L’adultocentrisme qui gouverne nos sociétés n’épargne pas le secteur humanitaire. Partant de cette notion et de ses traductions concrètes, les deux autrices de cet article déconstruisent cette doxa et ouvrent le champ des possibles à une meilleure prise en compte de la parole et de l’expertise des enfants.
Les crises humanitaires présentent de nombreuses menaces pour les enfants[1]Dans cet article, nous utilisons le terme « enfant » pour désigner tout être humain âgé de moins de 18 ans, tel que défini, dans son article premier, par la Convention des Nations unies … Continue reading, telles que la violence structurelle et physique, les abus, la négligence et l’exploitation[2]L’Alliance pour la protection de l’enfance dans l’action humanitaire, Standards minimums pour la protection de l’enfance dans l’action humanitaire, édition 2019, … Continue reading. Les interventions humanitaires visent à combattre ces facteurs de risque par le biais d’une programmation permettant d’assurer la protection et le bien-être de l’enfant avant, pendant et après une situation d’urgence[3]Janna Metzler et al., “Educational, psychosocial, and protection outcomes of child- and youth-focused programming with Somali refugees in Dollo Ado, Ethiopia”, Disasters, vol. 45, no. 1, January … Continue reading. Cette assistance humanitaire peut aller du soutien aux besoins de base à la fourniture d’abris, de soins psychosociaux et d’hygiène, en passant par des activités éducatives formelles et non formelles dans des espaces adaptés aux enfants[4]Guy Thompstone and Jennifer Chen, The Participation of Children and Young People in Emergencies, UNICEF East Asia and Pacific Regional Office, October 2007, … Continue reading. Ces dernières années, les interventions humanitaires ont commencé à prendre en compte la contribution des enfants à la programmation, à la conception et à la mise en œuvre de l’aide humanitaire. Cependant, à bien y regarder, l’accent mis sur la participation des enfants s’appuie toujours sur des stratégies conçues par des adultes qui considèrent les enfants comme des victimes passives plutôt que comme des acteurs à part entière[5]Mónica Ruiz-Casares et al., “Children’s rights to participation and protection in international development and humanitarian interventions: nurturing a dialogue”, The International Journal of … Continue reading. Des mesures de protection sont généralement nécessaires pour les enfants vulnérables, mais elles sont souvent surévaluées et peuvent se substituer à l’action des enfants, y compris dans des situations où une approche participative serait bénéfique. Les processus génériques, dirigés par les adultes, privent les enfants de la possibilité d’identifier eux-mêmes de potentiels risques ou dangers et de communiquer à leur propos, ce qui peut les exposer davantage[6]Tom Mitchell et al., “The role of children and youth in communicating disaster risk”, Children Youth and Environments, vol. 18, no. 1, 2008, pp. 254–279; Kei Nishiyama, “Between protection … Continue reading. Nous soutenons que les approches conventionnelles « descendantes » de l’aide humanitaire devraient être remplacées par des programmes axés sur les enfants, en tant qu’acteurs compétents dans les contextes d’urgence, et tout à fait capables de façonner leur environnement et de prendre des décisions autonomes.
Le statu quo : l’adultocentrisme dans l’aide humanitaire
La vision dominante de l’aide humanitaire place les enfants dans la position de victimes passives. Ce point de vue découle d’un état d’esprit nommé « adultocentrisme » – un paradigme qui considère que le point de vue des adultes est supérieur à celui des enfants. La plupart des adultes – en particulier ceux qui travaillent dans le milieu humanitaire – ont à cœur l’intérêt des enfants, mais cela ne les empêche pas de reproduire des préjugés dans leurs interactions avec les enfants[7]Sydney Campbell, “The ethics of adultcentrism in the context of Covid-19: whose voice matters?”, Journal of Bioethical Inquiry, vol. 18, no. 4, 2021, pp. 569–572; Eleonora Florio, Letizia Caso … Continue reading. L’adultocentrisme s’est développé au cours des siècles et constitue la vision dominante dans la plupart des cultures du monde[8]Sydney Campbell, “The ethics of adultcentrism…”, art. cit.; Marco Blanco, “Youth are the present, not the future”, Alliance Magazine, 28 February 2020, … Continue reading. Dans le cadre de la construction traditionnelle de l’enfance, les enfants sont perçus comme des « adultes en devenir » présentant des lacunes en termes de connaissances, d’expérience et de compréhension, au lieu d’être reconnus comme des personnes à part entière, dotées d’une vision du monde spécifique et d’un ensemble de capacités[9]Christopher G. Petr, “Adultcentrism in practice with children”, Families in Society, vol. 73, no. 7, 1992, pp. 408–416.. Cette « altération » des enfants est un sous-produit de la dichotomie entre « adultes compétents » et « enfants incompétents » et aboutit souvent à l’exclusion des enfants des processus sociaux essentiels – comme le montre, par exemple, le fait que l’on attende des enfants (surtout des filles) qu’ils obéissent aux adultes sans poser de questions[10]Mónica Ruiz-Casares et al., “Children’s rights to participation…”, art. cit.; Claire O’Kane, Guidelines for children’s participation in humanitarian programming, Save the Children, … Continue reading. Contrairement à l’hypothèse selon laquelle les enfants n’auraient pas la maturité nécessaire pour communiquer leurs besoins, des études indiquent qu’en réalité, c’est l’attente sociale qui veut qu’ils gardent le silence qui peut empêcher les enfants d’exprimer leurs pensées[11]Erica Burman, Deconstructing Developmental Psychology, Routledge, 2016..
Dans le domaine de l’action humanitaire, l’adultocentrisme est clairement visible dans la conception – prédominante – des enfants comme simples bénéficiaires de l’aide[12]Nicola Ansell, Children, Youth and Development, Routledge, 2016.. Si, depuis des années, les programmes de réforme ont poussé à une plus grande responsabilité vis-à-vis des personnes affectées, à une plus grande inclusion des groupes marginalisés, et à la redistribution du pouvoir et de l’aide financière aux experts locaux, ce débat n’a pas abouti à des progrès similaires en ce qui concerne les enfants[13]Ruth Sinclair, “Participation in practice: making it meaningful, effective and sustainable”, Children & Society, vol. 18, no. 2, April 2004, pp. 106–118.. De même, les raisons pour lesquelles les relations de pouvoir entre adultes et enfants n’ont pas été abordées sont rarement évoquées : nous soupçonnons que plusieurs facteurs jouent un rôle dans ce retard. D’abord, l’adultocentrisme est un concept relativement nouveau qui a surtout gagné du terrain dans des domaines tels que la psychologie et la pédagogie – alors que les conceptions centrées sur l’adulte restent profondément ancrées dans les systèmes de croyances culturelles[14]Eleonora Florio, Letizia Caso and Ilaria Castelli, “The adultcentrism scale…”, art. cit.. Ensuite, les systèmes internationaux et nationaux de protection de l’enfance, autour desquels l’aide humanitaire pour les enfants est largement structurée, sont intrinsèquement « adultocentrés » : bien que primordiales pendant une crise, les procédures de protection sont souvent basées sur l’hypothèse que les enfants sont des victimes ayant peu de contrôle sur leur vie, et dont le sort doit être déterminé par les adultes[15]Barry Percy-Smith and Nigel Thomas, A Handbook of Children and Young People’s Participation: Perspectives from Theory and Practice, Routledge, 2009.. Pour les praticiens de l’humanitaire, cela crée ce que Mónica Ruiz-Casares appelle le « dilemme participation-protection » : comment donner la parole aux enfants tout en gérant leur sécurité conformément aux principes de la protection[16]Mónica Ruiz-Casares et al., “Children’s rights to participation…”, art. cit. ? En outre, de nombreuses organisations dépendent d’une surévaluation de la vulnérabilité et de la victimisation des enfants pour obtenir les fonds de bailleurs compatissants[17]Kei Nishiyama, “Between protection and participacion…”, art. cit..
Quelles que soient les raisons de l’adultocentrisme, ce paradigme reste le point de départ de la plupart des actions humanitaires en faveur des enfants. Malgré le fait qu’un nombre croissant de projets déploient des approches participatives, il s’agit souvent d’une posture de façade, et les processus décisionnels demeurent presque exclusivement entre les mains des adultes[18]Roger A. Hart, Children’s participation: The theory and practice of involving young citizens in community development and environmental care, Earthscan, 1997.. Les conséquences négatives de l’adultocentrisme dans le travail avec les enfants incluent « une mauvaise communication (avec eux), des jugements inexacts (sur leurs intentions et motivations), un usage néfaste du pouvoir (pour limiter leur autodétermination), et la mise à mal des forces et des compétences .)) ». Concevoir des programmes humanitaires sans tenir compte des priorités et des préoccupations des enfants peut facilement conduire les praticiens à s’attaquer aux mauvais problèmes ou à ne pas identifier certains dangers. Les adultes présument souvent qu’ils jouissent d’une vue d’ensemble des risques auxquels les enfants sont confrontés : cependant, les enfants possèdent une capacité unique à comprendre les menaces, et leurs perceptions peuvent différer considérablement de celles des adultes. Ainsi, aux Philippines, dans un contexte où les adultes se préoccupaient principalement de subvenir aux besoins de leur foyer, un groupe d’enfants a vu la nécessité de rendre les pratiques de subsistance locales plus respectueuses de l’environnement en plantant des mangroves pour assurer une protection à long terme contre les ondes de tempête[19]Thomas Tanner, “Shifting the narrative: child-led responses to climate change and disasters in El Salvador and the Philippines”, Children & Society, vol. 24, no. 4, July 2010, … Continue reading. Pour éviter les inconvénients d’un contrôle « adultocentré », les structures de pouvoir doivent changer pour permettre aux enfants d’exercer une action et de contribuer aux débats qui les concernent.
« Quelles que soient les raisons de l’adultocentrisme, ce paradigme reste le point de départ de la plupart des actions humanitaires en faveur des enfants. »
Combler le fossé du pouvoir : le potentiel d’une participation significative
Les enfants ont une motivation intrinsèque à participer aux processus qui impactent leur vie et à contribuer à la résolution des problèmes qui concernent leur sécurité et leur bien-être. Lorsque les adultes valorisent ces contributions, les enfants sont en mesure d’explorer pleinement leur capacité d’action. En outre, leur participation active peut accroître leur résilience face à certains des impacts négatifs et des risques inhérents aux crises humanitaires[20]Anne Trine Kjørholt, “Small is powerful: discourses on ‘children and participation’ in Norway”, Childhood, vol. 9, no. 1, February 2002, pp. 63–82; Ganna G. van Bijleveld, Christine … Continue reading. En adoptant une approche participative des activités humanitaires centrée sur les enfants, ces derniers sont placés au centre de l’action, ce qui encourage leur participation active à toutes les étapes d’un projet ou d’un service. Pour aller plus loin, dans les programmes dirigés par les enfants, ces derniers sont capables d’identifier les problèmes, de lancer des actions et de défendre leurs intérêts. Le rôle des adultes est plutôt d’agir en tant que collaborateurs ou facilitateurs sur le terrain, en déplaçant le pouvoir de décision vers les enfants. Pour les programmes humanitaires, cela suppose que les adultes abandonnent une partie de leur contrôle en assumant uniquement un rôle de soutien et de conseil. Bien que la sécurité des enfants soit un élément essentiel des mesures de protection, la participation significative des enfants ne peut se faire que dans des environnements non contrôlés par les adultes. Pour que l’autonomisation des enfants soit effective, les programmes humanitaires doivent prévoir des espaces où les enfants se sentent suffisamment en sécurité pour s’exprimer et entreprendre des actions en tant qu’individus, selon leurs propres termes[21]Barry Percy-Smith and Nigel Thomas, A Handbook of Children and Young People’s Participation…, op. cit.. Plus important encore, les enfants doivent reconnaître le pouvoir qu’ils possèdent et la responsabilité qui en découle[22]Nicola Ansell, Children, Youth and Development, op. cit.. La prise de décision avec ou par les enfants et le changement de pouvoir qui en résulte sont essentiels pour que l’action humanitaire participative atteigne son potentiel de réduction des lacunes en matière de protection et de prise en charge des enfants.
Les conséquences psychosociales des crises humanitaires illustrent bien la manière dont une participation significative peut être bénéfique pour la santé et le développement des enfants. Les expériences dévastatrices des crises humanitaires (devoir fuir son domicile, être séparé de sa famille et/ou de sa communauté, être témoin et victime de violences) peuvent être très pénibles pour les enfants. Ces expériences de stress extrême et prolongé entrent dans la catégorie du « stress toxique » et, sans effort d’atténuation approprié, peuvent altérer de façon permanente le cerveau en développement des enfants – entraînant des problèmes de santé et de comportement jusqu’à l’âge adulte. Les recherches montrent que les expériences de stress toxique vécues pendant l’enfance sont directement liées au développement de maladies chroniques, à un risque accru de toxicomanie et à une augmentation de l’anxiété et de l’agressivité, entre autres[23]Jack P. Shonkoff et al., “The lifelong effects of early childhood adversity and toxic stress”, Pediatrics, vol. 129, no. 1, January 2012, pp. 232–246; Fran Seballos and Thomas Tanner, … Continue reading. Cependant, des études indiquent également qu’en cas de crise, les sentiments de stress et d’impuissance des enfants peuvent être atténués en favorisant un sentiment d’auto-efficacité et d’estime de soi[24]Kylie G. Oliver et al., “Building resilience in young people through meaningful participation”, Australian e-Journal for the Advancement of Mental Health, vol. 5, no. 1, 2006, pp. 34–40; … Continue reading. C’est précisément ce à quoi aboutissent les approches participatives réussies.
« Les enfants étant les experts de leurs problèmes et de leurs besoins, ils sont souvent les mieux placés pour les identifier et les résoudre. »
Outre les avantages psychosociaux, donner aux enfants les moyens d’agir signifie également apprendre à assumer davantage de responsabilités pour améliorer leur situation quotidienne. Les enfants étant les experts de leurs problèmes et de leurs besoins, ils sont souvent les mieux placés pour les identifier et les résoudre. Si les enfants ne doivent pas porter l’essentiel du fardeau de la lutte contre les problèmes structurels, leur contribution à la résolution de ces problèmes peut améliorer considérablement l’efficacité des programmes humanitaires et permettre un soutien beaucoup plus ciblé. De nombreux exemples tirés de la pratique humanitaire illustrent cet effet positif : TPO Uganda, une organisation non gouvernementale travaillant avec des enfants réfugiés, a permis aux enfants de décider des formes de thérapie qui seraient proposées, et a appris par cette expérience que la musique et la danse étaient des éléments cruciaux pour aborder les émotions des enfants[25]Dinnah Nabwire and Patrick Onyango-Mangen, “Children as multipliers of peace: Exemplars of psychosocial support in Uganda”, PeaceLab Blog, 14 April 2021, … Continue reading. Au Népal et au Guatemala, des groupes d’enfants ont mis au point des mécanismes efficaces de signalement des violences domestiques et sexuelles, qui font appel à la contribution des enfants[26]Jason Hart, Children’s participation in humanitarian action: learning from zones of armed conflict, Refugee Studies Centre, University of Oxford, 2004, … Continue reading. En République centrafricaine, au Mali et au Soudan du Sud, des enfants ont installé de grands haut-parleurs dans des régions isolées pour informer leurs pairs – par le biais d’émissions de radio gérées par des enfants – sur les risques du Covid-19 et les moyens de se protéger[27]Office of the Special Representative of the Secretary-General on violence against children, Children as Agents…, op. cit.. Aux Philippines, de nombreuses écoles situées dans des zones exposées aux catastrophes ont formé des équipes d’intervention d’urgence face aux risques naturels, dirigées par des enfants[28]Lynne Benson and Jon Bugge, Child-led disaster risk reduction: a practical guide, Save the Children – Sweden, 2007, https://resourcecentre.savethechildren.net/pdf/2660.pdf. Au Salvador, de simples enseignements sur la protection face aux risques dans les écoles ont permis aux enfants de mener, de manière autonome, une campagne de communication sur les risques liés aux inondations causées par l’exploitation illégale de carrières dans leurs communautés. Les enfants ont réussi à motiver leurs parents et leurs pairs pour qu’ils les aident à faire pression sur les autorités locales afin qu’elles mettent fin à ces activités perturbatrices à long terme[29]Tom Mitchell et al., “The roles of children and youth…”, art. cit.. Ces projets menés par les enfants leur permettent également de créer de nouveaux réseaux de soutien entre pairs. En particulier dans les situations de déracinement, le fait d’entrer en contact avec d’autres enfants de leur communauté qui connaissent des problèmes similaires peut jouer un rôle essentiel dans la réduction de leur vulnérabilité et la création d’un sentiment de normalité et d’appartenance[30]Jason Hart, Children’s participation…, op. cit..
Malgré les avantages considérables que l’action humanitaire menée par les enfants peut avoir pour eux, à court et à long termes, elle comporte également le risque de dommages involontaires[31]Nicola Ansell, Children, Youth and Development, op. cit.. D’une part, les critiques ou les idées que les enfants avancent peuvent être indésirables pour les adultes qui les entourent ou pour la communauté dans son ensemble. Dans les contextes où les hiérarchies sociales sont strictes, l’engagement actif des enfants peut remettre en question la répartition générale du pouvoir et provoquer des réactions négatives. Dans ce scénario, le fait de s’exprimer et d’agir peut avoir pour effet une perte d’autonomie des enfants. Alors que les enfants plus jeunes sont souvent négligés ou dépréciés, les adolescents qui agissent en tant que moteurs du changement sont souvent perçus comme une menace – les groupes de jeunes qui s’organisent peuvent susciter l’inquiétude des autorités et potentiellement les mettre en danger. Cela est particulièrement vrai lorsque la crise humanitaire survient dans le cadre d’un conflit politique ou armé : l’engagement des enfants peut même déclencher des dynamiques qui aggravent la situation générale. Par exemple, que des enfants mènent des activités de consolidation de la paix visant à rassembler différents groupes ethniques au sein d’un conflit peut provoquer l’hostilité des adultes de leurs communautés, au point de provoquer l’effet inverse. En outre, les enfants peuvent souhaiter mener des activités nuisibles, par exemple des projets impliquant un travail physique pénible[32]Jason Hart, Children’s participation…, op. cit.. Cela dit, si des risques sont à prendre en compte, il n’y aura pas de progrès possible sans remise en cause du statu quo. Les risques peuvent être accrus par l’aspect protecteur ou participatif de l’aide. Pour être efficaces, les programmes dirigés par des enfants doivent être encadrés par des pairs plus âgés ou des adultes qui reconnaissent activement les contributions des enfants comme une occasion de grandir ensemble.
Voies à suivre
Le système humanitaire est façonné par le même adultocentrisme qui définit les relations traditionnelles entre adultes et enfants dans de nombreuses sociétés. Cet accent mis sur le point de vue des adultes plutôt que sur celui des enfants entraîne de graves lacunes dans l’aide apportée aux enfants en situation de crise – qu’il s’agisse de passer sous silence des questions pertinentes pour les enfants ou de leur refuser les avantages d’un engagement actif dans les questions qui les concernent. Se contenter d’un discours sur la participation des enfants n’aide pas à surmonter cette dynamique : seule une programmation humanitaire véritablement dirigée par les enfants peut combler ces lacunes. L’action humanitaire doit passer de l’engagement passif des enfants à une attitude inclusive qui motive les enfants à se prendre en charge et qui prenne en compte leurs connaissances, leurs préoccupations et leurs perspectives. Les enfants sont les experts de leurs propres expériences – ils font partie de la solution et non du problème. Comment les acteurs humanitaires peuvent-ils réaliser ce changement ?
La clé du progrès réside dans une autocritique des humanitaires. Les praticiens doivent se former pour devenir des acteurs de second plan efficaces, et fournir aux enfants ce dont ils ont besoin pour prendre les choses en main. Il est important que les humanitaires évitent de tomber dans un schéma où leur vision du monde et des enfants domine le processus de conception et de mise en œuvre des programmes. Les adultes doivent apprendre à donner un sens au monde des enfants et à reconnaître leur position dans la dynamique du pouvoir. Cela signifie qu’ils doivent prendre conscience – et faire prendre conscience aux autres – des capacités des enfants et du rôle des adultes dans le renforcement (ou la limitation) de l’action des enfants. Dans le cadre de ce processus d’apprentissage, les praticiens, qui assument de nouveaux rôles, devraient également tenir compte de la façon dont les enfants sont affectés par – ou peuvent contribuer à aborder – une crise, même si le projet n’inclut pas spécifiquement les enfants. Lors de l’élaboration des programmes humanitaires, les praticiens doivent faire preuve d’une grande souplesse pour écouter et respecter les priorités des enfants et les contextes culturels, sociaux, économiques et politiques locaux dans lesquels ils grandissent.
« Les adultes doivent apprendre à donner un sens au monde des enfants et à reconnaître leur position dans la dynamique du pouvoir. »
Lorsqu’il s’agit de faire passer une participation effective des enfants de la théorie à la pratique, il existe un large éventail de défis à relever. Comment les programmes humanitaires peuvent-ils équilibrer le besoin de soutien et de protection des enfants et leur rôle actif dans la recherche de solutions aux problèmes qui les affectent ? Comment évaluer les projets menés par les enfants ? Comment les activités menées par les enfants peuvent-elles éviter de les exposer davantage à des dangers ? Comment les adultes peuvent-ils surmonter leurs préjugés envers les enfants dans un monde dominé par l’adultocentrisme ? Cet article ne fait que poser des questions sans y répondre, mais nous encourageons les praticiens de l’humanitaire (et au-delà) à y réfléchir et à utiliser ces questions comme point de départ en vue de créer un changement durable pour les enfants dans les crises humanitaires.
Traduit de l’anglais par Benjamin Richardier