Publié le 19 juin 2024
Dans le cadre de notre partenariat avec le Master Science Politique, parcours Action Humanitaire Internationale de l’Institut d’Etudes Politiques de Fontainebleau de l’Université Paris-Est Créteil, nous vous présentons le second article de la série 2024 Le Campus d’AH. Dans cet article, Mariem Ba décrit les conséquences désastreuses de l’école utilisée comme « arme de guerre » dans la crise anglophone au Cameroun et les réponses humanitaires apportées pour préserver l’accès à une éducation de qualité.
La crise anglophone est un conflit armé en cours depuis 2017 qui oppose le gouvernement camerounais à des groupes armés séparatistes des deux régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest du pays, et qui prend ses racines dans la colonisation[1]Robert Cornevin, « Du régime colonial à l’indépendance nationale », Le Monde Diplomatique, septembre 1971, https://www.monde-diplomatique.fr/1971/09/CORNEVIN/30496. Avant son indépendance, le Cameroun était divisé en deux parties : l’une sous mandat britannique et l’autre sous mandat français. En 1961, la République fédérale du Cameroun est proclamée, unissant ainsi des territoires aux langues et pratiques administratives différentes. Le fédéralisme est abandonné en 1972 au profit d’un État unitaire. Ainsi progressivement, les populations camerounaises anglophones se sentent marginalisées[2]« Crise anglophone au Cameroun : comment a-t-elle commencé et quand finira-t-elle ? », BBC News Afrique, 4 décembre 2020, www.bbc.com/afrique/region-55193022 et craignent la disparition de leurs particularités juridiques et culturelles.
La crise anglophone est véritablement amorcée en 2016 à l’occasion d’une grève d’avocats et d’enseignants s’opposant à la nomination de juges francophones dans les régions anglophones. Les manifestations sont réprimées par le gouvernement camerounais et des violences s’en suivent. En octobre 2017, des séparatistes anglophones proclament la république d’Ambazonie (en référence à la baie d’Ambas), entérinant ainsi leurs velléités sécessionistes.
Depuis, une forte insécurité règne[3]“They punished me for having books: schools in Cameroon terrorized by armed groups”, The Guardian, 16 December 2021, … Continue reading dans les régions anglophones du Cameroun, devenues le théâtre d’affrontements et de violences perpétrées sur les populations civiles par les groupes séparatistes et les forces gouvernementales. Cette crise, qui place de manière macabre les établissements scolaires au centre du conflit, a des conséquences non négligeables sur le droit à l’éducation des enfants camerounais.
Les écoles au cœur du conflit
L’enseignement public au Cameroun est une prérogative de l’État. Par conséquent, en attaquant les écoles, c’est avant tout la représentation d’une institution étatique qui est visée par les groupes armés. L’école incarne particulièrement les points de tensions de la crise et notamment la problématique de la langue. Le français et l’anglais sont les deux langues officielles et bénéficient d’un statut égal. Cependant, en pratique, le français est beaucoup plus utilisé que l’anglais[4]« Au Cameroun, l’éducation à l’épreuve du multilinguisme », Solidarité Laïque, 22 août 2022, https://www.solidarite-laique.org/informe/au-cameroun-leducation-a-lepreuve-du-multilinguisme, nourrissant ainsi le sentiment de marginalisation des Camerounais anglophones. Les enseignements et les programmes éducatifs sont en principe bilingues, y compris dans les zones anglophones, ce qui n’est pas pour plaire aux sécessionistes les plus radicaux. Ainsi, selon les mots d’Ilaria Allegrozzi, chercheuse de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, « l’école est utilisée comme une arme de guerre dans ce conflit »[5]« Pourquoi l’école est devenue une « arme de guerre » au Cameroun », 11 novembre 2020, BBC News Afrique, www.bbc.com/afrique/region-54829402.
Dès le début des fortes tensions en 2017, les sécessionistes décrètent un boycott des écoles dans les régions anglophones du Cameroun. Pour faire respecter le boycott, les combattants séparatistes attaquent des établissements scolaires, des écoliers et des enseignants dans les écoles mais aussi sur le chemin de l’école. Des stratégies de contournement ont été imaginées par les éventuelles cibles afin d’éviter d’être repérées et identifiées comme élèves par les groupes armés : ne pas porter l’uniforme ou un sac-à-dos par exemple. Plus récemment, durant le premier semestre de l’année 2023, treize incidents violents ont été signalés dans les régions anglophones, y compris des enlèvements d’enfants et d’enseignants[6]« Cameroun : des millions d’enfants privés d’une éducation sûre et de qualité », ONU Infos, 27 octobre 2023 https://news.un.org/fr/story/2023/10/1140102.
Cette insécurité généralisée a pour conséquence de priver d’éducation plus de 700 000 élèves en zone anglophone[7]« Cameroun : l’ONU condamne deux nouvelles attaques d’écoles dans la région du Sud-Ouest », ONU Infos, 16 février 2022, https://news.un.org/fr/story/2022/02/1114432. Le droit à l’éducation, consacré notamment par la Convention internationale sur les droits de l’enfant (1989), est donc ici fortement remis en cause.
Cette situation pousse les acteurs humanitaires à réfléchir à des solutions innovantes afin d’assurer une continuité de l’éducation des enfants même en temps de crise.
Une réponse humanitaire satisfaisante ?
L’accès à l’éducation pour les élèves en zone anglophone est empêché par deux facteurs principaux : la fermeture de la majorité des établissements scolaires du fait du boycott et le risque que représente le fait d’aller à l’école.
Au vu de la situation, les acteurs humanitaires privilégient les enseignements non formels. Par exemple, le Fonds des Nations unies pour l’Enfance (UNICEF) a mis en œuvre l’enseignement par la radio grâce à des leçons pré-enregistrées au profit de 44 425 enfants des régions anglophones[8]Mission: Recovery education in humanitarian countries, Site de l’UNICEF, https://www.unicef.org/partnerships/mission-recovering-education-humanitarian-countries. Cette solution, bien qu’ayant vocation à rester temporaire, est intéressante mais présente des limites. En effet, elle peut accentuer des inégalités devant l’apprentissage causées par différents facteurs socio-économiques. D’autres solutions préconisant l’apprentissage à la maison peuvent être envisagées pour permettre l’éducation en situation de crise, mais elles se heurtent souvent à des réalités concrètes surtout en zone rurale dans les régions anglophones : le non-accès à internet ou à l’électricité par exemple.
Pour les élèves déplacés dans des zones plus sûres du pays, il s’agit moins d’un problème d’accès que de qualité de l’enseignement dispensé dans de telles conditions. Au Cameroun, le nombre de déplacés internes en raison de cette crise – mais aussi pour des raisons climatiques – atteint 1 075 252 personnes, sans compter les réfugiés des pays limitrophes (principalement centrafricains et nigérians) qui fuient l’insécurité dans leurs pays. Les enfants camerounais déplacés intègrent donc des classes préexistantes où le nombre d’élèves ne cesse d’augmenter. Les élèves sont trop nombreux pour des professeurs en sous-effectifs, ce qui ne permet pas d’assurer un enseignement dans de bonnes conditions[9]« Rentrée scolaire au Cameroun : à Melong, des enfants de la zone anglophone ont trouvé refuge », France 24, 29 septembre 2022, https://www.youtube.com/watch?v=IfgLj9ikX0E. L’ensemble de ces éléments a pour conséquence un déclin de la qualité de l’éducation fournie. Par ailleurs, les enfants déplacés et rescolarisés en zone sûre associent l’école aux atrocités auxquelles ils ont assisté dans les régions anglophones. Beaucoup sont traumatisés et peuvent développer une peur de l’école. Cependant, la réponse des acteurs humanitaires peine pour le moment à intégrer la question de la santé mentale des élèves rescolarisés en zones sûres.
Enfin, dans ce pays touché par une crise humanitaire multidimensionnelle – notamment alimentaire –, le sous-financement du domaine de l’éducation hypothèque à la source la mise en œuvre de solutions adaptées au contexte d’urgence que nous avons présenté. Privés d’une éducation sûre et de qualité, les enfants camerounais déplacés ou encore en zone anglophone sont empêchés de rêver d’un avenir meilleur.
Alternatives Humanitaires propose aux étudiant·es de second cycle (Master 1 et 2) une rubrique qui leur est spécialement dédiée. Cette initiative permet ainsi aux nouvelles et futures générations de professionnel·les et de chercheurs et chercheuses, qui disposent d’une expérience souvent plus limitée, de participer à la réflexion sur l’action humanitaire et d’expérimenter un processus de sélection et de travail éditorial. Ce travail se fait en collaboration avec les responsables pédagogiques ou les chargés de cours des filières d’origine des étudiants.