L’IA révolutionne sans conteste la création de contenus, questionnant aussi l’authenticité des témoignages humanitaires. Entre gains de productivité et risques de manipulation, les organisations doivent redéfinir leurs pratiques. Comment préserver la valeur du récit humain authentique face aux possibilités infinies de l’intelligence artificielle générative ? C’est l’une des questions que l’on se pose dans un service de communication comme celui de Première Urgence Internationale, et l’autrice s’en fait un relais éclairant.
Bienvenue dans le monde d’après. Grâce à Veo 3, vous pouvez générer des vidéos complètes, avec des images animées, des dialogues et une bande-son à partir d’une simple requête textuelle. Google a franchi une nouvelle étape dans la créativité en dévoilant ses derniers outils d’intelligence artificielle (IA) lors de sa conférence annuelle I/O 2025[1]La conférence annuelle Google I/O s’est tenue les 20 et 21 mai 2025, à Mountain View, Californie. Voir : https://www.youtube.com/live/o8NiE3XMPrM?si=4e9HDzRPmra98Q4H.
C’est une véritable révolution qui n’en finit pas de questionner la place réservée à l’humain face à ces évolutions technologiques. Avec l’essor des procédés capables de générer et de modifier des images et des récits, comment distinguer une réalité tangible d’une construction artificielle ? Au cœur de ces préoccupations, la valeur du témoignage humanitaire prend une autre dimension. Ces inventions nous invitent à interroger notre capacité à maintenir une interprétation la plus fidèle possible des réalités humaines, tandis que ces technologies peuvent servir, tout autant que menacer, l’essence même de l’engagement humanitaire à protéger des vies. Nous verrons, dans un premier temps, comment se construit un témoignage à partir de récits. Nous étudierons ensuite les divers traitements que permet l’IA, leur influence sur le récit humain, et les remises en question éventuelles que l’IA nous renvoie sur nos pratiques.
Du récit au témoignage
Toute action humanitaire nécessite, avant d’être déployée sur le terrain, un travail de collecte d’informations et de données fiables, objectives et soigneusement vérifiées. Elles permettent de comprendre un contexte d’intervention et de répondre de la manière la plus adaptée aux besoins d’une population qui se trouve dans une situation critique. Les récits collectés participent à la qualité du service qui sera assuré par les opérateurs de l’aide : plus ces informations sont précises et authentiques, plus il sera possible d’ajuster au mieux un programme d’accès à la santé, à des services d’hygiène et d’accès à l’eau, pour ne citer que ces exemples.
Une question de crédibilité et de redevabilité
Ces récits sont indispensables pour diagnostiquer des besoins, et notamment garantir une redevabilité vis-à-vis des communautés approchées. Les organisations humanitaires s’appuient sur une méthodologie précise d’actions de suivi, d’évaluation, de redevabilité et d’apprentissage (SERA) qui leur permet de produire et d’utiliser des données selon une démarche déontologique visant à protéger les personnes qui reçoivent de l’aide. Par exemple, un mécanisme de remontée des plaintes permet d’identifier et de prévenir certaines dérives qui seraient néfastes aux populations, et de les corriger lorsqu’elles se produisent. L’organisation engage ainsi sa crédibilité, mais surtout sa responsabilité si ces remontées d’information ne sont pas prises au sérieux et traitées correctement.
« Le parcours inspirant d’une personne permet d’établir une relation de confiance entre les communautés et les équipes humanitaires déployées sur un terrain. »
Ces récits aideront à la construction d’un témoignage qui, à son tour, permettra d’augmenter l’impact social d’une action. Le parcours inspirant d’une personne permet d’établir une relation de confiance entre les communautés et les équipes humanitaires déployées sur un terrain, et d’augmenter les chances d’une prise en charge efficace face à un besoin urgent. Lorsque Rukiya, une habitante de la région d’Afar en Éthiopie, raconte comment son premier fils a été pris en charge dans une unité de stabilisation nutritionnelle, elle permet à d’autres femmes de faire appel à ce type de service, dans une région lourdement touchée par la sécheresse et par un conflit armé. « Je leur dis que leurs enfants peuvent aussi guérir, comme le mien[2]Première Urgence Internationale, Éthiopie : répondre à la malnutrition, localement, 21 mai 2025, https://www.premiere-urgence.org/actualites/ethiopie-repondre-a-la-malnutrition-localement. » Cette relation de confiance non seulement renforcera la crédibilité de l’organisation sur le terrain, mais permettra également de sensibiliser des donateurs potentiels à soutenir financièrement ce type d’action et étendre sa durabilité.
Susciter l’émotion et l’empathie
Une histoire est la matière première du service de communication d’une organisation humanitaire qui a la charge de conduire des campagnes de notoriété, de sensibilisation et de collecte de dons auprès de publics externes. Le principal levier d’une campagne reste la charge émotionnelle véhiculée par ce témoignage et sa capacité à susciter l’empathie, puis à déclencher le don. Les plans marketing se sont perfectionnés au fil des années et dotés d’indicateurs de mesure permettant d’apprécier ce que l’on appelle un « taux de conversion », c’est-à-dire l’efficacité d’une campagne depuis la diffusion d’un contenu jusqu’à la réception du don.
Ces pratiques viennent essentiellement du secteur privé, mais elles sont par ailleurs l’héritage d’un narratif émotionnel créé au siècle dernier lors des grandes crises, comme la famine de 1984 en Éthiopie qui a généré une forte mobilisation à la fois médiatique et artistique. Sur Antenne 2, Bernard Rapp introduit son journal de 20 heures avec cette phrase :
« Nous avons un témoignage à vous présenter ce soir sur la situation dans ce pays du bout du monde. Ce témoignage, c’est celui d’un responsable des Nations unies qui revient justement d’Éthiopie. Écoutez-le, et ce pays vous paraîtra peut-être plus proche de nous.[3]INA Histoire, 1984 : La famine en Éthiopie, le Journal de 20H/France 2, Archive INA, YouTube, 30 novembre 1984, https://www.youtube.com/watch?v=a7trSy4ZpyQ »
Le témoignage humanitaire permet de raccourcir les distances, de se sentir concerné par ce qui se passe ailleurs et d’agir comme un citoyen du monde. Si le milieu artistique a été un vecteur incroyable de mobilisation et de rapprochement des cultures et des générations, les nouvelles technologies ont à leur tour révolutionné la mondialisation de l’information. La multiplication des canaux de diffusion engendre un phénomène de saturation de l’information. Les organisations humanitaires doivent innover en permanence face à une compétition accrue en matière de collecte de fonds pour se distinguer de la masse et attirer l’attention des donateurs. Les récits authentiques du terrain restent alors le meilleur moyen de légitimer une campagne de collecte de dons, de montrer qu’on agit là où il n’y a personne.
Témoigner pour l’Histoire
Pour les organisations humanitaires, le témoignage prend une autre valeur lorsqu’il s’agit de documenter des situations non médiatisées. Le terme de « crise oubliée » est souvent repris dans les publications, d’abord parce le monde compte plusieurs théâtres de crise concomitants[4]Our World in Data, Number of armed conflicts, World, https://ourworldindata.org/grapher/number-of-armed-conflictsqui échappent pour la plupart aux projecteurs médiatiques ; mais aussi parce que la sélection d’un sujet pour le 20 heures doit se conformer à une ligne éditoriale qui peine à s’affranchir des logiques politiques.
« L’avènement des réseaux sociaux a été l’occasion de créer de nouveaux espaces médiatiques libérés de l’arbitrage des comités de rédaction. »
L’avènement des réseaux sociaux a été l’occasion de créer de nouveaux espaces médiatiques libérés de l’arbitrage des comités de rédaction. En cela, diffuser un témoignage sur les réseaux sociaux est une façon de participer à l’écriture d’une partie de l’Histoire que l’on ne voit pas, ou que l’on ne veut pas voir. Montrer un autre visage de la bande de Gaza, et une autre perspective que celle de la guerre contre le terrorisme, a été le dessein de Première Urgence Internationale (PUI) à travers le portrait d’Asma – la première femme archéologue de Gaza[5] Première Urgence Internationale, Asma est la première femme archéologue de Gaza, YouTube, 2023, https://www.youtube.com/watch?v=Zq1WimVpzqE, qui est significatif à bien des égards. Il montre une alternative à une jeunesse meurtrie par des décennies de guerre et par un blocus qui résonne comme une punition collective. Ce témoignage est un message à la jeunesse et au monde entier qu’une autre grille de lecture est nécessaire sur cette partie du Territoire palestinien occupé. Humaniser les Gazaoui·es devient une responsabilité morale, à l’heure où le conflit bascule dans l’horreur. Ce portrait montre des images de Gaza debout, fière de son patrimoine culturel avant la sentence décidée par les autorités israéliennes de sa destruction totale.
La place du témoignage devient centrale lorsque les humanitaires n’ont plus la capacité de travailler à cause des restrictions sécuritaires ou politiques, et lorsque le terrain est interdit à la presse internationale. Depuis les massacres du 7 octobre 2023 en Israël et la réponse militaire israélienne disproportionnée sur Gaza, les opérateurs de l’aide investissent le champ médiatique pour tenir un « rapport journalier » des violations du droit international et en fournir les preuves. Lors de son passage sur France Inter, l’historien Jean-Pierre Filiu revient sur ce qu’il a vu pendant un mois lorsqu’il s’est rendu dans la bande de Gaza entre 2024 et 2025 :
« Israël ne sait rien de ce qui se passe à Gaza. Israël croit savoir par les satellites, par l’intelligence artificielle, par les interceptions – effectivement ils peuvent prendre des images des gens – mais […] pour connaître un territoire, pour connaître une société et une population, il faut avoir des relais. Ils n’ont plus aucun relais… » Il rappelle que « ce qui se passe à Gaza aura une valeur universelle, c’est quelque chose qui engage pleinement notre humanité et notre devenir.[6]Jean-Pierre Filiu, « Aucun Israélien n’est rentré dans la bande de Gaza hors d’un tank depuis 2007 », France Inter, 26 mai 2025, https://www.youtube.com/watch?v=an5a5lhsMP4 »
La réalité rapportée du terrain par les acteurs humanitaires peut difficilement être remplacée par un contenu exclusivement généré par l’intelligence artificielle. Toutefois, si l’on part du postulat que d’un point de vue éthique, on s’interdit de créer un témoignage purement fictif en interrogeant uniquement les algorithmes, on peut considérer l’intelligence artificielle dans sa capacité à augmenter la portée du témoignage authentique collecté du terrain. Cet apport comporte à la fois des risques conséquents qui peuvent altérer l’intégrité et le sens profond de ces témoignages, comme des bénéfices, à condition de pouvoir en maîtriser l’usage.
Les traitements générés par l’IA : quels impacts sur l’intégrité et l’authenticité du témoignage ?
L’intelligence artificielle engendre les mêmes questionnements éthiques et existentiels que n’importe quelle autre innovation technologique. Perçue comme une révolution, à l’instar d’Internet ou des réseaux sociaux, l’IA fascine[7]Peter Sykes, AI & Humanitarianism – Keeping the human in humanitarianism, LinkedIn Post, 2024, https://www.linkedin.com/posts/petermsykes_ai-humanitarianism-activity-7083042829064691713-K0PQ autant qu’elle effraie, puis elle se démocratise en irriguant tous les aspects de la vie quotidienne, avant de s’imposer comme une évidence tant le sujet devient inévitable. Les traitements possibles de l’IA impacteront ainsi la valeur du témoignage sur plusieurs plans.
Un changement d’échelle significatif
Un témoignage rapporté du terrain pourra être traduit instantanément dans plusieurs langues et dialectes ou retranscrit automatiquement s’il s’agit d’un enregistrement audio, facilitant ainsi son traitement et son analyse à plus grande échelle. Cela constitue un gain de temps significatif et une portée décuplée au niveau international. Les organisations qui ont des bureaux dans de nombreux pays d’intervention – vingt-cinq dans le cas de PUI – peuvent ainsi partager l’expérience des collègues avec l’ensemble du personnel de l’organisation dans tous les continents. La rapidité avec laquelle l’IA peut diffuser ce contenu dépasse la capacité humaine si l’on considère uniquement cet aspect. En effet, sur le plan qualitatif, cette rapidité comporte par ailleurs un risque majeur d’altération du message ou du témoignage à partir du moment où l’automatisation que permet l’IA est encore incapable de traiter les nuances linguistiques, ou encore la charge émotionnelle d’un témoignage. Celui-ci est alors biaisé par les algorithmes et peut nourrir des travers discriminatoires ou des préjugés sociétaux existants si l’on ne prend pas la peine d’adapter convenablement le discours aux codes culturels des sociétés qui reçoivent cette information.
Une nouvelle « arme de communication massive »
L’arrivée des réseaux sociaux et maintenant l’IA laissent place à un champ plus large à la désinformation et à la fabrication délibérée de faux témoignages. Le phénomène n’est évidemment pas nouveau, la propagande ayant toujours existé, et notamment la propagande de guerre, qui a largement été documentée sur le plan académique. Charlotte Lepri, ancienne chercheuse à l’IRIS, emploie le terme d’« arme de communication massive » lorsqu’elle décrit le recours à la propagande par les États-Unis et l’Union soviétique pendant la guerre froide[8]Charlotte Lepri, « De l’usage des médias à des fins de propagande pendant la guerre froide », Revue internationale et stratégique, n° 78, 2010, p. 111-118.. Selon elle, trois raisons principales motivent une propagande via les médias.
« Ces derniers sont d’abord les canaux de diffusion des idées, donc un vecteur de l’idéologie. Convaincre par les idées peut avoir un impact aussi fort que convaincre par la force. Par ailleurs, l’information, immatérielle et évanescente, ne connaît pas de frontière… Elle peut s’immiscer d’autant plus facilement dans d’autres pays qu’elle est difficile à contrer. Enfin, parce qu’il est aisé pour un gouvernement d’utiliser les médias de manière subreptice, sans se dévoiler, et donc sans montrer que derrière d’anodins programmes de radio se cache en réalité une politique d’influence de la part d’un État. »
« N’importe quel individu est désormais capable de générer ces fausses informations, cette propagande n’étant plus un monopole des États qui contrôleraient les canaux de diffusion médiatiques. »
Ces trois raisons sont toujours valables aujourd’hui, à la différence que n’importe quel individu est désormais capable de générer ces fausses informations, cette propagande n’étant plus un monopole des États qui contrôleraient les canaux de diffusion médiatiques. L’identité d’une personne qui témoigne peut être usurpée, et ses propos déformés par la génération d’audios ou de vidéos au moyen de l’IA. L’authentification du témoignage devient alors bien plus complexe, et nécessite des moyens de contrôles extrêmement sophistiqués pour sécuriser les bases de données.
Par ailleurs le « capital confiance », évoqué dans la première partie, qu’une organisation arrive à construire et à gagner au sein d’une communauté ou auprès de donateurs, peut s’avérer fragile face au scandale potentiel lié à un faux témoignage. Déconstruire la rumeur et rétablir les faits exige d’être suffisamment compétent en communication de crise. La crédibilité de l’organisation peut être lourdement impactée. Pire, la sécurité de son personnel sur le terrain, ou encore celle des personnes recevant l’aide peuvent être compromises.
L’occasion d’interroger nos pratiques
De prime abord, on pourrait croire que le rapport à l’IA est binaire : on la déteste ou on l’adore, on l’utilise ou on la bannit, on en voit les aspects positifs ou on n’en ressort que des insatisfactions. Ce postulat n’a pas fait exception au sein de l’équipe communication de PUI. Les opinions étaient divergentes sur l’IA, mais les constats étaient unanimes sur la portée et les questionnements que l’IA pouvait engendrer sur nos propres pratiques, sur nos métiers et sur l’éthique qui nous guide dans la manière de restituer un témoignage. Les organisations humanitaires ne sont pas encore dotées d’un cadre référentiel permettant de baliser l’utilisation de l’IA, désormais inévitable. En attendant, l’IA nous conduit à une auto-critique plus poussée sur la question de l’authenticité et nous invite à faire des parallèles avec d’autres métiers, eux aussi mis au défi par ces avancées technologiques.
Respect de l’intégrité de l’information et valorisation de l’authenticité
Les journalistes ne sont pas en reste quand il s’agit de défendre un cadre déontologique sur le respect de l’intégrité de l’information. C’est sans doute le secteur vers lequel il est pertinent de se rapprocher pour établir des passerelles avec les normes humanitaires.
Reporters sans frontières (RSF) s’est investie aux côtés d’une quinzaine d’organisations partenaires pour défendre « un journalisme augmenté et éthique ». Le rapport SpinozIA[9]Reporters sans frontières, RSF et l’Alliance lancent le rapport Spinoza : un usage responsable de l’IA est possible dans les rédactions. SpinozIA, vers un journalisme augmenté et éthique, 10 … Continue reading, qui a été présenté lors du Forum de Paris sur la paix en 2023, donne les premiers jalons de ce qui pourrait servir de référentiel. En effet, RSF plaide pour que l’IA soit mise au service de l’information et non l’inverse, pour que les algorithmes redirigent vers des contenus sources et intègrent des mécanismes qui fassent remonter les erreurs de manière transparente. Ces systèmes doivent, par ailleurs, favoriser une représentation pluraliste et diversifiée de l’information en sélectionnant des sources selon des critères objectifs de qualité et d’indépendance, tels que définis notamment par la norme Journalism Trust Initiative[10]Outil de certification initié par RSF pour apprécier la transparence et le respect des standards d’éthique et de déontologie des médias d’information [NDLR].. RSF défend également l’idée que les contenus authentiques doivent davantage être valorisés à travers le déploiement de standards d’authentification dans le matériel journalistique, en suivant l’exemple de l’AFP qui a développé un outil pour certifier l’origine de ses photos.
« Et si, finalement, l’IA nous invitait à revoir les fondamentaux de nos pratiques en matière de témoignage ? »
À supposer que nous parvenions à établir ces standards pour le témoignage humanitaire, serions-nous capables d’arriver à une même définition de l’authenticité ? Et si, finalement, l’IA nous invitait à revoir les fondamentaux de nos pratiques en matière de témoignage ? Elle nous interroge sur la manière dont nous générons nos discours, dont nous influons sur un récit qui nous est livré. Le positionnement de l’appareil qui enregistre ou imprime une scène, le choix des couleurs, des personnes, des mots avec des éléments de langage précis suivant la ligne éditoriale de l’organisation… : ne s’agit-il pas de biais cognitifs et culturels tout aussi critiquables que les biais algorithmiques ? L’authenticité existe-t-elle vraiment ? Avec ou sans IA, le recueil de récits présente dans tous les cas des biais qui correspondent aux filtres socio-culturels et intellectuels ou philosophiques de la personne qui collecte les données. C’est une dimension importante en anthropologie que d’arriver à garantir une certaine distance avec le sujet pour arriver à un minimum d’objectivité. La question ne sera pas résolue en conclusion de cet article, mais elle ouvre toutefois une piste de réflexion intéressante.
Encadrer l’utilisation de l’IA au sein de Première Urgence Internationale
Il est évident que les organisations humanitaires ne doivent pas simplement bannir l’IA, mais poser le socle d’une utilisation responsable, tant sur le plan professionnel que personnel, en intégrant ses enjeux éthiques, écologiques, organisationnels et humains. C’est dans cette optique que PUI a engagé une réflexion stratégique pour encadrer l’intégration progressive de l’IA dans ses pratiques.
L’organisation a mis en place un Comité IA (CIA), composé d’une équipe pluridisciplinaire réunissant des représentants de différents services (direction du développement et de l’innovation, systèmes d’information, opérations, communication, RH, etc.). Ce comité a pour mission de veiller sur les nouvelles technologies, d’assurer la conformité éthique et légale des solutions d’IA, et d’évaluer leur utilisation en impliquant les collaborateurs. Une charte pour une utilisation responsable permet par ailleurs d’aider les équipes à mieux délimiter les recours possibles à l’IA.
Ces mesures vont-elles réussir à sanctuariser une méthode qui préserve l’authenticité d’un témoignage ? À vrai dire, nous l’espérons de nos vœux, car au sein du service communication, nous sommes conscients qu’il est impossible d’avoir une vision exhaustive des pratiques de l’ensemble des 3500 collaborateur·rices de PUI dans le monde.
Toutefois cette nouvelle sensibilisation doit être intégrée au code de conduite qui est signé au moment de l’embauche. Il s’agit d’un contrat moral qui fait appel à la responsabilité individuelle et collective. La course aux financements des projets et les exigences des bailleurs à communiquer à outrance sur le soutien apporté aux communautés ne doit pas inciter nos équipes sur le terrain à « produire vite » un contenu pour cocher la case « action de visibilité », mais envisager la construction d’un témoignage comme pièce maîtresse d’un mandat humanitaire et social visant à inviter les humains que nous sommes à réfléchir sur les déséquilibres qui menacent notre humanité, et encourager les solutions qui la préservent. Est-ce que l’accélération que permet l’IA ne serait pas l’occasion de ralentir nos productions écrites et audiovisuelles pour aller vers un témoignage encore plus exigeant sur le plan qualitatif ? Les « agents du CIA » de PUI seront-ils à la hauteur de leur mission ?
L’IA n’est pas une fatalité, mais bien le marqueur d’un tournant significatif et inévitable dans le traitement de l’information. Elle est d’autant plus inévitable qu’il est quasi impossible aujourd’hui de vivre sans internet.
« Comment garder la cohérence d’un discours lorsque l’on défend un accès aux services essentiels et aux ressources de manière durable tout en tirant bénéfice des nouvelles technologies ? »
Pour autant, son caractère omniprésent dans notre quotidien ne doit pas nous détourner des valeurs essentielles, à savoir la préservation de notre environnement et l’équilibre de nos sociétés. Or, on sait combien l’IA est catastrophique sur le plan écologique. Comment garder la cohérence d’un discours lorsque l’on défend un accès aux services essentiels et aux ressources de manière durable tout en tirant bénéfice des nouvelles technologies ? De toute évidence le secteur humanitaire n’échappera pas à ces nouveaux défis, mais charge à lui de continuer à interpeler les consciences pour arriver à un point d’équilibre.
