Elba Rahmouni et Olivier Guillard • Médecins Sans Frontières
L’adultocentrisme trouve ici une illustration dérangeante. Alors que le traitement de la douleur chez l’adulte et l’enfant des pays riches a fait de remarquables progrès, son application aux enfants des pays fragiles accuserait un véritable retard. C’est le grand mérite des auteurs que de soulever cette question à la lumière de l’action de leur ONG. Mais c’est une réflexion qui devrait interpeller bien d’autres intervenants du secteur.
Bien que la douleur aiguë possède un rôle positif d’avertissement favorisant la survie ainsi qu’une valeur diagnostique, aujourd’hui nul ne remet en question la nécessité de la traiter et de la prévenir, notamment lors des soins. Il s’agit autant d’une nécessité médicale pour éviter des complications que d’une nécessité déontologique issue des principes de bienveillance et du primum non nocere (« D’abord, ne pas nuire »)[1]Conseil national de l’Ordre national des médecins, Code de déontologie médicale, février 2021, https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/codedeont.pdf. Par ailleurs, c’est une nécessité sociale : une lésion provoque une « douleur-maladie » qui entraîne à son tour un handicap[2]Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, Journal officiel de la République française, … Continue reading. En France, la soigner est devenu une obligation légale depuis la loi Kouchner de 2002[3]Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Journal officiel de la République française, 5 mars 2002, … Continue reading. La responsabilité en incombe autant aux professionnels qu’aux institutions de santé.
Par rapport à l’adulte, la douleur de l’enfant n’a été prise en compte que tardivement, à la fin du XXe siècle : l’enfant et en particulier le nourrisson étaient considérés comme neurologiquement immatures et donc insensibles. De plus, leur difficulté à revendiquer leur douleur et la non-reconnaissance de leur incapacité à jouer leur rôle social d’apprentissages et de jeux en cas de douleur (handicap) ont participé à ce retard. La prise en charge de l’enfant douloureux est devenue courante dans les pays anglo-saxons puis en France à partir des années 2000.
Afin d’explorer les enjeux contemporains de l’enfant douloureux sur le terrain humanitaire, nous sommes partis du constat de la non-prise en charge de la douleur dans un hôpital où intervient Médecins Sans Frontières (MSF) à Moïssala, au Tchad[4]Ce pays est classé en 187e position sur 189 pays au classement IDH (indice de développement humain) du Programme des Nations unies pour le développement (2019). Le Tchad fait partie de la liste … Continue reading, où 46,5 % de la population a moins de 15 ans[5]UNESCO, institut de statistiques : Tchad, http://uis.unesco.org/fr/country/td. Depuis juillet 2010, l’organisation lutte dans cette zone contre un paludisme saisonnier particulièrement sévère. À partir de 2018, MSF réoriente son action vers un « continuum de soins » focalisé sur le couple mère-enfant. À l’occasion d’une première mission en 2020, nous avons pu constater que des soins douloureux étaient réalisés sans sédation-analgésie, mais dans les hurlements. Plus largement, il n’existait dans ce projet aucune prise en charge de l’enfant douloureux ; la douleur n’était jamais évaluée donc jamais traitée. À la suite de détournements, la morphine était indisponible à l’hôpital : il y en avait bien dans la pharmacie centrale, mais pas sur le site de l’hôpital. Il semblerait, d’après de nombreuses voix au sein de l’association, que des situations similaires existent dans d’autres projets de MSF.
Alors que les enfants – notamment ceux de moins de 5 ans – sont une cible prioritaire dans le champ humanitaire, comment expliquer que la prise en charge de l’enfant douloureux soit peu présente dans les pratiques et les préoccupations à l’hôpital de Moïssala où travaille MSF ?
La douleur et ses spécificités pédiatriques
La douleur est définie par l’International Association for the Study of Pain comme une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion physique réelle ou potentielle. La douleur est toujours subjective[6]International Association for the Study of Pain, “IASP announces revised definition of pain”, 16 July 2020, … Continue reading. L’expérience douloureuse débute au niveau de récepteurs sensoriels spécifiques appelés nocicepteurs, répartis sur la peau et certains organes et qui détectent une lésion tissulaire de manière inconsciente. Ce message est ensuite transmis via la moelle épinière au cerveau. Celui-ci y intègre des informations issues de plusieurs systèmes cérébraux, dont l’amygdale (centre des réactions émotionnelles), pour se transformer en perception douloureuse au niveau du cortex cérébral[7]Leora Kuttner, L’enfant et sa douleur : identifier, comprendre, soulager, Dunod, 2011..
Ce système intégré de la douleur n’était que partiellement connu dans les années 1980. Ainsi, le fait que le nouveau-né puisse ressentir la douleur était controversé. Deux éléments feront évoluer la société et la médecine. En 1986, à la suite du décès peropératoire de son nouveau-né, une mère découvre avec surprise dans le dossier médical l’absence d’analgésie lors de la chirurgie. Elle publie alors une série d’articles dans la presse[8]S. and Y. Rovner, “Surgery without anesthesia: can preemies feel pain?”, The Washington Post, 13 August 1986, … Continue reading. En 1987 sont publiés les premiers essais contrôlés randomisés objectivant les bénéfices de l’ajout d’un analgésique, puis d’un hypnotique au curare[9]Les curares paralysent les muscles. Avec les analgésiques et les hypnotiques, ils constituent le triptyque de l’anesthésie générale. pendant les chirurgies[10]Kanwaljeet Anand and Albert Aynsley-Green, “Randomised trial of fentanyl anaesthesia in preterm babies undergoing surgery: effects on the stress response”, The Lancet, 10 January 1987, … Continue reading. Dans les années 1990, des études chez le fœtus montreront que dès la vingt-cinquième semaine de gestation, les conditions nécessaires à la transmission de l’information nociceptive de la périphérie au cortex cérébral sont réunies. Le seuil de réponse est même abaissé chez l’enfant et cette réponse est augmentée en durée et en intensité[11]Claude Ecoffey et Claude Annequin, La douleur chez l’enfant, Éditions Lavoisier, 2011..
L’évaluation précise, systématique et répétée de la douleur est la première étape indispensable de son traitement[12]Pediadol, « Évaluation de la douleur chez l’enfant », https://pediadol.org/evaluation. La définition de la douleur et son fonctionnement expliquent une grande variabilité inter et intra-individuelle, ce qui rend nécessaire son autoévaluation. Or, celle-ci est difficile chez les enfants non capables d’une verbalisation intelligible, que ce soit lié à un trouble de la vigilance dû à leur maladie ou au développement psychomoteur physiologique à certains âges. Le soignant, par l’hétéro-évaluation, évalue lui-même la douleur de l’enfant à partir de l’observation de son comportement : expression et activité faciales, pleurs, mouvements corporels limités ou positions antalgiques, tonus musculaire… Quantifier la douleur en utilisant les échelles d’auto ou hétéro-évaluation permet d’améliorer la qualité des soins. Leur résultat est appelé le cinquième signe vital. La Haute Autorité de Santé publie une liste des échelles validées en fonction de l’âge des enfants[13]Haute Autorité de Santé, Liste des échelles acceptées pour mesurer la douleur, 2019, https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-02/liste_echelles_douleur_2019.pdf.
Dans les années 1960 apparaît la distinction entre « prendre soin » (to care) et « prodiguer des soins » (to cure)[14]Chantal Cara et Louise O’Reilly, « S’approprier la théorie du Human Caring de Jean Watson par la pratique réflexive lors d’une situation clinique », Recherche en soins infirmiers, … Continue reading. Si l’essence humanitaire relève du care, la dimension d’aide médicale d’urgence de MSF tend à privilégier le cure ; il existe ainsi parfois une concurrence entre le care et le cure au sein des projets. Au-delà de l’évaluation et du traitement de la douleur de l’enfant (cure), prendre en charge globalement l’enfant douloureux (care), c’est prendre soin de son bien-être et de celui de sa famille. L’adaptation pédiatrique du care[15]Agata Zielinski, « L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin », Études, vol. 12, 2010, p. 631-641. montre le rôle indispensable de la famille dans l’administration des soins, y compris lorsque l’enfant est hospitalisé. Le care permet d’améliorer le lien de confiance soignants-soignés, ce qui favorise une meilleure qualité des soins (cure). L’enfant n’est pas un petit adulte et sa prise en charge (cure et care) se doit d’être pensée spécifiquement. C’est pourquoi nous préférons l’expression « prise en charge de l’enfant douloureux » plutôt que « traitement de la douleur de l’enfant ».
Des difficultés à prendre en charge la douleur, aux niveaux individuel et institutionnel
En 2020, lorsque nous abordons la question de la non prise en charge de l’enfant douloureux avec l’équipe à Moïssala, celle-ci répond que « c’est comme ça ici ». Pourtant, le sujet de la prise en charge de la douleur des patients existe depuis de nombreuses années chez MSF et, au siège, des référents anesthésie, pédiatrie, gestion hospitalière y réfléchissent. Alors, comment expliquer la différence entre les intentions médico-opérationnelles de prise en charge de la douleur et les pratiques sur certains terrains ?
Afin d’expliquer le comportement individuel de non prise en charge de la douleur, nous avons déterminé quatre idéaux-types de résistance, souvent imbriqués les uns aux autres, qui concernent autant les soignants que les enfants ou leurs parents : le soignant ne prend pas en charge la douleur tandis que le patient la tait.
Le « négationniste » nie l’existence d’une douleur chez l’enfant. Cette figure est historique et issue d’une série de croyances dont certaines sont étayées par des arguments scientifiques erronés. Des préjugés culturalistes considèrent parfois certains groupes de personnes comme étant moins sensibles à la douleur.
Le « doloriste » sait que l’enfant est douloureux, mais sa vision utilitariste de la douleur l’empêche de la prendre en charge. Il s’inscrit dans une doctrine d’inspiration catholique et stoïcienne attribuant une haute valeur morale, esthétique et intellectuelle à la douleur. Certains médecins pensent encore, à tort, que la douleur est un signe clinique utile au suivi de la maladie.
Le « fataliste » sait que l’enfant est douloureux, mais il n’existe pas de lien entre la constatation d’une douleur et la nécessité ou la possibilité de la soulager. Cet héritage catholique peut être illustré par le personnage du père Paneloux dans La Peste d’Albert Camus. Ce fatalisme peut également s’expliquer par un sentiment d’impuissance, sorte de burn-out institutionnalisé[16]Didier Cohen-Salmont et al., Le jeune enfant, ses professionnels et la douleur, Éditions Érès, 2007..
L’ « abuseur » sait que l’enfant est douloureux, et il compte tirer profit de cette dépendance. Le sentiment de puissance qui en découle lui apporte la satisfaction personnelle et professionnelle dont il peut manquer vis-à-vis des patients ou des institutions. Ce comportement peut aboutir à la corruption : le soignant peut monnayer la délivrance de soins ou détourner du matériel et des médicaments pour en faire commerce[17]Yannick Jaffré et Jean-Pierre Olivier de Sardan, Une médecine inhospitalière : les difficiles relations entre soignants et soignés dans cinq capitales d’Afrique de l’Ouest, Éditions … Continue reading.
La responsabilité de la prise en charge de l’enfant douloureux incombe autant aux professionnels qu’aux institutions de santé. Cela est d’autant plus important que nous parlons ici d’un contexte humanitaire dans lequel l’organisation amène des soins là où l’État est défaillant. Au-delà de ces comportements individuels et universels, c’est au niveau institutionnel qu’il est possible de comprendre l’écart entre les objectifs médico-opérationnels et les pratiques.
« Lorsque nous abordons la question de la non prise en charge de l’enfant douloureux avec l’équipe à Moïssala, celle-ci répond que “c’est comme ça ici”. »
Aujourd’hui dans les projets de MSF, la douleur de l’adulte est mieux prise en charge que celle de l’enfant en raison d’un travail mené en grande partie par le département d’anesthésie. L’International Association for the Study of Pain, en association avec l’Organisation mondiale de la Santé, propose depuis 2008 la Childkind Initiative ayant pour objectif de réduire la douleur chez l’enfant au niveau mondial. Il s’agit d’une accréditation internationale qui promeut une approche standardisée de la prise en charge de l’enfant douloureux basée sur cinq principes : l’évaluation de la douleur, la formation, les protocoles, les audits internes et la politique écrite[18]Neil L. Schechter et al., “ChildKind: A global initiative to reduce pain in children”, Pediatric Pain Letter, Special Interest Group on Pain in Childhood, vol. 12, no. 3, December 2010, … Continue reading. Ceux-ci sont déjà rendus obligatoires en France depuis juin 2005 par un référentiel de pratiques professionnelles signé conjointement par la HAS et la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation[19]Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, Recommandations de bonne pratique, Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant, … Continue reading : à MSF, ces principes sont peu appliqués sur les projets pédiatriques en partie par manque de volonté politique et en partie du fait de la conviction qu’ils sont difficiles à mettre en œuvre sur les terrains d’intervention.
Évaluation de la douleur
Si à Moïssala la douleur n’était jamais évaluée, rien dans le dossier médical n’incitait à le faire. Les guides cliniques pédiatriques MSF expliquent l’utilisation de certaines échelles, mais il existe des résistances à leur utilisation, souvent liées au sentiment d’incompétence du soignant : certains sont perdus devant l’éventail du choix ; d’autres ne connaissent pas bien leur fonctionnement qui nécessite un temps d’apprentissage. Parce qu’il doute, le soignant préjuge d’une faible fiabilité de l’outil par simple transfert d’incompétence[20]Didier Cohen-Salmont et al., Le jeune enfant, ses professionnels…, op. cit.. Par ailleurs, l’utilisation des échelles nécessite un temps d’observation voire de dialogue avec l’enfant ou sa famille (d’autant plus difficile pour les expatriés lorsqu’il y a la barrière de la langue sur le terrain). Leur utilisation est ainsi vécue comme une perte de temps.
Formation
L’institution a pour politique de ne pas remettre en question les compétences de ses expatriés médicaux ; ainsi il n’existe pas de formation sur la prise en charge de la douleur de l’adulte et de l’enfant avant le départ en mission. Pour pallier ce manque, le département d’anesthésie a décidé de conditionner le départ en mission des expatriés dont il a la responsabilité à la signature de documents portant sur la prise en charge de la douleur, sortes de références médicales opposables. Cependant, ces expatriés ne sont présents que sur les projets chirurgicaux et les autres départements, dont la pédiatrie, ne se sont pas approprié cet outil. Alors qu’aujourd’hui la formation des médecins en Amérique et en Europe inclut la gestion de la douleur, ce n’est pas toujours le cas pour le personnel médical national. La nécessité d’une surveillance et le sentiment non avoué d’incompétence à gérer la survenue de complications sont un frein majeur. Or, dans les pays occidentaux, l’expérience a montré qu’une utilisation protocolisée des différents analgésiques et sédatifs par des professionnels formés permettait leur sécurité d’emploi. Dans les projets chirurgicaux, une solution pour MSF a été de former des infirmiers-anesthésistes locaux qui accomplissent désormais la majeure partie du travail.
De nombreux soignants ignorent les traitements non pharmacologiques adjuvants, souvent plus sûrs et moins onéreux. La modulation de la perception douloureuse par les émotions et autres expériences cognitives explique l’efficacité scientifiquement établie des traitements psychologiques et physiques de la douleur[21]Leora Kuttner, L’enfant et sa douleur : Identifier, comprendre…, op. cit.. Aucune de ces possibilités thérapeutiques n’est détaillée dans les guides cliniques pédiatriques de MSF.
La peur de l’addiction aux opiacés peut être endossée par les familles, les institutions (ministères) mais également les professionnels. Ce débat n’a aujourd’hui plus lieu d’être : il est reconnu que leur utilisation à bon escient ne provoque pas d’addiction. Celle-ci provient de comportements abusifs, autant de la part des médecins prescripteurs que des patients à risque.
Protocoles
Comme nous l’avons vu précédemment, la sécurité d’utilisation des analgésiques est favorisée par l’usage de protocoles écrits. Ceux-ci existent chez MSF, mais leur dispersion dans différents guides rend leur usage difficile, surtout au lit du patient.
Audits internes
Dans les années 2000, un processus d’évaluation interne a été mis en place dans les projets chirurgicaux, avec de bons résultats. Il s’agit d’une procédure simple et peu chronophage qui est un indicateur de bout de chaîne : si les critères sont bons, c’est que l’ensemble de la chaîne anesthésique fonctionne. Mais sa pérennité nécessite une pression permanente pour obtenir les données du terrain. À notre connaissance, aucune évaluation de ce type n’existe sur les projets pédiatriques, en tout cas pas à Moïssala.
Lors de la mise en place de ces auto-évaluations, l’institution était en partie réticente à la transposition d’outils occidentaux vers le terrain. Pourtant, dans les années 2000, le taux de mortalité liée à l’anesthésie sur les projets chirurgicaux chez MSF était comparable à celui de la France dans les années 1980 avec les mêmes causes. Or, avec la mise en place de l’ensemble des réformes structurelles internationales utilisées en France depuis les années 1980, la mortalité liée à l’anesthésie a été divisée par dix en vingt ans.
Politique écrite
L’absence de politique écrite à l’échelle institutionnelle est, selon nous, une des causes de la sous-utilisation des outils existants en pédiatrie par rapport aux projets chirurgicaux. Dans les structures de soins françaises, c’est la loi Kouchner de 2002 qui a servi de pression ; c’est cette force politique qui est probablement sous-estimée chez MSF.
Les raisons d’une évolution trop lente
Dans les années 1980, l’ambition de prendre en charge la douleur dans les projets chirurgicaux a émergé. Pour utiliser la morphine, MSF a dû se confronter aux difficultés juridiques de son acheminement et de son stockage. Grâce au travail fourni par Jacques Pinel, pharmacien et inventeur de la logistique humanitaire, le coût des traitements de la douleur a diminué et leur gestion logistique est plus facile. Dans les années 2000 la question réémergea, car, si tous au siège s’accordaient pour considérer la prise en charge de la douleur comme une nécessité, le passage de la théorie à la pratique n’était pas sans difficulté. Avant tout changement, il a été nécessaire de rendre visible la défaillance institutionnelle en matière de prise en charge de la douleur. Les données montraient que MSF avait réalisé 12 000 interventions chirurgicales en 2000, pour lesquelles avaient été envoyées de Bordeaux 25 000 ampoules d’ampicilline (antibiotique) et seulement dix ampoules de morphine. Xavier Lassalle, le référent douleur dans les projets chirurgicaux de l’époque, se souvient des réactions face à ces données : « C’était un coup de massue, impossible de nier le fait, il fallait faire quelque chose ». Pourtant, d’autres voix s’élevaient pour rappeler les priorités médico-opérationnelles : « Le palu c’est plus important. Il y a un million de morts. Il y a des urgences. La douleur il faut la traiter, mais dans les contextes aussi épouvantables et spécifiques que les terrains MSF, on ne peut pas transposer aussi facilement[22]Entretien réalisé à Paris le 10 décembre 2020 avec Xavier Lassalle, infirmier anesthésiste, ancien référent anesthésie et membre du conseil d’administration de MSF jusqu’en 2021.. »
« La responsabilité de prendre en charge l’enfant douloureux incombe autant aux institutions qu’aux soignants. »
Aujourd’hui, MSF défend une approche centrée sur le patient, et les outils nécessaires à une bonne prise en charge de la douleur sont disponibles. Nous avons beaucoup accompli dans le domaine de la chirurgie, en pédiatrie, et notamment dans le projet de Moïssala, mais la prise en charge de l’enfant douloureux reste à renforcer. Que signifie l’absence de prise en charge de la douleur en matière de perception de l’enfance sur le terrain humanitaire ? Comment articuler le travail des différents départements de l’organisation afin d’améliorer la transversalité de la prise en charge de l’enfant douloureux ? Dans les projets de chirurgie, les infirmiers anesthésistes locaux formés par MSF sont de bons ambassadeurs, mais la responsabilité de prendre en charge l’enfant douloureux incombe autant aux institutions qu’aux soignants. Nous constatons la difficulté à porter politiquement ce sujet, dont le manque de discussion est le reflet. Nous sommes tentés d’interroger ici la sous-représentation politique des enfants.
ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-927-1