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Trump et le chaos : à quoi sert vraiment l’aide internationale ?

François Audet
François AudetDirecteur de l’Institut d’études internationales de Montréal depuis mars 2018, François Audet est également professeur à l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), directeur scientifique de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires (OCCAH) et membre du Conseil Scientifique d'Alternatives Humanitaires. . Il est titulaire d’un doctorat de l’École nationale d’administration publique (ENAP) de Québec portant sur les processus décisionnels des organisations humanitaires internationales par rapport au renforcement des capacités locales. Avant d’entreprendre une carrière académique, il a cumulé plus de quinze années d’expérience dans le domaine de l’aide humanitaire. Ses intérêts de recherche portent sur les nouvelles pratiques en matière d’aide humanitaire, l’efficacité de l’action humanitaire envers les réfugiés et les politiques canadiennes d’aide au développement. Mise à jour en avril 2025

Cet article est une version adaptée par l’auteur lui-même d’un article publié sur le site du média canadien La Presse, le 5 mars 2025. Avec l’accord de l’auteur et de nos collègues de La Presse que nous remercions chaleureusement.


Le gel des fonds de l’agence américaine d’aide internationale (USAID) et le chaos lié à sa fermeture marquent un tournant historique dans le milieu de l’aide internationale. Depuis des décennies, cette agence a été un pilier central de l’assistance humanitaire d’urgence et du développement, soutenant des millions de personnes à travers le monde, sauvant des vies et créant des liens indispensables, voire essentiels, entre les sociétés et les gouvernements. Or, des programmes vitaux en matière de santé, de bonne gouvernance et de droits humains, ainsi que des initiatives de réponse aux crises, comme au Soudan, en Haïti et en Ukraine, se retrouvent brutalement interrompus. Cette rupture laisse des centaines de milliers de personnes parmi les plus vulnérables sans soutien.

Si cette attaque de la part du Président Trump contre USAID était prévisible, la manière dont elle s’est produite et les accusations portées par Elon Musk, la qualifiant d’organisation criminelle, laissent pantois.

L’arrêt de l’aide américaine ébranle non seulement les opérations de secours et de développement, mais remet surtout en question l’engagement des États-Unis envers la coopération mondiale et le multilatéralisme. Jamais une décision n’a eu un impact aussi direct, significatif et déstabilisateur sur l’écosystème de l’aide. Cette décision est d’autant plus paradoxale que l’humanité n’a jamais eu autant besoin de cette aide : de la crise climatique au triste record du nombre de personnes déplacées sur la planète en passant par les nombreux conflits, les besoins augmentent chaque année de manière significative. Paradoxalement, c’est l’homme le plus riche de la planète qui coupe les ressources humanitaires pour les plus démunis du globe.

Il faut aussi rappeler que cet effondrement ne concerne pas uniquement l’aide américaine, mais bouleverse l’ensemble du système humanitaire international incluant au Canada et en Europe. Montages financiers et cofinancement entre les grands pays donateurs sont devenus le principal modèle de gestion des projets. En se retirant, ce n’est donc pas seulement l’aide américaine qui s’écroule, mais aussi des ONG de partout qui se retrouvent en difficulté, des agences onusiennes comme le Programme alimentaire mondial et UNICEF qui perdent une part importante de leur financement, sans parler des gouvernements qui dépendent des fonds américains. Le secteur doit désormais combler un déficit colossal. Il n’est pas impossible que certaines organisations ferment leurs portes : c’est ce que l’on entend en coulisses à Washington et à Genève.

À la critique que les budgets d’aide sont trop élevés, il faut rappeler que l’aide est un infime coût à assumer pour protéger des populations vivant dans des pays où les dirigeants ne veulent pas ou ne peuvent pas assurer leur sécurité. C’est aussi et surtout un infime coût pour compenser notre responsabilité dans les inégalités mondiales qui perdurent afin d’assurer notre qualité de vie dans les pays du Nord.

En 2023, l’aide internationale représentait 223 milliards de dollars américains, soit à peine 0,37 % du PIB moyen des pays de l’OCDE.

Mais ces attaques dans ses budgets imposent de reconnaître que l’aide est aussi un investissement rentable, jouant un rôle fondamental de « soft power » dans la stabilité mondiale et bénéficiant aux relations économiques. Certes, elle est souvent critiquée, à raison, pour sa lourdeur bureaucratique, son héritage colonial et son instrumentalisation politique. Cependant, elle demeure le seul mécanisme de transfert de ressources à l’échelle internationale et le seul cadre de coopération et de maintien des normes internationales que l’humanité n’ait jamais connu.

En établissant un cadre pour le respect des droits humains et des standards de gouvernance, elle limite l’influence des acteurs malveillants et des régimes autoritaires. Le retrait de USAID crée un vide sans précédent que des groupes criminels, des mouvements extrémistes et des puissances comme la Russie et la Chine s’empressent déjà d’exploiter. Ce repli stratégique n’est donc pas seulement un désengagement moral, mais une erreur géopolitique qui affaiblit directement les intérêts américains.

Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, le monde connaît une déstabilisation accrue, marquée par un recul historique du multilatéralisme. Alors que les tensions mondiales font craindre une escalade militaire dans plusieurs régions du monde, y compris aux marges de l’Europe, la réduction du financement de l’aide internationale constitue une menace supplémentaire pour l’humanité tout entière. Dans un contexte de tensions croissantes, où les crises migratoires, les conflits armés et les dérèglements climatiques s’intensifient, l’affaiblissement de l’aide ne peut que favoriser le chaos.

Paradoxalement, plusieurs dirigeants européens, tout comme le Président américain, se sont fait élire sur des postures critiques vis-à-vis la pression migratoire. La baisse dramatique des financements pourraient créer des conditions déstabilisantes dans plusieurs régions du monde, exacerbant davantage les déplacements forcés.

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