L’humanitaire en récit

Marc LavergneDirecteur de recherche émérite au CNRS Laboratoire CITERES/équipe Monde arabe et méditerranéen Université de Tours
La légèreté humanitaire, côté face, Frédéric Vigneau, Éditions Baudelaire, 2022

Recueil de souvenirs d’un vieux briscard de l’humanitaire ou pamphlet dénonçant les dérives d’un secteur devenu concurrentiel et soumis à de multiples injonctions ? Ce livre n’est rien de tout cela. Il est écrit au fer rouge par un acteur de la première heure, parti de tout en bas de l’échelle. Un novice, logisticien de fortune, envoyé d’emblée sur le terrain le plus aléatoire : Mogadiscio livrée aux milices rivales, au début des années 1990, dans un pays dévasté par la guerre et la famine. Les forces étrangères déployées pour y restaurer l’ordre rembarquent piteusement, et tel geste médiatique, sac de riz à l’épaule, en laisse un souvenir grotesque et dérisoire.

L’organisation humanitaire qui a recruté ce jeune volontaire en quête de sens est la seule structure étrangère qui demeure à pied d’œuvre, avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Elle est certes aisément reconnaissable derrière son nom d’emprunt, mais l’auteur ne souhaite pas faire œuvre d’historiographe : son propos est ailleurs, dans la description d’un groupe d’intervenants livrés à eux-mêmes, mais décidés à mener à bien leur mission.

Débarquant sans consignes ni procédures, il a la responsabilité de fournir à l’équipe médicale les moyens indispensables, des locaux à la sécurité, des outils au ravitaillement. Un métier mal défini, entre débrouillardise et diplomatie, avec un engagement de chaque instant auprès de toutes les composantes de la mission. Et aussi la responsabilité de la liaison avec tous les acteurs ayant une parcelle d’autorité ou d’entregent.

L’auteur sait nous faire partager ses émotions et ses doutes, mais aussi nous émouvoir par les éclairs d’humanité qui transcendent la violence. Après « Moga » et les camps de l’intérieur où s’effondrent les rescapés des massacres et de la famine, l’auteur s’envole vers l’intérieur du continent : l’Ouganda post-Idi Amin Dada où règne encore la barbarie qu’avait instaurée le dictateur, défiée par les mêmes équipes d’humanitaires « tous terrains ». Puis, c’est le Tigré en lutte contre le Derg d’Addis Abeba, une expérience frustrante aux côtés d’un mouvement rebelle politiquement structuré, mais largement déshumanisé : au cœur du maquis du Front de libération du peuple du Tigré, l’auteur remet en question nombre de certitudes sur la place réservée à l’aide humanitaire au cœur d’un conflit.

Un récit qui nous emporte dans un passé pas si lointain, puisque ni les terrains, ni les enjeux, ni les comportements n’ont radicalement changé. Mais, et peut-être surtout, loin des carnets de bord ou des récits intimistes ou déclamatoires, l’auteur révèle un puissant talent d’écriture, fouaillant sans esquive ses propres sentiments et pulsions, évoquant les béquilles de la musique, de la drogue et de l’alcool. Cette « légèreté humanitaire » est la noblesse de ces héros anonymes qui montent au front, armés de leur seule humanité. Côté face…

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