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Comment les conflits en Ukraine et à Gaza mettent en lumière le rôle incontournable des acteurs locaux, en dépit d’une neutralité contestée

Nicolas Mouly
Nicolas MoulyNicolas Mouly a commencé avec ALIMA (The Alliance for International Medical Action) en tant que coordinateur projet en 2014, après avoir obtenu un master en Droit international et sciences politiques. Il a ensuite coordonné des programmes d’aide médicale d’urgence de l’association sur le terrain en Afrique de l’Est et de l’Ouest jusqu’en 2019 avant de diriger le service des urgences et des nouvelles missions. À ce titre, il a coordonné le déploiement de l’aide d’ALIMA en Ukraine au début de la guerre, à Odessa et Mykolaiv. De retour en France à l’été 2022, il a coordonné les missions d’urgence de Médecins Sans Frontières en Ouganda, au Caire (Égypte) pour Gaza et au Darfour. Nicolas conseille à présent la Chaîne de l’Espoir sur l’accès et la sécurité et a récemment rejoint le conseil d’administration d’ALIMA en tant que secrétaire adjoint.

Acteurs de première ligne, les travailleurs humanitaires locaux sont aussi les premiers visés par les belligérants. Rendant hommage à leur action tout en pointant leur difficulté à être en ligne avec le principe de neutralité, l’auteur esquisse les contours d’une adaptation de ce dernier à partir des conflits en Ukraine et à Gaza.


Dès le début de l’escalade brutale des affrontements en Ukraine et à Gaza, l’aide humanitaire mobilisée en premier lieu – et comme toujours – a été celle de proximité délivrée par les organisations locales. À leur tour, et alors que les médias du monde entier braquaient leur attention sur ces deux parties du monde, les organisations humanitaires internationales se sont mises en ordre de marche. Des budgets très importants ont été débloqués par des États – certains prenant pourtant part aux efforts de guerre – et ont donné lieu à l’envoi de centaines d’avions et de camions chargés d’aide médicale et alimentaire destinés à ces deux pays. Chacun a encore en tête les images des convois de camions partis pour l’Ukraine, entassés aux frontières polonaises et moldaves, ou bloqués entre Rafah et Al-Arish en Égypte.

Pour autant, la plupart des organisations non gouvernementales (ONG) internationales ont été confrontées à la même réalité : envoyer des travailleurs humanitaires étrangers s’avérait excessivement dangereux, parfois inutile du fait d’un système de soins efficient (comme en Ukraine), ou impossible compte tenu des restrictions à l’entrée (comme à Gaza). Une réalité qui, relayée par les ONG et les médias, pouvait renvoyer l’image d’une aide humanitaire internationale entravée, inefficace et, de fait, ne parvenant pas aux populations en danger. Dès lors, l’aide a continué à être délivrée en très grande partie par les travailleurs humanitaires nationaux de ces deux pays, organisés dans des structures nationales ou locales, déjà présents, formés et animés d’un esprit de solidarité sans faille. Si on peut la comprendre, eu égard à l’agression militaire subie par leurs pays respectifs, la neutralité très relative, voire inexistante, de ces acteurs majeurs de l’aide les a de fait exposés aux attaques incessantes des belligérants russes ou israéliens. Cette situation quasi-paroxystique, s’agissant des deux conflits en cours, doit d’autant plus nous amener à penser à de nouveaux mécanismes d’aide et de protection de ces acteurs nationaux que la question de la localisation de l’aide humanitaire est, depuis de nombreuses années, à l’agenda de la communauté de l’aide. Particulièrement mis à rude épreuve dans le cadre des guerres contemporaines, le principe absolu de neutralité pourrait être adapté au profit de l’efficacité de l’aide délivrée par les acteurs nationaux. Ce sont donc trois interrogations majeures que nous allons aborder au fil de cet article.

Une aide humanitaire internationale entravée, inefficace et trop éloignée des populations ?

Bien qu’en alerte depuis longtemps sur ces deux contextes, les ONG internationales (ONGI) ont été surprises par la violence et l’ampleur des bombardements dès les premières heures des deux conflits. Elles ont dû s’organiser dans des contextes inédits. Tandis que l’aide humanitaire internationale était financée par les pays soutenant l’Ukraine face à la Russie, ce sont notamment des pays soutenant politiquement – et parfois militairement – Israël qui financent l’aide au profit des Palestiniens. Si ce n’est pas l’objet de ce texte, délivrer de l’aide humanitaire grâce aux financements des pays et institutions directement impliqués dans le conflit pose déjà logiquement la question de la neutralité. Mais cela pose aussi la question de l’efficacité de l’aide, le sort des populations vulnérables dépendant de toute évidence des choix politiques qui dirigent les financements – même si c’est là une question bien plus ancienne que les deux conflits qui nous intéressent. Ainsi en Ukraine, plusieurs bailleurs étatiques, dont le gouvernement français, ont interdit aux ONGI d’aider les populations dans les territoires sous contrôle russe. À Gaza, le gouvernement américain a tout de suite proposé de financer des hôpitaux de campagne dans les zones déclarées unilatéralement par l’armée israélienne « zones humanitaires », en dépit de l’absence totale de protection des hôpitaux. La suspension des financements américains de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East – UNRWA en anglais), sous la pression israélienne, a porté un immense préjudice du fait de la part de l’agence dans l’aide humanitaire sur ce territoire[1]Abby Stoddard, Paul Harvey, Monica Czwarno et al., Humanitarian Access SCORE Report: Gaza – the first six months. Survey on the coverage, operational reach, and effectiveness of humanitarian aid, … Continue reading. De même, selon un sondage téléphonique des habitants de Gaza, si la population reproche à Israël de bloquer l’aide humanitaire, elle ne dédouane pas pour autant les autorités locales qui détournent ou utilisent les biens humanitaires à des fins personnelles ou politiques[2]Idem.. De ce fait, tant en Ukraine qu’à Gaza, l’aide humanitaire internationale a, dès le début, servi d’outil politique pour les pays puissants engagés de près ou de loin dans ces conflits, neutralisant une partie de son efficacité avant même de pouvoir la distribuer[3]Tiara Ataii,“Why Ukraine is moving the needle on old debates about humanitarian neutrality”, The New Humanitarian, 16 May 2023, … Continue reading.

Sur le terrain, on observe bien sûr des contraintes inhérentes à l’action humanitaire en zone de guerre, mais elles sont réellement particulières ici. Ainsi, dès les premiers jours à Gaza, l’accès aux populations en danger est devenu un cauchemar pour les organisations internationales. D’une part, pour évacuer du territoire le personnel humanitaire qui le souhaitait et, d’autre part, pour faire entrer des biens de première nécessité, des médicaments et du personnel prêt à aider. Comme on l’a déjà observé maintes fois dans d’autres contextes (dans le Tigray, en Éthiopie, ou au Soudan, pour de récents exemples), le blocus total imposé par Israël à la bande de Gaza a poussé à l’absurde les blocages administratifs odieux auxquels fait face l’aide humanitaire internationale. De fait, les premiers camions de médicaments et personnels humanitaires ne sont entrés qu’après plusieurs semaines de négociations.

En Ukraine, en dépit d’une opération de communication parfaitement rodée par les autorités ukrainiennes pour appeler à la solidarité internationale, celle-ci s’est heurtée aux bombardements russes. Lors des premiers mois de la guerre, la très grande majorité des ONGI sont restées bloquées à Lviv, tout à l’ouest du pays. Malgré une forte volonté de délivrer de l’aide, l’intensité et l’imprévisibilité des frappes russes ainsi que l’avancée de son armée au sol ont complètement immobilisé les équipes internationales loin des lignes de front. Le principal mode d’assistance était alors l’envoi de matériels et de biens en tout genre depuis l’Europe, en passant par Lviv, vers les organisations de volontaires ukrainiens sur les lignes de front.

Dans les deux guerres, la violence inédite des bombardements a constitué l’un des obstacles les plus forts. Les ONGI, responsables de la sécurité de leurs employés, sont de toute évidence réticentes à envoyer du personnel dans des zones à très fort risque de blessures ou de morts. De même, les travailleurs humanitaires eux-mêmes sont bien sûr hésitants à s’y rendre. Par conséquent, quand le niveau de violence n’oblige tout simplement pas à évacuer des zones entières, pourvoir les postes nécessaires pour délivrer l’aide devient un enjeu majeur d’efficacité de l’aide. Gaza en est encore le parfait exemple, avec des équipes évacuées de nombreuses fois, au gré des avertissements et des bombardements israéliens.

Les exigences administratives démesurées, l’intensité de la violence et l’inadéquation aux réalités du terrain ont été et demeurent des facteurs clefs de l’inefficacité de l’aide humanitaire internationale. Confrontée en outre à son utilisation politique par les pays impliqués dans les conflits, cette aide a montré ses limites en Ukraine et à Gaza. L’implication des acteurs nationaux de l’aide humanitaire est alors indispensable pour subvenir aux besoins de la population. Néanmoins, il faut aussi mesurer que, tout particulièrement dans les conflits – et ces deux-là sont très éclairants à cet égard –, il n’est pas possible d’ignorer le fait que les acteurs nationaux sont, par définition, de leur pays. C’est une tautologie volontaire pour signifier qu’ils sont évidemment sensibles à ce que subit celui-ci, qu’ils sont imbriqués dans des réseaux d’allégeance amicale et communautaire qui peuvent s’exprimer par des partis pris compréhensibles qui, parfois, peuvent aller jusqu’à une forme de soutien patriotique, voire à des formes de collusion avec les belligérants.

L’aide humanitaire nationale en contexte de guerre : la neutralité en question ?

On ne dira jamais assez que les sociétés civiles locales forment toujours les premiers secours lorsque survient une crise humanitaire, quelle que soit sa cause. Qu’il s’agisse des protections civiles, des pompiers, des secouristes ou des associations, ils sont par définition les premiers sur place et les derniers à partir, au plus proche des populations en danger. Il en irait de même dans beaucoup d’autres pays touchés par une catastrophe naturelle majeure ou un conflit.

« En Ukraine et à Gaza, contrairement à la grande majorité du personnel international, ces personnels nationaux n’ont pas eu le choix de partir, ou l’obligation d’évacuer. »

Les volontaires ukrainiens, le Croissant-Rouge palestinien, les employés de l’UNRWA, les initiatives privées, les organisations de la société civile et, au-delà, les agents employés dans le service public ou privé national – lorsqu’ils ont encore les moyens de travailler – sont de ces secours de première ligne intervenus en Ukraine et à Gaza. Parmi eux, quand ils ne l’étaient pas déjà, nombre sont devenus des travailleurs humanitaires, que l’on appelle « nationaux » ou « locaux » sans que l’on sache toujours très bien distinguer la volonté de clarification d’un certain dédain. Mais de fait, on retrouve le même fonctionnement au Soudan avec les communal kitchens, ou en Syrie il y a quelques années avec les Casques blancs.

En Ukraine et à Gaza, contrairement à la grande majorité du personnel international, ces personnels nationaux n’ont pas eu le choix de partir, ou l’obligation d’évacuer. Cela peut s’expliquer par l’origine de leur structure, leur lieu de résidence et par l’expérience acquise depuis de longues années, dix ans pour les volontaires ukrainiens, et plus de quarante ans pour les secouristes gazaouis. Étant donné leur accès privilégié aux populations et grâce à une organisation efficiente, ils sont devenus très majoritaires au sein du système humanitaire.

En Ukraine, une étude produite au début de la guerre recense 150 ONG nationales, des groupes religieux et près de 1700 groupes d’aide locaux nouvellement constitués[4]Humanitarian Outcomes, Enabling the local response: Emerging humanitarian priorities in Ukraine. March-May 2022, June 2022, … Continue reading.

 

De même à Gaza, selon une étude produite en février 2024, les principaux fournisseurs de l’aide sont les personnels nationaux des agences des Nations unies, du Croissant-Rouge, de l’ONG palestinienne MA’AN, du ministère du Développement social et de la Coopération avec les pays arabes du Golfe. Moins de dix ONG internationales géraient des opérations directes sur le terrain à ce moment-là[5]Abby Stoddard, Paul Harvey, Monica Czwarno et al., Humanitarian Access Score Report…, op. cit..

Souvent considérés comme parties prenantes, les acteurs locaux sont fréquemment visés par les forces armées adverses. Leur proximité, leur efficacité et leur implication auprès d’un seul belligérant les rendent extrêmement vulnérables aux attaques des armées opposées, aux dommages collatéraux et au dénigrement de leur action. Ainsi, selon les données compilées par la base de données sur la sécurité des travailleurs humanitaires (Aid Worker Security Database), 163 travailleurs humanitaires ont été tués à Gaza lors des trois premiers mois de la guerre[6]Meriah-Jo Breckenridge, Mariana Duque-Díez and Abby Stoddard, Figures at a glance, 2024, Humanitarian Outcomes, July 2024, … Continue reading. Au total, depuis le début de la guerre en octobre 2023 et jusqu’en août 2024, ce sont 275 personnels humanitaires nationaux qui ont été tués et 79 blessés tandis que 7 personnels internationaux étaient tués et 2 autres blessés[7]Base de données sur la sécurité des travailleurs humanitaires.. D’un point de vue purement statistique, 97,5 % du personnel humanitaire tué est originaire de Gaza, ce qui démontre, d’une part, l’implication massive du personnel national et, d’autre part, l’absence complète de protection à leur égard. L’armée israélienne cible des hôpitaux, des convois humanitaires et du personnel médical sans chercher à le dissimuler.

En Ukraine, depuis le début de la guerre en février 2022 et jusqu’en août 2024, treize travailleurs humanitaires ukrainiens ont été tués, trente-cinq blessés et trente-neuf kidnappés, tandis que huit personnels internationaux étaient tués et que treize autres étaient blessés[8]Idem. Il est néanmoins très difficile de distinguer les volontaires ukrainiens parmi les plus de 30 000 civils tués et/ou blessés à ce jour[9]Statista, Nombre de civils tués ou blessés enregistré par le Haut-Commissariat des Nations unies depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, en juin 2024, … Continue reading.

Adapter le principe de neutralité pour équilibrer protection des travailleurs humanitaires locaux et efficacité de l’aide ?

La neutralité est, en théorie, la pierre angulaire de l’aide humanitaire dans un conflit armé. Il n’y aurait pas de meilleure garantie d’accès et de protection que d’agir entre les belligérants sans être suspecté de prendre part aux hostilités. Ce principe est discuté par certains quant à son fondement même tandis que, depuis bien longtemps, des acteurs ont assumé l’adapter dans de nombreux contextes. Mais si, en Ukraine et à Gaza en particulier, ce concept est critiqué, c’est précisément du fait de l’ampleur de l’implication d’acteurs nationaux – laquelle s’explique en grande partie par les raisons que nous avons évoquées.

De fait, après bientôt trois ans de guerre en Ukraine et plus d’un an à Gaza, comment demander aux organisations et aux travailleurs humanitaires qui délivrent une aide vitale auprès de leur propre population de rester indifférents à son sort ? Le Croissant-Rouge palestinien et les volontaires ukrainiens ont en commun d’être mobilisés au coeur d’une guerre dans leur pays pour secourir les personnes en danger.

« Le Croissant-Rouge palestinien et les volontaires ukrainiens ont en commun d’être mobilisés au coeur d’une guerre dans leur pays pour secourir les personnes en danger. »

Que des biens de première nécessité soient délivrés à des civils en détresse ou à des combattants sur le front revêt sans doute pour eux la même importance[10]Jessica Alexander, “Is Ukraine the next tipping point for humanitarian aid reform?”, The New Humanitarian, 25 July 2022, … Continue reading. Il est par conséquent irréaliste de leur demander d’être neutres quand, dans le même temps, le personnel international d’une organisation humanitaire se rend en zone de guerre avec un point de vue forcément plus distancé et moins « impliqué ».

Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que, contrairement à des ressortissants étrangers, les personnels nationaux d’un pays ne jouissent pas de la même liberté d’agir face à des politiques et des lois promulguées en temps de guerre. En Ukraine, celle-ci est vécue comme une résistance contre un agresseur extérieur, de surcroît grande puissance dans le jeu international. C’est l’ensemble du pays qui est engagé pour la résistance et contre l’invasion de l’armée russe dans un sentiment de guerre totale. Les Ukrainiens demandent et s’attendent à être soutenus contre cet ennemi et ils ne tolèrent que très peu cette exigence de neutralité que leur renvoient les ONGI. D’ailleurs, la législation ukrainienne définit l’aide humanitaire comme « une assistance gratuite ciblée […] aux bénéficiaires qui ont besoin d’aide en relation avec […] la préparation de la protection armée de l’État et de sa protection en cas d’agression armée ou de conflit armé »[11]Verkhovna Rada d’Ukraine, Loi sur l’aide humanitaire (Loi n° 1192-14), Vedomosti Verkhovna Rada d’Ukraine (VVR), 1999.. Cette seule définition, qui date de bien avant la guerre, dit combien cette conception est éloignée de celle en vigueur dans les démocraties occidentales.

Dans une lettre signée par plus de 150 ONG nationales en août 2022 et adressée aux organisations internationales en Ukraine, les volontaires demandent ainsi de « laisser les acteurs de la société civile locale décider de [leurs] priorités et de la manière dont [ils souhaitent] agir en solidarité dans ce conflit »[12]“‘If not now, when ?’ An open letter to international donors and NGOs who want to genuinely help Ukraine”, Philanthropy‧ua, (n‧d.), … Continue reading.

À Gaza, où quasiment quatre générations n’ont pas vécu d’autre situation que l’occupation israélienne, la rhétorique de résistance est encore plus forte parmi les Palestiniens qui subissent collectivement les bombardements et assauts israéliens. Il serait difficile d’attendre la même neutralité que de la part d’un humanitaire présent sur place pour six semaines lors d’une mission d’urgence. Ainsi, le Croissant-Rouge, première agence nationale d’aide du territoire, coordonne une grande partie du secours à la population. Il est bien entendu directement placé sous la gestion du ministère de la Santé – tout comme en France, par exemple, la Croix-Rouge est statutairement un « auxiliaire des pouvoirs publics ».

Quant à l’UNRWA – dont l’action a été vigoureusement remise en question par Israël, les Américains et de nombreux pays occidentaux –, rappelons qu’il s’agit d’une branche des Nations unies datant de 1948. Le rapport d’enquête interne, rédigé après ses attaques, est évocateur puisqu’il pointe comme atteintes à la neutralité de l’agence « des cas d’employés du personnel exprimant publiquement leurs opinions politiques, de livres scolaires au contenu problématique venant du pays hôte et utilisés dans certaines écoles de l’UNRWA, de syndicalistes politisés proférant des menaces contre l’encadrement de l’UNRWA et perturbant des opérations »[13]Le Monde avec AFP, « Gaza : un rapport indépendant souligne le rôle “indispensable” de l’UNRWA », 22 avril 2024, … Continue reading. Une des mesures phares évoquées dans le rapport pour remédier à ces atteintes passerait par le recrutement de plus de personnel international posté sur le terrain – lequel représente actuellement 1 % du personnel[14]UNRIC, Rapport Colonna : renforcer la neutralité de l’Agence d’aide aux Palestiniens, Centre régional d’information pour l’Europe occidentale, 22 avril 2024, … Continue reading. Il est dit aussi que l’agence devrait dépolitiser complètement les manuels scolaires ce qui, incidemment, pose le problème de la mémoire collective et de l’impact des politiques internationales sur la construction des sociétés souveraines…

« À Gaza et en Ukraine, l’aide humanitaire ne pourrait atteindre ce niveau d’efficacité sans l’action des travailleurs humanitaires et des personnels médicaux nationaux. »

Peut-être alors, plus généralement, faudrait-il songer à adapter le principe de neutralité pour permettre une meilleure protection des travailleurs humanitaires nationaux qui délivrent l’aide dans leur pays. À Gaza et en Ukraine, l’aide humanitaire ne pourrait atteindre ce niveau d’efficacité sans l’action des travailleurs humanitaires et des personnels médicaux nationaux. Cependant, et pour toutes les raisons avancées plus haut, ils se retrouvent sous le feu des bombes des belligérants qui n’ont que faire de leur protection. Si le personnel international est moins efficient dans ces deux contextes, il est en revanche mieux protégé.

Dans un contexte où la localisation de l’aide et les partenariats dominent les discussions lors des conférences humanitaires, un soutien aux acteurs locaux par le renforcement de la protection qu’ils ne peuvent assurer seuls pourrait sans doute représenter une voie à explorer. En se plaçant aux côtés des travailleurs nationaux et en communiquant fortement sur la neutralité de leur rôle à tous auprès de l’ensemble des belligérants, les organisations internationales pourraient ainsi se porter garantes, en quelque sorte, de leurs collègues. On peut espérer que la couverture médiatique et la protection diplomatique dont bénéficient les acteurs internationaux dissuaderaient un belligérant de s’en prendre à n’importe quel humanitaire.

Il s’agirait alors concrètement, dans certains contextes, d’adapter le rôle d’organisations internationales auprès des humanitaires nationaux dans l’objectif commun de renforcer l’impact de leurs actions pour la population. Ce serait un équilibre à atteindre, entre délivrer directement et permettre à ceux qui sont déjà sur place de le faire.

Cela pourrait prendre la forme d’actions politiques pour tenter d’influencer les belligérants et leurs alliés afin de ne pas cibler les humanitaires nationaux lorsque ceux-ci ont les moyens de l’aide à la population. C’est également la capacité à témoigner de cette aide auprès des belligérants et de l’opinion publique, sans décider de la manière dont elle doit être délivrée.

Déjà en place dans certains conflits, les organisations internationales peuvent servir de relais pour informer sans relâche, communiquer les coordonnées GPS des travailleurs humanitaires aux belligérants et influencer à tous les niveaux pour le respect de leur intégrité, sans inciter ou contraindre financièrement les acteurs nationaux[15]Dans d’autres contextes, les ONG nationales qui dépendent d’un financement international peuvent être contraintes, par incitation financière, à respecter autant que possible la neutralité … Continue reading. Sur le modèle qui existe déjà pour les défenseurs des droits humains ou des journalistes, il s’agirait aussi de fournir davantage de moyens nécessaires à leur protection physique, sans pour autant imposer de règles de sécurité. Enfin, il convient de mieux partager le risque de manière à le réduire, sans le transférer.

C’est d’ailleurs cette forme d’aide qui a guidé les premiers humanitaires internationaux à se rendre à Gaza après le 7-Octobre. Une équipe chirurgicale du Comité international de la Croix-Rouge d’abord, dont nous avons vu les photos sur les marches d’un hôpital menacé de destruction par l’armée israélienne. Une équipe des Nations unies ensuite, dont nous avons vu les multiples interviews des porte-paroles. Une équipe de Médecins Sans Frontières quelques jours après, dont nous lisons les témoignages presque tous les jours.

Cet engagement des organisations humanitaires internationales ne saurait suffire, bien entendu, sans une législation contraignante à l’égard des belligérants qui attaquent les travailleurs humanitaires. Demander des comptes aux forces armées pour la protection du personnel humanitaire, juger et faire appliquer les sanctions n’est pas le rôle des organisations humanitaires, nationales ou internationales, mais bien celui des acteurs politiques. Si les guerres en Ukraine et à Gaza permettent à l’avenir d’adapter la neutralité de l’aide humanitaire au profit de son efficacité, il est absolument indispensable de ne pas laisser entendre que l’impunité dont jouissent certains belligérants à l’égard du droit international humanitaire est sans limite.

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References

References
1 Abby Stoddard, Paul Harvey, Monica Czwarno et al., Humanitarian Access SCORE Report: Gaza – the first six months. Survey on the coverage, operational reach, and effectiveness of humanitarian aid, Humanitarian Outcomes, March 2024,
https://humanitarianoutcomes.org/SCORE_Gaza_2024
2 Idem.
3 Tiara Ataii,“Why Ukraine is moving the needle on old debates about humanitarian neutrality”, The New Humanitarian, 16 May 2023, https://www.thenewhumanitarian.org/analysis/2023/05/16/ukraine-debates-humanitarian-neutrality-debates
4 Humanitarian Outcomes, Enabling the local response: Emerging humanitarian priorities in Ukraine. March-May 2022, June 2022, https://humanitarianoutcomes.org/sites/default/files/publications/ukraine_review_2022.pdf
5 Abby Stoddard, Paul Harvey, Monica Czwarno et al., Humanitarian Access Score Report…, op. cit.
6 Meriah-Jo Breckenridge, Mariana Duque-Díez and Abby Stoddard, Figures at a glance, 2024, Humanitarian Outcomes, July 2024, https://humanitarianoutcomes.org/sites/default/files/publications/figures_at_a_glance_2024.pdf
7 Base de données sur la sécurité des travailleurs humanitaires.
8 Idem
9 Statista, Nombre de civils tués ou blessés enregistré par le Haut-Commissariat des Nations unies depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, en juin 2024, https://fr.statista.com/statistiques/1293980/nombre-victimes-guerre-ukraine
10 Jessica Alexander, “Is Ukraine the next tipping point for humanitarian aid reform?”,
The New Humanitarian, 25 July 2022, https://www.thenewhumanitarian.org/analysis/2022/07/25/Ukraine-aid-reform-local-donors-neutrality
11 Verkhovna Rada d’Ukraine, Loi sur l’aide humanitaire (Loi n° 1192-14), Vedomosti Verkhovna Rada d’Ukraine (VVR), 1999.
12 “‘If not now, when ?’ An open letter to international donors and NGOs who want to genuinely help Ukraine”, Philanthropy‧ua, (n‧d.), https://philanthropy.com.ua/en/program/view/akso-ne-zaraz-koli
13 Le Monde avec AFP, « Gaza : un rapport indépendant souligne le rôle “indispensable” de l’UNRWA », 22 avril 2024, https://www.lemonde.fr/international/article/2024/04/22/un-rapport-pointe-des-problemes-de-neutralite-a-l-unrwa-l-agence-de-l-onu-pour-les-refugies-palestiniens_6229258_3210.html
14 UNRIC, Rapport Colonna : renforcer la neutralité de l’Agence d’aide aux Palestiniens, Centre régional d’information pour l’Europe occidentale, 22 avril 2024, https://unric.org/fr/rapport-colonna-renforcer-la-neutralite-de-lagence-daide-aux-palestiniens
15 Dans d’autres contextes, les ONG nationales qui dépendent d’un financement international peuvent être contraintes, par incitation financière, à respecter autant que possible la neutralité humanitaire classique. Dans le cas de l’Ukraine et de Gaza, cet impact financier et limité, car le financement de l’aide humanitaire n’est pas le monopole des gouvernements occidentaux.

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