La crise alimentaire mondiale n’a pas eu lieu

Frédéric Mousseau
Frédéric MousseauFrédéric Mousseau est directeur politique du Oakland Institute (https://www.oaklandinstitute.org). Au sein de cette organisation, il coordonne les recherches ainsi que les activités de plaidoyer portant sur l’investissement foncier, l’alimentation, l’agriculture et les institutions internationales. Au cours de ses plus de trente ans d’expérience, il a écrit de nombreux rapports, analyses et articles sur ces sujets. Économiste de formation, il a travaillé pendant presque vingt ans comme salarié et consultant pour des organisations humanitaires, notamment Action contre la Faim, Médecins Sans Frontières et Oxfam International. Frédéric a dirigé des opérations d’aide humanitaire dans le cadre de nombreuses crises dans le monde entier, mais aussi conçu et supervisé des programmes portant sur la sécurité alimentaire dans plus de trente pays. Il a aussi réalisé de nombreuses analyses et études sur les politiques, les programmes et les institutions liés à la sécurité alimentaire et a publié plusieurs rapports et articles sur ces thématiques. Ces dernières années, Frédéric s’est concentré sur son travail de recherche et de plaidoyer et sur les politiques en matière de sécurité alimentaire, en lien avec le rôle des institutions internationales, les investissements dans le secteur de l’agriculture et les terres arables, la volatilité des prix alimentaires et les crises alimentaires.

Une prétendue « crise alimentaire mondiale » frappe le monde depuis l’invasion russe de l’Ukraine début 2022, alors qu’il n’y a pas de pénurie alimentaire et que les stocks alimentaires sont à leurs niveaux les plus élevés. Frédéric Mousseau explique comment les grands groupes agroalimentaires et les spéculateurs profitent de la situation au détriment des agriculteurs et des consommateurs et appelle les acteurs humanitaires à relever ce nouveau défi pour lutter contre la faim dans le monde.


En février 2022, dans les jours qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les prix des denrées alimentaires ont flambé sur les marchés internationaux. L’index des prix des produits alimentaires de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organization – FAO en anglais) a atteint un « niveau record » de 20 % au-dessus de son niveau de l’année précédente. Cette augmentation des prix a été ressentie dans le monde entier et a eu un impact dramatique sur les moyens de subsistance de milliards de personnes qui achètent leur nourriture pour nourrir leur famille. Cette inflation a été un facteur clé qui a conduit le Programme alimentaire mondial (PAM) à qualifier l’année 2022 d’« année de famine sans précédent ».

Pourtant, même si l’Ukraine est traditionnellement un exportateur majeur de denrées alimentaires sur les marchés internationaux – elle exporte environ 9 % de l’ensemble du blé et 12 % de l’ensemble du maïs échangés dans le monde[1]US Department of Agriculture, Foreign Agricultural Service, Ukraine Agricultural Production and Trade, April 2022, https://fas.usda.gov/sites/default/files/2022-04/Ukraine-Factsheet-April2022.pdf –, il n’y a pas eu de pénurie alimentaire à la suite de l’invasion russe. D’après un rapport de la FAO[2]Food and Agriculture Organization, World Food Situation, FAO Cereal Supply and Demand Brief, 2 February 2024, https://www.fao.org/worldfoodsituation/csdb/en publié en mai 2022, le monde disposait alors d’« un niveau d’offre relativement confortable » concernant les céréales. Cela a été confirmé par la Banque mondiale qui notait que les stocks mondiaux de céréales avaient atteint des niveaux historiquement hauts, et que près des trois quarts des exportations de blé russes et ukrainiennes avaient déjà été livrées avant le début de la guerre[3]Mari Elka Pangestu, “Four paths to respond to the food price crisis”, World Bank blogs, 25 March 2022, https://blogs.worldbank.org/voices/four-paths-respond-food-price-crisis. Le tapage médiatique sur le fait que la guerre en Ukraine allait conduire à une crise alimentaire mondiale a été contredit par les chiffres fournis par le ministère de l’Agriculture ukrainien lui-même, qui a déclaré en mai que le pays avait exporté 46,51 millions de tonnes de céréales au cours de la saison 2021-2022, contre 40,85 millions l’année précédente[4]Gus Trompiz and Pavel Polityuk, “Ukraine’s Black Sea grain export success tested by Red Sea crisis”, Reuters, 25 January 2024, … Continue reading.

Pourquoi les prix des denrées alimentaires ont-ils soudain augmenté en 2022?

Tout comme lors de la crise alimentaire de 2007-2008, la spéculation a été un élément essentiel de cette augmentation. Bien que les pays du G7 et l’Union européenne se soient tous engagés à mettre fin à la spéculation alimentaire en 2009, celle-ci n’a manifestement pas cessé[5]Benoît Biteau, Karima Delli, Bas Eickhout et al., “Stop speculators gambling with our food and energy prices – and our lives”, Greens/EFA, 6 July 2022, … Continue reading. Les analyses de Lighthouse Reports[6]Ludo Hekman, Margot Gibbs, Thin Lei Win et al., “The Hunger profiteers. Financial speculators make a killing on food prices in regulatory failure”, Lighthouse Reports, 6 May 2022, … Continue reading en 2022 arrivent à la conclusion que « des spéculateurs ont envahi les marchés des denrées alimentaires pour tenter de tirer un profit de l’augmentation des prix. » Pour donner un exemple frappant de cette situation, deux « fonds négociés en bourse » (exchange-traded funds – ETF en anglais) attachés aux denrées alimentaires ont reçu 1,2 milliard de dollars américains d’investissements, soit une augmentation de 600 % par rapport aux 197 millions de dollars reçus pour toute l’année 2021. Selon le New York Times[7]“Poor countries face a mounting catastrophe fueled by inflation and debt”, The New York Times, 17 May 2022., « en avril 2022, les spéculateurs ont été responsables de 72 % des activités d’achat sur le marché du blé de Paris, soit une augmentation de 25 % par rapport à avant la pandémie. » Olivier De Schutter, le rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’Homme et l’extrême pauvreté, a observé avec raison que « l’activité spéculative d’investisseurs institutionnels puissants s’intéressant habituellement peu aux fondamentaux du marché agricole parie de fait sur la faim et l’aggrave. »

En plus de la spéculation financière, il est désormais largement établi que l’accroissement des profits des grands groupes privés a constitué un autre facteur majeur de l’augmentation des prix. Plusieurs institutions telles que le Fonds monétaire international (FMI)[8]Niels-Jakob Hansen, Frederik G. Toscani and Jing Zhou, “Euro area inflation after the pandemic and energy shock: Import prices, profits and wages”, International Monetary Fund, Working Paper … Continue reading, l’Organisation de coopération et de développement économiques[9]OCDE, Perspectives économiques de l’OCDE, volume 2023, numéro 1, 7 juin 2023,
https://www.oecd-ilibrary.org/fr/economics/perspectives-economiques-de-l-ocde/volume-2023/issue-1_4d811166-fr
et la Banque centrale européenne[10]Banque centrale européenne, Economic, financial and monetary developments, Economic bulletin, no. 4, 2023, https://www.ecb.europa.eu/pub/economic-bulletin/html/eb202304.en.html ont documenté la façon dont les profits croissants des entreprises et de leurs actionnaires ont été un facteur très important d’inflation en 2022. Les multinationales du secteur alimentaire ont profité de la situation pour augmenter leurs marges de profit et ont ainsi enregistré des bénéfices exceptionnels en 2022. Par exemple, les bénéfices d’Archer Daniels Midland ont augmenté de 39 %, pour passer de 4,8 milliards de dollars américains en 2021 à 6,6 milliards en 2022[11]Archer Daniels Midland, 2022 Annual Report, https://s1.q4cdn.com/365366812/files/doc_financials/2022/ar/ADM-Proxy-and-10-k.pdf. Glencore a annoncé des bénéfices à hauteur de 6,4 milliards de dollars américains, soit une augmentation de 73 % par rapport à l’année précédente[12]Glencore, Preliminary results 2022, Highlights, 15 February 2023, https://www.glencore.com/media-and-insights/news/preliminary-results-2022. Les bénéfices de Louis Dreyfus sont passés de 1,6 milliard de dollars en 2021 à 2,3 milliards en 2022, soit une augmentation de 44 %[13]Louis Dreyfus Company, Annual Report 2022, https://www.ldc.com/annual-report-2022. Et Cargill a déclaré avoir connu une augmentation de 23 % de son chiffre d’affaires pour atteindre le record de 165 milliards de dollars en 2022, avec un bénéfice record de 6,7 milliards de dollars[14]Gerson Freitas Jr., “Cargill profit drops 43 % from record high”, Bloomberg, 19 September 2023..

« La réalité, c’est qu’à l’échelle de la planète, nous produisons bien plus de nourriture que ce que nous mangeons. »

En 2023, les prix des denrées alimentaires ont baissé par rapport à 2022, mais sont restés environ 15 % plus élevés que la moyenne des dix années précédentes. Pourtant, deux ans après l’invasion de l’Ukraine, il n’y a toujours pas de pénurie de produits alimentaires. La réalité, c’est qu’à l’échelle de la planète, nous produisons bien plus de nourriture que ce que nous mangeons. Alors que 25 % des denrées alimentaires produites dans le monde sont perdues ou gaspillées, plus de 33 % de ces denrées sont utilisées pour nourrir les animaux et pour d’autres usages non alimentaires, principalement pour produire des agrocarburants[15]M. Berners-Lee, C. Kennelly, R. Watson et al., “Current global food production is sufficient to meet human nutritional needs in 2050 provided there is radical societal adaptation”, … Continue reading. Le fait qu’une quantité croissante de denrées alimentaires serve à produire des agrocarburants – comme cela avait déjà été constaté durant la crise des prix des produits alimentaires de 2007-2008 – est un autre facteur majeur qui alimente les tensions sur les marchés des denrées alimentaires du monde entier. Les États-Unis produisent chaque année près de 400 millions de tonnes de maïs, mais plus de 40 % de ce maïs – soit 160 millions de tonnes – servent à produire de l’éthanol, tandis que 40 % servent à nourrir le bétail, que 10% sont exportés et que seulement 10 % sont utilisés pour l’alimentation. Aux États-Unis, la production d’éthanol est passée de 3,6 millions de barils en 2001 à 400 millions en 2021[16]U.S. Energy Information Administration, Biofuels explained: Biodiesel, renewable diesel, and other biofuels, 29 June 2022, … Continue reading. Malgré son engagement dans la lutte contre la crise climatique et le fait que l’éthanol produise au moins 24 % de carbone de plus que le pétrole[17]Leah Douglas, “U.S. corn-based ethanol worse for the climate than gasoline, study finds”, Reuters, 14 February 2022, … Continue reading, en avril 2022, l’administration Biden – sous la pression du Congrès et de l’industrie – a pris des mesures pour encourager davantage la production d’éthanol[18]CNBC, Biden waiving ethanol rule in bid to lower gasoline prices, 12 April 2022, https://www.cnbc.com/2022/04/12/biden-waiving-ethanol-rule-in-bid-to-lower-gasoline-prices.html tout en continuant à la subventionner largement[19]Environmental Protection Agency, Renewable Fuel Standard Program: Overview for renewable fuel standard, 23 January 2024, … Continue reading. Un certain nombre d’autres pays, notamment le Brésil qui arrive deuxième derrière les États-Unis, continuent à développer leur production d’agrocarburants malgré leurs effets dévastateurs sur le climat et l’environnement.

Des biais déroutants dans la compréhension et la gestion des crises alimentaires

Au vu de ces facteurs de tension sur les marchés alimentaires mondiaux, certaines des réponses à la situation de 2022 sont pour le moins étonnantes et ont des implications majeures sur la manière dont le monde comprend les crises alimentaires et y répond.

Début 2022, pour les gouvernements des nations les plus riches et les institutions internationales, le message principal et immédiat était de maintenir les échanges commerciaux. Dans une déclaration commune, la Banque mondiale, le FMI, le PAM et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont enjoint « tous les pays à maintenir les échanges commerciaux et à éviter de prendre des mesures restrictives telles que des interdictions d’exportation de denrées alimentaires ou d’engrais qui aggraveraient encore davantage la souffrance des populations les plus vulnérables[20]La Banque mondiale, Joint Statement: The Heads of the World Bank Group, IMF, WFP, and WTO call for urgent coordinated action on food security, 13 April 2022, … Continue reading ». Lorsque l’Inde a décidé de limiter ses exportations de blé afin de garantir une disponibilité suffisante pour sa population, le gouvernement américain[21]“US hopes India would ‘reconsider’ its decision to restrict wheat exports”, The Economic Times, 17 May 2022, … Continue reading et le FMI[22]New Dehli Television, “Beg India to reconsider wheat export ban as soon as possible: IMF Chief”, 24 May 2022, https://www.youtube.com/watch?v=cBuqdsK6h_o&ab_channel=NDTV lui ont demandé de reconsidérer sa décision. Selon eux, ces restrictions « aggraveraient les pénuries alimentaires » dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce qui donnait une image manifestement fausse de la nature de la crise. Les restrictions appliquées par l’Inde ne portaient que sur 10 millions de tonnes de blé, ce qui est insignifiant comparé, par exemple, à la production américaine de céréales utilisées pour produire de l’éthanol, qui s’élève à 400 millions de tonnes.

Après l’invasion russe, le maintien du flux de denrées alimentaires venant d’Ukraine est devenu une priorité essentielle des Nations unies, ce qui s’est traduit par un accord international important, l’Initiative céréalière de la mer Noire, qui a été signé en juillet 2022, prétendument pour éviter des famines et une crise alimentaire mondiale[23]United Nations, Black Sea Grain Initiative, 22 July 2022, https://www.un.org/en/black-sea-grain-initiative. Cette initiative menée par les Nations unies et négociée entre la Russie, la Turquie et l’Ukraine avait pour but de permettre les exportations de denrées alimentaires et d’engrais à partir de trois ports ukrainiens. Pour le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, il s’agissait d’« un grand pas en avant pour lutter contre la crise alimentaire mondiale qui sévit actuellement dans le monde[24]USAID, The Black Sea Grain Initiative, 10 November 2022, https://www.usaid.gov/fact-sheet/food-security/black-sea-grain-initiative ». La Commission européenne a célébré l’initiative comme « une étape essentielle dans les efforts pour surmonter l’insécurité alimentaire mondiale causée par l’agression de la Russie contre l’Ukraine[25]European External Action Service, Russia/Ukraine: Statement by High Representative Josep Borrell on the agreement on export of grains, 22 July 2022, … Continue reading ».

Cependant, malgré ces déclarations pleines d’espoir, qui ont reçu un large écho dans les médias occidentaux et les milieux gouvernementaux, lesquels assuraient que l’initiative était essentielle pour sécuriser l’approvisionnement en denrées alimentaires des populations dans le besoin, en particulier en Afrique, les données publiées par les Nations unies présentent une réalité bien différente. Elles montrent qu’au bout d’un an, seulement 3 % des 32,9 millions de tonnes de denrées alimentaires exportées par l’Ukraine dans le cadre de l’initiative sont arrivées dans des pays à faible revenu, et seulement 2 % ont été utilisées dans le cadre des opérations d’aide alimentaire du PAM. La première destination des exportations agricoles ukrainiennes a été l’Union européenne, suivie par la Chine[26]United Nations, Data. Black Sea Grain Initiative, 16 January 2024, https://www.un.org/en/black-sea-grain-initiative/data.

En Europe, l’Espagne est le pays qui a reçu la plus grande part de ces exportations. Les quatre entreprises qui ont exporté le plus de denrées alimentaires ukrainiennes en Espagne sont parmi les plus grandes multinationales du secteur alimentaire, à savoir Archer Daniels Midland (305 000 tonnes), Glencore (278 390 tonnes), Louis Dreyfus (223 059 tonnes), et Cargill (118 735 tonnes). Comme nous l’avons mentionné plus haut, alors que l’inflation se propageait sur tous les marchés du monde et qu’il était de plus en plus difficile pour les populations pauvres de satisfaire leurs besoins alimentaires de base, ces mêmes entreprises annonçaient une forte augmentation de leurs chiffres d’affaires et des bénéfices records qui atteignirent des milliards en 2022.

Au lieu d’apporter de l’aide aux populations pauvres de la planète, l’initiative des Nations unies pour faciliter les exportations ukrainiennes a principalement bénéficié à ces grands groupes, à leurs actionnaires, à leurs créanciers et à leurs partenaires – des géants de l’agro-alimentaire et des oligarques ukrainiens. Le rapport du Oakland Institute, publié en février 2023 et intitulé (en français) Guerre et spoliation: la prise de contrôle des terres agricoles ukrainiennes[27]Frédéric Rousseau and Eve Devillers, War and Theft: The Takeover of Ukraine’s Agricultural Land, The Oakland Institute, … Continue reading, montre que les producteurs qui exportent des denrées alimentaires depuis l’Ukraine sont en majorité des géants du secteur agro-alimentaire et des oligarques associés à des intérêts financiers européens et nord-américains. Il montre aussi comment ces acteurs sont lourdement endettés auprès des institutions financières occidentales, en particulier la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque européenne d’investissement et la Société financière internationale, la branche de la Banque mondiale consacrée au secteur privé.

En privilégiant ces intérêts, l’Initiative céréalière de la mer Noire a mis en danger les moyens de subsistance de millions d’agriculteurs européens, au point que la Hongrie et la Pologne ont interdit les importations depuis l’Ukraine en avril 2023 afin de protéger leurs agriculteurs contre la concurrence injuste que représentaient ces importations à bas prix[28]“Hungary, Poland Block Ukrainian Farm Imports as Accord Falters”, Bloomberg, 15 April 2023.. En France, les agriculteurs et l’industrie de la volaille ont aussi dénoncé l’impact dévastateur des importations de poulet à bas prix depuis l’Ukraine, facilitées par les exemptions de taxes et le financement par l’Europe de Myronivskyi Hliboprodukt, le plus gros producteur de volaille d’Ukraine, contrôlé par l’oligarque Iouri Kosiouk[29]Patrice Moyon, « Le roi du poulet ukrainien fait trembler le coq gaulois », Ouest-France, 20 juillet 2023, … Continue reading.

En 2022, les bénéfices des quatre plus grandes entreprises de produits alimentaires déjà citées ont atteint près de 20 milliards de dollars américains. Étonnamment, la même année, le PAM cherchait à rassembler 22 milliards de dollars pour répondre aux besoins alimentaires de 345 millions de personnes dans 82 pays[30]World Food Programme, France and WPM launch FARM solidarity mechanism, 26 July 2022, https://www.wfp.org/news/france-and-wfp-launch-farm-solidarity-mechanism. Malheureusement, cette année-là, l’organisation d’aide alimentaire n’a pu rassembler que la somme de 14 milliards de dollars. Du fait des prix élevés des denrées alimentaires et du pétrole, le PAM faisait face à des difficultés croissantes pour répondre aux besoins alimentaires, avec des coûts opérationnels mensuels qui s’élevaient en 2022 à 73,6 millions de dollars de plus que la moyenne de ces coûts en 2019, soit une augmentation vertigineuse de 44 %. D’après le PAM, « les sommes supplémentaires dépensées aujourd’hui pour les frais de fonctionnement auraient permis de nourrir 4 millions de personnes pendant un mois.[31]Programme alimentaire mondial, Une crise alimentaire mondiale. 2023 : une nouvelle année de risques extrêmes pour ceux qui luttent pour nourrir leur famille, 24 juin 2022, … Continue reading »

Il est proprement scandaleux que la faim dans le monde ait augmenté du fait de la spéculation et des profits extravagants des grandes entreprises agroalimentaires, tout en limitant la capacité des organisations humanitaires à fournir de l’aide et en les contraignant à collecter davantage de fonds pour couvrir l’augmentation des coûts.

« Même en l’absence de pénurie alimentaire mondiale, l’insécurité alimentaire est une réalité quotidienne pour des milliards de personnes. »

L’incapacité chronique des organisations internationales à collecter suffisamment de ressources pour les opérations d’aide alimentaire était dramatique avant même cette augmentation des prix de 2022. Même en l’absence de pénurie alimentaire mondiale, l’insécurité alimentaire est une réalité quotidienne pour des milliards de personnes qui vivent sous la menace des sécheresses, des conflits, et de l’augmentation des prix des denrées. La FAO estime qu’entre 691 et 783 millions de personnes dans le monde ont été confrontées à la faim en 2022 et que, en prenant en compte la moyenne (environ 735 millions), ce sont 122 millions de personnes supplémentaires qui ont eu faim en 2022 par rapport à 2019, avant la pandémie mondiale[32]FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF, Résumé de l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2023. Urbanisation, transformation des systèmes agroalimentaires et accès à une … Continue reading. Malheureusement, les pays riches n’ont apporté que peu de réponses aux souffrances et à la faim qui affectaient de nombreux pays avant même la guerre en Ukraine. Les appels humanitaires de l’ONU pour faire face à des crises aigües sont sous-financés de façon chronique[33]OCHA, Coordinated plans 2021, https://fts.unocha.org/appeals/overview/2021. En 2021, seulement 45 % de l’appel de l’ONU pour le Yémen et la Corne de l’Afrique a été financé, et seulement 29 % de l’appel pour la Syrie. Globalement en 2023, l’ONU indiquait que seul un peu plus d’un tiers des 57 milliards de dollars nécessaires à la fourniture d’aide humanitaire avait été financé, « ce qui en fait historiquement un des pires déficits de financement[34]OCHA, Launching 2024 global appeal, UN relief chief spolights need to “reconfirm humanity”, 11 December 2023, … Continue reading. »

Ce qui s’est passé en 2022 pose une question fondamentale pour les acteurs humanitaires : alors que la nourriture est disponible en abondance, que l’inflation est due à la spéculation, à l’augmentation des bénéfices des grands groupes et qu’une part croissante de la production de denrées alimentaires est utilisée pour les agrocarburants, pourquoi insiste-t-on autant sur le maintien des échanges commerciaux ? Pourquoi l’ONU a-t-elle autant investi dans l’Initiative céréalière de la mer Noire alors qu’elle ne répondait pas au problème d’insécurité alimentaire, mais faisait les affaires des grands groupes agroalimentaires, de leurs créanciers et de leurs actionnaires ?

« Comprendre et contrôler le récit sur la faim dans le monde et les crises alimentaires est devenu un défi majeur à relever pour la lutte contre la faim. »

Début 2022, le PAM semble avoir été bien mal inspiré de s’associer à la Banque mondiale et à l’OMC dans la déclaration commune qui appelait à maintenir les échanges commerciaux et détournait l’impératif humanitaire au bénéfice des conglomérats de l’agro-alimentaire. Pour les organisations humanitaires, la leçon à tirer de cette vraie-fausse crise alimentaire de 2022 est que comprendre et contrôler le récit sur la faim dans le monde et les crises alimentaires est devenu un défi majeur à relever pour la lutte contre la faim.

De nouvelles manières de faire du plaidoyer pour les organisations humanitaires

Du fait de l’incidence des prix élevés des denrées alimentaires sur les plus pauvres et sur les capacités des organisations humanitaires à fournir l’aide nécessaire, il est fondamental que ces organisations s’engagent activement dans un nouveau plaidoyer qui aille au-delà de l’appel à plus de financements publics pour leurs opérations.

Reconnaître et respecter la souveraineté alimentaire

Si les gouvernements et les institutions internationales veulent vraiment faire disparaître les souffrances humaines liées à la hausse des prix des denrées alimentaires, ils ne doivent pas exercer de pressions sur les pays qui cherchent à réguler leurs marchés et à garantir un approvisionnement alimentaire suffisant pour préserver leur sécurité alimentaire au niveau national. Il est essentiel qu’ils reconnaissent et respectent la souveraineté alimentaire de toutes les nations et la responsabilité qu’ont les gouvernements de garantir le droit à des produits alimentaires abordables et nutritifs pour tous leurs citoyens, conformément aux Directives volontaires de l’ONU sur le droit à l’alimentation[35]FAO, Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, 2005, … Continue reading.

Faire respecter la Charte des Nations unies

Dans le cadre de l’Initiative céréalière de la mer Noire, en prétendant lutter contre la faim dans le monde alors qu’elle agissait comme un agent au service des grandes entreprises agro-alimentaires, l’ONU a été incroyablement malhonnête. C’était une violation des valeurs et des principes de l’Article 55 de la Charte des Nations unies qui stipule que l’institution doit favoriser les conditions du progrès et du développement dans l’ordre économique et social[36]Nations unies, Charte des Nations unies (version intégrale), 26 juin 1945, https://www.un.org/fr/about-us/un-charter/full-text. Parce que la faim dans le monde, les conflits et l’urgence climatique nécessitent une mobilisation internationale massive, les agences et programmes des Nations unies, les banques et les institutions financières occidentales doivent être tenus pour responsables et contraints à concentrer leurs efforts sur l’aide aux populations et aux gouvernements dans un objectif de bien commun.

Limiter la spéculation sur les marchés alimentaires

Une des mesures clés que les pays peuvent prendre pour faire baisser la pression sur les marchés mondiaux est de limiter la spéculation sur les produits alimentaires, et en particulier de mettre en place des restrictions sur les marchés des contrats à terme où les spéculateurs parient sur les prix futurs. Les États-Unis tout comme l’Union européenne disposent des instruments et des mécanismes qui leur permettraient d’agir, notamment la Commodity Futures Trading Commission[37]CFTC, Speculative Limits,
https://www.cftc.gov/IndustryOversight/MarketSurveillance/SpeculativeLimits/speculativelimits.html
et l’Autorité européenne des marchés financiers[38]Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), Présentation, https://www.esma.europa.eu. Il ne leur manque que la volonté politique pour renforcer et utiliser ces mécanismes.

Taxer les bénéfices des profiteurs

« 9 000 milliards de dollars américains pourraient être levés rien qu’en taxant la richesse et les revenus du 1 % des personnes les plus riches et les bénéfices de 722 des plus grandes entreprises mondiales. »

Comme l’a souligné Oxfam, « les pays riches doivent entendre les demandes des pays du Sud sur la révision du système fiscal international pour le rendre inclusif et plus juste. Une convention des Nations unies sur la fiscalité pourrait ouvrir la voie à des réformes du système fiscal international qui, à l’heure actuelle, favorise les pays riches.[39]Oxfam International, New climate and tax taskforce must make rich polluters pay, 2 December 2023, https://www.oxfam.org/en/press-releases/new-climate-and-tax-taskforce-must-make-rich-polluters-pay » Selon Oxfam, 9 000 milliards de dollars américains pourraient être levés rien qu’en taxant la richesse et les revenus du 1 % des personnes les plus riches et les bénéfices de 722 des plus grandes entreprises mondiales[40]Make rich polluters pay, Climate equality – A planet for the 99 %, Oxfam, 2023, https://makerichpolluterspay.org/climate-equality-report. Cette somme correspond à 236 fois le déficit de financement de l’aide humanitaire en 2023. Alors que les organisations humanitaires peinent à trouver des ressources pour financer des interventions qui sauvent des vies, leur sous-financement chronique pourrait être facilement résolu avec la création d’un tel mécanisme pour financer la solidarité mondiale.

Les moments décisifs sont des moments de grande clarté où apparaissent de nouvelles perspectives et opportunités pour réaliser de grands changements. Même si la faim dans le monde, des conflits dévastateurs et des souffrances immenses étaient déjà là, les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient doivent constituer un tournant majeur. Il est plus que temps de remettre en cause l’ordre établi afin d’ouvrir la voie à de vraies solutions contre la faim.

 

Traduit de l’anglais par Lucile Guieu

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References

References
1 US Department of Agriculture, Foreign Agricultural Service, Ukraine Agricultural Production and Trade, April 2022, https://fas.usda.gov/sites/default/files/2022-04/Ukraine-Factsheet-April2022.pdf
2 Food and Agriculture Organization, World Food Situation, FAO Cereal Supply and Demand Brief, 2 February 2024, https://www.fao.org/worldfoodsituation/csdb/en
3 Mari Elka Pangestu, “Four paths to respond to the food price crisis”, World Bank blogs, 25 March 2022, https://blogs.worldbank.org/voices/four-paths-respond-food-price-crisis
4 Gus Trompiz and Pavel Polityuk, “Ukraine’s Black Sea grain export success tested by Red Sea crisis”, Reuters, 25 January 2024, https://www.reuters.com/markets/commodities/ukrainian-grain-exports-this-month-much-lower-than-may-2021-ministry-2022-05-19
5 Benoît Biteau, Karima Delli, Bas Eickhout et al., “Stop speculators gambling with our food and energy prices – and our lives”, Greens/EFA, 6 July 2022, https://www.greens-efa.eu/opinions/stop-gambling-with-our-food-and-energy-prices
6 Ludo Hekman, Margot Gibbs, Thin Lei Win et al., “The Hunger profiteers. Financial speculators make a killing on food prices in regulatory failure”, Lighthouse Reports, 6 May 2022, https://www.lighthousereports.nl/investigation/the-hunger-profiteers
7 “Poor countries face a mounting catastrophe fueled by inflation and debt”, The New York Times, 17 May 2022.
8 Niels-Jakob Hansen, Frederik G. Toscani and Jing Zhou, “Euro area inflation after the pandemic and energy shock: Import prices, profits and wages”, International Monetary Fund, Working Paper no. 131, 23 June 2023.
9 OCDE, Perspectives économiques de l’OCDE, volume 2023, numéro 1, 7 juin 2023,
https://www.oecd-ilibrary.org/fr/economics/perspectives-economiques-de-l-ocde/volume-2023/issue-1_4d811166-fr
10 Banque centrale européenne, Economic, financial and monetary developments, Economic bulletin, no. 4, 2023, https://www.ecb.europa.eu/pub/economic-bulletin/html/eb202304.en.html
11 Archer Daniels Midland, 2022 Annual Report, https://s1.q4cdn.com/365366812/files/doc_financials/2022/ar/ADM-Proxy-and-10-k.pdf
12 Glencore, Preliminary results 2022, Highlights, 15 February 2023, https://www.glencore.com/media-and-insights/news/preliminary-results-2022
13 Louis Dreyfus Company, Annual Report 2022, https://www.ldc.com/annual-report-2022
14 Gerson Freitas Jr., “Cargill profit drops 43 % from record high”, Bloomberg, 19 September 2023.
15 M. Berners-Lee, C. Kennelly, R. Watson et al., “Current global food production is sufficient to meet human nutritional needs in 2050 provided there is radical societal adaptation”, Elementa: Science of the Anthropocene, vol. 6, no. 52, 18 July 2018, https://online.ucpress.edu/elementa/article/doi/10.1525/elementa.310/112838/Current-global-food-production-is-sufficient-to
16 U.S. Energy Information Administration, Biofuels explained: Biodiesel, renewable diesel, and other biofuels, 29 June 2022, https://www.eia.gov/energyexplained/biofuels/use-and-supply-of-ethanol-supply.php#:~:text=Total%20production%20capacity%20increased%20from,year%20from%201981%20through%202021
17 Leah Douglas, “U.S. corn-based ethanol worse for the climate than gasoline, study finds”, Reuters, 14 February 2022, https://www.reuters.com/business/environment/us-corn-based-ethanol-worse-climate-than-gasoline-study-finds-2022-02-14
18 CNBC, Biden waiving ethanol rule in bid to lower gasoline prices, 12 April 2022, https://www.cnbc.com/2022/04/12/biden-waiving-ethanol-rule-in-bid-to-lower-gasoline-prices.html
19 Environmental Protection Agency, Renewable Fuel Standard Program: Overview for renewable fuel standard, 23 January 2024, https://www.epa.gov/renewable-fuel-standard-program/overview-renewable-fuel-standard
20 La Banque mondiale, Joint Statement: The Heads of the World Bank Group, IMF, WFP, and WTO call for urgent coordinated action on food security, 13 April 2022, https://www.worldbank.org/en/news/statement/2022/04/13/joint-statement-the-heads-of-the-world-bank-group-imf-wfp-and-wto-call-for-urgent-coordinated-action-on-food-security
21 “US hopes India would ‘reconsider’ its decision to restrict wheat exports”, The Economic Times, 17 May 2022, https://economictimes.indiatimes.com/news/economy/foreign-trade/us-hopes-to-convince-india-to-reconsider-wheat-exports-curb-decision/articleshow/91610162.cms
22 New Dehli Television, “Beg India to reconsider wheat export ban as soon as possible: IMF Chief”, 24 May 2022, https://www.youtube.com/watch?v=cBuqdsK6h_o&ab_channel=NDTV
23 United Nations, Black Sea Grain Initiative, 22 July 2022, https://www.un.org/en/black-sea-grain-initiative
24 USAID, The Black Sea Grain Initiative, 10 November 2022, https://www.usaid.gov/fact-sheet/food-security/black-sea-grain-initiative
25 European External Action Service, Russia/Ukraine: Statement by High Representative Josep Borrell on the agreement on export of grains, 22 July 2022, https://www.eeas.europa.eu/eeas/russiaukraine-statement-high-representative-josep-borrell-agreement-export-grains_en
26 United Nations, Data. Black Sea Grain Initiative, 16 January 2024, https://www.un.org/en/black-sea-grain-initiative/data
27 Frédéric Rousseau and Eve Devillers, War and Theft: The Takeover of Ukraine’s Agricultural Land, The Oakland Institute, 23 February 2023,
https://www.oaklandinstitute.org/sites/oaklandinstitute.org/files/takeover-ukraine-agricultural-land.pdf
28 “Hungary, Poland Block Ukrainian Farm Imports as Accord Falters”, Bloomberg, 15 April 2023.
29 Patrice Moyon, « Le roi du poulet ukrainien fait trembler le coq gaulois », Ouest-France, 20 juillet 2023, https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/le-roi-du-poulet-ukrainien-fait-trembler-le-coq-gaulois-74379878-2155-11ee-83e6-ea6b7a82d0d2
30 World Food Programme, France and WPM launch FARM solidarity mechanism, 26 July 2022, https://www.wfp.org/news/france-and-wfp-launch-farm-solidarity-mechanism
31 Programme alimentaire mondial, Une crise alimentaire mondiale. 2023 : une nouvelle année de risques extrêmes pour ceux qui luttent pour nourrir leur famille, 24 juin 2022, https://fr.wfp.org/crise-alimentaire-mondiale
32 FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF, Résumé de l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2023. Urbanisation, transformation des systèmes agroalimentaires et accès à une alimentation saine le long du continuum rural-urbain, 2023, https://www.fao.org/3/cc6550fr/cc6550fr.pdf
33 OCHA, Coordinated plans 2021, https://fts.unocha.org/appeals/overview/2021
34 OCHA, Launching 2024 global appeal, UN relief chief spolights need to “reconfirm humanity”, 11 December 2023, https://www.unocha.org/news/launching-2024-global-appeal-un-relief-chief-spotlights-need-reconfirm-humanity#:~:text=In%202023%2C%20we%20have%20so,than%20in%20the%20previous%20year
35 FAO, Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, 2005, https://www.fao.org/3/y7937f/y7937f00.pdf
36 Nations unies, Charte des Nations unies (version intégrale), 26 juin 1945, https://www.un.org/fr/about-us/un-charter/full-text
37 CFTC, Speculative Limits,
https://www.cftc.gov/IndustryOversight/MarketSurveillance/SpeculativeLimits/speculativelimits.html
38 Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), Présentation, https://www.esma.europa.eu
39 Oxfam International, New climate and tax taskforce must make rich polluters pay, 2 December 2023, https://www.oxfam.org/en/press-releases/new-climate-and-tax-taskforce-must-make-rich-polluters-pay
40 Make rich polluters pay, Climate equality – A planet for the 99 %, Oxfam, 2023, https://makerichpolluterspay.org/climate-equality-report

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