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Sommet humanitaire mondial : une occasion manquée ?

Antonio Donini
Antonio DoniniChercheur et analyste humanitaire. Antonio Donini est chercheur invité au Centre international Feinstein de l’Université Tufts et chercheur associé au Centre d’études sur les migrations internationales de l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève. Il a travaillé pendant 26 ans au sein des Nations unies dans les domaines de la recherche, de l’évaluation et des capacités humanitaires. Sa dernière fonction a été celle de directeur du Bureau des Nations unies pour la coordination de l’assistance humanitaire à l’Afghanistan (1999-2002). Avant cela, il a dirigé le Groupe des enseignements tirés des missions du BCAH, pour lequel il a commandé une étude indépendante sur l’efficacité des secours en situation de crise. Il a rédigé de nombreuses publications sur les questions liées à l’évaluation, à l’aide humanitaire et à la réforme des Nations unies. En 2004, il a coécrit l’ouvrage intitulé Nation-Building Unraveled? Aid, Peace, and Justice in Afghanistan [« La construction d’une Nation démantelée : l’aide, la paix et la justice en Afghanistan »]. Il est l’auteur principal de The Golden FleeceManipulation and Independence in Humanitarian Action [La Toison d’or : manipulation et indépendance dans l’action humanitaire]. Il finalise actuellement le projet Planning from the Future, une initiative conjointe du Centre Feinstein, du Groupe de politique humanitaire de l’ODI et du King’s College (Londres) qui vise à examiner les blocages au sein du système humanitaire et les possibilités de réforme.

Le Sommet humanitaire mondial, qui a fait l’objet de notre précédent dossier – tout juste paru quelques jours avant sa tenue – aurait-il tenu toutes ses promesses, ou a-t-il accouché d’une souris, tel que nous l’appréhendions alors ? Antonio Donini nous livre ici une synthèse plus en nuance, à peine moins désenchantée à vrai dire, mais redoutablement étayée. Évoquant au passage le tout récent sommet des Nations unies sur les migrants, thème de notre actuel dossier, tout aussi peu encourageant sur cette cause prioritaire, l’auteur soulève l’Arlésienne du système humanitaire actuel : sa réforme institutionnelle.

Le Sommet humanitaire mondial (SHM) s’est tenu en grande pompe à Istanbul les 23 et 24 mai 2016. Il aurait réuni plus de 9 000 participants venus d’horizons divers. La société civile était bien représentée, avec de nombreuses ONG locales et nationales. La représentation des États était mitigée : 173 étaient présents, mais aucun des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies n’avait mandaté son chef d’État ou de gouvernement. À l’exception d’Angela Merkel, aucun des chefs d’État du G8 n’était présent. La Russie et la Chine sont restées en marge, comme de nombreux pays du Sud, préférant écouter plutôt que participer. Comme on n’attendait aucun résultat négocié ou aucune déclaration politique, beaucoup ont considéré que ce processus divisait plus qu’il n’unifiait la communauté des États autour de questions cruciales. Certains États (du Sud) auraient été rebutés par l’atmosphère festive de la rencontre et leur manque supposé de visibilité.

La plus grande réussite réside peut-être tout simplement dans le fait que le SHM ait eu lieu et qu’il ait mobilisé autant d’énergie au sein de la communauté humanitaire. Il est trop tôt pour établir une évaluation équilibrée des plus de 3 000 engagements pris par les États, les organisations d’aide et développement, le secteur privé et les autres parties prenantes, et plus encore pour bien comprendre les résultats du Sommet. La plupart de ces engagements ont été individuels plutôt que collectifs. Beaucoup ont été déclaratifs plutôt que quantifiables ou orientés vers l’action. Par exemple, 48 États (principalement des pays de l’OCDE ) ont réaffirmé leur soutien et leur adhésion au droit international humanitaire (DIH), ce qui pose la question de l’adhésion des 125 pays restants et de leur manque d’intérêt pour un tel engagement. Du fait de la nature de la rencontre (un événement multipartite comprenant des centaines de réunions de niveau élevé, intermédiaire et bas, dans lequel une grande partie de l’énergie était concentrée dans les sous-sols où avaient lieu les événements organisés en marge du Sommet par la société civile), le SHM n’a donné lieu à aucune déclaration finale ou nouveau pacte.

Des évaluations et des mesures de suivi plus détaillées se feront jour dans les mois à venir. Les paragraphes ci-dessous proposent une lecture personnelle de ce que le Sommet révèle de l’état de l’action humanitaire. Dans l’ensemble, le Sommet s’est avéré riche en discours, mais pauvre en détails. Ou, comme l’a indiqué un représentant des donateurs, « il a permis beaucoup de petites avancées, mais pas de progrès majeur ».

Sur le plan positif…

Le signal le plus important a sans doute été que l’ensemble des parties prenantes reconnaissent que les conflits et les crises prolongées restaient leur principale préoccupation et que le respect du DIH constituait une responsabilité fondamentale des États. Beaucoup de rhétorique et d’applaudissements ont réaffirmé l’importance des principes humanitaires et de la protection. Mais si l’on songe à un possible tournant politique majeur, le Sommet s’est avéré de ce point de vue décevant. Tandis que les gouvernements, en particulier ceux des pays occidentaux, ont réaffirmé (avec emphase et sans équivoque) leur engagement en faveur des principes fondamentaux de l’action humanitaire, les États ne se sont pas engagés à prendre des mesures explicites pour éviter les guerres, y mettre fin et répondre aux souffrances humaines, notamment en limitant les ventes d’armes aux pays belligérants, en mettant en place un mécanisme de surveillance et de sanction chargé de faire respecter le DIH et en améliorant la conduite de la guerre, par exemple en évitant que les établissements de soins et de santé soient pris pour cible.

L’élément central du Sommet a été le « grand bargain » (qui avait techniquement été convenu au préalable). Les principaux acteurs du secteur (les 15 principaux donateurs et les 15 principaux organismes recevant les fonds) ont convenu d’accroître le recours aux liquidités et aux mécanismes de marché, en orientant davantage de financements vers les organisations locales et nationales, en proposant des financements plus flexibles et en simplifiant les modalités de compte-rendu en contrepartie d’une transparence accrue sur l’utilisation des fonds. Il reste à définir des objectifs quantifiables ou un système de suivi et les détails pourraient bien poser problème. Certains sont convaincus que le « grand bargain » et le recours accru aux liquidités constituent des moyens de réforme « détournés » du système humanitaire, car ils changeront la manière dont les humanitaires mènent leurs activités. D’autres dénoncent un renforcement de la mainmise des principaux acteurs sur le système. Quoi qu’il en soit, il est trop tôt pour se prononcer.

L’action locale figurait parmi les priorités de chacun, comme l’a souligné le lancement du réseau NEAR (Network for empowered aid response), regroupant des ONG du Sud, juste avant le Sommet. L’objectif consistant à orienter au moins 25 % des financements directs vers des ONG locales et nationales a été validé, parfois avec enthousiasme, que ce soit lors des sessions formelles ou des événements organisés en marge du Sommet. Une grande ambiguïté demeure cependant quant aux modalités de réalisation de cet objectif, et surtout quant à la manière dont les organisations locales peuvent se prémunir contre les manipulations politiques manifestes et respecter les principes humanitaires en cas de tension ou de conflit.

Diverses innovations, qui étaient pour la plupart déjà sur les rails, ont été consacrées par le Sommet. La nouvelle Plate-forme commune pour l’éducation dans les situations d’urgence et les crises durables[1]Overseas Development Institute, A common platform for education in emergencies and protracted crises, ODI, Evidence paper, mai 2016, … Continue reading, lancée par Gordon Brown seulement deux semaines avant le SHM, a reçu un fort soutien. Elle s’est fixée pour objectif de recueillir près de 4 milliards de dollars US au cours des cinq prochaines années afin de permettre aux enfants confrontés à des situations de crise de réintégrer leurs écoles. Le Sommet a permis le lancement d’un nouveau Réseau d’action des organisations humanitaires régionales (ROHAN), ainsi que d’initiatives en faveur notamment des personnes handicapées et des jeunes confrontés à des situations de crise.

Alors que les principaux événements étaient très encadrés et ne laissaient que peu de place au débat, une grande partie de l’énergie et des travaux pratiques se sont concentrés sur les quelque 115 événements organisés en marge du Sommet, qui ont donné du sens à la rencontre. Bien qu’elles en soient à leurs débuts et qu’elles doivent faire leurs preuves, des initiatives comme Charter for Change, une nouvelle plateforme de données humanitaires situé à La Haye[2]https://charter4change.org, ou la nouvelle Charte pour l’inclusion des personnes handicapées dans l’action humanitaire[3]http://humanitariandisabilitycharter.org sont des initiatives qui méritent d’être suivies et soutenues. De nouveaux instruments financiers comme les investissements à impact social mis en place par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ou le Fonds de solidarité islamique instauré par l’Organisation de la coopération islamique (OIC), par exemple, proposent des alternatives viables en complément des modes opératoires vétustes et rigides du secteur. On a beaucoup parlé de l’évolution vers un « écosystème » dans lequel différents courants de l’action humanitaire travailleraient plus ou moins ensemble et dans lequel les principaux acteurs traditionnels « abandonneraient » une partie de leur pouvoir[4]Voir Christina Bennett, Matthew folley et Sara Pantuliano (dir.), Time to let go. Remaking humanitarian action for the modern era, Groupe de politique humanitaire, Overseas Development Institute, … Continue reading.

Sur le plan négatif…

Malgré les discours, le Sommet n’a donné lieu à aucun progrès en matière de DIH, de principes humanitaires et de protection. Certains considèrent que le manque d’engagement des États membres du Sud en faveur du DIH est le signe avant-coureur d’une plus grande division Nord/Sud sur les questions de principe. Comme l’a souligné une ONG, « les véritables humanitaires ont été les grands perdants ». De plus, bien que la protection ait été signalée comme une question importante lors des consultations menées en amont du Sommet, en particulier lors de celles menées avec les personnes concernées, le Sommet lui-même a beaucoup plus porté sur l’assistance que sur la protection. Aucune idée nouvelle sur la manière de faire progresser la protection n’est ressortie non plus, que ce soit dans le rapport du Secrétaire général ou lors du Sommet lui-même. La question des réfugiés et des migrants n’a pas été évoquée, si ce n’est dans le cadre de présentations convenues lors des réunions de haut niveau. Les liens entre la barbarie de la guerre en Syrie et la détérioration des conditions d’asile en Europe, par exemple, ont tout juste été survolés. Le manque de volonté ou l’incapacité des politiques à mettre fin aux guerres dont les civils sont les premières victimes n’a soulevé aucune indignation. Comme l’a lancé un participant, « peu importe le nombre de tribunes que nous rédigeons, il manque l’impulsion. Les États semblent devenus totalement insensibles à la réalité de la guerre ».

Aucun élément nouveau n’est ressorti sur la relation entre politique et action humanitaire. Soulignons également l’absence de discussions sur l’action humanitaire et le maintien ou la consolidation de la paix, en particulier dans le contexte difficile des missions intégrées de l’ONU. Il en est allé de même pour les questions liées à l’interaction avec les acteurs armés non étatiques, sujet pourtant évoqué à de nombreuses reprises lors de différents événements organisés en marge du Sommet.

En revanche, la relation entre action humanitaire et développement a bénéficié d’une grande attention. Cette question (ou nouveau mantra) s’est inscrite dans le cadre de la « solution des besoins », avec les Objectifs de développement durable (ODD) en toile de fond, y compris pour l’action humanitaire. S’il a été admis que les organismes de développement devraient être plus actifs et intervenir plus précocement dans les crises durables, les conséquences de la fusion proposée de l’aide d’urgence et du développement n’ont donné lieu à aucune discussion détaillée, que ce soit en termes d’architecture ou de risque de politisation de l’action humanitaire sur le terrain. Avant le Sommet, le CICR et d’autres organisations dunantistes s’étaient inquiétés de la manière dont cette transition affecterait l’action humanitaire fondée sur des principes, en particulier dans les situations de conflit. Les discussions ont tourné essentiellement autour d’une action renforcée en faveur du développement pour prévenir, atténuer et favoriser le relèvement à la suite de catastrophes « naturelles ». Ce thème, certes important, a pris le pas sur la question de la relation entre action humanitaire et développement dans les situations de conflit et sur la question de savoir si les principes peuvent être défendus efficacement quand toutes les activités internationales dans un pays touché par un conflit s’inscrivent dans le cadre du développement.

Malgré la volonté d’accorder une place importante au changement et aux réformes lors des consultations menées en amont du Sommet, peu d’éléments spécifiques ont émergé sur ce plan du Sommet lui-même. Le rapport du Secrétaire général a évité d’aborder les questions impliquant une évolution de l’architecture du Secrétariat, du rôle du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) ou du pouvoir et des relations institutionnelles au sein du système onusien. Comme l’a indiqué un donateur, au-delà de l’action locale et du rôle des institutions régionales, « les questions liées à la réforme des Nations unies ont tout simplement été éludées ». L’architecture et la gouvernance actuelles du système ont été acceptées comme telles. Les questions liées à la coordination et au leadership n’ont pas été abordées, pas plus que les conséquences potentielles du recours accru aux liquidités ou de la relation complexe entre action humanitaire et développement aux fins de rationaliser ou de consolider le système onusien. Les Nations unies, que ce soit le Secrétaire général ou le BCAH, semblaient avoir renoncé à leur prérogative de proposition de réformes innovantes. Beaucoup ont quitté Istanbul en regrettant une occasion manquée.

Sauf lors des événements organisés en marge du Sommet, il n’y a eu aucune discussion réelle sur ce qu’il faudrait changer pour mieux préparer le système à l’avenir et sur la manière dont les organisations devraient évoluer pour s’adapter aux menaces et aux risques émergents et potentiellement croissants. Il en a résulté un Sommet tourné vers les défis d’aujourd’hui, si ce n’est vers le passé. Même l’attention portée à l’innovation a été largement ancrée dans le présent, s’aventurant rarement au-delà des solutions actuellement disponibles.

Enfin, le Sommet est resté axé sur les grands enjeux, une attention relativement limitée étant portée aux solutions de terrain et aux techniques permettant de sauver et de protéger des vies en plein cœur d’une crise, tout au moins lors des sessions formelles. Les cyniques se demanderont quel a été l’impact du SHM sur les populations assiégées de Syrie ou sur les boat people en Méditerranée, ou plus généralement sur la vulnérabilité mondiale. Au final, c’est par rapport à ces critères qu’il faudrait mesurer les réussites du Sommet.

Les résultats mitigés du Sommet s’expliquent en grande partie par le fait qu’il s’agissait d’un événement atypique du point de vue des États. Initialement conçu comme un processus double dans lequel les consultations de terrain et l’élan politique de haut niveau devaient aboutir à un programme mondial de changement, le Sommet est finalement devenu emblématique de la tension sans fin entre les principes et la politique dans l’action humanitaire. L’absence de processus de négociation intergouvernemental n’a pas incité les États à prêter attention aux messages parfois forts qui étaient ressortis des grandes consultations menées en amont du Sommet. Cela est devenu clair à l’approche de la réunion du Conseil économique et social (ECOSOC) organisée après le Sommet, en juin 2016. Un groupe d’États membres du Sud aurait même refusé de mentionner le SHM dans le projet de résolution de l’ECOSOC. Au final, un compromis a été trouvé et la résolution « prend note de la tenue du premier Sommet humanitaire mondial », sans plus de précision[5]Résolution de l’ECOSOC E/RES/2106/9 du 30 juin 2016, paragraphe 41.. 

Qu’est-ce que le SHM révèle de l’état de l’action humanitaire?

Le Sommet a effectivement permis de susciter un débat sectoriel mondial sur la nécessité de changement. Les débats organisés en amont du Sommet, que ce soit lors d’événements officiels ou non, ont montré que la société civile, tout au moins, reconnaissait que le secteur humanitaire ne tenait pas ses promesses, que ce soit pour des raisons systémiques ou par manque de moyens, et que la situation ne pourrait que se dégrader, à moins que les pouvoirs politiques en place n’entament un processus en vue d’un nouveau type de consensus sur ce que l’action humanitaire devrait être et les objectifs qu’elle devrait atteindre. Cependant, en l’absence d’une forte mobilisation de la société civile et des groupes concernés eux-mêmes, le besoin de renouvellement pourrait bien se perdre dans les méandres des effets de manche et de la politique institutionnelle. Pour l’instant, les perspectives de réforme significative sont faibles et plusieurs raisons se détachent.

Le fossé entre les discours sur le DIH et les principes, et la réalité de la barbarie croissante de la guerre et des souffrances grandissantes est symptomatique d’un manque général de courage moral au sein de la communauté internationale. Il n’y a pas de leader ou de chef de file autour duquel le courage et la solidarité pourraient s’unir et mobiliser des coalitions et des partenaires afin de susciter le changement.

Les positions politiques semblent de plus en plus polarisées. La Conférence de la Croix-Rouge organisée en décembre 2015 n’a pas permis de progresser vers la mise en place d’un mécanisme de respect du DIH, la réforme n’a jamais réellement été à l’ordre du jour du SHM et la même absence de consensus a affecté les préparatifs du Sommet sur les réfugiés et les migrants qui s’est tenu en septembre 2016. Pour la plupart, les dirigeants ont utilisé tant le Sommet des Nations unies que le « Sommet des Leaders » convoqué par le président Obama le 20 septembre comme une opportunité permettant de mettre en valeur ce qu’ils faisaient déjà pour soutenir les réfugiés plutôt que pour annoncer de nouvelles initiatives. Ces nouveaux engagements qui ont émergé du Sommet devront être suivis d’effets par les administrations Trump ou Clinton, qui seraient tous les deux plutôt enclins à voir les réfugiés davantage comme une menace à la sécurité que comme une priorité. Plutôt qu’une approche holistique concernant les personnes déplacées, certains pays n’hésitaient pas à déclarer que « si nous voulons aider les réfugiés, il faut laisser les migrants dehors »[6]Josephine Lebed, d’Oxfam, citée dans « Plenty of hype, no new ideas at UN migration summit », IRIN, 22 septembre 2016..

En outre, la prudence est de mise puisque, après le Sommet humanitaire mondial, les États semblaient maintenir les organisations de la société civile à bonne distance du Sommet du mois de septembre. La confiance est en berne au sein du système étatique.

Au sein du système humanitaire lui-même, la dynamique des pouvoirs semble éternellement réfractaire au changement. La mainmise d’un oligopole composé d’une poignée de donateurs, d’organismes des Nations unies, du Mouvement de la Croix-Rouge et de fédérations d’ONGI sur les règles et le pouvoir du système en tant que réseau est bien réelle. Ceux qui ont fixé les règles du jeu n’ont pas grand intérêt à faire évoluer un système qui fonctionne parfaitement pour eux. La contestation s’exprime en périphérie, notamment par la volonté d’action locale, mais d’une manière générale, le système humanitaire à dominance descendante est remarquablement résilient. De fait, le SHM pourrait avoir contribué à renforcer plutôt qu’à éliminer les obstacles au changement.

De plus, la croissance se poursuit : la taille de la superstructure (l’ensemble des entités, des mécanismes de coordination, de contrôle qualité, de responsabilité et de transaction, et des groupes d’intérêt qui ne sont pas directement liés à la mise en œuvre d’actions humanitaires vitales sur le terrain) a augmenté de manière disproportionnée. Il en résulte un ensemble d’institutions, de processus et d’intérêts légitimes de plus en plus complexes qui, dans une large mesure, ne fait qu’« alimenter le système ».

Mais la grande question reste celle de la réforme institutionnelle. Les processus du SHM et du Sommet sur les réfugiés ont réussi à contourner ce qui est peut-être la question la plus fondamentale : de quel type de modèle institutionnel et de gouvernance avons-nous besoin pour répondre aux conflits et aux crises d’aujourd’hui et de demain, ainsi qu’à leurs conséquences humanitaires[7]Et ce malgré le fait qu’un certain nombre de propositions de réforme aient circulé avant ou pendant le SHM. Outre le rapport Time to let go (cité plus haut), l’équipe de Planning from the … Continue reading ? Les outils dont nous disposons sont-ils adaptés ? Bien qu’il soit beaucoup plus développé, le système humanitaire en place ressemble étrangement à celui qui a été adopté à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, nous vivons dans un monde bien plus complexe et mondialisé, où la nature des conflits et de la vulnérabilité ne correspond plus au modèle existant. Il en va de même pour les grands mouvements de réfugiés et de migrants du XXIe siècle. Le fait que ni le SHM ni les réunions du 19 septembre sur les réfugiés et les migrants n’aient tenté d’aborder les questions de la gouvernance et de l’architecture humanitaires, sans parler des mandats, reflète à la fois l’inertie, le manque de courage politique et l’absence de vision. En dépit de prises de positions claironnantes et de beaucoup de rhétorique, ces deux rencontres n’ont fait que reporter les décisions à plus tard. Pourtant, la réforme est une question qui ne peut pas attendre indéfiniment. L’attentisme ne fera que compliquer la recherche d’un nouveau modèle et du pacte international qui le soutiendra.

Traduit de l’anglais par Sophie Jeangeorges

ISBN de l’article (HTML) :  978-2-37704-110-7

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References

References
1 Overseas Development Institute, A common platform for education in emergencies and protracted crises, ODI, Evidence paper, mai 2016, https://www.odi.org/sites/odi.org.uk/files/resource-documents/10498.pdf
2 https://charter4change.org
3 http://humanitariandisabilitycharter.org
4 Voir Christina Bennett, Matthew folley et Sara Pantuliano (dir.), Time to let go. Remaking humanitarian action for the modern era, Groupe de politique humanitaire, Overseas Development Institute, Londres, avril 2016.
5 Résolution de l’ECOSOC E/RES/2106/9 du 30 juin 2016, paragraphe 41.
6 Josephine Lebed, d’Oxfam, citée dans « Plenty of hype, no new ideas at UN migration summit », IRIN, 22 septembre 2016.
7 Et ce malgré le fait qu’un certain nombre de propositions de réforme aient circulé avant ou pendant le SHM. Outre le rapport Time to let go (cité plus haut), l’équipe de Planning from the Future (PFF), à laquelle appartient l’auteur, a présenté ses conclusions et ses recommandations de refonte du système lors d’un événement organisé en marge du Sommet. Le rapport PFF complet et les résultats correspondants sont disponibles sur www.planningfromthefuture.org

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