Ebola : passé, présent et futur

David L. Heymann
David L. HeymannDavid L. Heymann est épidémiologiste expert dans les maladies infectieuses, et actuellement professeur en épidémiologie des maladies infectieuses à la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Après ses études de médecine, il a travaillé pendant deux années en tant qu’épidémiologiste de terrain pour le programme d’éradication de la variole de l’OMS en Inde. En 1976, après avoir participé à l’enquête sur la première épidémie d’Ebola en RDC, il a été détaché durant treize années par les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) auprès de ministères de la Santé en Afrique subsaharienne, se consacrant à des enquêtes épidémiologiques, incluant les fièvres hémorragiques, la malaria, les maladies évitables par vaccin et au renforcement des systèmes de surveillance des maladies. En 1989, il est détaché à l’Organisation mondiale de la santé comme coordinateur de la recherche pour le programme mondial VIH/sida, avant de créer et de diriger le programme sur les infections émergentes puis d’occuper des postes de responsabilité à partir desquels il a coordonné la réponse mondiale à l’épidémie de SRAS en 2003 et dirigé le programme d’éradication de la polio. Il est aujourd’hui directeur général adjoint pour la sécurité sanitaire et l’environnement.
Michael Edelstein
Michael EdelsteinMichael Edelstein est médecin de santé publique spécialisé en épidémiologie des maladies infectieuses, expert en systèmes de surveillance, en enquêtes concernant le déclenchement des épidémies et en politique globale de santé, dans des contextes à la fois de routine et d’urgence. Actuellement chercheur au Centre on Global Health Security, Chatham House, il est titulaire d’un MPH de la London School of Hygiene and Tropical Medicine et diplômé du programme européen de formation à l’épidémiologie d’intervention (EPIET). Il a travaillé pour des agences nationales et des organisations internationales de santé publique en Europe, en Afrique et en Asie du Sud-Est. Ses interventions les plus récentes ont eu lieu aux Philippines après le typhon Haiyan (2013), au Népal après les tremblements de terre de 2015 et au Liberia où il a travaillé en 2014 en tant que coordinateur de terrain pendant l’épidémie d’Ebola.

Épidémiologistes suivant le virus Ebola depuis son émergence en 1976 et impliqués au cœur de la réponse à sa dernière et plus terrible épidémie, Michael Edelstein et David L. Heymann ont réalisé une synthèse des données médicales disponibles en juillet 2015. Ils nous aident ainsi à mieux comprendre la dynamique de ce virus, cet « ennemi » auquel restent confrontés scientifiques et humanitaires, et les dispositifs mis en œuvre ou perfectionnés afin d’y faire face. Pour arriver à la « fin de partie » en ce qui concerne la présente épidémie et anticiper d’autres crises sanitaires de cette ampleur.

L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest qui, malgré une réponse majeure mais tardive, vient seulement d’être surmontée, constitue la 24e épidémie d’Ebola enregistrée en Afrique depuis que la maladie a été décrite pour la première fois à Yambuku, République démocratique du Congo, en 1976[1]US Center for disease control and prevention, Outbreaks Chronology: Ebola Virus Disease. http://www.cdc.gov/vhf/ebola/outbreaks/history/chronology.html (consulté le 20 juillet 2015).. Si cette épidémie est devenue la plus importante et la plus longue comparée aux précédentes, c’est en partie parce qu’elle n’a pas reçu de réponse rapide et forte lorsqu’elle fut notifiée pour la première fois en mars 2014. En juillet 2015, dans les trois pays les plus touchés – Guinée, Liberia et Sierra Leone –, elle avait déjà infecté 27 642 personnes, en tuant 11 261[2]World Health Organization, Ebola Situation Report, 15 juillet 2015. http://apps.who.int/ebola/current-situation/ebola-situation-report-15-july-2015 (consulté le 20 juillet 2015)., presque dix fois plus que toutes les autres épidémies combinées. Les épidémies d’Ebola étaient jusqu’alors généralement circonscrites en quelques mois, mais celle-ci aura duré jusqu’au second semestre 2015. Alors que le nombre hebdomadaire de nouveaux cas était passé de presque 1 000 en octobre 2014 à quelques douzaines en juillet 2015[3]Ibid., ramener ce chiffre à zéro aura représenté un défi. Six cas d’Ebola sont apparus au Liberia dans les deux mois qui ont suivi la déclaration de fin d’épidémie le 9 mai 2015[4]Ibid., tandis que la transmission n’a pas encore été arrêtée en Sierra Leone ou en Guinée. Ce qui fait véritablement le caractère exceptionnel de cette épidémie, c’est que la perception d’Ebola a évolué d’une maladie rurale africaine avec un potentiel limité de contagion à une menace mondiale de santé atteignant les centres urbains et les pays développés, dépassant les limites de la capacité de réponse de la communauté internationale et soulignant les lacunes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’autres agences techniques internationales qui répondent habituellement aux demandes de soutien. Le déclenchement de cette épidémie, la réponse tardive qui lui a été apportée et les leçons apprises serviront à refonder l’approche de la communauté internationale en matière de sécurité sanitaire globale.

L’émergence et la propagation des épidémies d’Ebola

La maladie à virus Ebola (MVE) est une maladie zoonotique causée par le virus Ebola. On pense que les chauves-souris fructivores sont les hôtes naturels du virus Ebola. Il serait introduit, pense-t-on, au sein de la population humaine par contact étroit avec le sang, les sécrétions, les organes ou d’autres fluides corporels de ces chauves-souris ou d’animaux infectés par ces dernières, ou peut-être par une autre source inconnue dans la nature. On pense que ces animaux contaminés vont des primates à l’antilope de forêt et aux porcs-épics dans la forêt tropicale humide[5]World Health Organization, Ebola virus disease, document de travail n° 103, avril 2015, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs103/en/ (consulté le 20 juillet 2015).. L’exposition se fait le plus souvent lorsque ces animaux sont découpés pour la production de viande de brousse, ou lorsqu’ils sont retrouvés morts ou malades[6]Ibid.. On a suggéré que le cas index de l’épidémie en Afrique de l’Ouest était un enfant de 2 ans qui aurait été contaminé en jouant dans un arbre creux abritant une colonie de molosses insectivores[7]Almudena Marí Saéz, Sabrina Weiss, Kathrin Nowak et al., “Investigating the zoonotic origin of the West African Ebola epidemic”, EMBO Molecular Medicine, vol. 7, n° 1, 30 décembre 2014, p. … Continue reading. Dès lors qu’un humain est contaminé, le virus Ebola se transmet d’homme à homme par le contact direct avec le sang, les sécrétions, les organes ou d’autres fluides corporels de personnes infectées, ou avec des surfaces et des matières contaminées par de tels fluides[8]World Health Organization, Ebola virus disease, op. cit.. Cette condition de contact étroit avec un individu activement malade signifie qu’Ebola n’est pas aussi infectieux que d’autres maladies : chaque cas génère en moyenne 1,5 à 2 cas nouveaux[9]Gerardo Chowell, Hiroshi Nishiura, “Transmission dynamics and control of Ebola virus disease (EVD): a review”, BMC Medicine, 2014; vol. 12, n° 196., contre 16 pour la rougeole[10]David L. Heymann, Control of Communicable Diseases Manual, 20e édition, American Public health Association, Washington, APHA Press, 2015.. Cependant, la transmission est amplifiée dans des conditions spécifiques où l’exposition aux fluides corporels d’une personne malade est plus vraisemblable, comme des installations sanitaires avec un contrôle d’infection insuffisant, et les enterrements traditionnels[11]J. Legrand, R. F. Grais, P. Y. Boelle, “Understanding the dynamics of Ebola epidemics”, Epidemiol Infect., mai 2007, vol. 135, n° 4, p. 610-621. qui impliquent des pratiques comme laver la bouche ou couper les ongles du défunt[12]David L. Heymann, “Ebola: learn from the past”, Nature, n° 514, 16 octobre 2014, p. 299-300.. Les personnels de santé sont généralement les premiers, en dehors de la famille, à être en contact avec les personnes contaminées, si bien qu’ils deviennent source d’infection pour les membres de leur propre famille et de la communauté ; ils transmettent alors l’infection d’un patient à d’autres personnes si l’hygiène et les mesures de contrôle de l’infection ne sont pas appliquées[13]Ibid.. Dans le comté de Bong, Liberia, en 2014 par exemple, cinq infirmières et un médecin sont morts, en traitant un seul patient Ebola[14]Colin Freeman, “One patient in a 200-bed hospital: how Ebola has devastated Liberia’s health system”, The Telegraph, 15 août 2014. … Continue reading, ce qui a entraîné par la suite une dissémination de la maladie dans tout le comté.

Le nombre sans précédent de cas d’Ebola en Afrique de l’Ouest a permis de mieux comprendre le comportement du virus chez les individus ayant survécu à la MVE et a potentiellement mis à jour de nouveaux modes de transmission. Chez certains survivants de sexe masculin, le virus Ebola a été retrouvé dans le sperme 82 jours après le début des symptômes et des fragments d’ARN du virus jusqu’à 101 jours après le début de ces derniers[15]Athalia Christie, Gloria J. Davies-Wayne, Thierry Cordier-Lasalle et al., Possible sexual transmission of Ebola virus – Liberia, 2015, Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR), 8 mai 2015, … Continue reading. Dans certains cas, le seul lien épidémiologique établi chez des individus contaminés était un contact sexuel avec un survivant[16]Ibid et P. Sonnenberg, N. Field, “Sexual and mother-to-child transmission of Ebola virus in the postconvalescent period”, Clinical Infectious Diseases, mars 2015, vol. 60, n° 6, p. 974-975.. De plus, le virus Ebola actif a été détecté dans l’humeur aqueuse de l’œil d’un survivant 14 semaines après le début de la MVE et 9 semaines après l’élimination du virus du sang[17]Jay B. Varkey, Jessica C. Shantha, Ian Crozier et al., “Persistence of Ebola virus in ocular fluid during convalescence”, The New England Journal of Medicine, n° 372, 18 juin 2015, p. 2423-2427.. Ces nouvelles découvertes sur le comportement et la transmission du virus pourraient expliquer la réémergence du virus Ebola au Liberia après que le pays fut déclaré exempt de la maladie, la preuve génomique suggérant que les nouveaux cas ont leur origine chez un survivant et non dans des pays voisins[18]World Health Organization, Ebola Situation Report, op. cit.. De plus, il existe une preuve de plus en plus affirmée de la survenance d’infections asymptomatiques par le virus Ebola[19]Emma Akerlund, Joseph Prescott, Livia Tampellini, “Shedding of Ebola virus in an asymptomatic pregnant woman”, The New England Journal of Medicine, n° 372, 18 juin 2015, p. 2467-2469 ; Steve E. … Continue reading. Ces nouvelles découvertes sont un défi à l’élimination de l’épidémie, alors que la réponse repose sur une compréhension traditionnelle de la dynamique de la transmission d’Ebola.

Pourquoi cette épidémie est-elle différente ?

Historiquement, toutes les précédentes épidémies d’Ebola étaient stoppées avant de s’étendre en dehors des zones rurales en utilisant la même stratégie : tout d’abord, une identification rapide et l’isolement des cas d’Ebola dans des installations sanitaires avec un contrôle infectieux rigoureux ; en second lieu, un traçage et un suivi de tous les contacts, en isolant ceux qui développaient des symptômes ; et, en troisième lieu, une mobilisation sociale au sein des communautés affectées pour diminuer la contagion de personne à personne, en incluant des mesures d’hygiène, une distanciation sociale et des pratiques funéraires sûres[20]Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola and future health crises: the role of the G7”, G7/G20 Research group, avril 2015. … Continue reading. Il est toutefois indiscutable que ces mesures sont plus faciles à mettre en œuvre lorsque les épidémies sont limitées à des zones rurales où la densité de population est faible et les liens communautaires plus étroits[21]David L. Heymann, “Ebola: learn from the past”, op. cit.. Cependant, la stricte application de ces principes a réduit le nombre de nouveaux cas de plus d’un millier par semaine à quelques douzaines. Parvenir à zéro, ce que l’on appelle la « fin de partie », reste néanmoins un défi, l’actuelle épidémie présentant plusieurs caractéristiques uniques qui imposent une adaptation de cette stratégie.

En premier lieu, l’ampleur de l’épidémie était telle que, dès le départ, le nombre de cas a rapidement dépassé la capacité des centres de traitement, et que des centaines, voire des milliers de nouveaux contacts devaient être localisés et suivis quotidiennement. Dès juin 2014, Médecins Sans Frontières (MSF), la principale ONG engagée contre l’épidémie avec plusieurs centres de traitement dans les trois pays affectés, avait atteint ses limites de capacité et n’était plus en mesure de déployer des équipes dans les nouvelles zones affectées[22]Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola and future health crises: the role of the G7”, op. cit.. MSF concentrant toute l’expertise globale de gestion d’Ebola, il lui a fallu former d’autres organisations médicales non gouvernementales, avant que celles-ci ne soient opérationnelles, ajoutant donc au retard[23]Ibid.. L’épidémie se plaça ainsi en dehors de la capacité de réponse de la communauté internationale, si bien que des cas restants dans les contacts de la communauté ne purent être suivis, ce qui amplifia encore l’épidémie. Ce phénomène fut aggravé par le contexte urbain, dans lequel il est plus difficile de localiser les personnes et où il y a moins de cohésion communautaire. Cela eut néanmoins pour résultat d’accroître le niveau de la réponse et de recentrer intensément l’engagement de la communauté, dont le Global Outbreak and Alert Response Network (GOARN), le mécanisme actuel déployé par l’OMS afin de mobiliser rapidement des experts techniques d’organisations partenaires, des anthropologues, des sociologues et des épidémiologistes. Alors que le nombre de cas décroissait, briser les dernières chaînes de transmission a exigé des efforts continus de la part d’un personnel soignant exténué qui se sent moins soutenu à mesure que se dissipait l’attention internationale. En outre, d’autres priorités sanitaires les appelaient tandis que le fardeau d’Ebola diminuait.[24]Ibid.

En second lieu, l’épidémie doit être analysée dans le contexte sociopolitique des pays affectés : le Liberia et la Sierra Leone ont fait l’expérience de guerres civiles extrêmement violentes qui ne se sont achevées que depuis seulement 10 ans, tandis que le processus difficile de décolonisation en Guinée nourrit une attitude ambiguë envers l’intervention étrangère. Il en résulte une profonde méfiance envers les autorités nationales et étrangères ayant abouti au mieux à l’émergence de théories conspirationnistes[25]Michael Edelstein, Ebola Thrives in Brittle West African Health Systems, Chatham House, octobre 2014. http://www.chathamhouse.org/expert/comment/15955 et, au pire, à des attaques meurtrières contre le personnel médical[26]BBC, “Ebola outbreak: Guinea health team killed”, septembre 2014. http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-29256443 (consulté le 20 juillet 2015)..

L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest est également la conséquence de la faiblesse des systèmes de soins médicaux et de santé publique. Une surveillance insuffisante a permis à l’épidémie de s’étendre rapidement, initialement sans être détectée[27]Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola and future health crises: the role of the G7”, op. cit., à travers une vaste région géographique où le personnel soignant, déjà en nombre réduit[28]On compte environ 100 000 patients pour un médecin au Liberia, 50 000/1 en Sierra Leone et 10 000/1 en Guinée, contre 400 patients pour un médecin aux États-Unis, World Health Organization, WHO … Continue reading, a vu ses effectifs diminuer suite à de nombreux cas de contamination par le virus, limitant d’autant les capacités de réponse nationales. Le fait que ces systèmes de santé fragiles aient été dépassés par les événements a eu des conséquences bien au-delà de la morbidité et de la mortalité liées à Ebola.

La première conséquence est une couverture vaccinale plus réduite, en particulier concernant la rougeole, se traduisant par une augmentation du nombre de cas[29]Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola: the challenging road to recovery”, The Lancet, vol. 385, n° 9984, 8 février 2015, p. 2234-2235.. En 2015, le Liberia a déclaré plus de 850 cas de rougeole, incluant des décès – la pire épidémie depuis des années[30]World Health Organization, Liberia tackles measles as the Ebola epidemic comes to an end, juin 2015, http://www.who.int/features/2015/measles-vaccination-liberia/en/ (consulté le 20 juillet 2015). – alors que la Guinée a déclaré 500 cas et trois décès depuis le début de l’année[31]Unicef, Measles Situation report, mars 2015, http://www.unicef.org/appeals/files/UNICEF_Guinea_Measles_SitRep_24Mar2015.pdf (consulté le 20 juillet 2015).. De plus, la réaffectation du personnel soignant sur la réponse Ebola a mis un terme aux programmes de routine combattant des maladies courantes, telles que la malaria, la tuberculose ou le VIH[32]Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola: the challenging road to recovery”, op. cit.. Des modèles suggèrent que les cas de malaria non soignés, résultat de la capacité réduite en soins médicaux, pourraient avoir contribué à 11 000 décès supplémentaires dus à la malaria[33]Patrick Walker P. et al., “Malaria morbidity and mortality in Ebola-affected countries caused by decreased health-care capacity, and the potential effect of mitigation strategies: a modelling … Continue reading, des chiffres comparables à la mortalité directement attribuée à l’infection d’Ebola.

Après l’épidémie

En février et mars 2015, des essais cliniques pour tester l’efficacité de certains des vaccins contre Ebola – développés depuis le début de l’année 2000 – ont été menés dans les pays où se propageait l’épidémie. En Guinée, un essai a démontré que de tels vaccins présentent un grand potentiel en tant qu’instrument additionnel capable de contenir de futures épidémies d’Ebola, si bien que la recherche continue[34]Ana Maria Henao-Restrepo, Ira M. Longini, Matthias Egger et al., “Efficacy and effectiveness of an rVSV-vectored vaccine expressing Ebola surface glycoprotein: interim results from the Guinea ring … Continue reading.

Cependant, qu’il existe ou non des vaccins efficaces pour protéger contre l’infection par Ebola, l’effort doit porter au niveau national sur la reconstruction des systèmes de santé, et ce sera un défi : alors que le discours ambiant parle d’un retour à la normale, les trois pays connaissent encore une transmission active du virus, et parvenir à la « fin de partie » doit rester la priorité. Malgré la promesse de fonds pour la reconstruction, reconstituer la main-d’œuvre prendra du temps alors qu’une proportion significative du personnel de santé est décédée[35]Edelstein M, Angelides P, Heymann DL. Ebola: the challenging road to recovery, op. cit. et que la fermeture des écoles de santé et d’infirmières pendant l’épidémie a contribué à retarder le renforcement des capacités[36]Ibid.. Au niveau mondial, la réponse tardive et insuffisante de la communauté internationale, y compris de l’OMS, a mis en évidence le besoin de revoir les mécanismes de réponse en urgence[37]World Health Organization, Report of the Ebola Interim Assessment Panel, juillet 2015, http://www.who.int/csr/resources/publications/ebola/report-by-panel.pdf?ua=1 (consulté le 20 juillet 2015).. L’épidémie a également et de nouveau mis en évidence la faible conformité au règlement sanitaire international de l’OMS, en particulier au niveau de capacités nationales en matière de santé publique dans les pays à faible revenu[38]David P. Fidler, Ebola Report Misses Mark on International Health Regulations, Chatham House, juillet 2015, … Continue reading. Si de telles capacités avaient été disponibles, l’épidémie aurait sans doute pu être détectée et contrôlée en lieu et en heure.

L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest a démontré une fois encore comment la faible capacité d’un système de santé dans un seul pays peut menacer la sécurité sanitaire mondiale. Alors que les trois pays les plus affectés, avec l’aide de la communauté internationale, poursuivent leurs efforts pour briser les dernières chaînes de transmission, plusieurs leçons doivent être retenues : en premier lieu, le mécanisme mondial de réponse à de telles crises de santé publique, en particulier la capacité et les processus de l’OMS, nécessite un examen et un renforcement, voire une révision[39]World Health Organization, Report of the Ebola Interim Assessment Panel, op. cit.. De nombreuses propositions ont déjà été faites, en particulier autour de la création d’un fonds d’urgence ou de l’augmentation des fonds disponibles au sein d’un plan d’urgence existant ; et la mise en place d’une force internationale d’intervention sanitaire, à vocation mondiale[40]World Health Organization, WHO response to the Ebola Interim Assessment Panel report, juillet 2015, http://www.who.int/mediacentre/news/statements/2015/ebola-panel-report/en/ (consulté le 20 juillet … Continue reading. Le lien entre un tel contingent et le GOARN n’est cependant pas encore défini. En deuxième lieu, la constitution de la capacité de base en matière de santé publique doit être accélérée. C’est ce dont s’occupe en partie l’Agenda de sécurité sanitaire mondiale (GHSA), conduit par les États-Unis, qui aide 44 pays à réaliser l’application totale du règlement sanitaire international[41]Center for Disease Control and Prevention, Global Health Security Agenda, http://www.cdc.gov/globalhealth/security/ (consulté le 20 juillet 2015)., bien que le lien entre cette initiative et le mandat de l’OMS qui est de renforcer la capacité de base en matière de santé publique, manque de clarté. En troisième lieu, l’épidémie d’Ebola a vu l’émergence de nouveaux acteurs non traditionnels, tels que le secteur privé et les forces armées. Leur mandat et leur engagement dans les futures crises sanitaires restent à définir[42]Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola and future health crises: the role of the G7”, op. cit.. Car Ebola ne sera pas le dernier événement sanitaire de portée internationale. Et ces questions requièrent une réponse urgente avant l’émergence de la prochaine crise sanitaire mondiale.

Traduit de l’anglais par Renny Ngo

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References

References
1 US Center for disease control and prevention, Outbreaks Chronology: Ebola Virus Disease. http://www.cdc.gov/vhf/ebola/outbreaks/history/chronology.html (consulté le 20 juillet 2015).
2 World Health Organization, Ebola Situation Report, 15 juillet 2015. http://apps.who.int/ebola/current-situation/ebola-situation-report-15-july-2015 (consulté le 20 juillet 2015).
3 Ibid.
4 Ibid.
5 World Health Organization, Ebola virus disease, document de travail n° 103, avril 2015, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs103/en/ (consulté le 20 juillet 2015).
6 Ibid.
7 Almudena Marí Saéz, Sabrina Weiss, Kathrin Nowak et al., “Investigating the zoonotic origin of the West African Ebola epidemic”, EMBO Molecular Medicine, vol. 7, n° 1, 30 décembre 2014, p. 17-23.
8 World Health Organization, Ebola virus disease, op. cit.
9 Gerardo Chowell, Hiroshi Nishiura, “Transmission dynamics and control of Ebola virus disease (EVD): a review”, BMC Medicine, 2014; vol. 12, n° 196.
10 David L. Heymann, Control of Communicable Diseases Manual, 20e édition, American Public health Association, Washington, APHA Press, 2015.
11 J. Legrand, R. F. Grais, P. Y. Boelle, “Understanding the dynamics of Ebola epidemics”, Epidemiol Infect., mai 2007, vol. 135, n° 4, p. 610-621.
12 David L. Heymann, “Ebola: learn from the past”, Nature, n° 514, 16 octobre 2014, p. 299-300.
13 Ibid.
14 Colin Freeman, “One patient in a 200-bed hospital: how Ebola has devastated Liberia’s health system”, The Telegraph, 15 août 2014. http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/ebola/11037365/One-patient-in-a-200-bed-hospital-how-Ebola-has-devastated-Liberias-health-system.html (consulté le 20 juillet 2015).
15 Athalia Christie, Gloria J. Davies-Wayne, Thierry Cordier-Lasalle et al., Possible sexual transmission of Ebola virus – Liberia, 2015, Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR), 8 mai 2015, vol. 64, n° 17, p. 479-481.
16 Ibid et P. Sonnenberg, N. Field, “Sexual and mother-to-child transmission of Ebola virus in the postconvalescent period”, Clinical Infectious Diseases, mars 2015, vol. 60, n° 6, p. 974-975.
17 Jay B. Varkey, Jessica C. Shantha, Ian Crozier et al., “Persistence of Ebola virus in ocular fluid during convalescence”, The New England Journal of Medicine, n° 372, 18 juin 2015, p. 2423-2427.
18 World Health Organization, Ebola Situation Report, op. cit.
19 Emma Akerlund, Joseph Prescott, Livia Tampellini, “Shedding of Ebola virus in an asymptomatic pregnant woman”, The New England Journal of Medicine, n° 372, 18 juin 2015, p. 2467-2469 ; Steve E. Bellan, Juliet R. C. Pulliam, Jonathan Dushoff, Lauren Ancel Meyers, “Ebola control: effect of asymptomatic infection and acquired immunity”, The Lancet, vol. 384, 25 octobre 2014, p. 1499-1500.
20 Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola and future health crises: the role of the G7”, G7/G20 Research group, avril 2015. http://www.g7g20.com/articles/michael-edelstein-david-l-heymann-and-philip-k-angelides-ebola-and-future-health-crises-the-role-of- (consulté le 20 juillet 2015).
21 David L. Heymann, “Ebola: learn from the past”, op. cit.
22 Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola and future health crises: the role of the G7”, op. cit.
23 Ibid.
24 Ibid.
25 Michael Edelstein, Ebola Thrives in Brittle West African Health Systems, Chatham House, octobre 2014. http://www.chathamhouse.org/expert/comment/15955
26 BBC, “Ebola outbreak: Guinea health team killed”, septembre 2014. http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-29256443 (consulté le 20 juillet 2015).
27 Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola and future health crises: the role of the G7”, op. cit.
28 On compte environ 100 000 patients pour un médecin au Liberia, 50 000/1 en Sierra Leone et 10 000/1 en Guinée, contre 400 patients pour un médecin aux États-Unis, World Health Organization, WHO country profiles, Genève, 2015, http://www.who.int/countries/en/ (consulté le 20 juillet 2015); The World Bank, Open data: physicians (per 1000 people). http://data.worldbank.org/indicator/SH.MED.PHYS.ZS (consulté le 20 juillet 2015)
29 Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola: the challenging road to recovery”, The Lancet, vol. 385, n° 9984, 8 février 2015, p. 2234-2235.
30 World Health Organization, Liberia tackles measles as the Ebola epidemic comes to an end, juin 2015, http://www.who.int/features/2015/measles-vaccination-liberia/en/ (consulté le 20 juillet 2015).
31 Unicef, Measles Situation report, mars 2015, http://www.unicef.org/appeals/files/UNICEF_Guinea_Measles_SitRep_24Mar2015.pdf (consulté le 20 juillet 2015).
32 Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola: the challenging road to recovery”, op. cit.
33 Patrick Walker P. et al., “Malaria morbidity and mortality in Ebola-affected countries caused by decreased health-care capacity, and the potential effect of mitigation strategies: a modelling analysis”, The Lancet Infectious Diseases, vol. 15, n° 7, juillet 2015, p. 825-32.
34 Ana Maria Henao-Restrepo, Ira M. Longini, Matthias Egger et al., “Efficacy and effectiveness of an rVSV-vectored vaccine expressing Ebola surface glycoprotein: interim results from the Guinea ring vaccination cluster-randomised trial”, 31 juillet 2015, http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(15)61117-5 (consulté le 3 août 2015).
35 Edelstein M, Angelides P, Heymann DL. Ebola: the challenging road to recovery, op. cit.
36 Ibid.
37 World Health Organization, Report of the Ebola Interim Assessment Panel, juillet 2015, http://www.who.int/csr/resources/publications/ebola/report-by-panel.pdf?ua=1 (consulté le 20 juillet 2015).
38 David P. Fidler, Ebola Report Misses Mark on International Health Regulations, Chatham House, juillet 2015, http://www.chathamhouse.org/expert/comment/ebola-report-misses-mark-international-health-regulations (consulté le 20 juillet 2015).
39 World Health Organization, Report of the Ebola Interim Assessment Panel, op. cit.
40 World Health Organization, WHO response to the Ebola Interim Assessment Panel report, juillet 2015, http://www.who.int/mediacentre/news/statements/2015/ebola-panel-report/en/ (consulté le 20 juillet 2015).
41 Center for Disease Control and Prevention, Global Health Security Agenda, http://www.cdc.gov/globalhealth/security/ (consulté le 20 juillet 2015).
42 Michael Edelstein, Philip K. Angelides, David L. Heymann, “Ebola and future health crises: the role of the G7”, op. cit.

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