Quand ONG et organismes lucratifs collaborent : l’insertion économique des réfugiés en Équateur

Lucie Laplace
Lucie LaplaceLucie Laplace mène une recherche doctorale en science politique sur la gestion des exilés colombiens en Équateur durant la période 2000-2017 à l’Université Lumière Lyon 2 et au laboratoire Triangle. Elle est actuellement membre de l’Institut Convergences Migrations. Depuis 2016, elle s’intéresse aussi à la gestion de l’explosion migratoire vénézuélienne en Amérique latine, notamment l’évolution des politiques nationales des États d’accueil et celle des programmes des associations de Vénézuéliens y vivant. Plus largement, elle suit les changements politiques et électoraux dans cette région du monde (missions d’observation électorale de court terme avec l’Organisation des États américains en 2015 au Guatemala, et avec l’Union européenne en 2018 au Paraguay).

Tout comme la problématique des réfugiés ne se cantonne pas à l’espace européen, la collaboration entre ONG et entreprises est en voie de globalisation. L’article de Lucie Laplace étudie la manière dont l’insertion sociale des migrants en Équateur est gérée par les organismes d’aide humanitaire dans le cadre de partenariats avec des acteurs du secteur lucratif. Une expérience promue par le HCR qui, selon l’auteure, ne donne pas les résultats attendus. Surtout, elle aboutirait à une déresponsabilisation des acteurs sociopolitiques comme économiques.

Présenté comme un « modèle de progressisme » dans l’accueil des populations réfugiées, l’Équateur apparaît à la pointe de l’innovation et de l’expérimentation de nouvelles politiques « d’intégration locale[1]Il s’agit d’une des trois « solutions durables » définies par le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies dans son mandat de création de 1951. C’est la solution … Continue reading », notamment en matière d’insertion économique des bénéficiaires. C’est le pays d’Amérique latine qui accueille le plus de réfugiés, soit 60 500 personnes, 90 % venant de Colombie.

Des effets du néolibéralisme dans un pays socialiste

Les politiques migratoires et d’insertion des étrangers ont toujours été indexées sur les politiques de développement de l’Équateur. Depuis l’élection de Rafael Correa en 2006, ce pays « socialiste du XXIe siècle » a basé sa « révolution citoyenne » sur une tentative de redéfinition de son modèle de développement, en tant qu’alternative au néolibéralisme. Cette « révolution citoyenne » s’est d’abord construite au travers d’une entreprise d’extension des droits humains, consacrée dans la Constitution de 2008, adoptée par référendum populaire. Ainsi l’État a renforcé son administration de l’asile avec l’aide du Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR), les ONG se chargeant de la mise en place des politiques sociales spécifiquement pour les migrants forcés. Le débat portant sur la définition du « développement alternatif » s’est déroulé au cours du deuxième mandat (2009-2013), il a entériné des clivages forts. La fin de ce mandat coïncide avec le début de la relative « fermeture » des politiques d’accueil des réfugiés, dans un contexte où le discours de promotion des droits humains se trouve limité juridiquement et au moment où la crise économique se fait sentir dans le pays. On assiste alors à l’émergence progressive de politiques d’insertion économique dans le cadre de « l’intégration locale » des populations réfugiées, présentée comme une « solution durable ». Au cours du troisième mandat (2013-2017), ces nouvelles politiques se développent dans la sphère des ONG principalement, avec l’appui du HCR.

Dans cet article, l’objectif n’est pas de juger le travail de ces acteurs privés, ni leur coopération avec les ONG. Il s’agira dans un premier temps de comprendre le contexte dans lequel se mettent en place ces nouvelles politiques d’insertion économique en faveur de la population réfugiée, d’autant plus intéressantes qu’elles relèvent du néolibéralisme mondial appliqué dans un pays « progressiste » socialiste ayant pourtant proclamé sa rupture avec les dogmes libéraux. La deuxième partie s’attachera à analyser les programmes mis en œuvre, en tenant compte des catégories de sélection des populations bénéficiaires, dans le but d’apprécier leur variété et leurs similitudes. La troisième partie consistera en l’analyse des variables déterminant le soutien aux populations, ou au contraire les facteurs de l’échec ou du décrochage de certains bénéficiaires.

L’intégration des populations réfugiées en Équateur et ses enjeux

Malgré une évidente amélioration du statut des réfugiés – qui bénéficient de la gratuité de l’éducation et de la santé et sont autorisés à travailler –, il faut souligner la continuité entre les politiques migratoires du XXe siècle[2]Jacques Ramírez Gallegos, La política migratoria en el estado ecuatoriano. Rupturas, tensiones, continuidades y desafíos, Quito, IEAN, 2013. et celles de la période actuelle en Équateur : est désirable l’étranger qui s’intègre par le travail dans la société d’accueil. Dans le cadre du discours de la « révolution citoyenne », une timide tentative a eu lieu pour développer le secteur de l’économie populaire et solidaire[3]Cette dénomination est l’équivalent socialiste équatorien de l’économie sociale et solidaire en France. comme alternative au modèle capitaliste libéral. En promouvant une morale économique en faveur des plus pauvres, il s’agissait de valoriser les travailleurs des secteurs informels et formels travaillant pour couvrir leurs besoins quotidiens, au travers notamment de la promotion de coopératives. Les migrants forcés, en particulier les personnes « afro-descendantes[4]Il s’agit des descendants d’esclaves africains déportés en Amérique latine dans le cadre de la traite triangulaire réalisée par les colons européens du XVe au XIXe siècle. », avec un faible niveau d’éducation, rencontrent des difficultés d’intégration locale. Il n’existe pas de réseaux de solidarité étendus entre Colombiens, les plus nombreux parmi les migrants, qui ne souffrent pas seulement de la discrimination de la société équatorienne. Les stéréotypes liés au conflit colombien[5]Selon ces stéréotypes qui circulent dans de nombreux pays de l’Amérique latine, l’homme colombien est présenté comme un guérillero, un trafiquant de drogue ou un tueur à gages, et la femme … Continue reading et surtout la logique propre au conflit interne (limiter ses contacts pour des raisons de sécurité) tendent à restreindre au sein même de ces migrants forcés le tissage de liens d’amitié et de solidarité. Les rares tentatives de création d’associations ont échoué à inclure les plus défavorisées de ces populations dans les communautés d’accueil (milieu rural, petites villes, quartiers) tant elles souffrent d’un déficit de lien social local du fait de cette image de migrant « non désirable ». Par ailleurs, la précarité de leur situation (personne en situation irrégulière, demandeur d’asile, réfugié) ne favorise pas leur intégration sur le long terme dans le paysage équatorien : même s’ils vivent là depuis cinq ans, ils ne bénéficient pas de droit de vote facultatif (contrairement aux migrants économiques disposant d’un visa de résidence[6]Article 63 alinéa 2 de la Constitution de 2008 de la République d’Équateur.). Quant à l’emploi salarié non déclaré et au travail indépendant de rue (principalement la vente ambulante), ils rendent beaucoup plus difficile l’accès au système de sécurité sociale.

Limitées en termes de protection des droits des réfugiés du fait d’une approche légaliste[7]En Amérique latine, les acteurs mobilisés pour une meilleure protection des droits font face à une législation progressiste (comme c’est le cas ici), mais ils bataillent en faveur d’une … Continue reading, les ONG se sont peu à peu tournées vers l’économie pour réduire la précarisation de ces populations et améliorer leur intégration. Ce choix s’opère dans un contexte de réduction des financements internationaux et d’accroissement de la discrimination du fait de la crise économique. L’insertion économique de ces populations est favorisée par le développement de programmes novateurs de lutte contre la pauvreté et d’intégration des réfugiés au système bancaire.

Contre l’assistanat: accompagnement, éducation et partenariats avec le secteur bancaire et les coopératives

Progressivement, différentes politiques ont été mises en place dans le but de capter les financements existants, de mettre en œuvre des programmes à des échelles importantes avec des fonds réduits, et d’accroître leur impact grâce aux partenariats avec le secteur privé (banque, coopérative d’épargne et de crédit…). La création de tels programmes correspond au développement d’une nouvelle génération de politiques d’aide aux réfugiés selon une approche individualiste libérale, qui se marie avec la création de nouveaux marchés pour ces institutions du secteur privé. Ce type de politiques est l’une des manifestations de l’appropriation des politiques de lutte contre la pauvreté développée dans les années 1990, à la suite de la vulgarisation des travaux de Mohamed Yunus et d’Amartya Sen. En Équateur, cette alliance permet aux réfugiés d’ouvrir un compte en banque.

Il existe principalement deux politiques d’aide à l’insertion économique, mises en place par deux ONG (la Mission Scalabriniana[8]Entretiens réalisés au sein de la Mission Scalabriniana auprès de Wilfrido Acuña, directeur de l’ONG en décembre 2016 et de Michela Bugiolacchio, responsable du programme de microcrédit en … Continue reading et la Hebrew Immigrant Aid Society [9]Entretiens réalisés au sein de HIAS auprès de Margarita Ron, responsable du programme de moyens de vie en novembre 2016 et de Sabrina Lustgarten, directrice de l’ONG en juin 2017.), chacune faisant appel à des catégorisations différentes des populations bénéficiaires. Pour la Mission Scalabriniana, le programme d’accès au crédit se fait au travers de l’accompagnement de projets productifs individuels. Par exemple pour les réfugiés travaillant dans la vente ambulante de nourriture, il peut servir à s’acheter une glacière, une cuisinière ou un chariot ambulant. En parallèle, l’ONG a lancé un programme d’épargne communautaire, à travers la création de groupes locaux. L’objectif de ces derniers, formés d’une quinzaine de personnes, est d’inciter à l’épargne en renforçant les relations de confiance entre membres, pour leur permettre de soutenir leur projet. Ce programme a été créé en 2011 en Équateur, à l’initiative de l’un des travailleurs de l’ONG et il est soutenu financièrement par l’ONG américaine Catholic Relief Services.

HIAS met en place le programme pilote du HCR au niveau mondial[10]Ce programme pilote du HCR est testé actuellement dans quatre autres pays : l’Égypte, le Costa Rica, le Burkina Faso et la Zambie., testé en Équateur depuis 2015. Ce programme nommé « modèle de graduation » vise à lutter contre l’extrême pauvreté à l’échelle familiale par la création d’auto-entreprises. Il se fait via des transferts d’argent et la formation des bénéficiaires. Un premier versement est réalisé à l’entrée dans le programme. Ensuite, l’aide est d’environ 450 dollars par an pour une famille de quatre personnes et de 950 dollars pour une famille de sept personnes maximum. Parallèlement au versement de l’argent, les personnes sont progressivement accompagnées dans leur projet : éducation financière, construction d’un business plan, ateliers de formation selon les nécessités (droit du travail, gastronomie, artisanat, label de qualité…). La collaboration avec la banque du Pichincha consiste en la mise à disposition d’un expert en éducation financière de la fondation dans le cadre du volet de formation des réfugiés, et dans l’incitation à l’ouverture d’un compte en banque, voire d’un compte d’épargne.

Dans ces deux politiques, les bénéficiaires font l’objet d’une soigneuse sélection. Au sein de la Mission Scalabriniana, pour intégrer le programme d’insertion économique, ils doivent remplir certains critères : être migrant bien sûr[11]La Mission dispose d’une politique particulièrement ouverte aux individus aux statuts migratoires différents : demandeurs d’asile, réfugiés, migrant avec le visa Mercosur, migrant avec le … Continue reading, avoir un garant local (en général de nationalité équatorienne, dans une situation stable, et avec des revenus fixes), et avoir un business plan crédible. Un suivi est réalisé pour accompagner les personnes et les conseiller sur le rythme de demande de crédit, dont le montant augmente petit à petit (de 300 à 3 000 dollars), lorsque la situation économique devient positive et qu’elles remboursent rapidement leur crédit. S’agissant du programme d’épargne communautaire, les membres des groupes sont cooptés, ce qui permet de renforcer les relations de confiance. Chez HIAS, la sélection des bénéficiaires se fait ouvertement dès l’entrée dans le programme : ils doivent être demandeurs d’asile ou réfugiés. Sur la base d’un questionnaire traduit ensuite en indice[12]Entretien réalisé auprès de Santiago Cordova, chargé des données du HCR-Équateur, en novembre 2016., les travailleurs sociaux évaluent leur profil et celui de leur famille. Cet outil de sélection à l’entrée des bénéficiaires est ensuite mobilisé tout au long du processus pour évaluer l’amélioration de la situation du groupe familial au fil des transferts d’argent (programme de cash transfer). Les personnes les plus précaires, qui disposent de besoins spécifiques de protection correspondant aux catégories prévues par le HCR (chef de famille monoparentale, survivant de tortures, personne avec de graves problèmes de santé, victime de violences sexuelles et plus généralement en raison du genre ou de l’orientation sexuelle…) sont sélectionnées en priorité.

Dans le cadre des partenariats, les ONG s’occupent de faire connaître ces services et leurs modalités (ouverture d’un compte en banque, possibilités de crédits, différents plans d’épargne…). Elles sélectionnent les bénéficiaires, leur proposent des formations et les accompagnent dans le cadre de la création de leur projet entrepreneurial. En Équateur, les ONG disent avoir adopté « une approche intégrale », c’est-à-dire qu’elles ont des programmes d’aide complémentaire : soutien psychosocial, formation (en droits humains, mais aussi nutritionnelle, professionnelle…), conseils à l’insertion professionnelle. La partie sociale est donc réalisée par les ONG et les institutions financières adaptent leur offre à un public dont les ressources sont réduites. Ni l’ONG, ni l’institution financière ne prennent de risque financier.

Ces deux expériences interrogent sur le recours à des partenaires issus du privé (la Banque du Pichincha, et une coopérative de crédit). Elles se font au travers de la négociation d’un bénéfice et surtout de la création de nouveaux marchés grâce à l’incorporation de populations marginalisées dans la sphère bancaire de l’épargne et du crédit. Ces structures mettent au service de cet objectif d’insertion leur compétence technique ; elles créent des outils d’inclusion, et « éduquent » ces populations pour leur permettre d’incorporer les normes de « bonne gestion » de leur finance.

Apports et limites de ces programmes

L’accompagnement réalisé par les travailleurs de chacune des ONG, leur qualité d’écoute des bénéficiaires, mais également la flexibilité qu’ils instillent dans ces programmes garantissent une certaine adaptation des politiques d’insertion économique mises en œuvre. Cet accompagnement permet aux bénéficiaires de mieux connaître leurs droits et d’améliorer leur confiance en eux. Le soutien financier et psychosocial les aide à construire matériellement un « projet de vie », c’est-à-dire généralement à se créer un emploi pour au moins subsister dans le secteur informel (et de manière plus limitée – environ pour 20 % des bénéficiaires – dans l’économie formelle). La dimension de développement des liens sociaux dans la société d’accueil est peu documentée, mais d’après ce que nous avons pu voir sur le terrain, elle semble faiblement développée.

Nous n’avons pas eu accès aux résultats économiques des programmes. Cependant, le modèle de graduation mis en place par HIAS est assez critiqué : il ne permettrait pas de faire sortir les bénéficiaires de l’extrême pauvreté de manière certaine. Il existe ainsi un risque non négligeable qu’ils y sombrent à nouveau[13]Voir International Policy Center for Inclusive Growth, “Debating Graduation”, Policy in Focus, vol. 14, n° 2, juillet 2017, p. 8-9.. Ainsi, huit mois après le début du programme, seuls 35 % des bénéficiaires ont des revenus au-dessus du seuil de pauvreté national[14]Helene Kuhle, Alexi Taylor-Grosman et Andrew Mitchell, “Leaving no one behind: graduation for refugees”, in International Policy Center for Inclusive Growth, “Debating Graduation…”, … Continue reading. En effet, le transfert d’argent, même mis en œuvre au sein de programmes sociaux, n’est pas assimilable à un mécanisme de protection sociale. S’agissant de l’accès au crédit, les bénéficiaires de la Mission Scalabriniana semblent avoir des résultats plus positifs, certainement parce qu’il s’agit de populations ayant des besoins de crédit pour développer un projet productif – parfois déjà mis en œuvre –, mais qui ne se trouvent pas en situation d’extrême pauvreté. En revanche, si inciter à l’épargne ces populations qui endurent des conditions de vie difficiles est présenté comme une mesure économique de gestion, il s’agit surtout d’un dédouanement des responsabilités sociopolitiques des principaux acteurs. La responsabilité des organisations financières ne varie pas par rapport aux services traditionnels dans la mesure où elles ne prennent pas de risques bancaires particuliers en matière de prêts, par exemple vis-à-vis de ces populations qui sont financièrement considérées comme moins stables et donc « plus à risques ». En somme, ces institutions ne revendiquent pas l’exercice d’une « responsabilité sociale » en aidant ces personnes. Au contraire, la responsabilité de leur situation est imputée aux individus et à leurs compétences – ou à leur défaut de compétences – qui doivent s’adapter aux aléas du milieu dans lequel on les incite à s’intégrer économiquement de manière relativement sédentaire[15]En ce sens, la spécificité migratoire (supposément temporaire de ce type de migrants) et les aléas liés aux difficultés d’insertion locale sont des éléments qui ne sont jamais évoqués par … Continue reading. La sédentarité est en effet une norme imposée et non questionnée de ces programmes qui ne tiennent pas compte des dynamiques propres au processus de migration forcée. Au final, il n’y a aucune création d’une dynamique collective de responsabilité.

Surtout, face à des populations pauvres, souvent traumatisées, en situation de survie économique quotidienne, ces programmes ont des impacts nuancés. Ils semblent déconnectés des besoins quotidiens de ces populations ; ils se révèlent peu favorables à la construction progressive de leur projet de vie dans le cadre de la création d’un poids économique (crédit, incitation à l’épargne). L’enjeu de l’accès à une stabilité économique pour ces populations est étroitement lié à celui de leur intégration locale. Le devoir d’assistance envers les populations les plus précaires est ici remplacé par une « lutte contre l’assistanat », où la responsabilité de réussite incombe à la personne qui doit développer ses capacités. Par ailleurs, l’enjeu d’orientation de la construction du « projet de vie » du réfugié repose principalement sur le travailleur social du programme d’insertion économique de l’ONG. Souvent, celui-ci fait confiance aux arguments et à la connaissance – souvent limitée – que peut avoir le réfugié du secteur dans lequel il veut créer son commerce. On peut ainsi s’étonner qu’ils incitent à la vente ambulante de nourriture colombienne dans un marché saturé (selon les dires des réfugiés eux-mêmes).

Ces deux politiques participent incontestablement d’une nouvelle gestion des populations réfugiées dans leur pays d’accueil et dans le cadre de l’action d’acteurs divers (le HCR, les ONG, une banque, une coopérative…). S’agissant de l’État équatorien, réduit à son rôle minimal, il s’occupe de la régularisation de certains flux de populations en situation de migration forcée. Le HCR et d’autres bailleurs de la coopération internationale offrent des moyens pour la gestion « sociale » des populations réfugiées. Leurs perspectives étant réduites, les ONG orientent depuis quelques années leur action sur l’insertion économique des réfugiés. Ces politiques de « moyens de vie » ciblent certaines populations : les personnes en situation d’extrême pauvreté, ou les populations pauvres mais disposant d’un certain degré d’intégration. Elles sont mises en place au travers de partenariats avec des institutions bancaires, d’épargne ou de crédit. Cela leur ouvre de nouvelles perspectives de marché, avec des risques limités, du fait de la sélection des bénéficiaires opérée par les ONG, ainsi que par l’accompagnement social de ces derniers. Des contrats étant établis avec les bénéficiaires mentionnant des droits et des devoirs, il est clair qu’officiellement la responsabilité du succès de leur « projet de vie » n’est présentée que comme individuelle et familiale, et non plus sociétale. Ainsi, ces personnes réfugiées « chanceuses », qui seront sélectionnées, sont celles que l’on tente d’intégrer aux normes de la société capitaliste néolibérale, en sollicitant le concours des acteurs du secteur privé lucratif.

ISBN de l’article (HTML) :  978-2-37704-284-5

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References

References
1 Il s’agit d’une des trois « solutions durables » définies par le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies dans son mandat de création de 1951. C’est la solution majoritaire adoptée par les demandeurs d’asile et les réfugiés en Équateur. Le retour au pays est très peu envisagé, au vu de l’instabilité de la Colombie dans le contexte actuel de négociations et de signature d’accords de paix avec les différents groupes de guérilla, et le redéploiement des groupes armés issus du paramilitarisme. L’envoi dans un pays tiers (resettlement) n’est proposé qu’à environ 8 500 personnes depuis 2003 ; il se trouve affecté par la crise du Moyen-Orient et de l’Europe, mais également par la politique de Donald Trump aux États-Unis, ainsi que celle de Michel Temer au Brésil.
2 Jacques Ramírez Gallegos, La política migratoria en el estado ecuatoriano. Rupturas, tensiones, continuidades y desafíos, Quito, IEAN, 2013.
3 Cette dénomination est l’équivalent socialiste équatorien de l’économie sociale et solidaire en France.
4 Il s’agit des descendants d’esclaves africains déportés en Amérique latine dans le cadre de la traite triangulaire réalisée par les colons européens du XVe au XIXe siècle.
5 Selon ces stéréotypes qui circulent dans de nombreux pays de l’Amérique latine, l’homme colombien est présenté comme un guérillero, un trafiquant de drogue ou un tueur à gages, et la femme colombienne est facilement apparentée à une prostituée.
6 Article 63 alinéa 2 de la Constitution de 2008 de la République d’Équateur.
7 En Amérique latine, les acteurs mobilisés pour une meilleure protection des droits font face à une législation progressiste (comme c’est le cas ici), mais ils bataillent en faveur d’une meilleure effectivité de ces droits, du fait de défis institutionnels extrêmement forts.
8 Entretiens réalisés au sein de la Mission Scalabriniana auprès de Wilfrido Acuña, directeur de l’ONG en décembre 2016 et de Michela Bugiolacchio, responsable du programme de microcrédit en juillet 2017.
9 Entretiens réalisés au sein de HIAS auprès de Margarita Ron, responsable du programme de moyens de vie en novembre 2016 et de Sabrina Lustgarten, directrice de l’ONG en juin 2017.
10 Ce programme pilote du HCR est testé actuellement dans quatre autres pays : l’Égypte, le Costa Rica, le Burkina Faso et la Zambie.
11 La Mission dispose d’une politique particulièrement ouverte aux individus aux statuts migratoires différents : demandeurs d’asile, réfugiés, migrant avec le visa Mercosur, migrant avec le visa de amparo (grâce à un membre de la famille disposant de la nationalité équatorienne).
12 Entretien réalisé auprès de Santiago Cordova, chargé des données du HCR-Équateur, en novembre 2016.
13 Voir International Policy Center for Inclusive Growth, “Debating Graduation”, Policy in Focus, vol. 14, n° 2, juillet 2017, p. 8-9.
14 Helene Kuhle, Alexi Taylor-Grosman et Andrew Mitchell, “Leaving no one behind: graduation for refugees”, in International Policy Center for Inclusive Growth, “Debating Graduation…”, art. cit., p. 62-73.
15 En ce sens, la spécificité migratoire (supposément temporaire de ce type de migrants) et les aléas liés aux difficultés d’insertion locale sont des éléments qui ne sont jamais évoqués par les coordinateurs des programmes d’ONG.

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