Sommet humanitaire mondial : sur la route menant à Istanbul

Wolf-Dieter Eberwein
Wolf-Dieter EberweinAprès des études à Berlin, Montréal et Ann Arbor (États-Unis), Wolf-Dieter Eberwein a été professeur de Science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble jusqu’à sa retraite en 2009. De 1995 à 2004, il a été directeur du groupe de recherche Politique internationale au Wissenschaftszentrum Berlin (WZB). Il a travaillé comme consultant pour la Croix-Rouge allemande, le Comité international de la Croix-Rouge et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. De 2008 à 2012, il a été président du réseau d’ONG humanitaires européennes, Voice (Voluntary Organisations in Cooperation in Emergencies), basé à Bruxelles. Il est aujourd’hui membre du conseil d’administration du Fonds Croix-Rouge en France. Il est spécialiste en relations internationales, en particulier des conflits armés et de la sécurité, des ONG et de l’action humanitaire.

Pour mieux prendre la mesure de l’innovation, des enjeux et incertitudes entourant le Sommet humanitaire mondial, il fallait retracer le processus ayant jalonné son organisation. Esquissant une histoire critique de cette première véritable rencontre mondiale consacrée à l’action humanitaire, Wolf-Dieter Eberwein reconnaît son caractère inclusif, mais dessine les limites d’une entreprise qui reste suspendue à la volonté politique des États.

Depuis trois ans, une vague de consultations a déferlé sur la scène humanitaire internationale. La grande quantité de documents produits laisse une large place à l’analyse du fonctionnement du système humanitaire mondial et à des propositions sur la manière de le réformer. Cet objectif d’une réforme d’envergure culminera avec le Sommet humanitaire mondial qui doit se tenir les 23 et 24  mai 2016 à Istanbul. Ce processus a été initié en 2012 par le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, au motif que l’augmentation drastique et corrélative du nombre de personnes ayant besoin d’assistance et des besoins en financements rendaient ces réformes plus que jamais indispensables[1]D’après le rapport One Humanity : Shared Responsibility, Assemblée générale A/70/709, février 2016. … Continue reading. Avant de nous pencher sur l’évaluation du résultat de ce processus et d’envisager les questions à résoudre, une reconstitution de la méthode elle-même s’impose, car il s’agit indiscutablement du premier processus de réforme du système international humanitaire inclusif, autrement dit ayant sollicité la participation de tous les acteurs directement ou indirectement liés à l’action humanitaire. Plus de 22 000 personnes ont ainsi contribué : de nombreux bénéficiaires, plus de 150 gouvernements, des ONG internationales, nationales et locales, des militaires, des organisations gouvernementales internationales et des représentants du secteur privé (entreprises et fondations).

Un processus inclusif

La stratégie a reposé sur huit consultations régionales organisées entre juin 2014 en Afrique (Côte d’Ivoire) et juillet 2015 pour l’Asie du Sud et l’Asie centrale, à Douchanbé (Tadjikistan). Leurs résultats sont documentés dans de volumineux rapports[2]Ces rapports peuvent être consultés sur le site officiel du Sommet : www.worldhumanitariansummit.org. Ce processus a culminé avec la consultation globale organisée du 14 au 16 octobre 2015 à Genève. Le rapport Restoring Humanity. Global Voices Calling for Action contient la synthèse des résultats de ces multiples consultations[3]Nations unies, World Humanitarian Summit secretariat, Restoring Humanity : Synthesis of the Consultation Process for the World Humanitarian Summit, 2015, … Continue reading.

Dans le même temps, toute une série d’autres consultations s’est tenue, comme le Forum global pour améliorer l’action humanitaire, le Forum civil-militaire et des rencontres avec des représentants du secteur privé. Un certain nombre de dialogues thématiques internationaux a également émaillé la démarche, à l’image de ceux concernant les enfants dans les crises, le management collectif des crises ou encore le management des risques. Ce processus a été clos par deux documents produits en 2016 : le rapport spécial du Panel de haut niveau sur le financement humanitaire[4]http://reliefweb.int/report/world/high-level-panel-humanitarian-financing-report-secretary-general-too-important-fail et le rapport de Ban Ki-moon soumis à l’Assemblée générale des Nations unies[5]One Humanity…, op. cit.. Les participants du Sommet ne pourront donc pas se plaindre de ne pas avoir été informés du processus établissant un état des lieux du système humanitaire international, tant il s’est avéré transparent, tout au moins en ce qui concerne ses résultats. Car si les parties prenantes sont en principe d’accord sur les problèmes, il n’est pas acquis que les États soient prêts à abandonner leurs prérogatives, en premier lieu leur souveraineté. De leur côté, ONG internationales et du Sud sont loin de s’entendre en ce qui concerne les formes de coopération et modalités de financement : les secondes veulent leur propre budget tandis que celles du Nord sont réticentes à accepter une telle solution. Un indice supplémentaire d’un certain nombre de désaccords pourrait bien être la démission de Djemila Mahmood de son poste de responsable du secrétariat du Sommet, après la consultation globale ayant eu lieu à Genève en octobre 2015, alors qu’elle avait réalisé un travail remarquable. Si leur mise en œuvre est donc loin d’être acquise, la quantité d’informations ainsi accumulées depuis 2012 doit maintenant être convertie en une feuille de route pour les années à venir.

Sept tables rondes[6]https://www.worldhumanitariansummit.org/whs_summit/roundtables seront ainsi organisées à Istanbul afin d’aboutir à des recommandations sur les sept thématiques finalement retenues : « Faire preuve de volonté politique pour prévenir et faire cesser les conflits » ; « Faire respecter les normes qui protègent l’humanité » ; « Ne laisser personne de côté : s’engager à affronter la problématique des déplacements forcés » ; « Femmes et filles : catalyser l’action en faveur de l’égalité des sexes » ; « Catastrophes naturelles et changement climatique : gérer les risques et les crises différemment » ; « Améliorer les conditions de vie : fournir une aide ne suffit plus, il faut mettre fin au dénuement » ; et enfin « Investir dans l’humanité ».

Mais à ce stade de l’analyse, il est nécessaire de revenir sur les consultations menées en amont à travers une courte synthèse de cinq séries de documents : les rapports régionaux, le rapport du Panel de haut niveau sur le financement humanitaire, la Communication de la Commission européenne[7]http://ec.europa.eu/smart-regulation/roadmaps/docs/2015_echo_001_whs_communication_en.pdf, la résolution du Parlement européen[8]http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0459+0+DOC+XML+V0//EN et finalement le Rapport du Secrétaire général des Nations unies, notamment son annexe Agenda for Humanity.

Quatre sujets ont structuré les consultations régionales : effectivité humanitaire, réduction de la vulnérabilité et management des risques, transformation par l’innovation, et réponse aux besoins des personnes dans les conflits. Les résultats publiés dans les huit rapports régionaux se recoupent très largement, même si l’on note des spécificités régionales. Le thème dominant reste naturellement celui des financements. Ce serait une gageure que d’identifier une institution ne se plaignant pas d’une pénurie en la matière, en particulier au vu du nombre croissant de conflits et de catastrophes naturelles. Le manque de protection et de soutien des gouvernements aussi bien envers les populations que les acteurs humanitaires est aussi un constat généralisé. Intégrer urgence et développement est devenu « un vœu pieux » et la nécessité du transfert de ressources aux acteurs nationaux ou locaux une incantation. Si des différences régionales subsistent, elles concernent notamment la nécessité de créer des institutions dédiées à la préparation et à la gestion des catastrophes naturelles (en Asie en particulier) ou à la prévention des conflits (en Afrique et au Moyen-Orient). Il est intéressant de souligner que le manque de respect des principes humanitaires ne s’expliquerait pas uniquement par la mauvaise foi des acteurs mais aussi par la méconnaissance que ces derniers en ont, particulièrement en Afrique[9]Les résultats sont présentés en détail dans le document Nations unies, World Humanitarian Summit…, op. cit..

Le Panel de haut niveau sur le financement humanitaire est quant à lui parti, et à juste titre, du principe que « personne ne devrait être oublié ». Le rapport se focalise dès lors sur trois problématiques : concentrer les montants attribués sur les besoins concrets, approfondir et élargir la base des ressources, enfin améliorer les processus d’assistance pour contribuer à l’effectivité. La première pourrait sembler en contradiction avec la deuxième, sauf à accepter l’argumentation du Panel. Selon ses membres en effet, les questionnements tiennent au manque d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs concernant les besoins, ainsi qu’à l’absence d’une évaluation commune de ces mêmes besoins. Plus préoccupant, les évaluations réalisées auraient davantage pour effet de servir la vision et les intérêts des évaluateurs et de leurs organisations que ceux des bénéficiaires. Les membres de ce Panel sont également d’accord pour déplorer le gouffre entre la satisfaction des besoins constatés (estimés à un coût de 50 milliards de dollars) et les montants disponibles (environ 24 milliards de dollars) et pour appeler les donateurs à réviser leurs critères d’attribution. D’après eux en effet, le système actuel fonctionne selon des critères qui entravent davantage qu’ils améliorent la satisfaction des besoins. À quel point le recours aux fameux « nouveaux bailleurs » (entreprises et fondations) contribuera-t-il à une amélioration de la situation actuelle ? Cela reste à démontrer.

La Commission européenne a pour sa part choisi « un angle d’attaque » différent dans la formulation de ses recommandations pour le Sommet. Elle constate que le processus de réforme – initié en 2005 avec le rapport Humanitarian Response Review[10]https://interagencystandingcommittee.org/system/files/legacy_files/HRR.pdf  – n’est pas encore achevé. Selon elle, à ce jour, il n’existe toujours pas de partenariats globaux pour une action humanitaire fondée sur des principes communs. Le droit international humanitaire (DIH) n’est pas respecté et ses liens avec les Droits de l’homme ne sont toujours pas correctement établis. La Commission rappelle aux gouvernements que c’est à eux qu’incombe, collectivement, l’obligation de permettre, par leurs contributions, le travail des agences humanitaires dans un environnement sécurisé pour elles, comme pour les bénéficiaires.

De même, pour les financements, la Commission appelle les bailleurs de fonds et les Nations unies à réviser leurs pratiques et instruments d’évaluation des besoins pour améliorer l’effectivité de l’aide.

La résolution du Parlement européen est encore plus précise dans ses demandes adressées aux participants du Sommet humanitaire mondial, en appelant à « des engagements et des domaines d’action prioritaires tout en poursuivant l’efficacité opérationnelle, l’application des principes humanitaires et au respect des obligations découlant du droit international humanitaire »[11]http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0459+0+DOC+XML+V0//EN). La résolution insiste sur le fait que les défis humanitaires actuels nécessitent un système plus diversifié, mais aussi plus inclusif et global. Le Parlement en appelle ainsi à la Commission et aux États membres pour présenter aux participants du Sommet une liste relativement détaillée de suggestions portant sur des aspects concrets, parfois même très pratiques, sur les quatre thématiques structurant les consultations régionales.

Le document le plus récent est le rapport du Secrétaire général des Nations unies, véritable point d’orgue du processus rendu à quelques mois du Sommet. Il propose un cadre général pour commencer une nouvelle phase de réforme. Prenant acte de la frustration, voire de l’écœurement que peut susciter la situation humanitaire globale[12]One Humanity…, op. cit., Ban Ki-moon aborde largement la question de l’interdépendance de l’action humanitaire avec la politique, les questions de la collaboration et de la coordination entre les acteurs ou encore de la prévention et de la résolution des conflits. Cette contextualisation de l’action humanitaire est centrale et l’argumentation développée dans l’annexe Agenda for Humanity, qui accompagne le rapport, est structurée autour de cinq thèmes de responsabilité (recoupant d’ailleurs en grande partie les thématiques des tables rondes). La première responsabilité, « Faire preuve de volonté politique pour prévenir et faire cesser les conflits », appelle à mener une action politique rapide, cohérente et décisive, à agir tôt, à rester mobilisé et à investir dans la stabilité et à trouver des solutions avec et pour les populations. La deuxième, « Faire respecter les normes qui protègent l’humanité », revient à respecter et protéger les civils et les biens de caractère civil pendant les hostilités, à assurer la protection du personnel des missions humanitaires et médicales et à lui garantir un accès sans entrave aux populations dans le besoin, à dénoncer les violations, à prendre des mesures concrètes pour mieux faire appliquer les règles et le principe de responsabilité et à faire respecter les règles (lancement d’une campagne mondiale en vue de consolider les normes qui protègent l’humanité). La troisième consiste à « ne laisser personne de côté », en réduisant les déplacements de populations et en remédiant aux problèmes qu’ils posent, en rendant les migrants moins vulnérables et en offrant davantage de voies légales et régulières de migration, en mettant fin à l’apatridie au cours de la prochaine décennie, en autonomisant et en protégeant les femmes et les filles, en comblant les lacunes en matière d’éducation dont souffrent les enfants, les adolescents et les jeunes, en donnant aux adolescents et aux jeunes les moyens de devenir des agents d’une transformation positive et en répondant aux besoins des autres groupes ou minorités en situation de crise. La quatrième responsabilité, « Améliorer les conditions de vie : fournir une aide ne suffit plus, il faut mettre fin au dénuement », s’attache à renforcer, sans les remplacer, les systèmes nationaux et locaux, à anticiper les crises sans attendre qu’elles éclatent et à assurer des réalisations collectives en dépassant le clivage action humanitaire-développement. Quant à la cinquième et dernière responsabilité, « Investir dans l’humanité », elle revient à investir dans les capacités locales, en fonction des risques et dans la stabilité, à mettre l’accent sur les résultats pour éviter toute atomisation (passer du financement de projets isolés au financement d’une vision), enfin à diversifier la base de ressources et affecter les fonds de manière plus efficace, le tout au nom d’une responsabilité partagée, une mention qui fait référence aux objectifs du développement durable à l’horizon 2030[13]http://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/. Reste, évidemment, à voir comment se traduiront ces responsabilités dans la réalité.

Un résultat globalement positif au regard des tentatives récentes de réforme

En 2005, le Bureau de coordination des affaires humanitaires (BCAH/OCHA en anglais) des Nations unies a échoué dans sa volonté de réformer seul le système humanitaire, notamment en imposant les Nations unies comme « fournisseur en dernier ressort » (provider of last resort). Ce postulat impliquait que, lors de grandes crises humanitaires où les autres acteurs ne seraient pas en capacité de subvenir aux besoins des victimes, ce seraient les Nations unies qui entreraient en jeu. Dans les faits, ces dernières – à travers OCHA – avaient systématiquement surestimé leurs capacités, ignorant purement et simplement le rôle des deux autres piliers du système humanitaire international.

La « Plate-forme humanitaire globale » fut alors créée, intégrant cette fois-ci les trois piliers de l’action humanitaire : les agences onusiennes, le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que des ONG[14]Cette plate-forme a été le résultat d’une critique massive, en provenance en particulier du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, tout comme des ONG humanitaires, qui refusaient … Continue reading. Cette plate-forme ne survécut que deux ans sans pourtant bloquer le processus continu de réformes qui caractérise ce champ d’action depuis la fin de la guerre froide. Reste que la première grande réforme de 2005 fut notoirement exclusive (en termes d’acteurs impliqués) comparée au processus menant au Sommet humanitaire mondial 2016 qui est, rappelons-le, un processus inclusif n’ayant écarté aucun acteur impliqué dans l’action humanitaire. Pour cette seule raison, ce Sommet devrait aboutir à tout le moins à un consensus sur les problèmes du système humanitaire international.

Bien qu’il reste à formuler une feuille de route des changements nécessaires à l’attention des acteurs concernés, la liste des problèmes à régler est aussi longue que d’ores et déjà dressée. Il en va ainsi en premier lieu des problèmes opérationnels et institutionnels : il suffit pour s’en convaincre de se reporter aux nombreux thèmes identifiés dans les différents rapports évoqués, notamment ceux des consultations régionales. Mais il en va aussi de l’intégration de l’action humanitaire d’urgence dans les politiques de développement, de la gestion des risques, de la protection des bénéficiaires ou du transfert progressif aux acteurs nationaux ou régionaux des ressources et de la responsabilité de la gestion de l’action humanitaire.

La mobilisation globale de tous les acteurs directement ou indirectement concernés par l’action humanitaire dans ce processus est déjà un succès non négligeable : un consensus collectif global s’est formé sur les problèmes à affronter.

Au niveau de la mise en œuvre, un certain nombre de mesures s’avèrent indispensables pour accroître l’efficacité de l’aide humanitaire, et donc une meilleure utilisation des ressources dis-ponibles. On peut citer la proposition de créer un fonds international pour le soutien aux réfugiés ou de changer le fonctionnement du Conseil de sécurité dans les cas de crises humanitaires, en excluant le veto. Au niveau institutionnel, le lien entre assistance et protection est définitivement reconnu comme lé-gitime et nécessaire. Mais il reste encore à trouver les formules qui permettront de garantir la coordination et la coopération entre les différents acteurs. C’est le but, en principe, des clusters, mais leur fonctionnement reste loin d’être convaincant. De même, la nécessaire intégration de l’action humanitaire dans les politiques de développement requiert une stratégie adaptée dans les contextes spécifiques de conflits et de catastrophes naturelles. Finalement, une réforme de l’action humanitaire ne serait viable que si cette action était unanimement reconnue comme neutre, impartiale et indépendante, et seulement basée sur le principe d’humanité. Or cela présuppose un engagement fort de la part des acteurs qui sont les seuls à pouvoir garantir le respect de tels principes. Et l’expérience montre qu’il est fort peu probable que tous les États et/ou les parties à des conflits y soient disposés.

Des perspectives moins encourageantes quant aux problèmes à résoudre

Ces derniers éléments suscitent effectivement une profonde interrogation : comment les intentions exprimées à grand renfort de déclarations et de rapports pourront-elles être traduites en politiques concrètes ? Les résultats produits par le processus menant à Istanbul démontrent la complexité d’une réforme fondamentale du système humanitaire international telle qu’envisagée pour les années à venir.

Les changements souhaités ne seront efficaces que si un ordre humanitaire international est reconnu universellement comme fondement de l’action humanitaire. Cet ordre n’a pas à être inventé : il existe déjà sous la forme du droit humanitaire international. Il doit en revanche être respecté par tous les acteurs, en premier lieu les gouvernements, ce qui est loin d’être le cas.
Oxfam écrit ainsi que le Sommet « doit réaffirmer dans les termes les plus forts le droit international existant[15]Oxfam, For human dignity. The World Humanitarian Summit: the challenge to deliver, 2015, p. 7, traduction de l’auteur. ».

Le cas de la Syrie – et par extension celui des réfugiés échoués en Grèce ou errant dans toute l’Europe depuis de nombreux mois – montre d’une part la nécessité du respect des règles et principes énoncés dans le DIH et comment, d’autre part, les États sont si peu enclins à faire prévaloir ce droit sur leurs intérêts politiques, sécuritaires ou idéologiques. La Commission européenne et le Parlement européen insistent sur ce point, et le Secrétaire général des Nations unies va encore plus loin en insistant sur la problématique de la prévention et de la gestion des conflits. Vont-ils être entendus ?

En considérant en revanche les aspects opérationnels et institutionnels, la « transition humanitaire » envisagée présuppose que deux conditions au moins soient satisfaites : des décisions contraignantes et une liste de priorités pour la mise en œuvre de ces décisions. Aucune de ces conditions n’est satisfaite à ce jour. Cette impression est renforcée par le fait que les sept tables rondes à Istanbul, censées dresser le sommaire des priorités, seront chacune animées par deux personnalités de haut rang, rassembleront environ 35 participants dûment sélectionnés et ne dureront pas plus de deux heures.

Sans compter que le devoir de cha-que président de table ronde sera de présenter un nombre limité de recommandations fortes, soit environ quatre par table ronde. En d’autres termes, il ne faut en attendre aucun débat véritable : ces tables rondes n’auront qu’une fonction symbolique, leurs résultats ayant déjà été décidés en amont.

Espérer qu’à l’issue du Sommet d’Istanbul le système international humanitaire sera en mesure de changer rapidement dans la direction voulue serait illusoire. Il faut néanmoins garder à l’esprit le progrès que représente le consensus collectif qui semble s’être établi sur les problèmes que rencontre l’action humanitaire. Une question demeure : à quel point est-il envisageable d’organiser au niveau international une aide humanitaire qui fonctionne sur la base des principes dunantistes d’humanité, d’impartialité, de neutralité et d’indépendance et qui reste dès lors à l’abri de la politique ? L’après-Istanbul nous dira quels acteurs auront non seulement la capacité, mais aussi la volonté de réaliser la vision d’Henri Dunant, tout en l’adaptant aux réalités d’aujourd’hui et à celles qui se profilent pour demain.

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References

References
1 D’après le rapport One Humanity: Shared Responsibility, Assemblée générale A/70/709, février 2016. http://reliefweb.int/report/world/one-humanity-shared-responsibility-report-secretary-general-world-humanitarian-summit
2 Ces rapports peuvent être consultés sur le site officiel du Sommet : www.worldhumanitariansummit.org
3 Nations unies, World Humanitarian Summit secretariat, Restoring Humanity: Synthesis of the Consultation Process for the World Humanitarian Summit, 2015, http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Restoring%20Humanity-%20Synthesis%20of%20the%20Consultation%20Process%20for%20the%20World%20Humanitarian%20Summit.pdf
4 http://reliefweb.int/report/world/high-level-panel-humanitarian-financing-report-secretary-general-too-important-fail
5 One Humanity…, op. cit.
6 https://www.worldhumanitariansummit.org/whs_summit/roundtables
7 http://ec.europa.eu/smart-regulation/roadmaps/docs/2015_echo_001_whs_communication_en.pdf
8 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0459+0+DOC+XML+V0//EN
9 Les résultats sont présentés en détail dans le document Nations unies, World Humanitarian Summit…, op. cit.
10 https://interagencystandingcommittee.org/system/files/legacy_files/HRR.pdf
11 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2015-0459+0+DOC+XML+V0//EN
12 One Humanity…, op. cit.
13 http://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/
14 Cette plate-forme a été le résultat d’une critique massive, en provenance en particulier du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, tout comme des ONG humanitaires, qui refusaient d’être instrumentalisés par les Nations unies.
15 Oxfam, For human dignity. The World Humanitarian Summit: the challenge to deliver, 2015, p. 7, traduction de l’auteur.

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