Publié le 2 mai 2016
Marc Poncin, coordinateur MSF de l’urgence Ebola en Guinée d’avril à décembre 2014, actuellement chercheur à l’Unité de Recherche sur les Enjeux et Pratiques Humanitaires (UREPH), Centre Opérationnel MSF de Genève, a souhaité réagir à l’article du Dr. Aboubacar Sidiki Diakité « Ebola en Guinée : un révélateur des forces et faiblesses » paru dans notre numéro inaugural.
J’ai été surpris des interprétations concernant le rôle de MSF dans la riposte à Ebola. Certes le Dr Diakité reconnait dans son article que l’engagement de MSF « a été décisif et salutaire, notamment par l’ouverture des premiers centres de traitement et la prise en charge des malades. » Mais cette explication vient après un certain nombre de critiques, voire de contre-vérités dans le paragraphe où il est fait mention de la collaboration avec les partenaires internationaux :
« Dans le même temps, certains partenaires se sont montrés réticents à collaborer entre eux dans le seul but de décrocher le leadership de la riposte et ainsi étendre leur influence sur le plan international. La question de l’intégration du laboratoire mobile d’analyses de biologie médicale de la Fédération de Russie dans l’arsenal de riposte est exemplaire : Médecins Sans Frontières (MSF) a exigé pour cela le quitus de l’OMS alors que les premiers laboratoires opérant sur le terrain n’avaient pas été soumis à une telle procédure. De telles frictions renvoient aussi aux difficultés du gouvernement guinéen à imposer son leadership. Il en va de même du retard enregistré dans l’ouverture de centres de traitement (Macenta, Coyah et Forécariah), MSF n’ayant pas trouvé pertinent, au regard de ses moyens, d’y procéder, malgré les risques que constituait la flambée de l’épidémie au Liberia et en Sierra Leone. À cet égard, le Comité national de crise sanitaire a eu toutes les difficultés à contrôler les déclarations d’ONG à l’international, notamment celles de MSF, qui pouvaient compliquer la tâche des gouvernants et n’étaient pas de nature à rassurer les investisseurs en Guinée : qu’il suffise de se souvenir du désarroi provoqué au sein des compagnies minières et aériennes ! » (p. 60)
Il est tendancieux de dire que nous ayons exigé un processus spécifique pour le laboratoire russe. Ce qui est vrai, c’est que MSF a annoncé son intention de collaborer avec ce laboratoire quand cela serait nécessaire (lors de son arrivée dans le pays, les deux Centres de Traitement Ebola fonctionnels étaient déjà associés à des laboratoires) à condition que l’OMS le valide selon la procédure en place à leur niveau. Cela n’avait pas été nécessaire pour les deux autres laboratoires, celui de Pasteur-Dakar et le laboratoire mobile de l’UE, puisque ceux-ci avaient été déployés sous couvert de l’OMS et donc déjà validés. Sans compter que ce laboratoire intervenait pour la première fois sur une épidémie d’Ebola, et qu’il est donc normal qu’il suive la procédure habituelle de validation de l’OMS afin que les partenaires s’assurent de sa fiabilité.
En ce qui concerne le Centre de traitement de Macenta, il s’agit là d’une mauvaise information de la part du Dr Diakité, car MSF a ouvert ce centre de traitement en août 2014. Son démarrage a nécessité un temps d’évaluation car au même moment la situation épidémique était en pleine explosion dans les trois pays de la sous-région, notamment à Monrovia où MSF a progressivement déployé le plus gros CTE jamais construit (250 lits). Il n’était pas évident que MSF ait la capacité d’ouvrir un troisième centre en Guinée en plus de ceux au Liberia et en Sierra-Leone. C’est probablement ce temps de quelques jours de réflexion qui a induit le Dr Diakité en erreur. Macenta a été emblématique à plusieurs points de vue en Guinée :
- il a été le premier « centre de transit » mis en place dans la sous-région, référant ces patients confirmés à un CTE de référence (celui de Gueckedou), un modèle d’organisation sanitaire qui a été multiplié par la suite avec l’augmentation et la dispersion des cas dans les trois pays ;
- il a ensuite été transformé en CTE, géré par la Croix-Rouge française (CRF) avec l’appui du laboratoire de Pasteur-Paris suite à un processus de collaboration entre le ministère de la Santé guinéen, le gouvernement français, MSF, la CRF[1]« Ebola : à Macenta, un centre « quatre étoiles » contre l’épidémie », Radio France International, 15 novembre … Continue reading. Dans ce cadre collaboratif et pour permettre la mise à l’échelle de la prise en charge médicale, MSF a construit un CTE nouvelle génération afin de le remettre clefs-en-main à la CRF, dont le personnel international et national avait été préalablement formé par MSF. Cela a permis la prise en charge du premier malade Ebola dans un CTE géré par une autre organisation que MSF à la mi-novembre 2014, soit près de huit mois après la déclaration de l’épidémie, une tardive mais néanmoins significative amélioration de la riposte.
Quant à déclarer que « certains partenaires se sont montrés réticents à collaborer entre eux dans le seul but de décrocher le leadership de la riposte et ainsi étendre leur influence sur le plan international », mais aussi de faire des déclarations intempestives qui pouvaient être de nature à effrayer les investisseurs, le Dr Diakité nous fait un bien mauvais procès, car c’est bien MSF qui est visé à demi-mots dans ces affirmations. MSF, qui travaille en Guinée depuis de nombreuses années, a toujours respecté le leadership du ministère de la Santé, notre partenaire institutionnel. C’est pour des raisons pragmatiques et pour faire face au manque d’expérience et de capacités de la part des Nations unies et de la partie guinéenne dans la réponse à Ebola, dans les premiers mois de l’épidémie, que MSF s’est engagé auprès du ministère de la Santé dans un rôle qui ne lui est habituellement pas dévolu, celui de référent technique et d’expert au niveau national, en plus de ses activités médicales de terrain.
Le rôle crucial de MSF au niveau de la compréhension de l’épidémie, de la mobilisation de la communauté internationale, et de la mise en œuvre des stratégies de contrôle, a depuis été reconnu par de nombreux panels d’experts indépendants, tout comme l’échec technique et politique de l’OMS dans les premiers mois[2]Dubois M., Wake C., Sturridge S., Bennett C., The Ebola response in West Africa: exposing the politics and culture of international aid, Working and Discussion Paper, ODI, october … Continue reading. Il est vrai cependant que les relations entre MSF et les autorités guinéennes n’ont pas été sans difficultés dans les premières semaines, quand celles-ci, avec l’approbation implicite de l’OMS, cherchaient à minimiser la gravité de la situation pour des raisons politiques, alors que MSF tirait la sonnette d’alarme à plusieurs reprises[3]Dubois M., Wake C., Sturridge S., Bennett C., The Ebola response…, op. cit. ; ICG, The politics behind the Ebola crisis, Africa Report n° 232, 28 October … Continue reading. Mais les autorités guinéennes, au premier rang desquelles le président de la République, ont ensuite reconnu puis sollicité régulièrement notre appui technique. MSF a par exemple joué un rôle de premier plan dans la mise en place de la nouvelle Cellule de Coordination Nationale, en août-septembre 2014, afin de donner plus d’efficacité et de leadership à la partie nationale.
MSF s’est également engagé, dès le mois d’août 2014, dans un exceptionnel volet de formation d’autres intervenants nationaux et internationaux afin de faciliter leur déploiement et leur intervention en Guinée. J’ai déjà mentionné notre relation pragmatique et fructueuse avec le gouvernement français et la Croix-Rouge française, mais MSF a également signé des accords de collaboration avec Alima et la Croix-Rouge guinéenne pour la formation de leurs équipes. MSF a également mis à disposition du PAM les plans de masse des CTE afin que celui-ci puisse entreprendre des constructions.
Sans vouloir faire l’impasse sur nos propres faiblesses opérationnelles (l’article du Dr. Bradol est d’ailleurs là pour attester de certaines remises en question au sein de MSF), il est clair que MSF a joué un rôle de premier plan dans de nombreux aspects de la prise en charge médicale et du contrôle de l’épidémie en Guinée.