L’humanitaire a beau charrier un univers romantique et aventureux, le convertir en roman est toujours une gageure. Parce qu’il se révèle souvent moins romanesque qu’escompté et parce que l’on ne fait pas de la bonne littérature avec des bons sentiments. Pour son premier roman, Giselda Gargano a su éviter ces écueils. Cette ancienne salariée du service communication d’une association humanitaire a bâti une histoire très riche, à la fois ambitieuse et sensible, prenant les notions de « frontière » et de « conflit » comme fil rouge, les déclinant dans leurs acceptions classiques comme dans leurs déclinaisons intimes. Les limites que chacun peut ou ne peut pas dépasser, les confrontations de visions et d’ego sont ainsi disséquées au fil d’un récit dont l’ambition est de décrire un monde humanitaire à hauteur d’hommes et de femmes.
Les quatre personnages centraux qui composent l’histoire, archétypaux, ne sont pas pour autant caricaturaux. On retrouve une infirmière serbe qui exorcisera en Afrique ses démons nés de la guerre de Bosnie, un chirurgien bien né trompant son ennui autant que la mort, un infirmier rebelle à l’autorité, et un militaire symbole de cette proximité souvent problématique entre humanitaires et forces armées, fussent-elles au service de la paix. Mais l’intrigue ne se déploie pas seulement sur le terrain, puisque l’autrice a eu la très bonne idée de donner à voir ce qui se passe et se trame dans les couloirs du siège de l’association, en particulier au service communication. Ce faisant, elle dessine cette frontière, souvent bien réelle, entre ceux qui font de l’humanitaire et ceux qui en parlent, les conflits qui sourdent dans les salles de réunion étant parfois aussi cruels que ceux qui se jouent au détour d’un check-point.
De cet entrelacs de destins qui se croisent et se rejoignent autour de la cause humanitaire, Giselda Gargano a su donner naissance à un récit haletant, se déployant à coups de flash-backs entre le Sarajevo des années 1990 et la République démocratique du Congo des années 2000. D’une crise humanitaro-politique surmédiatisée à la crise oubliée des enfants soldats, sa galerie de personnages aide à mieux comprendre les itinéraires et les psychologies de ceux qui s’engagent dans l’humanitaire. Pour s’y trouver, ou s’y perdre.