Utilisation des outils numériques à grande échelle : leçons d’un programme en santé mené au Burkina Faso

Enric Jané 
Enric Jané Conseiller technique auprès de l’organisation Terre des hommes. Enric propose, en tant que consultant indépendant, des conseils techniques et stratégiques pour les programmes de santé mobile (mHealth). Au cours des quatorze dernières années, il a développé des projets en santé aux États-Unis, en Europe et en Afrique subsaharienne. Plus récemment, il a travaillé pour la Fondation Bill et Melinda Gates en qualité de chef de projet dans le domaine des soins de santé primaires. Enric est titulaire d’un doctorat (MD-PhD) en physique délivré par l’université de Barcelone, ainsi que d’un Master (MSc) en génie biomédical délivré par l’Université Columbia.
Guillaume Foutry 
Guillaume Foutry Coordinateur régional du projet IeDA pour Terre des hommes. Guillaume s’appuie sur plus de dix ans d’expérience en matière de gestion de projet informatique dans sept pays, en Europe, aux États-Unis et en Afrique, où il a travaillé aussi bien pour des organisations gouvernementales que non gouvernementales. Depuis  2016, il dirige au Burkina Faso l’un des plus grands projets en santé mobile (mHealth) de toute l’Afrique de l’Ouest, à savoir IeDA. Guillaume est titulaire d’un diplôme de master en commerce européen délivré par l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP), ainsi que d’un diplôme de licence en sciences politiques et en droit délivré par l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence.
Simon Sanou  
Simon Sanou  Médecin et spécialiste en e-Santé au ministère de la Santé du Burkina Faso. Simon est coordonnateur médical pour le Burkina du Réseau en Afrique francophone pour la télémédecine (RAFT) après avoir été directeur des services informatiques et de la télésanté du département de la santé. Il a contribué à la conception et à la mise en œuvre des projets de santé mobile et d’autres projets en santé numérique, ainsi qu’à l’élaboration de documents de politique et de stratégie en informatique de santé.

Le premier article de ce Focus est un retour d’expérience à partir d’un projet en santé numérique mené par Terre des hommes depuis près de huit ans. Une telle durée permet notamment aux auteurs d’avancer qu’un tel projet doit être conçu, dès le départ, à grande échelle et en coopération avec le gouvernement, qu’il doit suivre une approche itérative pour intégrer en permanence les retours des utilisateurs et qu’il doit surmonter les résistances au changement.

Les technologies numériques constituent aujourd’hui la meilleure opportunité de transformer les soins de santé primaires dans les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFM). Ces dernières années, nous avons observé une augmentation massive de la diffusion des technologies numériques, et ce même dans les régions les plus pauvres du monde. Le nombre d’abonnements de téléphonie mobile en Afrique subsaharienne est passé de 18 % en  2006 à 74 % en 2016. Dans cette région, l’utilisation de l’Internet a été multipliée par 20 pendant la même période : aujourd’hui, plus de 20 % de la population est connectée[1]Union internationale des télécommunications, https://www.itu.int.

La grande diffusion des appareils numériques a entraîné une forte augmentation du nombre de projets en santé qui s’appuient sur les technologies de l’information et de la communication  (TIC). Selon une étude récente, près de 150  projets menés dans les PRFM utilisent les outils numériques mobiles pour faciliter le travail des agents de santé qui interviennent en première ligne sur le terrain (en anglais : frontline health workers, FHW)[2]Smisha Agarwal et al., Mobile technology in support of frontline health workers. A comprehensive overview of the landscape knowledge gaps and future directions, Johns Hopkins University Global … Continue reading. La plupart des projets ont été axés sur la collecte de données, la formation et l’aide à la décision, tandis que d’autres projets se sont focalisés sur d’autres fonctions, telles que la communication entre les prestataires, les dossiers médicaux électroniques, la communication pour le changement de comportement, et la gestion de la chaîne d’approvisionnement. Des travaux de recherche ont démontré la faisabilité et l’impact positif de ces interventions en santé numérique, principalement en ce qui concerne la couverture et la rapidité des interventions et, dans une moindre mesure, une meilleure prise de décision par les prestataires et de meilleurs résultats en matière de santé[3]Smisha Agarwal et al., “Evidence on feasibility and effective use of mHealth strategies by frontline health workers in developing countries: systematic review”, Tropical Medicine & … Continue reading.

Un fort potentiel sous-exploité

Cependant, malgré les ressources et les efforts consacrés à la santé numérique dans les PRFM, seule une fraction des projets a réussi à se développer à grande échelle. La faible modularité, la fragmentation des bailleurs de fonds et des intervenants, l’absence d’interopérabilité entre les systèmes numériques, ainsi que les modèles commerciaux non viables, sont quelques-uns des facteurs qui minent le potentiel de la santé numérique dans les PRFM[4]Mike Meloan et Pablo Iacopino, Scaling digital health in developing markets, Opportunities and recommendations for mobile operators and other stakeholders, GSMA Intelligence, juin 2017, … Continue reading. L’étude précédemment citée de Agarwal et al. (note 3) n’a identifié que 11  projets répertoriant plus de 1 000  utilisateurs (sans compter les quelque 150  projets déjà mis en place). De même, les preuves de l’impact positif proviennent principalement de projets de petite envergure, qui abordent un nombre limité de questions de santé. Enfin, dans beaucoup de pays, l’écosystème numérique (capacités et responsables institutionnels, infrastructures, politiques, stratégie en matière de santé numérique, prestataires de services locaux, etc.) n’est pas encore suffisamment solide pour soutenir la transformation numérique du système de santé.

De nos jours, beaucoup d’organisations s’aventurant dans le domaine de la santé numérique rencontrent d’énormes difficultés lorsqu’il s’agit de développer leurs interventions à plus grande échelle après la phase pilote. Cela montre qu’il est nécessaire de bâtir des systèmes de santé numérique à grande échelle dès le départ, conformément aux principes de base[5]https://digitalprinciples.org/principles, dans le but de maximiser les chances de développer l’intervention à grande échelle au niveau national.

Terre des hommes (TDH) a commencé à utiliser les outils des TIC au Burkina Faso en  2010 afin d’améliorer la prestation des soins de santé primaires (SSP). Ces dernières années, l’organisation a travaillé avec le gouvernement et les acteurs clés dans l’objectif de mettre en place une intervention modulable qui contribue à l’écosystème de la santé numérique au Burkina Faso. Ce processus – allant de la conception de l’outil et de sa phase pilote jusqu’à son développement à plus grande échelle sur environ un tiers du pays – a permis à  TDH, au ministère de la Santé et aux autres parties prenantes de tirer d’importantes leçons. Dans les développements qui suivent, nous proposons une description de l’intervention, ainsi qu’une réflexion concernant quelques-unes des leçons les plus importantes que nous avons apprises en cours de route.

Contexte du projet «IeDA»

L’adhésion aux directives cliniques améliore la qualité des soins et favorise la baisse de la morbidité et de la mortalité. En ce qui concerne la prise en charge intégrée des maladies de l’enfant (PCIME)[6]Siri Lange et al., “Why don’t clinicians adhere more consistently to guidelines for the Integrated Management of Childhood Illness (IMCI)?”, Social Science & Medicine, vol. 104, mars … Continue reading, développée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et adoptée par la plupart des pays en développement[7]World Health Organization, Integrated Management of Childhood Illness. Global survey report, WHO, Genève, 2017., seul un faible pourcentage des agents de santé (FHW) suit les protocoles cliniques[8]Tarun Gera et al., “Integrated Management of Childhood Illness (IMCI) Strategy for children under five: effects on death, service utilisation and illness”, Cochrane Database of Systematic … Continue reading. L’approche intégrée de diagnostic électronique (Integrated electronic Diagnostic Approach, IeDA)[9]http://ieda-project.org Parmi les partenaires opérationnels, on peut citer le ministère de la Santé, Dimagi, Inc. et University Research Co. L’évaluation est réalisée par la London School of … Continue reading a été développée par TDH en partenariat avec le ministère de la Santé, afin de résoudre ce problème en assistant les agents de santé pendant leurs consultations auprès des enfants âgés de moins de cinq ans.

L’outil numérique est réalisé à partir de la plate-forme CommCare de Dimagi[10]Plate-forme CommCare, développée par Dimagi, Inc. : www.dimagi.com. L’utilisation d’une plate-forme numérique déjà en place nous a permis de nous concentrer sur la conception de l’outil numérique plutôt que sur la plate-forme en elle-même, ainsi que de respecter la réglementation concernant la collecte, le transfert et le stockage de données relatives à la santé des personnes. En ce qui concerne la diffusion des dispositifs mobiles, la situation au Burkina Faso est semblable à celle des autres pays de la région (estimée à 78 % en  2015) tandis que la couverture réseau était évaluée à 85 % en  2012.

Le projet IeDA propose aux agents de santé un outil de travail numérique pour la PCIME. À l’aide d’une tablette électronique, les agents de santé saisissent les informations demandées dans la version numérique du protocole clinique et obtiennent, à la fin du processus, le traitement recommandé ainsi que des conseils adaptés aux signes et aux symptômes de l’enfant. Les données de la consultation sont synchronisées avec le serveur grâce au réseau mobile, et des comptes-rendus individualisés sont produits en appui aux activités de contrôle menées par les équipes soignantes de chaque zone. Un ensemble d’indicateurs est envoyé automatiquement au système d’informations du gouvernement concernant la santé (DHIS2 au Burkina Faso) pour assurer un suivi au niveau national. Une plate-forme d’apprentissage en ligne, dont l’objectif est de proposer aux agents de santé des formations ciblées, a été récemment ajoutée à l’ensemble des outils numériques. Elle se trouve actuellement en phase de test dans quelques services SSP.

Aujourd’hui, l’intervention couvre 620  services SSP en milieu rural, ce qui représente presque le tiers du pays. À ce jour, plus de 3 600  agents de santé ont utilisé cet outil pour offrir près de 2  millions de consultations à des enfants âgés de moins de cinq ans. Les agents de santé ont recours à cet outil pour près de 8 consultations sur 10. La London School of Hygiene and Tropical Medicine (École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres) réalise actuellement une étude d’impact pour comprendre l’effet de l’intervention sur la performance des agents de santé, le contexte et les mécanismes qui permettent à l’intervention d’avoir un impact, ainsi que son coût[11]Karl Blanchet et al., “A mixed methods protocol to evaluate the effect and cost-effectiveness of an Integrated electronic Diagnosis Approach (IeDA) for the management of childhood illnesses at … Continue reading.

Coopérer avec le gouvernement dès le départ

Notre hypothèse était que cet outil serait finalement adopté par le gouvernement et mis en place à l’échelle nationale sous la houlette du ministère de la Santé. Cela a influencé la manière dont l’intervention a été conçue, ainsi que le modèle de coopération avec ce dernier. Depuis les phases initiales de conceptualisation et de conception, TDH a travaillé en partenariat avec le ministère de la Santé, et notamment avec le médecin-hygiéniste en chef (Chief Medical Officer, CMO) de la première zone où l’outil a été testé. Le CMO a apporté une contribution et un encadrement significatifs, qui ont façonné la conception de l’outil. Quelques années plus tard, ce même CMO a intégré le ministère de la Santé à un échelon central, où il est devenu l’un des plus importants conseillers et défenseurs du développement du projet IeDA à grande échelle.

Le fait de concevoir ce projet en ayant à l’esprit son adoption par le gouvernement a influencé les choix qui ont été faits quant à certains aspects de l’outil. L’exemple le plus significatif est l’algorithme utilisé pour guider les agents de santé pendant les consultations cliniques. Le projet a utilisé le protocole papier de la PCIME – qui est la politique nationale du Burkina Faso – comme source de développement pour l’outil de travail numérique. Cela a permis au projet IeDA d’être adopté rapidement par le gouvernement et développé à grande échelle dans un laps de temps court. Nous n’avons pas considéré d’autres algorithmes tirant parti des capacités des outils numériques pour améliorer l’expérience des utilisateurs, gérer des algorithmes complexes et intégrer des diagnostics sur le lieu d’intervention[12]Voir, par exemple, ALMANACH : Amani Flexson Shao et al., “New algorithm for managing childhood illness using mobile technology (ALMANACH): a controlled non-inferiority study on clinical outcome … Continue reading. Ces innovations pourraient être testées via la plate-forme IeDA, puis adoptées à grande échelle si le ministère de la Santé y consentait.

Enfin, le transfert de l’innovation au gouvernement est un processus complexe qui demande du temps. Il est capital de comprendre comment l’innovation s’adapte à la stratégie nationale en matière de santé numérique, aux capacités et aux ressources financières nationales (pour l’hébergement des données, la gestion des logiciels, les prochains déploiements, etc.) et la planification visant à garantir une transition fluide vers une intendance et une gestion assurées par le gouvernement. D’autres options, telles que la délégation à des parties tierces, peuvent également faire partie de la solution, notamment si ce modèle est déjà utilisé à l’heure actuelle pour d’autres fonctions du système de santé.

Utiliser une approche itérative

Les approches itératives sont particulièrement importantes lorsqu’il s’agit de développer des outils numériques. Il est vraiment difficile d’y parvenir correctement avant le lancement. Par conséquent, une fois déployé, le produit doit être continuellement adapté en fonction des commentaires des utilisateurs et d’autres sources de données concernant la performance. L’équipe a travaillé avec Dimagi, un partenaire expert en développement de logiciels qui utilise une méthodologie reposant sur des essais intensifs, les commentaires des utilisateurs, et des cycles de développement rapides. Après le déploiement de la première version, la feuille de route pour le développement a impliqué la sortie de cinq versions au cours des deux ans qui ont suivi le lancement du projet IeDA.

La maniabilité, par exemple, est une dimension pour laquelle cette approche est capitale. Les agents de santé ne sont pas incités à utiliser IeDA. Son adoption s’appuie donc sur le fait que les utilisateurs doivent trouver l’outil utile et pratique dans leur travail quotidien. L’équipe a travaillé avec les utilisateurs selon un mode itératif, en incorporant leurs commentaires au processus de développement du projet IeDA. Aujourd’hui, le pourcentage d’adoption par les agents de santé atteint presque 80 %. Cette approche représente un changement de paradigme pour beaucoup d’organisations qui travaillent dans le domaine de la santé numérique pour la première fois.

Tirer le meilleur parti des données

Les outils numériques génèrent de grandes quantités de données. Nous passons d’une situation où celles-ci sont rares (dans le cadre des projets traditionnels) à une autre caractérisée par les outils numériques, dans laquelle les organisations doivent extraire des informations utiles à partir de vastes ensembles de données. Dans le cadre de projets en santé numérique, l’exploitation des informations est souvent envisagée dans un deuxième temps, notamment pour les projets qui cherchent à fournir un appui aux agents de santé. Au début, les organisations se préoccupent uniquement de faire fonctionner l’intervention, avant de la développer à grande échelle. Il se peut qu’elles se rendent compte par la suite qu’elles sont assises sur une mine de données sous-utilisée.

Dans le cas qui nous intéresse, chacune des quelque 2 millions de consultations génère plus de 100  champs de données. Par conséquent, que faudrait-il faire avec celles-ci ? Souvent insufflé par l’ensemble des parties prenantes, l’élan suscité permet de créer des tableaux de bord chargés qui montrent les données de toutes les manières possibles. Nous nous rendons compte rapidement que, dans beaucoup de cas, les données ne sont pas utilisées de manière efficace par les gestionnaires et les agents de santé, et que les visualisations de données ne répondent pas aux véritables besoins des utilisateurs.

Comprendre les incitations et les responsabilités des gestionnaires, et discuter avec eux des informations qui peuvent accompagner leurs processus de prise de décision est une étape capitale de la conception d’une stratégie visant à améliorer l’utilisation des données. Une fois que l’outil initial est conçu, une phase de test itératif et de collecte des commentaires des utilisateurs permet de garantir que l’analyse des données accompagne la prise de décision. Il se peut que le processus révèle que «  le moins est le mieux  », et que de simples indicateurs liés à des processus décisionnels spécifiques s’avèrent plus efficaces que des tableaux de bord complexes et chargés. C’est un domaine dans lequel nous pouvons aller encore plus loin.

La propriété des données, la confidentialité, l’hébergement et l’interopérabilité avec la plate-forme d’informations médicales du pays sont des questions importantes qui doivent être définies dès le début du projet. Il est essentiel d’utiliser une plate-forme logicielle qui satisfait aux normes supérieures en matière de collecte, transfert, stockage et usage des données médicales individuelles et agrégées. Dans notre cas, la plate-forme choisie satisfait déjà à ces normes.

Acceptabilité pour les utilisateurs et le personnel soignant

Les applications de santé numérique peuvent provoquer une perturbation majeure vis-à-vis de la manière dont le travail est organisé et de la culture de l’organisation. Un nouvel outil des TIC exigera peut-être une réorganisation des services SSP ou des flux de patients, et facilitera sûrement l’évaluation de la structure SSP et de la performance des agents de santé. Cela peut susciter une résistance au changement parmi les agents de santé et les gestionnaires, et ce d’autant plus s’ils n’ont pas l’habitude des systèmes numériques.

Par exemple, pendant la phase initiale de déploiement du projet IeDA il y a trois ans, s’est formé un mouvement d’opinion contre l’intervention parmi les agents de santé. Ils ont alors déclaré qu’elle provoquait une augmentation de la charge de travail, sans apporter aucun avantage significatif (ce qui a également été observé pour d’autres projets en santé numérique[13]Vincent Duclos et al., “Situating mobile health: a qualitative study of mHealth expectations in the rural health district of Nouna, Burkina Faso”, Health research policy and systems, vol. 15, … Continue reading). L’absence d’incitation financière a probablement nourri cette perception chez les agents de santé. Ces opinions ont été prises en compte en améliorant la qualité et en organisant des sessions de coaching. Celles-ci ont permis de donner des conseils relatifs à la meilleure manière d’utiliser l’outil numérique, de discuter des enjeux et de collecter les commentaires des agents de santé, ainsi que d’évaluer la performance des agents de santé lorsqu’ils utilisent l’outil de travail numérique. Les employés de terrain qui conduisent ces sessions sont d’anciens agents de santé, ce qui a renforcé leur relation avec le personnel de la structure. Ces employés de terrain travaillent également avec les principaux CMO dans le but de garantir l’adhésion des institutions.

D’autres interventions ont permis de faciliter l’adoption de l’outil, comme le fait de fournir aux agents de santé, au moyen d’une tablette, des données concernant la performance ainsi que des statistiques décisives au sujet des consultations réalisées dans chaque structure SSP. Étant donné le temps que les agents de santé consacrent aux comptes-rendus[14]Hibret Tilahun et al., “Ethiopia’s health extension workers use of work time on duty: time and motion study”, Health Policy Plan, vol. 32, n° 3, 2017, p. 320-328 ; Kassimu Tani et al., … Continue reading, la disponibilité des données agrégées crée également une incitation à enregistrer toutes les consultations au sein du projet IeDA.

Aujourd’hui, l’outil est largement accepté par les agents de santé. Certains ont commencé à exprimer le besoin d’étendre le projet IeDA à d’autres domaines, comme l’immunisation ou la malnutrition. Dans d’autres cas, les agents de santé (et notamment les plus jeunes) expriment leur souhait de ne pas revenir vers le protocole papier de la PCIME. Au niveau des zones, on a recensé un cas dans lequel un CMO – originaire d’un secteur situé en dehors de la zone d’intervention – a demandé à mettre en œuvre le projet IeDA en utilisant les ressources de la zone.

TDH a également mené des activités de sensibilisation au niveau des communautés, avec la participation de représentants officiels élus et de chefs coutumiers. Les entretiens et les groupes de discussion menés avec le personnel soignant, dans le contexte de cette évaluation réaliste en cours de réalisation, ont été très bien acceptés par la population. Les citations tirées de ces conversations soulignent la perception selon laquelle le projet IeDA améliore l’aptitude des agents de santé à diagnostiquer et à traiter les enfants, ainsi qu’à retrouver les informations enregistrées lors des consultations précédentes : « Avec l’application, il n’y a pas de mensonge ou d’erreur de diagnostic. » Dans certains cas, le personnel soignant demande même aux agents de santé d’utiliser l’outil numérique, en raison de leur perception d’une amélioration de la qualité des soins.

Le début d’une révolution?

Lorsque nous avons commencé à développer le projet IeDA, l’un de nos principaux objectifs était de démontrer qu’une intervention impliquant les TIC pouvait encourager l’adhésion des agents de santé aux protocoles cliniques déployés et gérés à grande échelle en milieu rural au Burkina Faso. Le niveau de couverture élevé que nous avons atteint (presque un tiers du pays et des projets en vue d’atteindre la moitié du pays au cours des deux prochaines années) et la forte adoption de l’intervention par les agents de santé (pour près de 80 % des consultations) démontrent le potentiel de notre approche.

Ces dernières années, comme nous l’avons indiqué plus haut, nous avons tiré de nombreuses leçons. Certaines choses que nous avons mises en place ont bien fonctionné, tandis que d’autres posent encore des problèmes. Nous essayons constamment d’augmenter la maniabilité et l’efficacité de l’outil numérique (y compris grâce à des diagnostics sur le lieu d’intervention ou à des approches d’analyse des mégadonnées). Les données concernant la performance, les commentaires des utilisateurs et des bénéficiaires, la modularité, ainsi que notre engagement vis-à-vis du ministère de la Santé, continueront à motiver notre travail de développement.

Ce que nous avons observé jusqu’à présent dans le domaine de la santé numérique n’est probablement que le début d’une révolution qui va changer la manière dont les prestations de soins de santé sont gérées et proposées. Les efforts doivent se focaliser sur le renforcement de l’écosystème numérique et des capacités de gestion dans les PRFM, ainsi que sur le développement d’outils à grande échelle et de manière durable. Nous espérons que notre expérience au Burkina Faso aidera à comprendre comment développer à grande échelle et garantir la pérennité des interventions en santé numérique dans les PRFM.

Traduit de l’anglais par Méline Bernard

 

ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-368-2

Cet article vous a été utile et vous a plu ? Soutenez notre publication !

L’ensemble des publications sur ce site est en accès libre et gratuit car l’essentiel de notre travail est rendu possible grâce au soutien d’un collectif de partenaires. Néanmoins tout soutien complémentaire de nos lecteurs est bienvenu ! Celui-ci doit nous permettre d’innover et d’enrichir le contenu de la revue, de renforcer son rayonnement pour offrir à l’ensemble du secteur humanitaire une publication internationale bilingue, proposant un traitement indépendant et de qualité des grands enjeux qui structurent le secteur. Vous pouvez soutenir notre travail en vous abonnant à la revue imprimée, en achetant des numéros à l’unité ou en faisant un don. Rendez-vous dans notre espace boutique en ligne ! Pour nous soutenir par d’autres actions et nous aider à faire vivre notre communauté d’analyse et de débat, c’est par ici !

References

References
1 Union internationale des télécommunications, https://www.itu.int
2 Smisha Agarwal et al., Mobile technology in support of frontline health workers. A comprehensive overview of the landscape knowledge gaps and future directions, Johns Hopkins University Global mHealth Initiative, 2016, www.chwcentral.org/mobile-technology-support-frontline-health-workers
3 Smisha Agarwal et al., “Evidence on feasibility and effective use of mHealth strategies by frontline health workers in developing countries: systematic review”, Tropical Medicine & International Health, vol. 20, n° 8, 2015, p. 1003-1014 ; Caroline Free et al., “The effectiveness of mobile-health technologies to improve health care service delivery processes: A systematic review and meta-analysis”, PLoS Medicine, vol. 10, n° 1, 2013.
4 Mike Meloan et Pablo Iacopino, Scaling digital health in developing markets, Opportunities and recommendations for mobile operators and other stakeholders, GSMA Intelligence, juin 2017, www.gsmaintelligence.com/research/?file=c581aa43bdb7b7d236bb937698c2d6fd&download
5 https://digitalprinciples.org/principles
6 Siri Lange et al., “Why don’t clinicians adhere more consistently to guidelines for the Integrated Management of Childhood Illness (IMCI)?”, Social Science & Medicine, vol. 104, mars 2014, p. 56-63. Carsten Krüger et al., “Adherence to the integrated management of childhood illness guidelines in Namibia, Kenya, Tanzania and Uganda: evidence from the national service provision assessment surveys”, BMC Health Services Research, vol. 17, n° 1, p. 822.
7 World Health Organization, Integrated Management of Childhood Illness. Global survey report, WHO, Genève, 2017.
8 Tarun Gera et al., “Integrated Management of Childhood Illness (IMCI) Strategy for children under five: effects on death, service utilisation and illness”, Cochrane Database of Systematic Reviews, 12 septembre 2012.
9 http://ieda-project.org Parmi les partenaires opérationnels, on peut citer le ministère de la Santé, Dimagi, Inc. et University Research Co. L’évaluation est réalisée par la London School of Hygiene and Tropical Medicine (École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres) et le Centre Muraz.
10 Plate-forme CommCare, développée par Dimagi, Inc. : www.dimagi.com
11 Karl Blanchet et al., “A mixed methods protocol to evaluate the effect and cost-effectiveness of an Integrated electronic Diagnosis Approach (IeDA) for the management of childhood illnesses at primary health facilities in Burkina Faso”, Implementation Science, vol. 11, 2016, p. 111.
12 Voir, par exemple, ALMANACH : Amani Flexson Shao et al., “New algorithm for managing childhood illness using mobile technology (ALMANACH): a controlled non-inferiority study on clinical outcome and antibiotic use in Tanzania”, PloS one, vol. 10, n° 7, 2015 ; ou MSFeCARE : Clotilde Rambaud-Althaus et al., “MSFeCARE: an electronic algorithm to improve the management of childhood illness in primary health care”, F1000Research, mai 2016, https://f1000research.com/slides/5-934 ; et MEDSINC (www.thinkmd.org/medsinc).
13 Vincent Duclos et al., “Situating mobile health: a qualitative study of mHealth expectations in the rural health district of Nouna, Burkina Faso”, Health research policy and systems, vol. 15, n° 1, 2017, p. 47.
14 Hibret Tilahun et al., “Ethiopia’s health extension workers use of work time on duty: time and motion study”, Health Policy Plan, vol. 32, n° 3, 2017, p. 320-328 ; Kassimu Tani et al., “A time-use study of community health worker service activities in three rural districts of Tanzania (Rufiji, Ulanga and Kilombero)”, BMC Health Services Research, vol. 16, n° 1, 2016, p. 461.

You cannot copy content of this page