Les impacts du changement générationnel sur l’humanitaire

Sophie Zaccaria
Sophie ZaccariaMédecins du Monde

Sophie Zaccaria  est copilote du Focus de ce numéro, avec la participation de Pierre Gallien, directeur Impact, Information et Innovation à Humanité & Inclusion

En humanitaire comme ailleurs, le changement générationnel a ses impacts. À l’heure où de nombreuses ONG françaises célèbrent leurs trois, quatre, voire cinq décennies d’existence, quelles mutations observons-nous et, surtout, en quoi transforment-elles le milieu humanitaire ? Des médecins post-soixante-huitards prenant des congés pour se rendre bénévolement en mission aux « community managers » d’aujourd’hui, quel rapport à l’engagement, aux convictions, au « terrain », à la formation, au politique, aux thèmes mobilisateurs, aux outils technologiques, à l’histoire même du mouvement humanitaire ?

La période est en effet riche de croisement des générations. Les fondateurs des grandes ONG françaises – et leurs compagnons de route – ont souvent bâti leurs organisations à l’occasion de graves crises géopolitiques directement héritées de la guerre froide : le Biafra pour Médecins Sans frontières, les boat-people vietnamiens pour Médecins du Monde, l’Afghanistan pour Solidarités International, le Cambodge pour Handicap International (aujourd’hui Humanité & Inclusion), etc. Ils ont ensuite vu arriver la génération X qui s’est formée en Bosnie, au Rwanda, en Indonésie ou au Darfour. Ces deux courants générationnels ont suivi des trajectoires variées. Certains des fondateurs et compagnons de route ont retrouvé leurs carrières médicales, parfois embrassé des fonctions politiques quand ils ne sont pas restés à la tête de leurs organisations. La génération X – la première sans doute à avoir été « formée »à l’humanitaire dans les filières nées dans les années 1990 – constitue encore le cœur des appareils associatifs où elle a été rejointe au début des années 2000 par les millenials de la génération Y, alors que s’annonce déjà l’arrivée de la génération Z.

Comment ces différentes générations coexistent-t-elles dans les ONG ? Quel regard les plus anciennes portent-elles sur les dernières arrivées ? Comment celles-ci s’insèrent dans ce milieu, l’habitent, le transforment, voire le remettent en question ?

À rebours d’une lecture qui confinerait au conflit entre les Anciens et les Modernes, ce numéro d’Alternatives Humanitaires vise à mieux comprendre ce qui se joue, aujourd’hui, dans le monde de l’humanitaire à partir de cette coexistence de générations, de cultures et de pratiques. Et de mieux saisir ce qui peut en sortir. Car s’il s’agit de faire le point sur les incompréhensions mutuelles, sommes toutes naturelles, il s’agit surtout de prendre la mesure des complémentarités réelles ou potentielles, voire des changements structurels que ce passage générationnel peut suggérer. Le décalage ne serait-il pas ainsi davantage affaire de structures que de générations ? Autrement dit, à l’heure du crowdfunding, des mobilisations plus ou moins durables via les réseaux sociaux, de la blockchain, des start-ups mixant économie libérale et philanthropie, les grandes ONG classiques sont-elles encore la « bonne formule » ? Doivent-elles – et peuvent-elles – se réinventer pour tirer profit de ces nouvelles énergies, ou sont-elles appelées à disparaître au profit d’un nouveau modèle que les jeunes générations seraient déjà en train d’inventer ?

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ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-610-2

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