Nickel à Sulawesi : le prix de l’économie verte

Garry Lotulung
Garry LotulungGarry Lotulung est un reporter-photographe et photographe documentaire indépendant basé à Jakarta. Pour explorer davantage son travail journalistique, vous pouvez visiter son site Web (www.garrylotulung.com) et son compte Instagram (instagram.com/garrylotulung).
Des pelleteuses ramassent de la terre chargée en minerai de nickel sur un site minier exploité par PT Hengjaya Mineralindo, le 26 octobre 2023 – District de Morowali, Sulawesi central, Indonésie.

Garry Lotulung est un reporter-photographe et photographe documentaire indépendant basé à Jakarta. Il est né à Manado, dans la Sulawesi du Nord. Spécialisé dans les reportages sur la condition humaine, les changements sociaux et les crises environnementales, il a rejoint, en 2022, l’agence de presse internationale Anadolu où il travaille en tant que collaborateur et pigiste régulier. Particulièrement actif en Asie du Sud-Est, Garry Lotulung s’est engagé dans des projets cruciaux, tels que son travail à long terme aux côtés des gardes forestiers et des cornacs pour protéger les éléphants de Sumatra, en danger critique d’extinction. Il a documenté les attentats à la bombe de 2018, une série d’attaques terroristes qui ont débuté le 13 mai par des attentats-suicides contre trois églises de Surabaya, la deuxième plus grande ville d’Indonésie. Entre 2020 et 2021, Garry Lotulung a travaillé pour la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et a couvert la deuxième vague mortelle de la pandémie de coronavirus en Indonésie. Son reportage photo sur l’Indonésie face à la deuxième vague de Covid-19 lui a valu le prix Pictures of the Year Asia 2022. Il a également fait partie de la sélection locale du concours World Press Photo 2022, organisé par BicaraFoto pour récompenser des photographes indonésiens émergents. Garry Lotulung a également été récipiendaire des subventions pour la photographie environnementale 2023 de Vital Impacts, dont les fondatrices ne sont autres qu’Ami Vitale, photographe pour le magazine National Geographic, et Eileen Mignoni. Ses photographies ont fait l’objet de nombreuses expositions et publications, notamment : #ICPConcerned: Global Images for Global Crisis, International Center of Photography, 2021 ; The Year Time Stopped, Scopio & HarperCollins Publishers, 2021 ; l’exposition Pictures of the Year Asia 2022, présentant cinquante images primées ; Mindful Art Forum à Séoul, en Corée du Sud (2022) ; The Everyday Projects: Endangered Species, à Oldenburg, en Allemagne (2023) ; Vital Impacts Environmental Grant Exhibition au Festival della fotografia etica à Lodi, en Italie (2023) ; et The Great Indonesia Exhibition à la Nouvelle église d’Amsterdam, aux Pays-Bas (2023). Titulaire d’une licence en conception graphique de l’université Multimedia Nusantara à Tangerang, dans la province de Banten, Garry Lotulung a également étudié la photographie à la Galeri Foto Jurnalistik Antara, à Jakarta.

Pour explorer davantage son travail journalistique, vous pouvez visiter son site Web (www.garrylotulung.com) et son compte Instagram (instagram.com/garrylotulung).

Photos, texte et légendes :
© Garry Lotulung


L’Indonésie regorge de ressources naturelles. Après le bois de construction, le pétrole brut, le charbon et l’huile de palme, voici le nickel. Le monde entier a besoin d’énergies renouvelables, en particulier de batteries nettement moins émettrices de gaz à effet de serre que le pétrole, le gaz ou le charbon. Or, le minerai de nickel est l’un des principaux composants des batteries.

L’Indonésie est le premier producteur mondial de nickel et possède 15 % des ressources mondiales de nickel latéritique, actuellement très demandé pour la fabrication de batteries pour véhicules électriques. Le commerce du nickel se concentre sur l’île de Sulawesi, dans les districts du Nord Konawe et de Morowali, où la société chinoise Tsingshan exploite le parc industriel Indonésie Morowali (The Indonesia Morowali Industrial Park – IMIP en anglais), et à Morosi, où PT Virtue Dragon Nickel Industry et PT Obsidian Stainless Steel exploitent deux sites.

Si les grandes entreprises chinoises dominent le secteur de la transformation, elles s’approvisionnent en minerai bon marché auprès de centaines de petites mines, pour la plupart indonésiennes, qui sont disséminées dans la forêt tropicale.

En seulement trois ans, l’Indonésie a signé – avec des fabricants du monde entier, tels que Hyundai, LG et Foxconn – plus d’une douzaine d’accords d’une valeur totale de plus de 15 milliards de dollars US, qui portent sur les matériaux pour batteries et la production de véhicules électriques.

Le 28 décembre 2021, l’Indonésie a inauguré une nouvelle fonderie de nickel dans le nord du district de Morowali, dans la province de Sulawesi central. Cette fonderie est dimensionnée pour traiter treize millions de tonnes de minerai de nickel par an. Le président indonésien Joko Widodo a déclaré que cette nouvelle fonderie, qui produit du ferronickel, devrait augmenter la valeur du minerai de nickel de 1400 %.

La circulation est dense au moment du changement d’équipe près du parc industriel Indonésie Morowali (IMIP), qui emploie environ 66 000 travailleurs locaux et 6 000 travailleurs chinois, le 26 octobre 2023 – District de Morowali, Sulawesi central, Indonésie.

Ayant fait de l’industrialisation la priorité de son mandat, Joko Widodo s’efforce de transformer les principaux produits d’exportation de ce pays riche en minerais bruts en produits à haute valeur ajoutée.

Le nickel, utilisé principalement pour la production d’acier inoxydable, et aujourd’hui pour la production de batteries, est au centre de cette démarche. « L’Indonésie deviendra l’un des principaux producteurs de produits à base de nickel, notamment de batteries pour véhicules électriques », a déclaré le président Widodo en juin 2022, lors de la cérémonie de lancement des travaux de l’usine de matériaux pour batteries d’un consortium dirigé par LG Energy Solution dans le parc industriel intégré de Batang, dans la province de Java central. « Nous avons l’occasion unique de développer l’économie verte de demain. »

À l’aube, dans le village de Labota, j’ai observé des milliers de travailleurs portant des casques jaunes et des vêtements de travail poussiéreux, qui empruntaient la route principale délabrée et parsemée de nids-de-poule. Le flot de circulation se dirige vers l’IMIP, épicentre mondial de la production de nickel.

L’IMIP traite principalement du minerai de nickel pour la fabrication d’acier inoxydable, mais produit désormais de plus en plus de nickel de qualité supérieure destiné à la fabrication de batteries pour véhicules électriques.

Les cheminées de PT Obsidian Stainless Steel, un complexe de traitement du nickel, émettent une lueur rougeoyante, le 28 octobre 2023 – District de Konawe, Sulawesi central, Indonésie. La transition vers les véhicules électriques repose sur cette industrie.

Il y a quelques années, Labota était un village de pêcheurs. Il a été englouti par une ville tentaculaire centrée sur l’IMIP, un projet qui a coûté 15 milliards de dollars US et qui comprend cinquante usines réparties sur plus de 4000 hectares. On remarque les murs entourant le complexe industriel qui comprend des aciéries, des centrales à charbon et des usines de transformation du manganèse, et même un aéroport et un port maritime. Fruit d’une coentreprise entre des industriels chinois et indonésiens, ce parc industriel est au cœur des efforts déployés par l’Indonésie pour approvisionner le marché des véhicules électriques en nickel, un composant essentiel des batteries.



Des travailleurs chinois employés par PT Obsidian Stainless Steel se dirigent vers un marché de fortune, ou vers le restaurant chinois en bordure de route situé en face de la fonderie, après avoir terminé leur service, le 28 octobre 2023 – District de Konawe, Sulawesi central, Indonésie.

Toujours à Labota, l’école coranique Madrasah Tsanawiyah Al Jaariyah est située juste à côté d’une usine de charbon en activité. Tout en s’instruisant, les élèves respirent un air pollué par le charbon, ce qui est dangereux pour leur santé.

Devant l’école coranique Madrasah Tsanawiyah Al Jaariyah du village de Labota, un élève observe la centrale à charbon toute proche, le 26 octobre 2023 – District de Morowali, Sulawesi central, Indonésie.

Selon un rapport de la Fondation Rosa-Luxemburg, un groupe de pression politique allemand, les usines de traitement du nickel de l’IMIP polluent l’air en rejetant du dioxyde de soufre, des oxydes d’azote et de la poussière de charbon – des particules qui sont « plus fines que du sable de plage et dont l’inhalation peut être extrêmement nocive ».

Vue du village de pêcheurs de Fatufia, dans le district de Bahodopi, près du parc industriel Indonésie Morowali (IMIP), le 6 octobre 2023 – District de Morowali, Sulawesi central, Indonésie. Les habitants se plaignent de la baisse de rendement de la pêche, l’eau de mer ayant été polluée par les déchets de l’usine.

L’accord de création du parc industriel Indonésie Morowali a été annoncé en 2013 par le président indonésien de l’époque, Susilo Bambang Yudhoyono, et le président chinois Xi Jinping. La Banque chinoise de développement a débloqué un prêt de plus de 1,2 milliard de dollars US.



Des camions transportent le minerai de nickel jusqu’à un embarcadère où il est chargé sur des barges qui seront remorquées vers des usines de raffinage situées plus bas le long de la côte de Sulawesi, dans un site minier du district de Molawe, le 27 octobre 2023 – District du Nord Konawe, Sulawesi du Sud-Est, Indonésie.

Selon le ministère indonésien du Travail, l’IMIP employait 28 000 personnes en 2019, et 43 000 en 2020. Aujourd’hui, ce nombre s’élève à environ 66 000 salariés.

Quelque 6000 travailleurs chinois vivent dans des dortoirs. À la fin du service de l’après-midi, à dix-sept heures, les travailleurs chinois quittent le complexe de traitement du minerai de nickel ou la fonderie de PT Obsidian Stainless Steel à Morosi, dans le district de Konawe, dans le Sulawesi du Sud-Est. Certains portent une tenue décontractée ou un uniforme, d’autres portent une tenue soignée, tandis que d’autres encore ont une apparence négligée et sont couverts de boue. Ils se dirigent directement vers un marché de fortune, ou vers le restaurant chinois en bordure de route situé en face de la fonderie.

Vue d’une école abandonnée dans un site minier du district de Molawe, le 27 octobre 2023 – Nord Konawe, Sulawesi du Sud-Est, Indonésie.

L’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande mondiale de nickel augmentera d’au moins 65 % d’ici 2030, et que les véhicules électriques et les batteries de stockage deviendront les principaux utilisateurs de ce minerai d’ici 2040, remplaçant ainsi l’acier inoxydable.

Des enfants jouent au bord d’une eau polluée dans le village de Mandiodo, près d’un site d’extraction de nickel, le 28 octobre 2023  – Nord Konawe, Sulawesi du Sud-Est, Indonésie.

Des enfants jouent à proximité de pelleteuses et ramassent de la terre chargée en minerai de nickel, près du village de pêcheurs de Mandiodo, dans le district de Molawe, le 27 octobre 2023 – Nord Konawe, Sulawesi du Sud-Est, Indonésie.

Aqifah, 8 ans (à gauche) et Mitra, 9 ans (à droite) nagent dans l’eau polluée du village de Mandiodo, près d’un site d’extraction de nickel, le 27 octobre 2023 – Nord Konawe, Sulawesi du Sud-Est, Indonésie.

Les destructions environnementales causées par les mines sont particulièrement visibles le long du littoral de Sulawesi, dans le sud-est du pays. Dans le Nord Konawe, dans le Sulawesi du Sud-Est, on trouve trois villages de pêcheurs à proximité des sites miniers. J’ai vu des dizaines de pelleteuses creuser la terre rougeâtre, la charger sur des camions qui la transportent ensuite jusqu’à l’embarcadère, où le minerai est transporté sur des barges qui doivent naviguer pendant trois ou quatre jours avant d’atteindre la fonderie. Le nickel est acheminé au nord vers le parc industriel Indonésie Morowali, tandis que certaines barges quittent la mine de nickel en direction du sud, vers le district de Morosi. Selon les données du gouvernement indonésien, une cinquantaine de sociétés d’extraction de nickel exercent actuellement leurs activités dans le district du Nord Konawe.

Une femme stocke de l’eau potable à l’extérieur de sa maison, dans le village de Mandiodo, le 27 octobre 2023 – Nord Konawe, Sulawesi du Sud-Est, Indonésie.

Le peuple Bajau vit dans le petit village de pêcheurs de Tapunggaya. Cette communauté autochtone est connue pour ses courageux marins, ses pêcheurs redoutables et ses excellents plongeurs, qui vivent de la mer.

Les pêcheurs souffrent également de l’impact de la pollution par le nickel, qui les oblige à aller de plus en plus loin pour pêcher. Or, les poissons sont plus difficiles à attraper dans les eaux profondes, et les pêcheurs doivent dépenser plus d’argent pour acheter de l’essence.

À Tapunggaya, un village de pêcheurs du Nord Konawe où se trouve une mine, un vieil homme m’a dit que la pollution avait détruit leurs moyens de subsistance en mer. « Il n’y a plus de poisson ici », déplore Alwi, un pêcheur de 78 ans, assis à côté de son bateau. Il ajoute : « Les enfants souffrent également de problèmes respiratoires en raison de la très forte pollution de l’air. C’est très inquiétant de vivre dans un endroit entouré de mines. Les déchets et la pollution provenant de l’exploitation minière nous tuent à petit feu. »

Un autre pêcheur raconte : « Non seulement l’eau de mer est devenue trouble, mais elle est souvent si chaude qu’elle fait fuir les poissons. »

« Nous devons naviguer pendant au moins deux heures et nous ne ramenons généralement que deux kilos de poisson après une longue journée passée en mer », m’a expliqué Mamat (32 ans) lorsque je me suis rendu dans le village, à la fin du mois d’octobre.

Le littoral, autrefois parsemé de charmants hameaux de pêcheurs, est à l’abandon. Les plages de sable sont décolorées par un kaléidoscope de pigments de minerai et parsemées d’embarcadères, où les barges attendent de charger le minerai de nickel.

L’extraction de matériaux pour les batteries de véhicules électriques laisse de profondes cicatrices dans le paysage. Dans le Nord Konawe, les écosystèmes locaux et les modes de vie traditionnels ont été perturbés, et les communautés locales ont vu leurs terres transformées de manière irrémédiable.

Les données officielles font état d’au moins vingt et une inondations et coulées de boue pour la seule année 2022 dans le Sulawesi du Sud-Est. Entre 2005 et 2008, avant la prolifération des mines, il y en avait deux à trois par an, selon l’Agence nationale de lutte contre les catastrophes.

Alwi, un pêcheur de 78 ans, est assis à côté de son bateau, dans le village de Mandiodo, le 28 octobre 2023 – Nord Konawe, Sulawesi du Sud-Est, Indonésie. Les pêcheurs souffrent également de l’impact de la pollution par le nickel, qui les oblige à aller de plus en plus loin pour pêcher. Or, les poissons sont plus difficiles à attraper dans les eaux profondes, et les pêcheurs doivent dépenser plus d’argent pour acheter de l’essence.

L’extraction du nickel nécessite d’abattre de grandes étendues d’arbres et de creuser le sol pour créer des puits à ciel ouvert. Les racines des arbres n’étant plus là pour stabiliser le terrain, la terre est plus facilement emportée lorsqu’il pleut.

Outre la déforestation, l’expansion des activités minières entraîne d’autres risques environnementaux, notamment la pollution des cours d’eau et des zones de pêche. Pour transformer le minerai de nickel en nickel de qualité batterie, des méthodes complexes et moins conventionnelles sont utilisées, comme la lixiviation acide à haute pression, qui génère des déchets toxiques et donc une forte pollution.

En outre, l’expansion des activités minières est susceptible d’entraîner des émissions de carbone importantes, étant donné que le processus de fusion est très énergivore et que la plupart des fonderies en Indonésie sont alimentées au charbon.

L’expansion de l’industrie du nickel et des batteries électriques doit s’accompagner de normes environnementales et sociales appropriées afin de minimiser les répercussions sur l’environnement et les droits de la personne.

Filet à la main, un pêcheur observe un site minier dans une zone d’eau de mer contaminée par une mine de nickel, dans le village de Mandiodo, le 27 octobre 2023 – Nord Konawe, Sulawesi du Sud-Est, Indonésie.

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