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Entretien avec Sandrine Kaké : « La communication solidaire doit être un reflet sincère de la réalité du terrain »

Dana Popescu-Jourdy
Dana Popescu-JourdyPrésidente de Communication Sans Frontières et membre du Conseil scientifique d’Alternatives Humanitaires

En prolongement de notre Focus du numéro 29, nous avons recueilli le témoignage de Sandrine Kaké, Camerounaise et fondatrice de la Fondation canadienne DAKS. Cette organisation modeste, profondément ancrée au Cameroun tout autant que connectée aux pays du Nord, notamment le Canada, a pour mission d’améliorer les conditions de vie dans les zones rurales de son pays d’origine, en particulier via l’accès à l’eau potable, l’éducation et les soins de santé. La Fondation insiste sur l’importance d’une communication solidaire transparente, authentique et engageante, impliquant donateurs et bénéficiaires, et privilégie le suivi sur le terrain, les témoignages et les outils numériques pour informer sa communauté.


Alternatives Humanitaires – Quand et comment commence l’aventure de la Fondation DAKS ?

Sandrine Kaké – J’ai grandi au Cameroun, en milieu rural, en voyant mon père aider du monde autour de lui, et particulièrement dans notre village. Membre des forces armées camerounaises pendant plus de quarante ans, il était un homme charismatique, mais surtout profondément bienveillant. Peu importe la personne ou la situation, il répondait toujours présent pour aider. Puis, un jour d’octobre 1999, il est allé en ville pour un suivi médical. Quelques semaines plus tard, en novembre, le téléphone a sonné, il était parti. Ce fut brutal. Je n’avais aucune idée de comment vivre sans lui, lui qui était le centre de ma vie. Pendant des années, j’ai porté ce sentiment en moi, pleurant en secret face à la misère de mes frères et sœurs dans les zones rurales, privés du strict minimum : l’eau potable, l’éducation, les soins de santé. J’ai vu des personnes en situation de handicap livrées à elles-mêmes, sans aucun soutien ni prise en charge. Lorsque j’ai eu l’opportunité de poursuivre mes études en Alberta, au Canada, j’ai consacré plus de quatre ans au bénévolat avec l’Entraide universitaire mondiale du Canada. Puis, en 2018, j’ai décidé de créer la Fondation DAKS, avec pour mission d’aider les régions rurales du Cameroun en matière d’éducation, de soutien aux personnes en situation de handicap et d’accès aux soins de santé.

AH. – Quels sont, selon vous, les valeurs de la communication solidaire ?

SK.– Pour moi, elle repose avant tout sur trois valeurs fondamentales : la transparence, l’authenticité et l’engagement communautaire. La transparence, car il est essentiel pour moi que chaque donateur comprenne où va son soutien financier et quel impact concret il génère. À la Fondation DAKS, nous avons fait de cette valeur un pilier central en allant sur le terrain, en partageant ensuite des rapports détaillés, des témoignages et des visuels issus directement du terrain. Nous voulons que chaque personne qui nous soutient voie et ressente l’impact de son engagement d’un continent à un autre. L’authenticité, car raconter l’histoire d’un projet de solidarité ne consiste pas seulement à exposer le bilan financier, mais à mettre en lumière l’impact escompté, des visages de bénéficiaires, des émotions et des transformations réelles. À travers la narration et les outils numériques, nous capturons les voix et témoignages des bénéficiaires, qu’il s’agisse d’un enfant qui peut enfin aller à l’école sans craindre de manquer d’eau, ou d’une mère qui retrouve du temps pour sa famille grâce à une fontaine installée dans son village. La communication solidaire doit être un reflet sincère de la réalité du terrain. L’engagement communautaire, enfin, car la solidarité ne se limite pas à l’acte de donner, mais s’inscrit dans un mouvement collectif où chacun, à son échelle, peut contribuer au changement. Dans nos communications, nous cherchons à impliquer les donateurs, à les rendre acteurs du projet, en les invitant à se joindre à nous lors d’un séjour au Cameroun dans le village bénéficiaire afin de rendre leur impact plus palpable et de créer un lien fort entre eux et les communautés qu’ils aident à transformer.

Ma conception de la communication solidaire est sans doute de créer un pont, un lien direct entre les donateurs qui donnent et les bénéficiaires qui reçoivent, un espace de transmission d’histoires vraies et de sensibilisation. La communication solidaire ne doit pas être un simple outil promotionnel, mais plutôt un moyen de transformer, de mobiliser et d’inspirer.

Dans le cadre de la Fondation DAKS, nous avons adopté une approche où chaque projet est raconté avec précision et humanité, afin que l’impact soit palpable et que le donateur ne soit pas un simple contributeur financier, mais un véritable partenaire du changement. Ainsi, la communication solidaire doit émouvoir, sensibiliser et responsabiliser. Elle doit permettre à chacun de se sentir investi dans une mission collective et globale, donner envie d’agir et faire une différence dans la vie d’autrui.

AH. – Quelles sont les objectifs de votre communication, en termes d’argumentation et d’impact ?

SK.– Notre communication, bien qu’elle ne soit pas encore totalement structurée ou encadrée par une stratégie formelle, a pour objectif principal de refléter fidèlement le travail réalisé sur le terrain et de montrer aux donateurs l’impact concret de leur soutien sur des communautés sur un autre continent. Notre objectif est de savoir que chaque donateur ressente la portée de son geste, qu’il puisse entendre les témoignages des enfants, des mères et des aînés des villages bénéficiaires, et qu’il comprenne comment son don s’inscrit dans une cause plus grande. C’est pour cette raison que, pour chaque fontaine d’eau installée – cinq à ce jour –, une fois la somme requise réunie, nous envoyons immédiatement les fonds à un entrepreneur local qui réalise les travaux dans les deux mois. Je me rends ensuite sur place pour l’inauguration avec la communauté. Une fois sur le terrain, il est primordial de recueillir des témoignages sur les changements concrets qu’a apporté le don de fontaine d’eau potable, comparés aux conditions antérieures. L’écart est souvent assez flagrant. Ces témoignages et observations sont documentés avec soin dans notre rapport annuel. L’un de nos plus grands défis est de réussir à transmettre fidèlement la réalité du terrain à travers des images et des vidéos courtes, d’une durée de moins de cinq minutes. C’est une forme de redevabilité essentielle envers nos donateurs, un moyen pour eux de voir concrètement l’impact de leur générosité.

Pour garantir l’accessibilité de nos réalisations à un public diversifié, notre communication est systématiquement bilingue, en français et en anglais, permettant ainsi de toucher un plus large réseau de donateurs et partenaires potentiels. Notre suivi ne s’arrête pas à l’inauguration. Un an après chaque installation et au fil des années, nous retournons voir les villages bénéficiaires pour mesurer l’impact à long terme des fontaines et nous assurer que la fontaine fonctionne bien. Nous croyons que chaque don mérite une histoire, chaque donateur mérite de voir l’impact réel de son soutien, et chaque village mérite d’être entendu.

AH. – Comment utiliser la narration et les outils numériques pour mobiliser efficacement le public et lutter contre le scepticisme dans un monde de plus en plus influencé par les fake news?

SK.– Être physiquement présente sur le terrain à chaque inauguration de fontaine d’eau ou de don est, pour moi, un moyen essentiel de raconter l’histoire de la Fondation DAKS et de rendre tangible l’impact du soutien du public. Le storytelling ou encore la narration numérique devient alors un outil puissant pour communiquer, sensibiliser et renforcer la connexion entre les donateurs et les bénéficiaires.

La rédaction du rapport annuel d’activités est une autre clé de cette transparence. Le rapport annuel permet de retracer en détail les actions menées, les réalisations concrètes et les perspectives à venir. Chaque projet est raconté à travers ses différentes étapes de construction, permettant ainsi au donateur – qui ne peut pas toujours imaginer la réalité du manque d’eau dans d’autres régions du monde – de mieux comprendre les défis surmontés et l’impact direct de son soutien.

Pour aller plus loin et rendre cette réalité plus palpable, nous utilisons les outils numériques pour partager ces histoires avec le public sous forme de photos et de vidéos. Ainsi, humaniser l’impact du projet à travers des récits authentiques encourage les donateurs à renouveler leur engagement. Grâce à cette narration soutenue par des images et vidéos, nous renforçons la crédibilité et la transparence de notre action. Les doutes s’effacent face aux preuves tangibles, et le scepticisme cède la place à une envie sincère de s’engager à nos côtés.

 

entretien avec sandrine kakéSandrine Kaké est une leader engagée dans l’impact social, une actrice humanitaire et la fondatrice de la Fondation DAKS. Ayant grandi dans une zone rurale du Cameroun, elle a été confrontée aux difficultés d’accès à l’eau potable et aux services de base. Ces premières expériences ont façonné son engagement durable en faveur de l’autonomisation des communautés défavorisées. En 2018, Sandrine a créé la Fondation DAKS, une organisation à but non lucratif qui œuvre pour l’amélioration de l’accès à l’eau potable, à l’éducation et aux soins de santé dans les zones rurales du Cameroun. Sous sa direction, la fondation a installé cinq fontaines à eau, dont sa première fontaine électrique en 2024, transformant ainsi la vie de plus de 5 000 personnes. Actuellement basée à Mirabel, au Québec, Sandrine concilie son engagement philanthropique avec son rôle de professionnelle des affaires réglementaires. Ses projets novateurs ont acquis une reconnaissance et un soutien internationaux, notamment grâce à des partenariats avec la Nanaimo Quarterway School en Colombie-Britannique et la Fondation Gloria Baylis à Toronto. En savoir plus

 

Propos recueillis par Dana Popescu-Jourdy – Présidente de Communication Sans Frontières, membre du Conseil scientifique d’Alternatives Humanitaires et copilote du Focus du n° 29 « Communication : les défis à l’ère des fake news et de la “post-vérité” »

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