fait que les talibans ne respectaient pas le DIH et que les États-Unis ne voyaient pas pourquoi ils devraient s’y conformer. Curieusement, au terme de cette rencontre, le commandement américain a également demandé à MSF de transmettre des messages aux talibans (ce que MSF a, une nouvelle fois, refusé de faire). Les garanties nécessaires au maintien de l’armée à distance de l’hôpital ont été obtenues sans trop de difficultés et la réunion s’est achevée. « Une dernière chose… », a ajouté le représentant des services de renseignements, alors que tout le monde s’était levé pour partir : « Veillez à ce que l’on ne vous voie jamais dialoguer avec les talibans sur le territoire afghan. En vertu de la législation antiterroriste, je serais obligé de vous arrêter. »
Cet exemple montre combien la rhétorique associée à la lutte contre le terrorisme, plus que les restrictions juridiques qu’elle impose, entrave l’accès humanitaire direct. Dans cet exemple, bien que les commandements des deux parties belligérantes aient compris que MSF devait dialoguer avec les deux camps et bien qu’il soit dans leur propre intérêt que les humanitaires procèdent de cette manière, les commentaires finaux montrent à quel point chaque camp était bridé par sa propre rhétorique envers ses troupes au sol. Aux États-Unis, la législation antiterroriste n’était que l’un des sous-produits d’une très vaste campagne publique autour de la « guerre contre le terrorisme ». Le terrorisme n’étant pas une personne, ni une armée ou une organisation pouvant être physiquement attaquée par l’arsenal militaire, mais une idée et une émotion, la stratégie fondamentale d’un tel combat consiste à influencer l’opinion. En ce qui concerne l’Afghanistan, le grand public aux États-Unis et les soldats sur le terrain avaient ainsi été bombardés de messages indiquant que les talibans formaient un groupe de personnes avec lesquelles on ne pouvait ni dialoguer ni transiger. De ce fait, les États-Unis n’avaient d’autre choix que d’agir contre toute personne, y compris les humanitaires, qui communiquerait ou négocierait ouvertement avec ce groupe. Une rhétorique tout aussi intransigeante sous-tend les messages publics des talibans à destination de la population et de leurs troupes sur le terrain. Celle-ci ne vise pas la lutte contre le terrorisme, mais contre les infidèles, et véhicule plus généralement une idéologie xénophobe. Elle désigne toute présence étrangère sur le territoire afghan comme une tentative visant à détourner le peuple de l’islam et à prendre possession de ses terres ancestrales. Tout dialogue ou compromis est donc impossible tant qu’il reste des étrangers sur le sol afghan. L’ensemble des troupes au sol, que ce soient celles des États-Unis ou des talibans, ont été recrutées au nom de cette même rhétorique intransigeante. Après avoir conclu un accord avec MSF, il était difficile pour les talibans d’indiquer à leurs troupes que tous les étrangers étaient mauvais et indignes de confiance, mis à part ces quelques docteurs. Ils n’avaient donc d’autre choix que d’appliquer leur propre « loi », appelée Layha (code de conduite) pour les moudjahidines[3]Muhammad Munir, « La Layha pour les moudjahidines : une analyse du code de conduite pour les combattants talibans dans le droit islamique » , Revue internationale de la Croix-Rouge, vol. 93, … Continue reading, qui dispose que tout étranger pactisant avec les troupes étrangères est considéré comme un espion et peut être exécuté sans procès. Pour résumer, chaque camp souhaitait que MSF dialogue avec l’autre, mais si l’un ou l’autre était témoin de tels échanges, les négociateurs de MSF seraient soit exécutés par l’un, soit soumis à la torture par l’autre.
Une guerre tribale redéfinie comme une opération antiterroriste : le Kasaï
En 2011, dans le territoire de Dibaya, dans la province du Kasaï-Central en République démocratique du Congo (RDC), le chef coutumier a transmis le pouvoir à son neveu, qui a repris le nom de son village : « Kamuina Nsapu ». Comme l’exige une telle succession, il a demandé à l’État de reconnaître officiellement son nouveau titre via un arrêté ministériel, ce qui lui a été refusé. Ce refus s’inscrivait dans le cadre d’une politique des autorités centrales visant à influencer les listes électorales dans ce fief de l’opposition en remplaçant les chefs coutumiers de la région par des candidats plus favorables au gouvernement.
En avril 2016, les tensions entre les chefs nommés par l’État et le pouvoir traditionnel ont été exacerbées par l’assaut supposé de l’armée congolaise contre la maison du chef traditionnel. Le « Kamuina Nsapu » a riposté en créant une milice armée qui a attaqué la ville de Tshimbulu, puis Kananga, la capitale provinciale, en septembre 2016. Le conflit s’est alors propagé à l’ensemble de la région du Kasaï, qui abrite d’autres chefferies coutumières contestées. En janvier 2017, le nouveau ministre de l’Intérieur, M. Ramazani Shadary, a décrit la situation comme une subversion et une insurrection, promettant une riposte coutumière, politique et militaire. La violente répression menée par l’armée congolaise a débuté en août 2016. Des villages entiers ont parfois été désignés comme appartenant aux milices, sans aucune distinction, donnant lieu à des brimades, à des violences (y compris sexuelles) et à des exécutions arbitraires. En mars 2017, le gouvernement central a envoyé des renforts militaires comprenant des commandos et des forces spéciales. Ces nouvelles troupes ont tout d’abord été déployées à Kananga afin de reprendre le contrôle de la ville, notamment grâce à des incursions porte-à-porte. La milice antigouvernementale a riposté avec autant de force, demandant à la population locale d’être totalement loyale à sa cause. Les chefs de villages qui refusaient de se plier à cette demande étaient décapités ; leurs têtes étaient exposées en public et leurs villages étaient réduits en cendres. Suite au déploiement des forces spéciales, l’armée congolaise a adopté une logique militaire semblable aux stratégies antiterroristes. Le 28 mars, le vice-gouverneur du Kasaï-Central a publié un décret sommant toutes les milices de déposer les armes dans un délai maximal de 15 jours. Toute personne qui détiendrait encore une arme au-delà de cette date serait considérée comme hors-la-loi et s’exposerait à l’usage de la force. Le gouvernement a utilisé le mot « terroriste » dans un SMS envoyé à l’ensemble de la population, allant au-delà des termes « bandits » ou « criminels » utilisés jusqu’alors dans la rhétorique officielle. Celle-ci s’est implantée dans la capitale et, à partir du mois d’avril, le conflit au Kasaï était décrit comme une « guerre contre le terrorisme », tandis que le Kamuina Nsapu était comparé à Boko Haram et à AQMI[4]« Violences meurtrières au Kasaï : les FARDC appellent à la reddition des miliciens », RFI, 16 mai 2017, … Continue reading. Le président Kabila lui-même a défendu ce point de vue lors de son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies au mois de septembre[5]DRC’s Kabila Paints Violence in Kasai as War on Terror, http://www.voanews.com/a/congo-kabila-paints-violence-kasai-as-war-on-terror/4041591.html. La situation était inchangée : le pays n’était pas officiellement en guerre, mais combattait des hors-la-loi contre lesquels l’État pouvait utiliser toute la force qu’il souhaitait. Le droit international humanitaire ne s’appliquant pas, le Comité international de la Croix-Rouge, garant du DIH, n’a pas été autorisé à accéder au Kasaï avant mai 2017. Cette rhétorique a en outre miné toute chance de dialogue direct entre MSF et la milice du Kasaï, situation inédite dans un pays où les humanitaires et les groupes armés non étatiques avaient jusqu’alors pu dialoguer directement, sans beaucoup d’ingérence de la part de l’État. Avec la mise en place d’une riposte militaire musclée, inspirée de la lutte contre le terrorisme, dès le début de ce nouveau conflit en RDC, la « guerre contre le terrorisme » a fait son entrée en Afrique subsaharienne.
Les humanitaires désormais « catalyseurs du pouvoir étatique » ?
Force est de constater que les programmes politiques et militaires des États-nations cooptent de plus en plus l’aide humanitaire. En tant que regroupement d’États-nations, les Nations unies n’ont guère le choix en la matière et ont rapidement lancé cette tendance au moment de la guerre au Kosovo en 1998-1999, les bailleurs insistant pour que l’aide consentie soit subordonnée à l’action militaire de l’OTAN (y compris le tristement célèbre « bombardement humanitaire » de Belgrade). Cette approche, dans laquelle tous les organismes des Nations unies (y compris leur branche humanitaire) sont chargés de faire valoir les intérêts des États, est consolidée par le principe de « mission intégrée » depuis 2008[6]Décision n° 2008/24 du Secrétaire général des Nations unies – Intégration. Les organismes humanitaires indépendants ont réussi à maintenir l’équilibre un peu plus longtemps en apportant leur aide tant aux zones contrôlées par l’État qu’aux autres, mais à mesure que le nombre de GANE refusant d’échanger avec les humanitaires (occidentaux) augmente (ces groupes étant généralement qualifiés de terroristes par les principaux bailleurs humanitaires), de plus en plus d’organisations humanitaires en viennent à travailler exclusivement du côté du gouvernement. Cette situation, déjà fréquente dans les conflits internationaux sous tension comme en Afghanistan, en Iraq ou en Somalie, s’étend à présent à d’autres contextes, comme le Mali et la RDC. La Syrie fait figure d’exception, car les principaux pays bailleurs d’Occident et du Moyen-Orient contestent la légitimité du gouvernement syrien et concentrent leurs financements au-delà de ses frontières, contre la volonté de l’État, vers les territoires contrôlés par l’opposition. La notion d’humanitaires catalyseurs du pouvoir étatique trouve sa conclusion logique dans les derniers conflits en date contre deux des plus célèbres GANE fermés à toute négociation : l’État islamique (EI) et Boko Haram. Les organisations de solidarité présentes pendant l’offensive contre la ville de Mossoul contrôlée par l’EI en Iraq et contre Boko Haram dans l’État de Borno au Nigeria se sont retrouvées de facto embarquées dans la stratégie militaire des armées américaine/iraquienne et nigériane, qui décidaient où et quand intervenir et quelles populations pouvaient recevoir de l’aide[7]Jonathan Whittall, « Medics as force multipliers around Mosul – at the expense of medical ethics? », British Medical Journal Blogs, juin 2017, … Continue reading. On affirme souvent que les conflits sont devenus plus complexes. Toute personne ayant travaillé dans des pays comme le Liberia, la Bosnie ou la Tchétchénie au début des années 1990 contesterait certainement cette interprétation. Pour autant, les conflits sont certainement présentés de façon plus binaire – « avec nous ou contre nous ». Et cela inclut désormais l’aide humanitaire.
Traduit de l’anglais par Sophie Jeangeorges
ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-314-9