En accueillant 1 500 000 réfugiés syriens, le Liban assume sa part de responsabilité, bien au-delà sans doute de ses capacités. En expliquant les impacts de ce conflit sur le « pays du cèdre », Kamel Mohanna nous permet également de découvrir l’action de Amel, l’association qu’il a fondée il y a 38 ans.
Le conflit syrien s’éternise, meurtrit et tue, depuis six ans. Avec ses millions de réfugiés et de déplacés, ses morts, la crise est sans précédent. Cette guerre apporte son lot de souffrances, tant pour la Syrie que pour les pays limitrophes, qui accueillent des réfugiés, fuyant le conflit et recherchant une protection. Alors même que les négociations, les sommets internationaux et les lancements de plans stratégiques et opérationnels[1]Voir Gouvernement du Liban et Nations unies, « Lebanon Crisis Response Plan 2017-2020 », http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/2017_2020_LCRP_ENG-1.pdf se poursuivent, la situation ne connaît pas d’améliorations notables et durables. En effet, malgré certaines évolutions sur le terrain, notamment à Alep, la donne demeure la même, sur le plan humanitaire, pour les pays entourant la Syrie, et particulièrement pour le Liban.
Depuis 2011, les impacts du conflit syrien sont dévastateurs et les vulnérabilités augmentent, tant chez les réfugiés syriens que chez les populations hôtes (1 500 000 Libanais sont considérés comme vulnérables, en raison de la crise syrienne[2]Idem.). Par ailleurs, les fonds ne suffisent pas à mettre en place les services de base et la stabilité du pays est sans cesse menacée par cette réalité : le Liban est le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés (1 500 000 réfugiés syriens et plus de 300 000 réfugiés palestiniens du Liban et de Syrie) per capita (la population libanaise est d’environ 4 000 000 d’habitants).
Dans ce contexte difficile, les volontaires de l’ONG libanaise Amel Association International (Amel)[3]www.amel.org s’engagent avec les populations affectées par les crises. Ce sont ces équipes qui portent l’espoir d’une action renouvelée, solidaire et engagée. Pourtant, lorsqu’on demande à une volontaire d’Amel « Quel est le plus grand défi auquel vous, les réfugiés syriens, et le Liban, êtes confrontés ? », cette dernière est lucide en mentionnant qu’en l’« absence de perspectives pour un futur commun la solidarité, de notre implication afin que toutes les populations puissent vivre, cohabiter, sans discrimination ».
En s’investissant sans relâche, sur le terrain, la société civile libanaise démontre qu’elle s’engage pour la dignité humaine. Il est donc possible d’espérer et ce, même s’il faut appréhender avec lucidité le contexte, admettre que les changements viendront essentiellement du local, tant que l’international et le politique seront paralysés. Ainsi, Amel entend constituer un modèle d’action humanitaire, citoyenne et engagée, avec les personnes affectées par le conflit syrien.
Les actions locales, une réponse solidaire aux impacts de la crise syrienne au Liban
Les secteurs dans lesquels les sociétés civiles opèrent sont en crise, à l’image des conditions de vie des personnes affectées par le conflit syrien, qui ne cessent de se détériorer. Ainsi, 52 % des familles syriennes au Liban, 10 % des Libanais et 6 % des réfugiés palestiniens de Syrie[4]UNHCR, Vulnerability Assessment of Syrian Refugees in Lebanon (VASyR), 2016 et “LebanonCrisis Response Plan…”, op. cit. présents sur le territoire libanais vivent dans une situation d’extrême pauvreté[5]Moins de 2,50 dollars américains par jour.. Les besoins essentiels non-couverts des millions de personnes affectées par la crise, en Syrie et dans les pays limitrophes[6]À titre d’illustration, (seulement) la moitié du « Lebanon Crisis Response Plan » a été financée en 2016., rendent cette situation catastrophique et explosive.
C’est dans ce cadre que les pratiques innovantes et justes des sociétés civiles locales[7]Pour d’autres exemples de ces innovations libanaises, se reporter aux publications relatives à la « glocalisation des interventions humanitaires au Liban », disponibles en ligne: … Continue reading doivent être soulignées, et notamment celles d’Amel. Cette ONG non-confessionnelle, créée en 1979, remet en effet l’humain au cœur de l’humanitaire, en impliquant les populations marginalisées dans le processus décisionnel, en supportant des partenariats équitables avec les ONG locales et internationales et en destinant l’essentiel de ses financements aux activités de terrain, se centrant sur l’efficacité et non pas uniquement sur la technicité ou la visibilité. Dans cet esprit, Amel met en œuvre, depuis avril 2012, un plan de réponse à la crise syrienne. À travers ses 24 centres médico-sociaux et ses 6 cliniques mobiles, l’organisation et son équipe de 800 travailleurs et volontaires ont apporté plus de 1 600 000 services aux populations affectées par la crise syrienne dans les secteurs de la santé, de la formation professionnelle, de l’éducation et de la protection.
En effet, l’un des secteurs les plus touchés par la crise syrienne est celui de l’éducation, avec 200 000 réfugiés syriens qui ne sont pas scolarisés au Liban, soit la moitié des enfants enregistrés par le HCR dans le pays[8]“Lebanon Crisis Response Plan…”, op. cit.. Frais à couvrir pour le transport vers les écoles, difficultés à se familiariser avec le curriculum libanais et travail des enfants figurent parmi les contraintes restreignant l’accès à l’éducation au Liban. Amel est convaincue qu’il faut agir et que l’émergence d’une « génération perdue », du fait du conflit syrien, n’est pas une fatalité. C’est dans ce cadre qu’Amel met en place des initiatives d’éducation non-formelle (soutien scolaire et apprentissage accéléré) et de formation professionnelle. Depuis le début de la crise, plus de 52 000 enfants ont pu participer à des activités éducatives et plus de 50 000 jeunes et femmes ont suivi des sessions de formation professionnelle (maintenance informatique, cuisine, coiffure et maquillage, etc.), dans les centres d’Amel.
En matière de santé, ce sont 16 % des réfugiés syriens qui, en 2016, n’ont pas pu accéder aux soins de santé primaire, en raison de l’absence de structures ou de l’insuffisance de leurs revenus[9]Ibid.. L’impact de la crise syrienne sur le système libanais est par ailleurs considérable. Selon la Banque mondiale, 177 millions de dollars sont nécessaires afin que la qualité des soins soit du même niveau que celui constaté avant le conflit[10]Banque mondiale, “Lebanon: Economic and Social Impact Assessment of the Syrian conflict”, 2013.. Afin de répondre à ces défis, les unités médicales mobiles et centres d’Amel apportent des soins, préventifs et curatifs, de santé primaire. Depuis le début de la crise, plus de 750 000 « services » ont été effectués par Amel.
La solidarité internationale, un devoir pour la dignité et l’humanité de toutes les populations affectées par la crise
En dépit de ce travail de terrain, avec les populations les plus vulnérables, force est de constater que les perspectives, afin de trouver une solution politique à la crise syrienne, sont limitées. De plus, la fermeture des frontières, le repli sur soi et le manque de solidarité constatés, particulièrement en Europe, sont inquiétants. Au-delà des initiatives locales, une « responsabilité partagée » doit être assumée par la communauté internationale : s’assurer que toutes les populations affectées par la crise syrienne puissent vivre dignement. Il est impératif que la solidarité, tant locale qu’internationale, guide nos actions. C’est en ce sens qu’Amel propose, notamment à la communauté internationale, les recommandations et principes suivants, afin d’aider le Liban, qui aide la Syrie :
- œuvrer à une solution politique pour mettre fin au conflit syrien et engager l’ensemble de la communauté internationale dans ce processus ;
- baser l’action humanitaire sur la solidarité et éviter de mettre en place des opérations seulement techniques ou commerciales ;
- accepter la réinstallation d’au moins 10 % des réfugiés syriens vers des pays tiers (autres que les pays voisins de la Syrie ;
- coopérer afin de s’assurer que l’action humanitaire soit basée sur des relations justes et égales car « nous sommes un seul monde, avec un seul futur » ;
- développer des partenariats justes pour un monde plus humain entre les sociétés civiles du Sud et du Nord afin d’éviter la mise en place de doubles standards entre le Sud et le Nord, et de promouvoir une action humanitaire juste, s’engageant contre le néocolonialisme ;
- augmenter les investissements dans les secteurs clés de la réponse à la crise syrienne, afin de créer des opportunités génératrices de revenus, particulièrement pour les femmes et les jeunes ;
- reconnaître les besoins des communautés hôtes et y répondre afin d’atténuer les impacts socio-économiques dramatiques de la crise ;
- inclure dans la réponse à la crise syrienne des programmes de développement durable et un financement à long terme ;
- s’engager pour les causes justes des peuples, au premier rang desquelles la cause du peuple palestinien.
ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-176-3