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Principes et défis des allers-retours et du double engagement entre recherche et action humanitaire

Pascale Hancart Petitet
Pascale Hancart PetitetAnthropologue de la santé, chargée de recherche à l’unité TransVIHMI (Institut de recherche pour le développement – Université de Montpellier – Inserm), Pascale est sage-femme de formation initiale et s’est engagée dans l’action humanitaire pendant huit ans avant d’obtenir un doctorat et de devenir chercheure. Ses travaux menés en Inde, au Cambodge et au Laos se situent à l’intersection de l’anthropologie de la reproduction humaine, des technologies médicales, du genre, des migrations et des maladies infectieuses. Ces thèmes fournissent un prisme pour observer et analyser les formes sociales d’organisation des rapports sociaux de sexe, de genre et de classe, mais aussi pour appréhender l’émergence des nouvelles formes d’organisations des sociétés qui les déterminent et qui contribuent à leurs transformations. Elle a développé divers modes innovants de production et de médiation scientifiques au Laos (recherche pluridisciplinaire et participative, programmes radio, film, pièces de théâtre, danse). Voir : https://orcid.org/0000-0002-7377-8038 et https://valorisationrecherchevihlaos.com/

Par son parcours, l’auteure illustre parfaitement l’hybridation à l’œuvre entre les mondes de l’action humanitaire et de la recherche. Revenant sur sa trajectoire et sur certains projets menés au Laos, Pascale Hancart Petitet expose ici ses réflexions et analyses sur ce « double engagement ».

Les travaux de recherche que j’ai conduits depuis 2002 se situent principalement dans le domaine de l’anthropologie de la santé et abordent la santé sexuelle et la reproduction humaine en contexte de vulnérabilités sociales et infectieuses. Ces questionnements scientifiques ont été guidés, voire induits par mes expériences professionnelles dans le domaine de la santé « mère-enfant » puisque j’ai été auparavant sage-femme hospitalière en France (1990-1994), puis coordinatrice de programmes humanitaires pour Médecins du Monde (MdM) en Mauritanie (1995), en Angola (1996-1998), au Pakistan (1998-2000) et en Afghanistan (2002). Ainsi, pendant douze ans, mon objet a pu être abordé selon des angles d’approche riches et variés : du point de vue de la pratique clinique d’abord, puis de l’encadrement d’équipes multidisciplinaires, de la programmation et de la gestion d’activités sanitaires, de la communication avec et entre des acteur.rice.s institutionnel.le.s divers, dans des contextes politiques et sécuritaires instables.

L’engagement dans l’action ne laisse souvent qu’une place très réduite à la réflexion et à la compréhension fine des contextes sociaux et culturels dans lesquels elle s’inscrit. Ce questionnement a conduit mon engagement dans un master 2 en anthropologie, puis dans une thèse de doctorat en anthropologie en Inde du Sud soutenue en 2007. De 2008 à 2012, mes recherches postdoctorales m’ont conduite au Cambodge. Depuis 2013, mon terrain de recherche se situe au Laos où mes projets sont menés en partenariat, principalement avec l’Université des Sciences de la Santé à Vientiane et trois organisations non gouvernementales (ONG) internationales, Médecins du Monde, la Croix-Rouge française et plus récemment Humanité & Inclusion (HI – anciennement Handicap International).

Mes engagements dans le champ biomédical et humanitaire ont dessiné la suite de ce parcours en développant une approche et une expertise particulières sur mes objets de recherche, ainsi qu’un fort intérêt pour la mise en place de collaborations avec des partenaires du Sud, pour la production de résultats appliqués à la mise en place de programmes de santé publique. Puis, une expérience de la recherche sous surveillance menée sur des terrains urbains et ruraux de la République démocratique populaire du Laos, couplée à un désir maintenu d’une recherche plus engagée, a fait évoluer ma façon d’aborder sa méthodologie. J’ai ainsi déployé des programmes de recherche multidisciplinaire en mobilisant des approches participatives[1]Peter Livermoore, Pascale Hancart Petitet et Souvanxay Phetchanpheng, Migrations. Personnes et connaissances en mouvement. Le « making-of ». Un projet de recherche collaborative au Laos … Continue reading et en m’engageant dans des écritures différentes au moment du partage et de la restitution des résultats[2]Pascale Hancart Petitet, « De la crise épistémologique à la médiation scientifique. Nécessité heuristique et savoir engagé au Laos », Anthropologie & Santé, 21, 30 novembre 2020, … Continue reading.

Cet article a pour objet de porter et de partager un regard réflexif sur ces expériences de rencontres au Laos. Il s’agira de décrire ces allers-retours et ces doubles engagements entre le monde de la recherche et de l’humanitaire, d’en rapporter la généalogie, et de décrire les espaces et les acteurs en présence. À travers des exemples ethnographiques, l’objectif sera de décrypter les défis, les enjeux et les impacts institutionnels, organisationnels et individuels liés à la définition des modèles et des outils, à la mobilisation des financements, à la mise en œuvre des interventions, et enfin ceux posés par la restitution des résultats. Enfin, un autre niveau d’analyse permettra d’appréhender, du point de vue de la recherche et de l’action, les opportunités et les contraintes posées par ce type de collaboration, afin d’en dégager les principaux enseignements et de suggérer quelques ajustements.

Des projets collaboratifs entre actrices et acteurs du monde de la recherche et de l’action

À partir de 2011, nous avons mené avec l’Université des Sciences de la Santé à Vientiane, au Laos, une étude visant à comprendre les dimensions sociales et culturelles de la protection des enfants par les antirétroviraux en application des nouvelles recommandations de l’Organisation mondiale de la santé en matière de prévention de la transmission mère-enfant (PTME) du VIH[3]Alice Desclaux et al., « L’enfant protégé par les antirétroviraux. Études ethnographiques comparées : Sénégal, Burkina Faso, Laos », Institut de Recherche pour le Développement, 2018, … Continue reading. À partir de 2013, un partenariat supplémentaire a été mis en place avec MdM France autour d’un programme de réduction de la mortalité maternelle et infantile et de prévention et traitement de la transmission mère-enfant du VIH au niveau de deux districts d’une province du Sud Laos. Ce partenariat a été bénéfique à plusieurs points de vue. Premièrement, grâce au soutien de MdM sur le plan institutionnel (obtention des autorisations de recherche) et financier (appui logistique, détachement d’un membre de l’équipe locale pour la traduction), il a permis une collecte d’informations qui, à défaut, aurait été impossible à réaliser dans des zones rurales reculées. Cette collaboration était donc une rencontre concrète et effective entre la recherche et l’action autour de questions appliquées. Le protocole national pour la PTME commençait alors seulement à être mis en place et les activités dans le champ de la prévention et du traitement du VIH restaient limitées. L’enjeu appliqué de cette étude était de permettre aux instances nationales de santé publique de disposer des éléments nécessaires, par exemple pour élaborer des guides nationaux pour la PTME, en particulier pour la mise en place de conseils post-diagnostic précoce chez le nourrisson et l’enfant exposé au VIH.

À partir de 2015, le partenariat avec la Croix-Rouge française a été mis en place dans le cadre d’un projet[4]Ce projet intitulé « Promotion des mécanismes de bonne gouvernance au sein du Country Coordination Mechanism au Laos, pour le rapprochement des acteurs étatiques avec ceux de la société civile … Continue reading qui comprenait trois volets « actions » mis en œuvre par trois partenaires institutionnels et un volet dédié à la recherche. La question de recherche de ce projet avait été décidée collectivement avec le comité de pilotage. L’objectif était d’interroger les liens entre les mobilités, les intimités et les vulnérabilités infectieuses. Quitter son territoire et s’adapter à un nouvel environnement n’était pas, en effet, un phénomène nouveau au Laos. Depuis l’ouverture du pays à l’économie de marché dans les années 1990, les phénomènes migratoires s’observaient, du village vers la ville, mais aussi des zones rurales vers d’autres localités rurales, en raison des politiques de relocalisation des populations menées par le gouvernement et de l’attractivité économique de certaines régions (construction de routes, projets hydroélectriques, industrie agroalimentaire et exploitation des mines). De nombreux migrant.e.s d’origine chinoise et vietnamienne rejoignaient aussi certains sites de construction d’immeubles et de supermarchés, ainsi que le vaste chantier ferroviaire en cours sur l’ensemble du territoire.

Le mandat de l’équipe de recherche était double. Il s’agissait, d’une part, d’apporter un éclairage sur les liens entre les parcours migratoires et les reconfigurations sociales et genrées dans un contexte de développement très rapide. D’autre part, l’enjeu était de penser avec nos partenaires les espaces possibles d’articulation entre la production de ces connaissances et l’amélioration de la prise en charge sanitaire et du risque infectieux au VIH des populations migrantes au Laos. Cette recherche multidisciplinaire, communautaire et participative fut déclinée en cinq études qualitatives et une étude épidémiologique.

L’étude ethnographique a été réalisée auprès de 100 participants : des ouvriers vietnamiens dans la construction à Savannakhet, des femmes migrantes travaillant dans des usines de vêtements à Vientiane, des étudiantes provinciales travaillant pour la promotion de la bière à Vientiane, des femmes migrantes vivant avec le VIH à Champassak, des personnes migrantes vivant avec le VIH dans plusieurs provinces. L’étude épidémiologique regroupait 600 participants dans dix centres de traitement antirétroviral présents dans huit provinces laotiennes.

Grâce, en partie, au partenariat mis en place avec la Croix-Rouge française, ce projet a impliqué la participation d’un certain nombre de parties prenantes, femmes et hommes, donateurs, développeurs et praticiens, acteurs communautaires, militants, chercheurs et étudiants, à chaque niveau de la production de connaissances. Durant les deux ans de mise en œuvre du projet, des réunions trimestrielles avaient lieu afin de rassembler l’ensemble des partenaires du ministère de la Santé et de partager certains résultats préliminaires. Il était convenu que quelques jours avant le symposium de clôture du projet, une réunion devait permettre de présenter les résultats à nos interlocuteurs afin d’obtenir de leur part la validation du propos à tenir quelques jours plus tard à une plus grande assemblée. Les données relataient les problèmes de discrimination des personnes infectées par le VIH, le manque d’information, d’accès au test et aux soins VIH et plus globalement les conditions sanitaires souvent déplorables des personnes migrantes. Le programme de recherche avait contribué à donner à voir des réalités très sensibles : les impacts désastreux de certaines politiques de développement qui avaient contraint des jeunes à migrer vers les zones d’activités, les conditions de vie d’ouvrier.ère.s proches de formes d’esclavage, les pratiques de ventes de services sexuels, les usages de drogues… Nous avions également partagé un point particulièrement sensible, à savoir que les personnes les plus éloignées des services de soins du VIH étaient principalement des fonctionnaires. La peur d’être identifiés et dénoncés et la crainte du stigma et d’actes de discrimination conduisaient ces personnes à ne pas se rendre dans les services de soins. Nos interlocuteurs furent très gênés de cette révélation et nous demandèrent de ne pas mentionner ce résultat, ni oralement ni dans le rapport d’étude. La demande de censure fut respectée. Le ministre de la Santé en poste avait délégué l’ex-ministre de la Santé pour assister au symposium et, comme aux autres personnes présentes, il lui fut remis une clé USB contenant de nombreux documents du projet, dont les résultats clés et certaines propositions. Le soir même, à la faveur d’une soirée à l’ambassade de France, les informations relatives aux problèmes d’éloignement des soins du VIH des personnes de son gouvernement furent relayées au ministre de la Santé en poste.

On peut donc affirmer que la mise en œuvre de ce projet se déroula avec succès. Il a contribué à améliorer la coordination entre les représentants institutionnels, à renforcer les compétences des personnes impliquées, à structurer les associations de personnes vivant avec le VIH, à promouvoir les approches multidisciplinaire et participative, et à produire et à restituer de nombreux résultats scientifiques sous des formes variées[5]Pour aller plus loin : https://valorisationrecherchevihlaos.com/publication/ ethttps://valorisationrecherchevihlaos.com/portfolio/. Le comité de pilotage formé était un outil puissant pour avancer dans cette dynamique de réflexion, d’échanges entre les domaines de la recherche et l’action, et d’opérationnalisation de programmes de prise en charge VIH des personnes migrantes au Laos. Malgré la satisfaction du bailleur sur cette composante recherche du programme, en dépit du soutien de l’ensemble des acteurs dont la coopération scientifique de l’ambassade de France, il n’a pas été possible de soumettre une nouvelle demande de financement qui aurait permis, justement, de maintenir la dynamique engagée et de poursuivre les activités menées en ce sens. La question des vulnérabilités infectieuses des personnes migrantes n’était plus à l’ordre du jour dans les nouveaux appels d’offres des bailleurs.

En 2018, enfin, nous avons construit avec l’ONG internationale HI[6]Les autres partenaires du projet sont l’Université des Sciences de la Santé (UHS), l’Institut lao de santé publique (LAOPHI), Laopha (LaoPositive Health Association), le département VIH du … Continue reading (qui reprenait l’ensemble des actions menées par la Croix-Rouge française sur les questions du VIH), la réponse à un appel d’offres d’Expertise France. Grâce aux liens de proximité établis sur place avec l’ensemble des personnes impliquées, notre projet répondait à toutes les demandes du bailleur : la multidisciplinarité, la pérennité, la construction d’activités basées sur des « données probantes » coconstruites, l’engagement de la société civile, la visibilité, la restitution des résultats au grand public sous des formes innovantes. Ce projet, retenu en 2019, est actuellement mis en œuvre.

Il consistait à concevoir un modèle d’intervention apte à améliorer l’accès des femmes, des enfants et des adolescents aux services de soins de santé sexuelle et de la reproduction et à la prévention et au traitement du VIH, de la tuberculose et du paludisme. Le projet comportait deux volets interdépendants, le volet « recherche » ayant pour mandat d’informer et d’orienter le volet « action ». En raison de la longueur du processus administratif nécessaire à la signature de l’accord, puis à la fermeture des provinces et au confinement en raison de l’épidémie de Covid-19, les activités scientifiques de ce projet vont être mises en place avec un certain retard. À l’heure où nos partenaires, médecins, acteurs et actrices d’association pour l’accès aux soins, sont peu disponibles, et où les missions sur place sont impossibles, nos interlocuteurs de l’agence de financement, de plus en plus nombreux, nous font part de leur impatience devant la lenteur du processus. L’option d’un « plan B » qui conduirait à revoir à la baisse le budget alloué au projet est agitée comme un épouvantail, alors que de nombreuses actions réalisées sans dépense, comme le travail de coordination de l’ensemble des parties prenantes, sont en marche depuis plus d’un an.

Les enseignements de ces projets et de la pratique du double engagement

Que retenir des expériences rapportées ici ? En quoi la collaboration des chercheurs et des humanitaires présente-t-elle autant d’opportunités que de défis ? Quand et comment est-elle tue, ou donnée à voir ? Quels sont les processus en œuvre de légitimation ou de délégitimation de ce type d’alliance ?

Lors de mon entrée dans le monde de la recherche en 2002, les références à mon passé de sage-femme et d’humanitaire étaient absentes, aussi bien dans mes écrits que dans mes contributions orales. Alors que mes objets et ma pratique de la recherche sur le terrain étaient entièrement imprégnés et orientés par mon parcours dans la santé humanitaire, l’environnement scientifique et ses codes sociaux, ma découverte des travaux très critiques des anthropologues vis-à-vis des pratiques de l’humanitaire et du développement, me poussaient à glisser discrètement sous le tapis un ensemble de savoirs et de savoir-faire jugés inavouables. Il en allait ainsi de mes expériences d’organisation de formations pour le personnel médical, de négociations avec des cadres administratifs ou de gestion d’équipes locale et internationale.

Je découvrais cette partition du monde entre d’un côté, et de manière un peu caricaturale, les intellectuel.les académiques, dédié.e.s à la production de « La Science » et… tous les autres. Parmi ceux-ci, on trouvait les acteurs réduits à « s’impliquer dans l’appliqué », ou les chercheur.e.s dont l’engagement presque « militant » était perçu comme incompatible avec les exigences épistémologiques de la discipline. Cette scission le plus souvent revendiquée et assumée semble persister dans certains cercles scientifiques, notamment ceux ancrés dans le milieu universitaire. à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) auquel je suis rattachée, il faut admettre que la séparation des deux domaines est plus complexe. À la fois en raison de l’histoire coloniale de l’IRD, de sa double tutelle ministérielle, et de ses guichets de financement, le montage de partenariats au Sud en vue d’atteindre, de manière critique, les objectifs du développement durable, est présenté désormais comme faisant partie de l’identité de l’IRD[7]Site de l’IRD : https://www.ird.fr/notre-identite. Dans ce cadre, la mise en place de partenariats solides et ancrés dans la durée avec les acteurs universitaires des pays du Sud est affichée comme un horizon à atteindre : pour qui veut s’engager dans des actions orientées vers la promotion de la justice sociale, sentir et visualiser parfois l’impact concret de son travail de recherche, quitter la solitude souvent pesante de l’anthropologue sur son terrain et se laisser embarquer par la dynamique d’équipe que crée l’engagement du chercheur auprès des humanitaires, c’est là une voie saine et salutaire pour une recherche en quête de sens au bénéfice d’une action humanitaire intelligente.

Pour autant, une adaptation de focale oblige à analyser ce changement de manière plus critique. Car l’ouverture dont fait preuve une institution comme l’IRD a gagné l’ensemble de l’écosystème. Après avoir longtemps été séparées en deux domaines distincts des actions de coopérations bilatérales, la marche côte à côte de la science et de l’action est aujourd’hui non seulement attendue à tous les étages de la pyramide décisionnelle de l’administration de la recherche, elle est devenue une norme qui conditionne l’évaluation et la carrière du chercheur, et de son laboratoire. Le nombre de projets et le volume global des financements obtenus sont en effet des critères d’appréciation du travail du chercheur aussi importants que la quantité, la qualité, et la visibilité de ses publications. Sous couvert d’une science de la durabilité (sustainability science), une invitation appuyée est faite au chercheur de s’engager vers une recherche coconstruite en partenariat au service d’un monde solidaire et durable selon les cadres d’analyse et les modèles préformatés des appels d’offres des bailleurs de fonds, en dehors desquels les financements disponibles se font rares.

La collaboration recherche-action au risque de l’écueil ?

Sans entrer dans les débats et les enjeux autour de la loi de programmation de la recherche, promouvant une recherche faite exclusivement sur projets, il me faut revenir ici sur la notion même de partenariat et de la place croissante des humanitaires dans celui-ci.

Jusqu’à une période plutôt récente, l’appellation de « partenariat au Sud » sous-entendait un partenariat avec une institution scientifique d’un pays du Sud, dans un domaine scientifique donné, avec un objectif de renforcement de capacités et de structuration de la recherche. Or l’objectif affiché d’atteinte des objectifs du développement durable induit un engagement du chercheur dans l’innovation et la transformation sociale. Mais comment innover pour un monde durable, alors même que les piliers qui conditionnent la santé et le bien-être des États et des populations, c’est-à-dire les services publics, s’effondrent ? Comment mettre en place un service de soins intégré et pérenne, au plus proche des besoins de la population, dans un contexte où l’accaparement des ressources par une minorité, fait commun et globalisé, et la déliquescence des structures sanitaires gouvernementales sont la cause majeure du problème identifié ? Ainsi, des femmes et hommes chercheurs, fonctionnaires ou membres de la société civile s’engagent au côté des humanitaires. Avec des moyens grandissants, un pouvoir institutionnel souvent supérieur à celui des autres réunis, des ressources humaines performantes, des actions toujours plus complexes et sophistiquées (d’autant plus lorsqu’elles sont coconstruites avec des chercheurs), des objectifs chiffrés et ciblés, les actions des ONG humanitaires internationales sont claires, visibles et vendables. Dans le même temps, ces projets ont une durée de vie courte qui excède rarement les trente-six mois prescrits par les bailleurs, et un rapport coût-efficacité très élevé. Ainsi, grande est la tentation de porter un regard tout aussi cynique sur ce mode d’intervention. Mais si on aborde cette question avec plus de marges et de discernement, quelle posture adopter ?

Certes, il est tentant de tourner le dos à la machine institutionnelle, et de marcher à nouveau vers une recherche anthropologique plus classique, celle qu’on mène en tant qu’étudiant, avec peu de moyens en étant souvent face à soi-même sur son terrain. Peut-être est-ce là une voie pour se libérer de la lourdeur administrative et managériale des gros projets que de revenir aux plaisirs simples de l’ethnographie et au temps long de la lecture et de l’écriture. Encore faut-il bénéficier du cadre statutaire ou salarial qui permette cette liberté. Mais se contenter d’observer et de documenter n’est pas toujours tenable. Avancer dans une recherche menée en partenariat avec des humanitaires offre de transmettre, de donner des opportunités, et d’être au cœur et au plus près de ce qui se joue, au niveau local et global, dans la configuration des rapports entre société, économie et santé. Il faut continuer de marcher sur un fil, plus ou moins en équilibre, et occuper avec d’autres les espaces à défendre et ceux à créer.

ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-849-6

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References

References
1 Peter Livermoore, Pascale Hancart Petitet et Souvanxay Phetchanpheng, Migrations. Personnes et connaissances en mouvement. Le « making-of ». Un projet de recherche collaborative au Laos (documentaire), 2019, https://valorisationrecherchevihlaos.com/portfolio/film-documentaire/
2 Pascale Hancart Petitet, « De la crise épistémologique à la médiation scientifique. Nécessité heuristique et savoir engagé au Laos », Anthropologie & Santé, 21, 30 novembre 2020, http://journals.openedition.org/anthropologiesante ; Pascale Hancart Petitet et Steine Mbina, Valorisation de la recherche au Laos, 2020, https://valorisationrecherchevihlaos.com
3 Alice Desclaux et al., « L’enfant protégé par les antirétroviraux. Études ethnographiques comparées : Sénégal, Burkina Faso, Laos », Institut de Recherche pour le Développement, 2018, https://hal.ird.fr/ird-02086882/file/Rapport%20ANRS12271.300318.pdf
4 Ce projet intitulé « Promotion des mécanismes de bonne gouvernance au sein du Country Coordination Mechanism au Laos, pour le rapprochement des acteurs étatiques avec ceux de la société civile » regroupait quatre consortiums : la Croix-Rouge française, l’Assemblée nationale lao, les associations de personnes vivant avec le VIH, ainsi que mon unité de recherche TRANSVIHMI.
5 Pour aller plus loin : https://valorisationrecherchevihlaos.com/publication/ ethttps://valorisationrecherchevihlaos.com/portfolio/
6 Les autres partenaires du projet sont l’Université des Sciences de la Santé (UHS), l’Institut lao de santé publique (LAOPHI), Laopha (LaoPositive Health Association), le département VIH du ministère de la Santé laotien (CHAS).
7 Site de l’IRD : https://www.ird.fr/notre-identite

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