Pour MSF, témoigner fait partie de sa mission autant que soigner. Face aux accusations de partialité et aux campagnes de désinformation, l’organisation développe des stratégies pour défendre sa crédibilité. Entre « intime conviction » et preuves factuelles, MSF navigue dans un environnement hostile tout en assumant ses prises de position.
Pour Médecins Sans Frontières (MSF), la communication publique est d’abord une question de survie institutionnelle. Pour une organisation dont 99 % des fonds sont issus de la générosité privée, la visibilité, la présence dans les médias et sur les réseaux sociaux, la mise à disposition d’éléments sur l’utilisation de ses moyens financiers et, par-là même, le maintien de la confiance du grand public, sont en effet vitaux. Le développement du secteur humanitaire et l’augmentation de la concurrence de fait entre associations ont poussé MSF comme les autres organisations faisant appel à la générosité publique à développer leur présence dans les médias et en ligne, en diversifiant leur ton – s’adressant par exemple à des audiences plus jeunes et demandant à investir des registres moins graves ou des formats plus courts et conviviaux –, leurs canaux et leurs relais afin de toucher des audiences variées et pérenniser ainsi leurs ressources.
Soigner et communiquer : un lien indissociable
La réputation de MSF s’est construite autour de l’image du témoin direct, en première ligne dans les grandes crises contemporaines, souvent dans des situations extrêmes, en étant parfois la seule source humanitaire présente. L’association considère que la prise de parole publique fait partie de sa mission sociale : la communication publique poursuit et complète l’acte de soins. Dans les Principes de référence adoptés par l’ensemble du mouvement MSF à Chantilly en 1997, MSF considérait ainsi le témoignage comme un « complément indissociable » de l’action médicale, qui visait « l’amélioration du sort des populations en danger »[1]Médecins Sans Frontières, Principes de référence du mouvement Médecins Sans Frontières, 17 février 1997, https://www.msf.org/sites/default/files/2022-09/CHANTILLY_FR.pdf. À nouveau, en 2020, le mouvement MSF a souscrit à une vision commune en matière de positionnement public, Telling it like it is (« Dire les choses comme elles sont »), dans laquelle on peut lire que « la prise de parole et le témoignage sont ancrés dans l’histoire de MSF et constituent une part essentielle de notre identité. C’est notre proximité avec les populations que nous assistons qui nous autorise à porter à l’attention du public les souffrances dont nous sommes témoins. Cet acte de témoignage a une valeur en soi, même quand il n’a pas la prétention de changer une réalité.[2]Avril Benoît, Telling it like it is : Why we speak out, Médecins Sans Frontières, 10 December 2019, https://www.doctorswithoutborders.org/latest/telling-it-it-why-we-speak-out»
« Cette continuité entre action et prise de parole publique est illustrée de façon évidente par la guerre en cours à Gaza. »
Cette continuité entre action et prise de parole publique est illustrée de façon évidente par la guerre en cours à Gaza. En l’absence de médias internationaux, alors que plus de 200 journalistes et professionnels des médias ont été tués depuis le 7 octobre 2023[3]Agence Média Palestine, « 343 attaques en 2025 : Israël cible le journalisme palestinien », 28 avril 2025, … Continue reading , les humanitaires font partie d’un nombre restreint de témoins de la destruction des conditions mêmes de la vie palestinienne. Ils sont, de ce fait, parmi les rares voix qui se lèvent contre la déshumanisation de l’ensemble de la population gazaouie et son assimilation à une cible. Ils sont particulièrement légitimes pour contester le narratif des autorités israéliennes prétendant faciliter l’acheminement de l’aide dans la bande de Gaza. Mener des opérations de secours à Gaza en renonçant à ce rôle de témoin représenterait une compromission inacceptable : c’est pourquoi la prise de parole publique est une condition nécessaire pour intervenir dans un tel contexte – bien que cela entraîne critiques et attaques de la part d’Israël et de ses alliés.
Construire une intime conviction sur des faits
Lorsqu’elle est une source primaire d’information et de narratifs sur une crise, lorsqu’elle exerce un rôle de « média humanitaire » – soit d’information sur les contextes où elle intervient, même si cela reste limité à son domaine d’action et contraint par la pression des pouvoirs en place –, MSF fait face à deux contraintes principales : d’une part, la capacité à être audible, à rester en phase avec les usages en matière de consommation d’information ; d’autre part, la détérioration de l’espace informationnel et la « concurrence sur les narratifs » exercée par les stratégies de plus en plus poussées de propagande et de désinformation. Comme les médias, qui ont développé des outils de fact checking, des organisations non gouvernementales (ONG) comme MSF développent des stratégies pour tenter d’opposer un rempart contre la diffusion d’informations fausses ou manipulées. Cela soulève à son tour la question de la vérité, de la véracité de l’information dont nous disposons et que nous estimons pouvoir diffuser en notre nom.
Notre parole doit ainsi être précise et circonstanciée. Elle emprunte aux métiers de l’information les exigences de clarté et de spécificité nécessaires pour être une source journalistique, et ce, malgré des contextes souvent contraints, des incertitudes permanentes, et une forte exposition à la pression des belligérants. L’accélération des cycles d’information et la démocratisation de l’accès aux réseaux sociaux rend cette activité encore plus contrainte – à la fois en matière de délais et de concurrence de narratifs alternatifs. La recherche d’un équilibre entre la crainte des conséquences de notre parole – qui mène souvent à une forme d’autocensure – et la nécessaire capacité à analyser rationnellement les interstices qui permettent de s’exprimer tout en maintenant un espace de travail est sans doute l’activité qui occupe l’essentiel du temps des équipes de communication de MSF.
En essayant de façon volontariste de résoudre les dilemmes inhérents à notre rôle de témoignage, le document Telling it like it is affirme notamment que « nos communications publiques les plus réussies ont toutes été le fruit de notre capacité à être assertifs, pertinents et opportuns sur un sujet spécifique donné ». Le mouvement MSF sortait alors d’une décennie marquée par d’âpres discussions internes au sujet des guerres au Yémen et en Syrie, qui avaient notamment mis sur le devant de la scène les divergences qui traversaient MSF concernant l’attribution de la responsabilité des attaques contre les civils, les humanitaires et les structures de santé. La question des preuves dont nous disposions pour pouvoir attribuer aux aviations saoudienne et russe, respectivement, la destruction de l’hôpital de Maarat al-Numan en Syrie, en février 2016, et de celui d’Haydan, dans le nord du Yémen, en octobre 2015, divisait alors les sections MSF. Pour certaines, en se basant sur une analyse de contexte solide, et en l’absence de versions alternatives crédibles, il était possible de pointer du doigt des responsabilités dans le but d’obliger les belligérants à rendre des comptes et, in fine, à modifier leur conduite. Pour d’autres sections, en l’absence d’investigation permettant de confirmer de façon objective ces responsabilités, il était de notre devoir de nous abstenir de les attribuer, sous peine de mettre en danger notre crédibilité. Finalement, différents positionnements et initiatives ont pu coexister, selon la sensibilité et les choix des bureaux MSF impliqués.
Ainsi, face aux dénégations des parties au conflit et aux controverses provoquées par sa prise de parole sur l’hôpital de Maarat al-Numan, MSF – France décida de commander en 2017 à Forensic Architecture – un collectif de chercheurs spécialisé dans les investigations basées sur des éléments architecturaux pour enquêter sur les cas de violence d’État et de violations des droits humains – une enquête visant à établir les événements factuels relatifs à cette attaque. Cette enquête a notamment permis d’établir le déroulé de l’attaque, tout en la liant aux mouvements de l’aviation russe en provenance de la base aérienne de Hmeimim, sur la côte syrienne.
« Ne disposant pas de capacités d’investigation propres, MSF n’a d’autre choix que de se baser sur une “intime conviction”, construite à partir des éléments fournis par ses équipes. »
Ne disposant pas de capacités d’investigation propres, MSF n’a d’autre choix que de se baser sur une « intime conviction », construite à partir des éléments fournis par ses équipes. Il s’agit parfois d’éléments de première main sur les attaques elles-mêmes ou, plus souvent, sur le nombre et la nature des blessés, la description des blessures, des récits et témoignages des blessés eux-mêmes. C’est sur la base de ces éléments que les équipes MSF tentent d’objectiver par des méthodes de vérification et de triangulation, et d’autres sources disponibles (autorités, autres organisations, médias), qu’il devient possible d’établir un récit et de construire une forme de conviction sur les responsabilités. Cette approche implique une capacité à faire évoluer, voire à modifier, sa position avec le temps – par exemple, si de nouveaux éléments viennent contredire l’analyse d’origine. L’invasion russe de l’Ukraine en 2022 et, encore plus fortement, la destruction de Gaza par l’armée israélienne à partir d’octobre 2023 ont remis ces questions au cœur des discussions internes à MSF.
En avril 2022, une équipe MSF a été directement témoin, lors de la visite d’un hôpital de la ville de Mykolaïv, dans le sud de l’Ukraine, d’une attaque comportant selon toute vraisemblance l’utilisation de bombes à fragmentation – des munitions qui livrent des grappes d’explosifs touchant une vaste surface. MSF en a alors attribué la responsabilité à l’armée russe. Elle s’était basée sur un faisceau d’éléments, notamment le fait que d’autres hôpitaux et quartiers résidentiels de la ville avaient fait l’objet de bombardements les jours précédents, sans que l’armée russe n’en conteste la responsabilité. Cette attribution, relayée bien qu’avec des précautions par les médias[4]L’agence Reuters a estimé nécessaire de préciser que MSF « ne dispose pas d’éléments permettant d’établir cette responsabilité » ; Emma Farge, “MSF says its team witnessed hospital … Continue reading, n’avait pas donné lieu à des contestations ou réactions de la part de l’armée russe.
À Gaza, le 17 octobre 2023, l’hôpital Al-Ahli Arabi a été touché par un projectile provoquant une explosion dans la cour de l’hôpital. MSF a rapidement, là encore sur la base du témoignage de l’un de ses membres sur place, attribué la responsabilité de l’attaque à l’armée israélienne, dans un contexte où de nombreux médias – et même une source israélienne – avaient fait de même, avant de rectifier leur position par la suite. Alors que des versions alternatives se développaient dans les heures suivant l’attaque – certaines attribuant la responsabilité à une roquette tirée par des groupes armés palestiniens – et que le bilan de l’explosion était également l’objet de controverses, le mouvement MSF n’avait en revanche pas réussi à trouver un accord quant au besoin de rectifier sa position. Certaines sections n’avaient pas estimé judicieux de reprendre l’attribution de responsabilités sur leurs comptes X ; d’autres, comme les sections française et allemande, avaient pris la décision de rectifier les tweets d’origine. Ce n’est qu’en mai 2024 qu’un positionnement officiel du mouvement MSF a été publié sur son site international, précisant que l’association n’était pas en mesure de déterminer avec certitude la responsabilité de l’attaque, et que seule une enquête indépendante le permettrait.
Échaudée par cette expérience, et face au narratif israélien prévalant pendant les premiers mois de la guerre – niant toute attaque sur les hôpitaux et le personnel médical –, la section française de MSF a alors investi dans des efforts de documentation systématique basée sur les observations de première main et les témoignages de ses équipes. Ces efforts poursuivent un double but : tout d’abord, contrer les narratifs israéliens sur les attaques contre la mission médicale et les humanitaires à Gaza, dont les équipes MSF ; ensuite, mettre à la disposition de chercheurs, médias et autres organisations des éléments permettant de documenter des patterns militaires, c’est-à-dire des pratiques récurrentes dans la façon dont l’armée israélienne mène la guerre à Gaza et permettant d’établir sa responsabilité dans la campagne de destruction du système de santé gazaoui. Certaines de ces initiatives ont été citées dans des actions légales – comme la requête déposée en janvier 2024 par l’Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice contre Israël, pour manquement à ses obligations au titre de la Convention contre le génocide.
Faire face aux accusations… et opérer un tri
Le témoignage des humanitaires peut ainsi être puissant. Les stratégies qui visent à les réduire au silence, mises en place par les États et d’autres parties prenantes, le sont tout autant. Les accusations de partialité, d’asservissement à un agenda politique étranger, ou de malversations sont aussi vieilles que les interventions humanitaires elles-mêmes. Cependant, l’évolution de l’accès à l’information – en particulier dans des environnements digitaux sans modération et conditionnés par des algorithmes orientés idéologiquement – en a démultiplié le pouvoir de nuisance. Ces derniers mois, on assiste également à des attaques frontales et assumées contre le système de l’aide lui-même, menées par la nouvelle présidence américaine et ses partisans. Ce sont des coups redoutables, non seulement au fonctionnement, mais à l’image même de l’aide internationale, dont les effets restent encore largement à mesurer.
« Il faut cependant résister à la dérive qui tend à considérer toute critique comme une attaque. »
Il faut cependant résister à la dérive qui tend à considérer toute critique comme une attaque. Pour ne pas se rétracter dans des postures victimaires ou dans des réflexes purement défensifs, il convient également de distinguer les différentes catégories d’accusation et de menace, qu’elles relèvent de la désinformation, de controverses liées à nos positions, ou de la critique de notre action.
Dans la première catégorie rentrent, par exemple, les campagnes d’opinion menées par certains États européens, et notamment l’Italie, visant à criminaliser les migrants et les ONG qui leur apportent des secours en Méditerranée centrale à partir de la moitié des années 2010. En accusant les ONG de complicité avec les passeurs, sans aucun élément pour soutenir leurs accusations[5]Aucune des actions en justice lancées par l’État italien contre les ONG n’a abouti à une condamnation., ces États cherchaient à calomnier et à décrédibiliser les aidants, en les sommant de démontrer leur innocence, renversant ainsi la charge de la preuve. De la même manière, dans le contexte de la guerre à Gaza, plusieurs organisations – dont MSF – ont été la cible de véritables dossiers à charge de la part de certains médias français affiliés à l’extrême droite. Ainsi, le Journal du Dimanche (JDD) a publié, en septembre 2024, une enquête[6]Lara Tchekov et Anne-Flore Marie, « Enquête – Médecins sans frontières : une ONG en crise de neutralité face aux accusations de compromission », Le Journal du Dimanche, 3 novembre 2024. au sujet de la prétendue non-neutralité de MSF dans la guerre à Gaza, voire de la complicité de certains de ses membres avec le Hamas. Construites sur la base de témoignages anonymes, d’opinions, d’insinuations et d’allégations fausses, ces accusations sont très difficiles à démentir. Pour atteindre MSF, le JDD a également tenté de déstabiliser ses sources de revenus, en contactant certains partenaires financiers publics et privés afin de les informer de ses accusations. Bien que ces tentatives n’aient pas eu d’impact significatif sur les financements de MSF, elles désignent sans doute le terrain que l’extrême droite populiste souhaite investir à l’avenir dans ses efforts pour décrédibiliser les ONG et les réduire au silence. Dans les deux cas, la réponse de MSF a notamment visé à développer des outils pédagogiques – FAQ[7]Médecins Sans Frontières, Gaza : nos réponses à vos questions, https://www.msf.fr/gaza-nos-reponses-a-vos-questions , vidéos, articles, etc. – pour expliquer son positionnement et déconstruire l’argumentaire hostile par des éléments factuels, selon des techniques de debunking inspirées de celles utilisées par les médias traditionnels.
Dans la deuxième catégorie se trouvent les attaques et accusations visant MSF sur la base d’éléments en partie factuellement exacts et revendiqués par l’association. C’est, par exemple, le cas lorsque MSF est accusée de faire le jeu de groupes armés d’opposition en cherchant à fournir des secours dans des zones sous leur contrôle, à prendre en charge tous les blessés, y compris ceux issus de leurs rangs, ou encore à dialoguer pour obtenir des conditions minimales de sécurité et d’accès pour nos équipes.
Ainsi, au Burkina Faso, en février 2023, MSF dénonce publiquement l’assassinat de deux de ses employés dans l’attaque de leur véhicule, dans les environs de Tougan. La présidente de MSF – France indique alors que MSF doit « rapidement échanger avec toutes les parties au conflit pour comprendre ce qu’il s’est passé » ; une déclaration qui suscite des réactions virulentes sur les réseaux sociaux. Une partie des commentaires se concentre sur le fait que MSF entende établir des contacts avec des membres de groupes armés et considérer ces derniers comme des « parties au conflit » avec lesquelles discuter, au même titre que les forces régulières. Ces critiques s’ajoutent aux réactions accusant MSF d’être à la solde du gouvernement français, de remplir des missions d’espionnage, ou de soutenir le terrorisme. Toutefois, lors de cette séquence, elles ne font pas l’objet de relais dans des médias et restent cantonnées à des commentaires sur les réseaux sociaux. Depuis, il se passe rarement un mois, au Burkina Faso, au Mali ou au Niger, sans que ce type d’accusations mensongères, s’appuyant ponctuellement sur un élément factuellement exact, ne circule à plus ou moins grande échelle, trouvant également un écho dans des médias traditionnels et des relais politiques. Pour y répondre : dispositifs de veille et d’analyse, échanges avec les leaders d’opinion et réseaux d’influence, mise à disposition d’éléments sur nos activités et la manière dont nous les menons, visites de nos projets pour en montrer l’impact et la diversité des équipes. Bien que nous diffusions également certains de ces éléments sur les réseaux sociaux via nos comptes institutionnels, ces actions restent néanmoins dérisoires lorsque nous sommes confrontés à des campagnes orchestrées par des acteurs spécialisés, et elles ne sauraient nous protéger des entraves au travail de nos équipes et des attaques.
En Haïti, en février 2023, MSF a fait l’objet d’une violente campagne d’intimidation et de lourdes menaces, dans le cadre d’une vague d’incidents touchant ses ambulances et ses hôpitaux, attaqués ou fouillés violemment par les forces de l’ordre haïtiennes cherchant à s’emparer de membres des gangs, blessés et pris en charge par MSF. Des influenceurs et des médias haïtiens en ligne avaient alors accusé l’association d’être complice des gangs. Après un énième incident d’une particulière gravité, en novembre 2024, lorsque des policiers ont attaqué une ambulance MSF et exécuté deux patients, l’organisation a décidé de suspendre ses activités pendant plusieurs semaines. En avril 2025, après une autre attaque contre un convoi de ses véhicules à Port-au-Prince, MSF a pris la difficile décision de suspendre ses activités dans deux des hôpitaux de la ville où elle intervient, pour une durée minimale de trois mois.
« C’est précisément parce que nous soignons tout le monde que nous sommes accusés. »
Ces situations illustrent les attaques que subit MSF du fait de la nature même de sa mission et de son activité : dialoguer avec les porteurs d’armes, et soigner tous les blessés qui se présentent à ses équipes, sans aucune distinction. Dans le contexte des guerres totales menées par certains États, ce positionnement est au mieux incompris, au pire perçu comme hostile. Cependant, répondre à ces accusations en faisant valoir publiquement notre principe d’impartialité se révélerait contre-productif : c’est précisément parce que nous soignons tout le monde que nous sommes accusés. Les stratégies visant à contrer ces campagnes peuvent, en revanche, faire valoir que MSF soigne également des non-combattants – par exemple, des femmes et des enfants – afin d’écarter les soupçons d’affiliation à un mouvement armé en particulier.
Enfin, la troisième catégorie – celle des critiques publiques de nos actions – regroupe les attaques, justifiées et légitimes, qui portent sur des manquements en matière d’éthique, de protection, ou encore de bonne gestion. Les scandales liés à des abus sexuels sur les terrains humanitaires, y compris à MSF, ne peuvent et ne doivent pas être gérés comme des attaques réputationnelles malveillantes : il s’agit au contraire d’une activité saine d’examen de nos organisations, à laquelle il faut répondre avec humilité et transparence.
En République démocratique du Congo (RDC), une enquête menée par Reuters et The New Humanitarian[8]Robert Flummerfelt et Nellie Peyton, « Exclusif – Plus de 50 femmes accusent des travailleurs humanitaires d’abus sexuels lors de l’épidémie d’Ebola en RDC », The New Humanitarian et … Continue reading avait mis en lumière un grand nombre d’abus commis par le personnel d’agences onusiennes et d’ONG – dont MSF – pendant la réponse à l’épidémie d’Ebola dans l’est du pays entre 2018 et 2020. MSF a alors fait le choix de démarrer une revue interne des pratiques et procédures de l’organisation en matière d’abus en RDC ainsi qu’une enquête interne sur les cas évoqués par l’enquête journalistique. Les rapports présentant les conclusions ont donc été publiés à la fois en RDC[9]Actualité.cd, Des efforts proactifs pour lutter contre les comportements abusifs (MSF), 6 juillet 2022, … Continue reading et sur les sites de l’organisation[10]Médecins Sans Frontières, République Démocratique du Congo : des efforts proactifs pour lutter contre les comportements abusifs, 7 juillet 2022, … Continue reading.
Ces trois catégories ne sont pas étanches, mais elles permettent de guider la réflexion et la réponse aux différents types de menaces et d’attaques qui nous visent. Elles permettent surtout de bien identifier les espaces et les discussions dans lesquelles il est possible de trouver des audiences réceptives à nos messages. À qui parle-t-on lorsqu’on se défend de ces différentes accusations ? Et quel effet réaliste peut-on en espérer ? Il n’y a pas de réponse simple à ces questions. Mais, de façon générale, deux constats s’imposent. D’une part, il est nécessaire de parler d’abord et surtout à nos soutiens, en les informant sur les raisons de nos choix et de nos partis pris, en défendant nos démarches sans craindre d’être clivants, et en assumant que l’on puisse déplaire à certains. D’autre part, il nous faut privilégier des approches pédagogiques et informatives vis-à-vis des audiences qui ne nous soutiennent habituellement pas, en faisant confiance aux opinions qui restent à l’écoute et sont prêtes à croire en notre bonne foi.
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