Dans le prolongement d’Ashwini Kakkar, Frédéric Landy approfondit l’étude du paradoxe indien en matière alimentaire. Il le fait en intégrant l’hostilité du gouvernement indien à voir intervenir les organisations étrangères. Un autre paradoxe sans doute, mais qui ne fait pas l’impasse sur les ressources réelles de l’Union indienne pour améliorer la situation.
En Inde, 224 millions de personnes – soit 16,3 % de la population – souffrent de sous-nutrition[1]FAO, IFAD, UNICEF et al., The State of Food Security and Nutrition in the World 2022. Repurposing food and agricultural policies to make healthy diets more affordable, July 2022, … Continue reading. Selon la dernière enquête du National Family Health Survey (NFHS) couvrant les années 2019-2021[2]National Family Health Survey, India, (NFHS-5) 2019-2021, http://rchiips.org/nfhs/factsheet_NFHS-5.shtml, 19 % des femmes et 16 % des hommes ont un indice de masse corporelle inférieur à la normale, 32 % des enfants de moins de cinq ans sont en sous-poids, tandis que la mortalité infantile se situe à 35 ‰ (3,6 ‰ en France). Dans le classement 2021 de l’Indice de la faim dans le monde, l’Inde est à la 101e place (sur 116 pays), juste devant la Papouasie et l’Afghanistan, loin derrière ses voisins d’Asie du Sud, Népal et Bangladesh (76es) ou Pakistan (92e).
Sur le plan sanitaire, la situation n’est guère plus reluisante. Quelques indicateurs suffisent à en prendre la mesure : toujours selon le NFHS, 24 % des femmes et 23 % des hommes sont en surpoids, tandis que 14 % des femmes et 16 % des hommes ont un taux de sucre dans le sang élevé, ce qui témoigne de l’importance du diabète. Moins de la moitié de la population a accès à de l’eau potable. Enfin, sans être à proprement parler une donnée sanitaire et malgré des progrès en la matière, le fait que 22 % de la population demeure analphabète représente certainement une circonstance aggravante.
Quant aux crises environnementales ou politiques, sans oublier les quelque 16 000 morts du tsunami de 2004, il suffit d’évoquer le problème des réfugiés étrangers (Rohingyas) ou des déplacés de l’intérieur. Le conflit avec la guérilla naxalite[3]Voir, dans ce numéro, l’article de Samuel Cédric Ngueda et Nancy Saurelle Ndjomo Kabayene, « Conflit naxalite en Inde : quel rôle pour les organisations humanitaires ? », p. 76-85. est une cause de déplacements qui aurait entraîné quelque 645 morts par an entre 1996 et 2016. Mais la seule multiplication des espaces naturels protégés, des barrages ou des mines aurait généré quelque 60 millions de déplacés depuis l’Indépendance, en 1947.
Et pourtant. Pourtant, le Programme alimentaire mondial (PAM) ne livre plus de nourriture à l’Inde et n’intervient qu’à la marge dans les programmes de nutrition. Pourtant, les organisations non gouvernementales (ONG) étrangères ne sont pas les bienvenues, y compris dans des situations d’urgence extrême, comme ce fut le cas lors du tsunami de 2004 où l’Inde a refusé l’aide étrangère sur son territoire. Et l’attitude nationaliste du gouvernement Bharatiya Janata Party (BJP) du Premier ministre Narendra Modi, au pouvoir depuis 2014, n’a fait qu’accentuer cet état de choses. Pourtant, les « ONG » indiennes pullulent dans le pays, même si, le plus souvent, elles correspondent seulement à ce qu’en France on appellerait des « associations », et n’interviennent pas forcément dans le champ humanitaire.
Comment expliquer ce paradoxe ? Parce que le sujet est complexe, nous nous limiterons ici à la question alimentaire pour laquelle les facteurs explicatifs d’ordre historique, social ou culturel sont déjà nombreux. Ce texte se concentrera donc sur la politique alimentaire mise en œuvre depuis l’Indépendance. En effet, malgré toutes ses limites, cette politique traduit la volonté de l’Inde, à tort ou à raison, de se passer de l’aide des humanitaires pour nourrir 1,4 milliard de citoyens.
Des bases socio-économiques très fragiles
Pour la production agricole
L’Union indienne, avec ses vingt-huit États, n’est pas un pays aussi vaste qu’on se le représente si l’on considère qu’elle est trois fois plus petite que la Chine ou le Brésil. Mais cela implique que la masse que constitue sa population n’en est que plus remarquable. Tout aussi étonnant : si l’on connaît l’énormité de ses métropoles (Delhi et Mumbai dépassent chacune les vingt millions d’habitants), il reste que l’essentiel de sa population demeure rural, à 69 % si l’on en croit le dernier recensement de 2011, quand bien même ce chiffre officiel est surestimé[4]Frédéric Landy et Aurélie Varrel, L’Inde. Du développement à l’émergence, Armand Colin, 2015 ; Christophe Jaffrelot (dir.), L’Inde contemporaine. De 1990 à aujourd’hui, … Continue reading. Or, les quatre cinquièmes de ces ruraux dépendent de l’agriculture. Aussi la taille moyenne des exploitations ne dépasse-t-elle pas un hectare, sans compter les ouvriers agricoles sans terre. Fait rare dans le monde, cette taille tend même à diminuer puisque, faute de croissance créatrice d’emplois dans d’autres secteurs ou en ville, presque la moitié de la population active demeure dans l’agriculture.
En apparence donc, les hiérarchies agraires seraient minimes : en 2015-2016, seulement 0,6 % des exploitations dépassaient 10 hectares et se partageaient 9 % de la surface cultivée. Mais ces chiffres masquent d’autres fortes structures de domination, en matière de commercialisation (qui possède l’unique rizerie du village ?), de crédit (qui connaît le banquier ?) ou d’accointances politiques. Affaire de classe, mais aussi affaire de caste, puisque ce sont en général les « hautes » castes qui demeurent favorisées, tandis que les Dalits (ex-Intouchables) ou les populations autochtones (tribals) demeurent en bas de l’échelle sociale, à la ville comme à la campagne.
Pour la consommation
Ces contrastes socio-économiques sont encore plus forts à la ville, même si les ménages pauvres sont, en proportion, plus faibles en milieu urbain. Le taux de pauvreté n’a pas été publié depuis longtemps, notamment pour des raisons politiques, mais la Banque mondiale estimait, sans doute de façon plutôt optimiste, qu’en 2019 (avant les confinements du Covid-19) 12 % de la population rurale et 6 % de la population urbaine se trouvaient sous un seuil de pauvreté de 2,15 $[5]R. Andres Castaneda Aguilar, Carolina Diaz-Bonilla, Tony Fujs et al., “September 2022 global poverty update from the World Bank; 2017 PPPs and new date for India”, World Bank Blogs, … Continue reading. D’une façon générale, une bonne partie des consommateurs indiens se trouve en situation de précarité, l’alimentation représentant en moyenne la moitié du budget général des ménages. Si la plupart des repas sont végétariens, c’est pour des raisons non seulement culturelles (la viande est considérée comme un élément impur), mais aussi économiques : les protéines végétales de type pois et lentilles (dal) sont moins chères que les protéines animales.
Disparités et rapports de domination
Aux inégalités de classe et de caste s’ajoutent celles de genre (selon le NFHS, plus de 30 % des Indiennes trouvent normal qu’un mari puisse battre sa femme), et de fortes inégalités régionales. Le centre-est de l’Inde, avec des États demeurés assez forestiers et « tribaux » comme le Jharkhand ou le Chhattisgarh, représente la principale poche de pauvreté. Le Kérala, à l’extrême sud-ouest, jouit d’un bon niveau de développement. Mais les disparités sociales transcendent les disparités spatiales dans la mesure où des notables ou de riches politiciens vivent dans les régions pauvres, tandis que les métropoles dites « riches » abritent beaucoup d’immigrés pauvres et d’habitants de bidonvilles. Cette réalité se déploie dans un cadre social extrêmement dur et hiérarchisé, parfois cynique, où la sécurité sociale institutionnelle est presque inexistante (d’où le recours aux structures familiales et de caste), et avec des disparités de salaire considérables (un professeur d’université peut gagner quinze fois plus qu’une femme de ménage).
Priorité à la sécurité alimentaire nationale
On appelle « dilemme alimentaire » le choix à faire, pour les gouvernants, entre deux options : des importations bon marché pour nourrir les consommateurs, mais en sacrifiant l’agriculture nationale, ou bien un protectionnisme encourageant les producteurs, mais pénalisant les consommateurs. L’Inde s’est refusée à trancher : depuis les années 1960, l’État aide les deux groupes. Pour inciter les agriculteurs à investir dans l’agriculture de plus en plus intensive prônée par la « Révolution verte[6]Ce terme, employé pour la première fois par l’administrateur de l’USAID en 1968, renvoie à une politique d’intensification agricole par l’emploi conjoint, en Inde, de semences … Continue reading », un prix plancher fut défini pour un nombre croissant de cultures. Il est effectif, parce qu’au moins pour le riz, le blé et la canne à sucre, les pouvoirs publics s’engagent à acheter la production de tout agriculteur qui le souhaite. En 1965 fut lancée la Food Corporation of India pour gérer cette machinerie. Cet organisme fédéral est chargé des achats aux agriculteurs – via aussi ses équivalents dans la plupart des États de l’Union. Aujourd’hui, l’État achète couramment 40 % du riz et plus de 50 % du blé commercialisés par les agriculteurs. Les stocks publics sont ensuite redistribués par trains et camions, sur des trajets dépassant 1 500 kilomètres en moyenne, par le Système de distribution publique (PDS) : des boutiques spécifiques les vendent à des prix subventionnés, variables selon les États et selon les revenus des ménages. Les deux tiers des familles indiennes en bénéficient. Dans l’État du Tamil Nadu, le riz est même gratuit (25, voire 30 kg par mois et par ménage de cinq personnes maximum). Permettant tout à la fois de prévenir les crises de surproduction et de soutenir la consommation, un tel dispositif correspond au refus de choisir dans le dilemme alimentaire, en conciliant productivisme et justice alimentaire.
Les autres dispositifs connexes
Une partie du grain collecté par l’État alimente aussi le programme de cantines gratuites Midday Meal Scheme, qui a été généralisé dans toute l’Inde en 1997 pour les écoles publiques – le Tamil Nadu avait été pionnier en la matière dès 1962. Ce programme, financé à 40 % par les États et à 60 % par New Delhi, a été renommé PM-POSHAN en 2021 et se trouve garanti par la législation, tout comme le PDS, grâce au National Food Security Act de 2013. Non seulement il a amélioré la situation nutritionnelle des enfants, mais il se révèle un facteur clé pour encourager la scolarisation – même s’il arrive que des parents envoient leur enfant à l’école essentiellement pour le moment du repas. Il encourage aussi la mixité sociale, même si de nombreuses familles refusent que leurs enfants partagent leur repas avec des camarades de trop basse caste. Des conflits peuvent aussi se faire jour si l’instituteur cuisinier est Dalit – mais dans ce cas, les parents qui en ont les moyens enverront plutôt leur enfant dans une école privée.
Les enfants, les jeunes mères et les femmes enceintes sont les bénéficiaires de l’Integrated Child Development Scheme lancé en 1975 par le gouvernement avec le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et la Banque mondiale, via des crèches (anganwadi) dont les animatrices sont notoirement sous-payées, ce qui n’en facilite pas le fonctionnement. Par ailleurs, il s’agit d’empêcher que les effets d’un meilleur accès à la nourriture ne soient réduits à néant par des problèmes sanitaires : une dysenterie empêcherait l’assimilation optimale des aliments. La qualité de l’eau est essentielle : un programme d’accès à l’eau potable (National Rural Drinking Water Programme) a été lancé en 2009, soutenu depuis par l’UNICEF dans quatorze États[7]Voir, dans ce numéro, l’article de Julien Eyrard, « “Inde propre” : pourquoi l’incontestable succès de la mission Swachh Bharat ne signifie pas encore la fin de la défécation à … Continue reading.
Ces projets ne sont que quelques-uns de la myriade de ceux existant au niveau fédéral ou propres à certains États. Tous ne fonctionnent pas parfaitement, loin de là. En général, ils réussissent moins bien dans les zones qui en ont pourtant le plus besoin, celles où infrastructures et administration sont déficientes, où prévalent pauvreté ou corruption. C’est aussi le cas du Programme national pour la garantie de l’emploi rural (Mahatma Gandhi National Rural Employment Guarantee Act en anglais, NREGA) de 2005 : héritage des chantiers publics « Nourriture contre travail » initiés avec réticence par les Britanniques lors des famines coloniales, et prolongés ensuite sous différentes formes, il garantit cent jours de travail annuels à toutes les familles rurales (réparation de routes, construction de canaux…), payés au salaire minimum. Il permet de soulager le budget des ménages bénéficiaires pendant la morte saison agricole, et profite indirectement à tous dans la mesure où il pousse à la hausse l’ensemble des salaires ruraux.
Les multiples failles de ces systèmes
Dans certaines régions néanmoins, le NREGA ne fonctionne pas : soit les fonds sont détournés, soit les salaires proposés sont trop faibles pour décourager l’émigration saisonnière. D’une façon générale, le panorama que nous avons présenté souffre de critiques aussi bien économiques et sociales qu’écologiques, autrement dit les trois piliers d’un développement durable.
Ainsi la machinerie issue de la Révolution verte est-elle d’abord, d’un point de vue budgétaire, jugée trop coûteuse par les libéraux (subvention aux engrais chimiques, coût du stockage des grains), et ce, alors même que l’ensemble ne représente pas plus de 1 % du PIB. Si l’Organisation mondiale du commerce tolère cette entorse au libéralisme au nom de la sécurité alimentaire du pays, il ne faudrait pas, selon elle, que l’Inde en profite pour instrumentaliser son dispositif au profit d’exportations de ses stocks. Or, le pays est couramment exportateur de blé et premier exportateur mondial de riz. Ensuite, sur le plan social, le système est souvent inefficace : trop de ménages pauvres n’y ont pas accès (zones troublées, bidonvilles récents, migrants sans cartes d’alimentation). Si l’Inde exporte des céréales, si les silos sont pleins, ne serait-ce pas parce que tant d’estomacs sont vides ? Il est certain que de grandes quantités de blé ou de riz sont détournées, en dépit de l’informatisation du système qui intègre désormais une identification biométrique des bénéficiaires : une cause de dysfonctionnement supplémentaire plutôt que d’amélioration. Écologiquement enfin, en mettant l’accent sur le blé, le riz ou la canne à sucre qui sont achetés par l’État à prix garantis, la Révolution verte a mis sous le boisseau des cultures moins exigeantes en eau et en intrants, et pourtant nourricières, comme les céréales à petit grain (éleusine, sorgho). La concurrence des grains du PDS venus des régions très productives (Punjab) pénalise la petite paysannerie des régions peu irriguées. Dans le même temps, les régions exportatrices souffrent de la salinisation des sols et des nappes, et de prix agricoles peu rémunérateurs vu leurs coûts de production. Cela explique que même au Punjab, le taux de suicide des agriculteurs soit supérieur à la moyenne nationale, un phénomène qui n’affecte pas seulement les confins du Madhya Pradesh cotonnier.
La crise du Covid-19 n’a évidemment rien arrangé. En mars 2020, un confinement brutal et sans préparation a mené à l’exode dix millions de migrants cherchant désespérément à rentrer dans leur région d’origine. Plus d’un an après ce premier confinement, une enquête dans le Tamil Nadu rural (projet de recherche Malnourished by Debt) indiquait encore que 12 % des villageois se couchaient en ayant faim, et ce, malgré le renforcement du PDS qui, en 2022, octroie toujours 5 kg de grains mensuels par ménage en plus des quotas préexistants à la pandémie.
Ajoutons que de plus en plus d’aides sociales sont versées sous forme de virements bancaires, alors que trop de ménages peinent à gérer un compte – quand ils n’en sont pas, tout simplement, dépourvus. Le mécontentement est cependant loin d’être général. « Et pourtant ça tourne ! », pourrait-on dire en paraphrasant Galilée. La population demeure dans l’ensemble attachée au système et souhaite son amélioration, mais non sa disparition. Ceci explique le paradoxe des grandes manifestations paysannes de 2020-2021 autour de Delhi, qui parvinrent à faire abroger trois lois fédérales accentuant la libéralisation de l’agriculture. Seule une minorité des protestataires souhaitait la refonte totale du système ayant produit une agriculture conventionnelle très gourmande en énergie fossile, intrants industriels et eau. La perspective d’une véritable approche agroécologique, qui inclurait aussi le paiement des services environnementaux produits par des exploitants bien plus respectueux des écosystèmes[8]Frédéric Landy et Bruno Dorin, « L’État au secours de la transition agroécologique ? Le cas de l’Inde », Mouvements, n° 109, 2022/1, p. 94-106., n’est donc pas encore à l’ordre du jour. La grande majorité des manifestants souhaitait plutôt le renforcement du système issu de la Révolution verte, avec une augmentation des prix garantis et des subventions aux intrants chimiques. Ce système a privilégié, des décennies durant, les bastions de la Révolution verte en Inde (Punjab, Haryana, ouest de l’Uttar Pradesh…), et c’est précisément dans ces derniers que sont nées les révoltes.
Des raisons d’espérer
Durant la pandémie, la solidarité de caste ou de confession et la sécurité sociale permise par les réseaux (parenté, voisinage, mais aussi clientélisme synonyme de domination, de corruption ou de favoritisme) ont montré leur nécessité, sinon leur pleine efficacité. Cependant, de telles structures sociales ne sont pas propres à l’Inde et se rencontrent par exemple en Afrique, un continent qui se trouve particulièrement « couvert » par l’humanitaire. On ne peut donc pas dire que ces solidarités sociales représentent une cause majeure expliquant la faiblesse des ONG internationales en Inde. C’est bien à la politique de l’État – ou plutôt des États indiens – qu’il faut attribuer cette situation.
Avant même le règne du parti nationaliste hindou à New Delhi, les gouvernements fédéraux, quelle que soit leur couleur politique, ont toujours été méfiants face aux risques de « la main de l’étranger ». L’État indien, au niveau central comme au niveau des États provinciaux, a préféré parier sur ses propres programmes sociaux et sur son développement économique pour asseoir un semblant de sécurité alimentaire. Force est de constater cependant que cette sécurité n’est pas encore atteinte. Jusqu’à aujourd’hui, l’essentiel de la population semble s’en contenter, préférant parier sur l’amélioration du système plutôt que sur son bouleversement.
Pourtant, de plus en plus d’initiatives émergent pour fournir des alternatives, sans parler des mouvements parfois violents (guérillas naxalites). S’agissant de la question alimentaire, des ONG comme la Deccan Development Society tentent de promouvoir des circuits courts fondés sur la mise en culture de friches par des femmes, produisant sorgho ou légumineuses pour court-circuiter le PDS. Si l’agriculture « bio » est devenue obligatoire dans des États himalayens comme le Sikkim, sa logique productive et exportatrice reste contestable. Toutefois, d’autres programmes, davantage fondés sur l’agroécologie et la sécurité alimentaire, prennent corps : certains sont pilotés par l’État comme l’Andhra Pradesh Community Managed Natural Farming, la plupart cependant sont des initiatives locales. Bien des agriculteurs ne sont pas « bio » au sens occidental du terme (la certification est coûteuse), mais ils souhaitent faire une agriculture naturelle sans produits chimiques, ne serait-ce que pour la production destinée à leur famille. S’agissant des consommateurs, même les plus pauvres et les moins scolarisés sont conscients des problèmes engendrés par les intrants industriels ou par les céréales à indice glycémique élevé, comme le riz, facteur de diabète surtout s’il est poli[9]Retirer le son autour du grain de riz augmente le taux de glucides.. Une fenêtre s’entrouvre donc pour espérer une nouvelle révolution qui soit vraiment « verte ». Restent le problème du pouvoir d’achat des consommateurs, peu nombreux à pouvoir acheter des produits de qualité onéreux, et celui des filières à construire pour pouvoir relier producteurs et consommateurs. Et en cela, l’Inde n’est qu’un cas extrême de problèmes rencontrés ailleurs, y compris en Europe.