En Ukraine, aux dangers directs du conflit s’ajoutent des dommages environnementaux majeurs qui compromettent l’agriculture et les écosystèmes. D’après les auteurs, malgré l’ampleur de la mobilisation internationale, la réponse humanitaire peine encore à intégrer cette dimension écologique, négligeant les besoins spécifiques des communautés locales comme les petits agriculteurs.
En trois ans, l’invasion de l’Ukraine à grande échelle par la Russie a causé de graves dommages sur le vivant humain et non humain, et sur de vastes superficies. Outre les milliers de personnes touchées et d’infrastructures détruites depuis février 2022, les hostilités nuisent considérablement aux écosystèmes, ce qui nécessite aussi une réponse humanitaire. La guerre a pollué l’eau et l’air, dégradé les sols et entraîné une perte de biodiversité[1]Andrii Bahinskyi and Nina Potarska, Ukraine: War, Climate Change, and the Limitations of the Humanitarian System, Workshop Report,Alameda Institute, November 2024, … Continue reading. Environ 25 % du territoire ukrainien est miné, ce qui y empêche la vie et la conduite des activités économiques. Cette situation a fait émerger une double vulnérabilité pour la population ukrainienne affectée par le conflit. Aux risques quotidiens engendrés par les affrontements sur le terrain s’ajoute la dégradation des écosystèmes, qui entrave l’agriculture traditionnelle et requiert l’allocation de ressources importantes pour la restauration. Cette double vulnérabilité accroît nettement les besoins d’aide humanitaire dans le pays.
Qui plus est, la destruction de l’environnement par la guerre en Ukraine engendre des implications globales et, de fait, planétaires. Les conséquences du conflit se sont combinées à celles de la pandémie de Covid-19. Elles ont mis sous tension l’approvisionnement en nourriture et en carburant et contribué, sur les quatre premiers mois de 2022, à une augmentation de 17 % de l’Indice des prix des produits alimentaires de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Les affrontements nourrissent aussi le changement climatique, les armées générant des émissions massives de dioxyde de carbone, quoique non comptabilisées. Au cours des deux premières années de la guerre à grande échelle, on estimait que les émissions s’élevaient à 175 millions de tonnes de dioxyde de carbone, un volume comparable aux émissions annuelles des Pays-Bas. Les coûts totaux associés à ces dommages sont évalués à environ 32 milliards de dollars[2]Center for Environmental Initiatives Ecoaction, At COP29, Ukraine Presented a Methodology for Calculating Climate Damage from War, 21 November 2024, … Continue reading.
Les affrontements nourrissent aussi le changement climatique, les armées générant des émissions de dioxyde de carbone massives, quoique non comptabilisées
Toutefois, en dépit des liens entre les impacts humains et non humains de la guerre, la réponse humanitaire internationale, très conséquente, peine pour l’heure à prendre en compte les implications des seconds sur les premiers. Malgré l’ampleur de la mobilisation, l’action humanitaire internationale en Ukraine a été critiquée pour avoir apporté des solutions et des systèmes standardisés plutôt que de se concentrer sur les besoins spécifiques et les réseaux locaux. En cause notamment, la déconnexion des spécialistes par rapport au contexte ukrainien, l’usage non pertinent des expériences tirées des cas d’autres pays en guerre, et l’application mécanique de ces enseignements à la situation ukrainienne[3]“Solidarity in actions”, open letter from Ukrainian organisations, 11 November 2024, https://www.philanthropy.com.ua/en/news/the-open-letter-solidarity-in-action. La planification et la mise en oeuvre de l’aide se trouvent en décalage avec les besoins de la population sur le terrain. Les enjeux environnementaux et climatiques ont joué un rôle majeur dans cet écart, ce qui a conduit à négliger certaines communautés et certains champs d’action.
Jusqu’à présent, la recherche ne s’est pas assez intéressée au sujet de la crise climatique humanitaire dans le conflit russo-ukrainien et de la réponse à y apporter ; l’intérêt pour cette thématique commence seulement à émerger. Cet article fait partie d’un projet de recherche intitulé « Limites de l’humanitaire », qui analyse le cas de l’Ukraine dans le contexte de l’intersection des dommages environnementaux et de la guerre. Ainsi, il tient compte du fait qu’au-delà des dégâts sur les écosystèmes, le conflit agit de pair avec le changement climatique et crée des vulnérabilités dans la vie quotidienne de la population[4]Voir Eleanor Davey and Fernando Espada, The limits of humanitarianism: Politics, crisis, and reform in the era of climate change, Alameda Institute, novembre 2024, … Continue reading. La méthodologie du projet est fondée sur des échanges directs avec les habitant·es proches du théâtre des hostilités qui souffrent de la guerre au quotidien.
Elle puise aussi dans des travaux de recherche plus larges sur la réponse humanitaire actuelle dans la guerre russo-ukrainienne. Cet article repose sur trois séries de consultations et d’entretiens menés depuis mars 2024. Dans la première phase de nos recherches, nous avons sollicité des spécialistes du changement climatique et de l’écologie qui se concentrent sur le contexte ukrainien. Nous avons également tenu à entendre les opinions de représentant·es d’organisations de la société civile pour apprécier le fossé entre les besoins existants et l’assistance humanitaire fournie. Nos travaux ont réservé une place centrale aux agriculteur·rices locaux·ales d’Ukraine. Ces dernier·ères revêtent une importance cruciale pour leurs communautés, puisque leurs activités touchent directement à l’interaction entre l’environnement et les personnes qui travaillent la terre dégradée par les conflits.
Répondre aux crises climatiques humanitaires
Les liens entre réponses humanitaires et changement climatique font l’objet d’une attention croissante. Par exemple, une journée entière de sessions parallèles a eu lieu sur les questions humanitaires lors de la vingt-neuvième Conférence des parties à l’accord de Paris (plus connue sous le nom de COP29), qui s’est tenue en Azerbaïdjan en novembre 2024. Comme l’a résumé The New Humanitarian, elle a illustré la manière dont « les humanitaires tentent d’asseoir leur expertise dans le mouvement pour le climat au sens large »[5]Will Worley, “At a pivotal COP in Baku, humanitarians try to define their climate role”, The New Humanitarian, 19 November 2024, … Continue reading. La relation entre conflits armés et changement climatique est de plus en plus décrite comme un défi humanitaire[6]Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, No Escape – On the Frontlines of Climate Change, Conflict and Forced Displacement, novembre 2024, … Continue reading. Toutefois, ce discours , qui relève surtout d’appels au changement, reste limité.
La guerre Russie-Ukraine illustre bien ces défis. Mark Nevitt, expert en droit de l’environnement, l’a décrite comme une véritable « “guerre environnementale”, aux conséquences profondes sur les progrès à long terme en matière de sécurité écologique, énergétique et climatique »[7]Mark Nevitt. “Environmental war, climate security, and the Russia-Ukraine crisis”, Ohio State Law Journal, vol. 84, no. 6, 2024, p. 1361.. Loin de se restreindre à l’Ukraine et à sa région, ce constat s’étend à l’échelle internationale. Par exemple, la volatilité du prix des céréales a mis en péril les programmes humanitaires, dont le Programme alimentaire mondial qui, en 2021, recevait 40 % de ses céréales d’Ukraine. Début 2023, on estimait que 47 millions de personnes supplémentaires « souffraient gravement de la faim à cause des répercussions de la guerre »[8]Oli Brown et al., The Impact of Russia’s War Against Ukraine on Climate Security and Climate Action.Independent Experts’ Analysis, Chatham House, January 2023, p. 11, … Continue reading. Les émissions de dioxyde de carbone mentionnées plus haut auront par ailleurs des effets en cascade au fil du temps.
Pourtant, malgré la reconnaissance des dégâts causés par la guerre sur l’environnement et le climat et de leurs incidences à la fois immédiates et à long terme sur le bien-être humain, le financement des initiatives d’aide humanitaire en Ukraine n’a « que partiellement pris en compte les dimensions écologiques et environnementales de la guerre »[9]Clément Iraola and Beatrice Mosello, Ukraine: Reframing the Narrative of Climate, Environmental Degradation and Conflict, Adelphi/International Rescue Committee, 2024, p. 15.. Le Plan de réponse humanitaire ne mentionne pas explicitement le changement climatique parmi les facteurs qui amplifient les risques. Un seul des nombreux projets d’infrastructures soutenus par la Banque mondiale dans le pays évoque clairement la résilience climatique. De plus, si le Fonds de relèvement des communautés en Ukraine (Ukraine Community Recovery Fund), un mécanisme de financement commun géré par le Bureau des fonds d’affectation spéciale pluripartenaires des Nations unies, soutient la production agricole des communautés sur le terrain, les plans en question ne s’attaquent ni aux conséquences du changement climatique, ni aux mesures à prendre pour y faire face[10]Clément Iraola and Beatrice Mosello, Ukraine…, op. cit.. Des résident·es de la région interrogé·es soulignent l’implication insuffisante des organisations humanitaires internationales dans les efforts pour pallier les effets locaux de la destruction des écosystèmes.
Les problèmes écologiques à l’échelle locale suscitent peu d’intérêt chez les bailleurs de fonds internationaux
De même, selon les participant·es à l’enquête, les bailleurs de fonds des organisations internationales ne s’intéressent pas vraiment au financement des projets et de la recherche dans le domaine de l’environnement. Une militante écologiste originaire de Kryvyi Rih constate que les problèmes écologiques à l’échelle locale suscitent peu d’intérêt chez les bailleurs de fonds internationaux. Elle explique qu’« en général, les financeurs ne comprennent pas vraiment la nécessité de telles recherches appliquées. ». Elle décrit en outre la modification d’un programme existant (prévu à l’origine pour 2019-2020), dans l’objectif de refléter les conditions de la guerre : « Quand Mykolaïv s’est retrouvée sans eau, [et comme] nous l’avons vu à Marioupol, les gens buvaient l’eau du système de chauffage, ce qui est tout à fait inacceptable dans des conditions normales. Nous avons donc réorienté notre recherche pour explorer d’autres sources alternatives d’alimentation en eau. » Les projets locaux de ce type restent largement ignorés par les bailleurs de fonds internationaux.
Ces limites touchent de nombreux aspects de la réponse humanitaire à la guerre. Mais elles ont notamment des impacts sur certains groupes situés à l’intersection du conflit et de l’environnement, du soutien à court terme et des conséquences à long terme. C’est le cas des petit·es exploitant·es agricoles d’Ukraine.
Une agriculture locale en situation de vulnérabilité climatique et humanitaire
Avant la guerre, l’agriculture constituait l’un des secteurs les plus développés de l’économie ukrainienne. Avant l’invasion russe à grande échelle du pays, le secteur primaire employait ainsi plus de 22 % de la population active, soit 3 millions de personnes officiellement, auxquelles s’ajoutaient 1,5 million de travailleur·ses informel·les. Désormais, dans les régions de l’est du pays, en plein essor avant le conflit, l’agriculture traverse une crise sans précédent.
Les petites exploitations revêtent une importance majeure en Ukraine, mais dans ce contexte, leur vulnérabilité s’avère elle aussi marquée. Les chercheur·ses indiquent que « le changement climatique influe de manière disproportionnée sur les petit·es exploitant·es, qui n’ont accès ni à un capital humain, social et financier, ni à une information comparables aux grandes entreprises agricoles »[11]Oleg Nivievskyi, Pavlo Iavorskyi and Oleksandr Donchenko, “Assessing the role of small farmers and households in agriculture and the rural economy and measures to support their sustainable … Continue reading. Un fermier de Koupiansk (sur la zone de front) décrit les incidences des opérations militaires sur les écosystèmes dans sa région : « Les forêts ont brûlé, les plantations ont brûlé, tout a été détruit. Il n’y a plus de réservoir… à Lyman, en 2022, un barrage a subi des dégâts, il s’est effondré. Ce qui veut dire que, dans les faits, le niveau des nappes phréatiques a baissé. Si seulement il y avait des plans pour l’irrigation ici, enfin, si seulement tout existait encore »[12]Entretien avec les auteurs..
Comme le montre cet exemple, l’un des effets majeurs de la guerre concerne les ressources en eau. Cela complique nettement la mise en place de systèmes d’irrigation pour cultiver la terre et prive la population locale d’un accès à l’eau potable. Cette vulnérabilité s’accompagne de records de température du fait du changement climatique. En outre, un an seulement après le début de la guerre, un rapport de l’Autorité nationale ukrainienne de lutte antimines a montré que le conflit avait touché un quart de la superficie du pays, occasionnant des dégâts et laissant des munitions non explosées. D’autres enquêtes s’imposeront pour mesurer l’étendue de la contamination dans les zones agricoles[13]Andrii Bahinskyi and Nina Potarska, Ukraine…, op. cit., p. 13.. À l’heure actuelle, les propriétaires de petites exploitations manquent de ressources pour leur relèvement et le déminage humanitaire nécessite à lui seul des investissements considérables (plus de 1 000 dollars par hectare).
Apporter une réponse humanitaire adaptée à la double vulnérabilité des propriétaires de petites exploitations agricoles sera crucial pour la restauration de ce secteur de l’économie. Une fois les hostilités terminées, cela constituera par ailleurs une condition importante pour que les habitant·es retrouvent leurs foyers. En outre, le relèvement de l’agriculture revêt une autre dimension humanitaire. Ainsi, comme indiqué précédemment, l’Ukraine se situe en tête des pays exportateurs de denrées alimentaires. Dans ce contexte, la menace d’une diminution des récoltes et de la production du fait des opérations militaires et du changement climatique entraîne déjà une malnutrition dans plusieurs parties du monde et une volatilité du prix des produits alimentaires.
En dépit de la double vulnérabilité qui les touche et de l’importance stratégique de leur secteur d’activité, nos recherches suggèrent que les petit·es agriculteur·rices peinent à accéder à une aide adaptée. Le fermier de Koupiansk a évoqué la présence limitée des organisations internationales près de la zone des combats : « Elles sont venues d’elles-mêmes, à vrai dire, on ne les a même pas contactées. Ce sont les organisations qui se sont rapprochées de la communauté. Elles ont recueilli des données sur le nombre de mines terrestres à retirer dans les exploitations. Nous avons fourni toutes les données, mais tout le monde a refusé, en disant que c’était trop proche […], à moins de vingt kilomètres, la discussion est close. Les programmes existent, mais personne dans cette zone ne veut travailler pour le moment. Les gens refusent purement et simplement, personne ne veut s’en occuper. »
L’accès à l’eau s’est trouvé fortement restreint dans la région à cause de la destruction du barrage. Le réservoir détruit doit être déminé et comblé, mais d’après les agriculteur·rices, cela prendra plus d’un an. La terre devra être remise en culture, étant donné que du sable et de l’argile se sont retrouvés au-dessus des couches de terre arable. De plus, le manque de crédits abordables complique le labour et la récolte, qui représente la principale source de revenus pour les communautés locales.
Si ces enjeux reflètent les défis et les besoins qui s’expriment à petite échelle, ils traduisent également les problèmes systémiques qui caractérisent l’action humanitaire en Ukraine. De ce fait, les défaillances de la réponse à la crise climatique humanitaire devraient concerner tout le monde.
Les problèmes systémiques de la réponse climatique humanitaire en Ukraine
En théorie, l’aide apportée après l’invasion russe aurait pu s’appuyer sur certains atouts. L’existence de conflits en Ukraine depuis 2014 avait contribué à l’émergence de structures d’assistance mutuelle, de programmes émanant de la société civile et d’un appui officiel du gouvernement ukrainien. Quelques organisations humanitaires internationales se trouvaient également sur place. L’invasion russe a suscité une attention soutenue et des réponses d’une générosité peu commune au sein des sociétés occidentales, tant de la part des gouvernements que des individus.
Cependant, sur le plan de la mise en oeuvre, le tableau a toujours été plus nuancé. À en juger par des études réalisées pendant la première année de la guerre, l’assistance fournie aux bénéficiaires provenait à parts presque égales de trois types d’acteurs : les organisations humanitaires internationales (35 % des personnes interrogées), les bénévoles à l’échelle locale (33 %) et les autorités régionales (31 %)[14]Ground Truth Solutions, Perceptions of Aid in Ukraine – Quantitative Findings Round 1, December 2022, p. 5.. Précisons que ces chiffres moyens ne tiennent pas compte des différences géographiques et militaires. Ainsi, 11 % des personnes sondées qui avaient soumis des demandes d’aide ont déclaré n’avoir rien reçu.
Les entretiens réalisés pour ce projet de recherche laissent supposer l’existence d’écarts importants entre les réponses locales et internationales. Selon des activistes d’organisations non gouvernementales (ONG) en Ukraine, les organisations humanitaires internationales et leurs intermédiaires chargés d’allouer les fonds sont arrivés dans le pays avec une réponse humanitaire toute faite, reproduite de pays en pays. L’étude intitulée « Perceptions de l’aide en Ukraine » (Perceptions of Aid in Ukraine) a indiqué que même s’ils étaient généralement satisfaits du soutien humanitaire apporté, ses bénéficiaires souhaitaient qu’elle soit plus ciblée. Ils attendaient en particulier des médicaments et des matériaux de construction qu’ils ne pouvaient pas acheter autrement[15]Voir Call for communication, collaboration, and cash: Perceptions of aid in Ukraine, une étude financée par le Disasters Emergency Committee et menée par Ground Truth Solutions, en partenariat … Continue reading.
Les témoins ukrainien·nes ont aussi exprimé leurs inquiétudes quant au suivi et au signalement des besoins. Les spécialistes locaux·ales interrogé·es soulignent que de nombreux rapports rédigés par les organisations internationales comprennent des indicateurs quantitatifs de l’aide apportée en Ukraine, sans s’attarder, ou trop peu, sur l’évaluation de la satisfaction réelle des besoins des groupes marginalisés par la guerre. Par exemple, 2,1 millions de personnes auraient bénéficié des efforts d’assistance internationale pour la protection de l’enfance[16]Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) des Nations Unies, Ukraine : Humanitarian Needs and Response Plan, Humanitarian Programme Cycle 2025, January 2025, … Continue reading. Or ce chiffre ne tient pas compte du nombre de personnes dont les besoins ont été directement comblés par l’assistance fournie et qui n’éprouveront plus de tels besoins à l’avenir. Ces données générales ne font pas apparaître certains groupes spécifiques particulièrement marginalisés, comme les enfants handicapé·es ou orphelin·es. De telles lacunes reflètent et aggravent celles liées à la double vulnérabilité engendrée par les interactions du conflit et de la crise climatique.
Par ailleurs, les inégalités d’information influent à la fois sur l’accès aux financements et à leur répartition, et donc à l’aide apportée. Les organisations internationales accordent souvent plus d’importance aux projets à plus grande échelle, qui peuvent faire l’objet d’une couverture médiatique large et qui sont pilotés par des ONG basées à Kyiv. Ces dernières bénéficient en effet de meilleurs contacts au sein du gouvernement et des ministères. Ces ONG sises dans la capitale ukrainienne reçoivent plus souvent des fonds que les organisations régionales, même lorsqu’elles s’attaquent à des enjeux locaux. Quant aux perturbations du climat et de l’environnement dans des zones spécifiques, le manque de financement pour réaliser des expertises sur place crée des lacunes dans la recherche et entraîne par conséquent un manque de reconnaissance et de compréhension des inquiétudes des communautés locales.
La militarisation a aussi façonné le rôle de l’aide internationale dans le conflit russo-ukrainien, à l’heure où les financements des opérations militaires primaient sur ceux des affaires civiles. Un ancien représentant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, basé en Ukraine, décrit la situation en ces termes : « En menant nos projets de surveillance du respect des droits humains, nous avons constaté qu’il n’existait, pour ainsi dire, aucune capacité réelle ou aucune volonté politique de fournir une aide véritable. Tout le monde se concentrait sur les actions militaires, soit pour minimiser les pertes, soit pour gagner la guerre. » Cette militarisation du problème bloque, jusqu’à la fin du conflit, toutes les discussions sur l’allocation ou la redirection de ressources vers l’assistance internationale. En effet, tant que les affrontements perdurent, la priorité ira toujours au soutien des troupes, pour faire face à un adversaire plus puissant. En raison de la militarisation, les projets à long terme consacrés aux défis du changement climatique ne reçoivent pas un soutien adéquat des acteurs internationaux.
Par conséquent, à plus d’un titre, nos recherches mettent en évidence la concentration de l’aide humanitaire en Ukraine sur une assistance immédiate à la population. Elles soulignent, de ce fait, l’importance de mieux prendre en compte la satisfaction des besoins à long terme, y compris concernant des questions écologiques cruciales.
Conclusions et perspectives
Dans un contexte mondial d’incertitudes politiques et économiques, la priorisation de projets humanitaires individuels restera imprévisible, en particulier si les hostilités se poursuivent. Après la fin du conflit, pour sa reconstruction, l’Ukraine sera confrontée à une nouvelle phase d’échange avec les partenaires internationaux, qui joueront un rôle d’autant plus important dans l’aide apportée sur le terrain. La guerre à grande échelle en Ukraine a souligné l’urgence d’une réponse climatique humanitaire. Toutefois, les besoins locaux de la population affectée par les hostilités n’ont pas encore fait l’objet d’une évaluation ni d’une prise en compte suffisantes par les organisations humanitaires internationales.
La guerre à grande échelle en Ukraine a souligné l’urgence d’une réponse climatique humanitaire.
Le conflit engendre une double vulnérabilité pour la population locale, du fait de l’action conjuguée de la destruction des infrastructures économiques et de celle des écosystèmes. Deux facteurs pourraient équilibrer la situation. Le premier est l’appel à des spécialistes et à des activistes écologistes locaux·ales. Le second consiste, pour les bailleurs de fonds internationaux qui fournissent une aide à l’Ukraine, à accorder une plus grande attention aux problèmes écologiques dans leurs projets. Les facteurs de l’environnement et du changement climatique acquièrent un poids considérable dans un contexte de reconstruction post-guerre. Par conséquent, le retour des Ukrainien·nes dans leurs foyers et leurs capacités à rebâtir dépendront de leur prise en compte dans les efforts de relèvement après le conflit.
Traduit de l’anglais par Julou Dublé
Crédit Photo : © Serhi Mykhalchuk