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Renforcer la collaboration entre acteurs de l’humanitaire et de la recherche pour améliorer les interventions « eau, assainissement, hygiène »

Baptiste Lecuyot
Baptiste LecuyotConseiller senior EAH/WASH de l’ONG Solidarités International (SI), Baptiste a obtenu un master en gestion de l’eau à l’école d’ingénieurs Polytech Montpellier en France. Il a travaillé pendant cinq ans en France dans le secteur privé de l’eau et de l’assainissement, d’abord comme fondateur d’une société d’ingénierie de l’eau et de l’environnement, puis comme chef de projet assainissement dans une entreprise de travaux publics. Diplômé de Bioforce, il a travaillé pendant trois ans comme responsable de programme WASH pour des organisations non gouvernementales internationales au Soudan du Sud et au Moyen-Orient, et pendant deux ans comme coordinateur WASH de l’équipe d’intervention d’urgence de SI. Il est maintenant chargé de soutenir les initiatives WASH et de développer des projets de recherche en accord avec la stratégie WASH de SI.
Daniele Lantagne
Daniele LantagneProfesseure associée à l’école d’ingénieurs du Department of Civil and Environmental Engineering de l’Université Tufts, Daniele a obtenu son baccalauréat et sa maîtrise en ingénierie environnementale à l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT) en 1996 et 2001. Elle a obtenu son doctorat à la London School of Hygiene and Tropical Medicine en 2011. Entre ses diplômes, elle a travaillé comme ingénieur en santé publique aux Centers for Disease Control and Prevention (2003-2010) et comme directrice des programmes de l’Ipswich River Watershed Association (1997-2000). Elle a rejoint l’Université Tufts après avoir obtenu une bourse postdoctorale en science de la durabilité à la Kennedy School of Government de Harvard. Depuis 2000, Daniele a fourni une assistance technique et une évaluation des programmes de traitement de l’eau dans plus de quarante pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique centrale et du Sud.
Marine Ricau
Marine RicauDoctorante à la Graduate School of Engineering du département de génie civil et environnemental de l’Université Tufts, Marine a obtenu un master en ingénierie de l’environnement à l’IMT Lille-Douai en France en 2012. Avant de faire son doctorat à Tufts, elle a travaillé pendant cinq ans sur des projets d’assainissement dans des contextes humanitaires en Haïti, au Liban et au Myanmar.

C’est la thématique dite « eau, assainissement, hygiène » qui, ici, focalise l’attention des trois auteurs et les amène à pointer les obstacles aux actions combinées entre chercheurs et intervenants humanitaires. Ils illustrent les solutions envisageables par un mécanisme innovant que leurs structures respectives – l’Université Tufts et l’organisation non gouvernementale française Solidarités International – ont mis en place.

L’approvisionnement en eau potable et en dispositifs destinés à l’assainissement et à l’hygiène (EAH en français, Water, Sanitation and Hygiene – WASH en anglais) aux populations affectées est indispensable à la dignité humaine et au contrôle des maladies transmissibles[1]John T. Watson, Michelle Gayer and Maire A. Connolly, “Epidemics after natural disasters”, Emerging Infectious Diseases, 13(1), January 2007, p.1-5.. Les interventions dites EAH qui ont été évaluées ont montré qu’elles réduisaient systématiquement le risque de maladies et de transmission dans les situations d’urgence humanitaire[2]Travis Yates et al., “Water, sanitation, and hygiene interventions in outbreak response: a synthesis of evidence”, Waterlines, 38(1), January 2018, p.5-30.. Il serait cependant nécessaire que davantage de ces interventions soient évaluées dans les conditions réelles de leur mise en œuvre, alors que beaucoup d’entre elles ne s’appuient pas sur des données scientifiques. Cela permettrait en effet de prendre en compte les facteurs contextuels qui influencent leur efficacité et de convaincre les parties prenantes de la reproductibilité des résultats. Plus généralement, il s’avère indispensable de renforcer la base de connaissances sur les interventions EAH dans l’aide humanitaire, tout en utilisant les données existantes pour soutenir les politiques et les pratiques[3]Lauren D’Mello-Guyett et al., “Setting priorities for humanitarian water, sanitation and hygiene research: a meeting report”, Conflict and Health, 12/22, 15 June 2018..

Cependant, mener des recherches dans des situations d’urgence humanitaire comporte des défis, notamment la nécessité d’une collaboration entre acteurs humanitaires et chercheurs. En effet, la recherche dans de tels contextes est caractérisée par la convergence de deux cultures très différentes, ce qui induit un certain nombre de difficultés. Des adaptations et des solutions créatives seront nécessaires pour les surmonter. Dans cet article, nous présenterons les problèmes rencontrés – tant du point de vue de l’humanitaire que de la recherche – lors de la mise en œuvre de la recherche dans les contextes d’urgence humanitaire et sur la base de nos expériences respectives. Nous explorerons ensuite les solutions et les réflexions que nous avons développées pour améliorer cette collaboration, en vue de renforcer la base scientifique des interventions EAH dans l’aide humanitaire.

Défis rencontrés par les acteurs humanitaires

Tout d’abord, les acteurs de l’aide sont confrontés à des problèmes qui rendent la mise en œuvre d’une recherche rigoureuse à la fois plus difficile, mais aussi quelque peu secondaire. Il en va ainsi des contraintes inhérentes aux interventions humanitaires, notamment des temporalités courtes et de l’inertie du secteur humanitaire, qui limitent la capacité des acteurs à corriger ou à modifier leurs méthodes. Par exemple, les activités consistant à envoyer une équipe désinfecter le domicile d’une personne infectée lors d’une épidémie de choléra ont beau ne plus être recommandées par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF[4]UNICEF, Cholera Toolkit, 2013, https://sites.unicef.org/cholera/index_71222.html) et certains bailleurs, de nombreux acteurs humanitaires continuent de les mettre en œuvre. Par ailleurs, la collecte de données et le suivi se limitent généralement à l’établissement de rapports pour les bailleurs et le siège, et ne se concentrent pas sur l’amélioration des activités ni sur l’évaluation de leur efficacité. Enfin, les acteurs de l’aide ne restent généralement pas longtemps dans les zones où ils mettent en œuvre des activités.

Ces contraintes s’inscrivent dans un système humanitaire en mutation, dans lequel de nombreuses crises humanitaires sont désormais considérées comme durables et sujettes à des chocs récurrents. Malgré la tendance croissante à répondre à la fois aux chocs et aux besoins à moyen et long terme des populations, les acteurs humanitaires n’ont souvent ni l’habitude, ni la capacité d’analyse, ni les outils pour garantir une programmation à long terme et l’intégration de données fiables. Les praticiens fondent principalement leurs décisions sur leur expérience personnelle, et accordent une grande importance aux méthodes d’apprentissage interpersonnelles et basées sur le terrain et la pratique[5]BORDA, Preparing to be Unprepared – Decision Making and the Use of Guidance on Sanitation Systems and Faecal Sludge Management in the First Phase of Rapid-Onset Emergencies, March 2018, … Continue reading. Cela signifie que des pratiques anciennes, même si elles manquent de données ou sont moins efficaces, continueront à être mises en œuvre. De même, les pratiques innovantes s’appuyant sur des faits auront du mal à être adoptées. En outre, les directives existantes et les recommandations internationales fournies par les institutions, les différents secteurs et les clusters restent spécifiques à une temporalité donnée (urgence, relèvement précoce, développement) et, bien que la suppression des silos soit un souhait de longue date, elle se traduit rarement par des changements de pratiques. L’environnement de travail traditionnel des acteurs humanitaires peut également dresser des barrières qui limitent cette opportunité de changement de culture : les ONG humanitaires ont peu d’expérience du travail avec les acteurs institutionnels et de la gouvernance de la prestation de services EAH, car elles opèrent souvent dans des États ou des zones où ces acteurs sont faibles ou absents.

« Les praticiens fondent principalement leurs décisions sur leur expérience personnelle, et accordent une grande importance aux méthodes d’apprentissage interpersonnelles et basées sur le terrain et la pratique. »

 

Enfin, l’impératif humanitaire de répondre aux besoins les plus urgents se heurte souvent à des questions structurelles et à des blocages politiques ou institutionnels. À titre d’exemple, il arrive que certains pays ne souhaitent pas que des infrastructures permanentes soient construites pour les réfugiés, car ils craignent une installation à long terme. Traiter simultanément ces questions conjoncturelles et ces besoins structurels est un défi que les humanitaires s’efforcent de surmonter. Au Liban, les installations informelles pour les réfugiés syriens sont régulièrement démantelées par l’armée et les latrines et abris doivent donc être déplacés ou reconstruits. De plus, l’obtention de permis pour connecter les infrastructures aux services existants (approvisionnement en eau, systèmes d’égouts) est souvent compliquée ou tout bonnement refusée. Cela crée une charge de travail supplémentaire constante pour les humanitaires et limite la planification à long terme de l’amélioration des interventions. À cela s’ajoutent des difficultés telles que le manque de financement, l’inadéquation et l’insuffisance des fonds pour une programmation pluriannuelle flexible, la rotation du personnel et le manque de compétences locales. En conséquence, de nombreux acteurs de l’aide ne disposent déjà pas des ressources suffisantes pour mettre en œuvre des projets d’aide. Le travail nécessaire à un projet de recherche peut alors constituer une charge supplémentaire difficile à gérer pour les acteurs humanitaires, surtout si ces projets ne contribuent pas directement aux activités d’aide et à l’amélioration de la vie des bénéficiaires.

Compte tenu des contraintes, de l’évolution du système humanitaire et de l’impératif de répondre aux besoins les plus urgents, il est difficile d’invoquer les projets de recherche comme un moyen utile pour une action corrective.

Les défis rencontrés par les acteurs de la recherche

Du côté de la recherche, il existe également des contraintes spécifiques qui ne sont pas toujours faciles à concilier avec les contextes humanitaires. Des méthodes rigoureuses de collecte de données – comme les essais randomisés contrôlés – sont recherchées, mais généralement difficiles à mettre en œuvre en raison de l’instabilité et des difficultés d’accès, du manque de ressources et de connaissances spécifiques, des préoccupations éthiques, de la migration des populations ou de l’évolution des conditions dans le temps. Une méthodologie mixte est plus adaptée à ces contextes : elle permet de rassembler un large éventail de données, de sorte que si un type de données particulier ne peut être collecté, il sera généralement remplacé par un autre. Par exemple, dans une étude sur le traitement de l’eau à domicile (Household Water Treatment – HWT en anglais) au Népal, l’échantillonnage microbiologique n’a pu être réalisé en raison de l’éloignement du site de collecte des données, et des données sur le chlore résiduel libre ont été utilisées à la place.

En outre, il est nécessaire de disposer de données spécifiques collectées à plusieurs étapes de l’intervention, ce qui est différent de celles collectées de manière routinière par les intervenants. Ces données sont donc difficiles à obtenir si elles n’ont pas été anticipées. Par exemple, dans les évaluations post-intervention, l’absence de données équivalentes à celles collectées lors de l’évaluation initiale est un problème courant qui rend difficile la comparaison avant et après l’intervention, et la possibilité d’en tirer toute conclusion significative. La variabilité des approches d’intervention et de suivi, ainsi que des méthodologies entre les acteurs de l’aide constitue également une difficulté supplémentaire pour la comparaison des données lorsque plusieurs partenaires sont impliqués dans la recherche. Tout ceci augmente le risque que les investissements réalisés dans un projet de recherche aient des résultats moins probants en raison du manque de fiabilité des données collectées.

Enfin, au cours de la dernière décennie, des protections ont été établies pour la recherche en situation d’urgence. Celles-ci sont importantes, mais elles peuvent accroître les difficultés logistiques. En effet, le processus de déploiement comporte de nombreuses exigences impliquant des acteurs divers. Il suppose une validation éthique institutionnelle du protocole de recherche, et l’obtention d’informations spécifiques nécessaires à une approbation aux niveaux institutionnel, intervenants locaux et bailleurs. La coordination de cette chaîne de processus d’approbation demande généralement plusieurs mois aux chercheurs, sans compter le temps de réponse. Ces processus d’approbation ont donc un impact sur les projets de recherche et peuvent entraîner l’impossibilité de déployer efficacement la recherche dans de nombreux contextes. Par exemple, pour étudier les interventions de désinfection des domiciles et de transport de l’eau par camion lors d’une épidémie de choléra au Nigeria, la procédure éthique locale a pris six à huit mois, soit plus que le délai de mise en œuvre du programme[6]Daniele Lantagne et al., “Lessons learned from conducting six multi-country mixed-methods effectiveness research studies on water, sanitation, and hygiene (WASH) interventions in humanitarian … Continue reading. Les processus d’approbation peuvent également retarder le déploiement de l’équipe de recherche : dans plusieurs des expériences des auteurs, il est arrivé que l’équipe de recherche arrive vers la fin du programme, et même, dans un cas, après la fin du programme. Autant dire que la recherche n’est alors plus adaptée.

Ainsi, les processus d’approbation peuvent rendre difficile le déploiement rapide des acteurs de la recherche, en particulier dans les situations d’urgence aiguë, et donc désynchroniser la temporalité entre la recherche et l’intervention d’urgence qui est évaluée. Les contextes plus stables, accessibles, de long terme et prolongés, où les crises sont prévisibles et où les processus d’approbation peuvent être anticipés, sont plus faciles à gérer d’un point de vue logistique. Cependant, cette focalisation sur la recherche dans des contextes stables constitue une limite à la recherche sur l’aide humanitaire, car les données concernant les personnes potentiellement les plus touchées ne peuvent être obtenues.

De nombreuses autres contraintes peuvent rendre impossible la réalisation d’un projet de recherche en situation d’urgence : il peut être refusé au nom de directives de sécurité institutionnelles, ne pas entrer dans le cadre du mandat des bailleurs, ou des restrictions de visa pour les chercheurs internationaux peuvent le compromettre. Ainsi, la recherche dans les contextes humanitaires exige de la part des chercheurs une certaine flexibilité, une acceptation des risques liés au déploiement dans des contextes inconnus, une capacité d’adaptation et de réflexion, et la capacité de développer rapidement des partenariats sur le terrain.

Des solutions pour une meilleure collaboration

Compte tenu de ces contraintes, des solutions ont été développées pour améliorer la collaboration entre acteurs de l’humanitaire et de la recherche, ainsi que la mise en œuvre des projets de recherche. L’un des éléments clés consiste à concevoir des projets de recherche qui soutiennent directement les activités humanitaires. En effet, une telle recherche opérationnelle peut orienter et soutenir les acteurs humanitaires dans la mise en œuvre d’approches et d’interventions basées sur des faits, à condition qu’elle réponde aux problèmes et aux difficultés qu’ils rencontrent, et que les résultats puissent être directement utilisés pour améliorer la programmation. Par exemple, l’efficacité des interventions de HWT est bien établie en théorie[7]Organisation mondiale de la Santé, Programme international de l’OMS pour l’évaluation des technologies de traitement de l’eau à domicile, vol. 9, 2015. et dans les études d’impact sur la santé en contexte de développement[8]Thomas F. Clasen et al., “Interventions to improve water quality for preventing diarrhoea”, Cochrane Database of Systematic Reviews, 2015(10), 20 October 2015.. D’autres recherches menées récemment dans de multiples contextes d’urgence ont montré que la distribution de dispositifs HWT sans formation des bénéficiaires s’avérait inefficace. Ces résultats sont désormais communément admis par la communauté humanitaire et ont été inclus dans les directives établies pour le secteur. Tous ces enseignements convergent pour nourrir les recommandations qui suivent.

« L’un des éléments clés consiste à concevoir des projets de recherche qui soutiennent directement les activités humanitaires. »

 

D’abord, fournir des protocoles de recherche à des instituts de recherche sans une formation adéquate ni supervision quotidienne par une personne compétente conduit à de mauvaises prises de décision au jour le jour. Cela peut modifier la conception de l’étude et conduire à des résultats moins solides. En effet, dans de nombreuses études auxquelles nous avons participé, la collecte des données manquait d’uniformité et la méthodologie n’était pas appliquée de manière cohérente, ce qui diminuait la fiabilité des données. Il est donc recommandé soit d’avoir une personne sur le terrain qui supervise la recherche, soit de fournir une formation à la recherche à distance et un soutien quotidien continu pour garantir des résultats solides et de haute qualité. Par exemple, pour un projet en Ouganda, la formation et la supervision ont été effectuées à distance, parce que les chercheurs ne pouvaient pas voyager en raison de la crise de la Covid-19.

Ensuite, une modalité courante de la recherche en santé mondiale consiste à faire travailler ensemble une institution universitaire internationale, un centre de recherche local, une organisation humanitaire internationale et une autre locale. Cela peut permettre à des chercheurs plus expérimentés d’effectuer des recherches en collaboration avec d’autres, locaux, bien implantés. Les bailleurs des interventions EAH tendent à exiger ces partenariats entre recherche et organisations d’intervention pour les évaluations financées, ce qui conduira à une collaboration accrue entre les acteurs de tous les secteurs. En outre, dans les budgets alloués à la recherche, le financement de formations, du renforcement des capacités et des activités de diffusion est également de plus en plus encouragé, ce qui, espérons-le, conduira à une meilleure collaboration entre acteurs. Cependant, des questions subsistent sur la manière de mener à bien les recherches dans les pays où les institutions académiques locales ont été détruites, ne sont pas en mesure de travailler avec des partenaires extérieurs ou n’ont pas la capacité de mener des recherches.

Par ailleurs, financer l’intervenant humanitaire qui met en œuvre la réponse peut également encourager à davantage de recherche en situation d’urgence, car cela lui permet de consacrer des ressources au soutien du projet de recherche. Par exemple, dans un cas au Myanmar, une partie du financement a été consacrée à la mission de terrain soutenant la recherche. Dans un autre cas, du personnel spécialisé a été engagé par le partenaire de mise en œuvre pour la collecte des données, ce qui a également permis d’en assurer la cohérence.

Les relations personnelles, la communication orale, la confiance et l’expérience du travail en commun sont les facteurs clés d’une collaboration réussie entre chercheurs et humanitaires. Leur mise en relation peut se faire par l’intermédiaire de la plateforme WASH Cluster des Nations unies, d’agences internationales telles qu’UNICEF ou de bailleurs ou simplement à la faveur de conférences. C’est précisément lors d’une conférence internationale que les auteurs de cet article se sont rencontrés et ont pu ensuite développer une proposition pour l’étude qui a lancé le mécanisme détaillé ci-dessous.

Un exemple de collaboration

Dans le cadre de cet effort pour surmonter les contraintes et permettre une recherche solide et de qualité dans les contextes humanitaires, l’Université Tufts et Solidarités International (SI) ont développé un mécanisme innovant : ils conçoivent et mettent conjointement en œuvre des projets de recherche dans le cadre d’une thèse de doctorat menée par un ancien employé de SI. Dans le cadre de ce mécanisme, SI fait remonter directement depuis le terrain les besoins d’évaluation ou d’amélioration des interventions, et l’Université Tufts conçoit des projets de recherche pour répondre à ces besoins. Par exemple, l’efficacité de plusieurs types de géotextiles de déshydratation couramment utilisés dans les contextes humanitaires pour le traitement des boues fécales sera testée au laboratoire de l’Université Tufts. Cela permettra ensuite d’améliorer les interventions de traitement des boues fécales de SI à Cox’s Bazar, au Bangladesh, et de développer cette technique de traitement dans d’autres contextes en fonction des résultats.

« L’Université Tufts et Solidarités International ont développé un mécanisme innovant. »

 

Ce mécanisme garantit à la fois que les résultats du projet de recherche répondent aux besoins de l’organisation et contribuent directement aux activités d’aide, mais aussi que les résultats sont pertinents, significatifs et peuvent être appliqués à d’autres interventions ou contextes humanitaires grâce à une conception solide. Autre exemple, une revue systématique des pratiques de gestion des boues fécales dans les contextes d’urgence est menée dans le cadre de la thèse, et a été conçue sur la base des questions et des difficultés rencontrées par la doctorante au cours de ses années de travail dans de tels contextes. Ce projet permet de rassembler et d’analyser de manière systématique des informations reposant sur des données étayées, et informera d’autres acteurs de l’aide sur les connaissances actuelles en matière de gestion des boues dans les situations d’urgence. Ce partenariat permet également une meilleure compréhension des contraintes de la recherche, de ses exigences et de son cycle de projet par l’acteur de l’aide, ainsi qu’une meilleure compréhension des complications du terrain et une capacité d’adaptation accrue pour l’institut de recherche. Enfin, il offre une perspective plus profonde et durable vis-à-vis des contraintes, tant pour les chercheurs que pour les acteurs humanitaires, et il renforce une forte collaboration sur les projets, assurant un partenariat de recherche à long terme entre les organisations. Ce mécanisme participe par ailleurs à la formation de personnel versatile pouvant travailler à la fois dans un environnement humanitaire et de recherche, ce qui aidera à combler le fossé entre les deux secteurs et à garantir une meilleure collaboration à l’avenir.

Travailler au développement et à la mise en œuvre de projets d’innovation est également un moyen intéressant de combler le fossé entre les secteurs de la recherche et de l’humanitaire. Pour répondre aux besoins existants ou émergents lors de crises chroniques, complexes et volatiles, des produits et services EAH innovants sont développés grâce à la collaboration entre les secteurs universitaire, humanitaire et privé. La mise à l’échelle et l’adoption de la solution proposée nécessitent des phases de pilotage et d’évaluation pour valider l’efficacité et la pertinence de l’initiative, notamment par rapport à des interventions plus traditionnelles. À titre d’exemple, la Fondation Veolia développe une solution clé en main, rapidement déployable et facile à utiliser pour le traitement d’urgence des boues fécales dans les contextes humanitaires. Une fois cette solution validée en théorie, elle sera pilotée dans l’une des missions de SI, avec le soutien de l’Université Tufts, afin d’évaluer son efficacité et ses possibilités de mise à l’échelle. Ainsi, le processus spécifique de développement de l’innovation peut faciliter l’anticipation des contraintes et les tests à petite échelle pour encourager l’établissement de protocoles communs et la collaboration entre le secteur humanitaire et celui de la recherche.

Traduit de l’anglais par Benjamin Richardier


ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-827-4

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References

References
1 John T. Watson, Michelle Gayer and Maire A. Connolly, “Epidemics after natural disasters”, Emerging Infectious Diseases, 13(1), January 2007, p.1-5.
2 Travis Yates et al., “Water, sanitation, and hygiene interventions in outbreak response: a synthesis of evidence”, Waterlines, 38(1), January 2018, p.5-30.
3 Lauren D’Mello-Guyett et al., “Setting priorities for humanitarian water, sanitation and hygiene research: a meeting report”, Conflict and Health, 12/22, 15 June 2018.
4 UNICEF, Cholera Toolkit, 2013, https://sites.unicef.org/cholera/index_71222.html
5 BORDA, Preparing to be Unprepared – Decision Making and the Use of Guidance on Sanitation Systems and Faecal Sludge Management in the First Phase of Rapid-Onset Emergencies, March 2018, https://www.solidarites.org/wp-content/uploads/2018/04/Preparing-to-be-Unprepared.pdf
6 Daniele Lantagne et al., “Lessons learned from conducting six multi-country mixed-methods effectiveness research studies on water, sanitation, and hygiene (WASH) interventions in humanitarian response”, BMC Public Health, 21/560, 22 March 2021
7 Organisation mondiale de la Santé, Programme international de l’OMS pour l’évaluation des technologies de traitement de l’eau à domicile, vol. 9, 2015.
8 Thomas F. Clasen et al., “Interventions to improve water quality for preventing diarrhoea”, Cochrane Database of Systematic Reviews, 2015(10), 20 October 2015.

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