Cet article met en lumière l’escalade de la crise alimentaire mondiale et explore les défis liés à la priorisation de l’aide humanitaire à la lumière de la diminution des ressources. L’autrice plaide en faveur d’approches analytiques intégrées de la santé publique et des systèmes alimentaires. En utilisant la République centrafricaine comme étude de cas, Olivia Falkowitz met l’accent sur la nature interconnectée des crises alimentaires et sanitaires, préconisant une compréhension holistique.
(In)sécurité alimentaire et famine occupent une place de plus en plus centrale dans les interventions humanitaires et les défis rencontrés par le secteur. La crise alimentaire mondiale concernait au moins cinquante-huit pays en 2022[1]FSIN et Réseau mondial contre les crises alimentaires, Rapport mondial sur les crises alimentaires 2023 – Une analyse conjointe pour de meilleures décisions, 2023, … Continue reading, 258 millions de personnes se trouvant, selon les estimations, en situation d’insécurité alimentaire aiguë et ayant un besoin urgent d’assistance.
Parmi la population analysée, 376 000 personnes étaient confrontées à des situations catastrophiques et en danger de famine. D’un autre côté, depuis 2016, le nombre de personnes ayant une consommation alimentaire minimalement adéquate, mais ne pouvant pas assumer certaines dépenses non-alimentaires sans s’engager dans des stratégies d’adaptation de stress (phase 2 de l’IPC) est en hausse régulière[2]FSIN et Réseau mondial contre les crises alimentaires, Rapport mondial…, op. cit.. Si, dans le cadre de l’aide humanitaire, des financements sont depuis longtemps consacrés à l’assistance en matière de sécurité alimentaire, la hiérarchisation devient de plus en plus difficile dans des conditions de diminution des ressources financières. La plupart des crises alimentaires ont actuellement lieu dans des contextes prolongés, où les relations entre les chocs amplifiés et les vulnérabilités sous-jacentes (ou l’érosion de la résilience) dues aux fragilités et défaillances systémiques deviennent difficiles à distinguer. En outre, les synergies entre une crise alimentaire et les domaines de la santé publique ne font pas systématiquement l’objet d’une analyse commune, ce qui empêche de concevoir des solutions plus efficaces afin de prévenir l’aggravation progressive de la situation. De quelles manières les perspectives alternatives quant à la hiérarchisation peuvent-elles mieux contribuer à l’efficacité des interventions humanitaires ? Les approches analytiques de la santé publique intégrée et des systèmes alimentaires constituent deux directions qui pourraient compléter les méthodes de hiérarchisation humanitaire existantes. Le présent article examinera la valeur ajoutée des deux approches pour mieux éclairer l’intervention humanitaire par un passage en revue des concepts existants et une étude de cas qui porte sur la situation actuelle en République centrafricaine. L’étude de cas s’appuiera principalement sur des données primaires collectées par l’initiative REACH via une évaluation des besoins multisectorielle[3]Les données de cette grande enquête auprès des ménages ont été collectées entre juin et septembre 2023 dans les seize préfectures du pays, atteignant 12 298 ménages par … Continue reading.
Tirer parti des cadres et outils existants
Les cadres analytiques actuels utilisés par le secteur humanitaire pour conceptualiser l’insécurité alimentaire aiguë et la famine s’appuient sur l’étude des éléments suivants : consommation alimentaire, moyens de subsistance, nutrition et indicateurs de mortalité. Selon le Réseau d’information sur la sécurité alimentaire (Food Security Information Network – FSIN en anglais), une crise alimentaire « survient lorsque les taux d’insécurité alimentaire aiguë et de malnutrition explosent au niveau local ou national, donnant lieu à un besoin d’assistance alimentaire d’urgence[4]FSIN et Réseau mondial contre les crises alimentaires, Rapport mondial…, op. cit. ». Comprendre la gravité, l’ampleur et l’échelle des crises alimentaires est crucial pour assurer l’efficacité de la réponse humanitaire. Le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Food Insecurity Phase Classification – IPC en anglais), établi en 2004, constitue un outil standardisé essentiel pour analyser la gravité de l’insécurité alimentaire aiguë et chronique, et de la malnutrition aiguë[5]Voir le site de l’IPC : https://www.ipcinfo.org. Ce cadre classifie les niveaux d’insécurité alimentaire aiguë en cinq phases, la phase 5, la plus aiguë, indiquant des conditions catastrophiques. Une classification en état de famine au niveau de la zone (au moins 20 % de la population au sein de l’unité d’analyse) doit être étayée par des données probantes indiquant une insécurité alimentaire extrême, un effondrement des systèmes de moyens de subsistance et un dépassement des seuils anthropométriques et de mortalité. Selon la définition de l’IPC, la famine est « un manque extrême de nourriture. Des niveaux d’inanition, de décès, de dénuement et de malnutrition aiguë critiques sont manifestes ou risquent de le devenir[6]Partenaires mondiaux de l’IPC, Manuel technique IPC version 3.1. Preuves et normes pour de meilleures décisions en sécurité alimentaire et nutritionnelle, 2021, … Continue reading ». La définition propose, à juste titre, un seuil suffisamment élevé, ce qui peut toutefois le plus souvent mener à une détection tardive de la survenue d’une famine.
L’adoption d’une approche de santé publique intégrée pourrait favoriser une amélioration, d’une part, de la hiérarchisation des zones sujettes à de multiples lacunes dans les secteurs vitaux et, d’autre part, de l’anticipation et de l’alerte précoce des conditions semblables à la famine en étudiant la concomitance entre crises alimentaires et crises sanitaires. L’analyse de la santé publique intégrée vise à comprendre les concomitances et relations entre, d’un côté, les secteurs essentiels et vitaux que sont la santé, la nutrition, l’eau et l’assainissement et la sécurité alimentaire et, de l’autre, les résultats et/ou chocs observés. Le risque d’absence d’information à cet égard peut mener à une réponse mal renseignée ou retardée. Bien qu’elle soit très largement centrée sur les lacunes en matière de consommation alimentaire et de moyens de subsistance, notre compréhension de la corrélation de ces aspects avec d’autres secteurs vitaux tels que l’eau, l’assainissement et l’hygiène (EAH) et la santé demeure fragmentée dans certains contextes. Les spécialistes les plus renommés de la famine reconnaissent le caractère multisectoriel de cette dernière à travers le prisme de la santé publique afin de mieux prévenir les crises les plus graves, et y faire face[7]Daniel Maxwell, Paul Howe and Merry Fitzpatrick, Famine Prevention: A landscape report, Feinstein International Center, Tufts University, February 2023, … Continue reading. La crise alimentaire provoquée par la sécheresse en Somalie (2020-2022), durant laquelle au moins 1,1 million de personnes ont été déplacées[8]OCHA, Somalia. Drought Displacement Monitoring Dashboard (August 2022), 20 September 2022, https://reliefweb.int/report/somalia/drought-displacement-monitoring-dashboard-august-2022 vers des zones d’installations (in)formelles, en quête de sécurité, d’assistance et d’autres sources de revenus en est un exemple récent ; ces populations se sont retrouvées concentrées dans des conditions inadaptées, avec un accès à des services d’EAH et de santé insuffisants, ce qui a contribué de manière significative à des pertes élevées en vies humaines[9]OCHA, Somalia Drought – Baidoa and Buur Hakaba Public Health Alert, August 2022, https://reliefweb.int/report/somalia/somalia-drought-baidoa-and-buur-hakaba-public-health-alert-august-2022. Cette approche reconnaît l’interconnexion entre ces domaines et leur interaction avec les chocs et facteurs de stress, les vulnérabilités, les systèmes, les politiques et les mécanismes d’adaptation.
« Les spécialistes les plus renommés de la famine reconnaissent le caractère multisectoriel de cette dernière à travers le prisme de la santé publique afin de mieux prévenir les crises les plus graves, et y faire face. »
Parallèlement, l’analyse des crises alimentaires via le prisme des systèmes alimentaires pourrait renforcer l’identification des vulnérabilités sous-jacentes ou récurrentes découlant des lacunes structurelles, et faire émerger des recommandations concrètes pour une intervention fondée sur le nexus action humanitaire-développement-recherche de la paix. Bien qu’il n’existe pas de définition unanime des systèmes alimentaires, le Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (High-Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition – HLPE en anglais) décrit ceux-ci comme « l’ensemble des éléments (environnement, individus, apports, processus, infrastructures, institutions, etc.) et des activités liés à la production, à la transformation, à la distribution, à la préparation et à la consommation des denrées alimentaires, ainsi que du résultat de ces activités, notamment sur les plans socioéconomique et environnemental[10]HLPE, Nutrition et systèmes alimentaires. Résumé et recommandations, Rapport du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition du Comité de la sécurité … Continue reading ». Bien que le secteur humanitaire soit traditionnellement chargé d’intervenir dans les urgences caractérisées par les risques de pertes de vies humaines immédiates, la plupart des crises alimentaires surviennent dans des contextes prolongés[11]Alice Obrecht, Sophia Swithern and Jennifer Doherty, The State of the Humanitarian System (SOHS) – Summary, Alnap, 2022, … Continue reading. Une perspective axée sur les systèmes alimentaires peut permettre de mettre au jour à quel niveau (du ménage, de la communauté, de la région, du pays, etc.) les difficultés ont lieu et quelles parties prenantes de l’intervention seraient les mieux placées pour combler les lacunes. Comprendre les mécanismes au niveau méso au sein d’un système alimentaire pourrait contribuer à mieux identifier le type d’intervention que les acteurs de l’aide peuvent mettre en place pour prévenir et diminuer les crises alimentaires.
La République centrafricaine : une crise silencieuse
Un conflit s’est déclaré en République centrafricaine en 2012, et a mené à une crise humanitaire complexe. L’année dernière, environ 3,4 millions de personnes ont eu besoin d’une assistance humanitaire[12]OCHA, Central African Republic Humanitarian Needs Overview 2023, January 2023, … Continue reading, dont environ 484 000 personnes déplacées à l’intérieur des frontières du pays[13]Organisation internationale pour les Migrations, République Centrafricaine – Rapport sur les déplacements 19 (août 2023), octobre 2023, … Continue reading. Cette crise est provoquée par de multiples facteurs localisés, y compris les conflits, les inondations, la pauvreté chronique, les prix élevés des denrées alimentaires en milieu urbain, les déplacements et la faiblesse des politiques publiques. En 2023, la crise alimentaire voit la cinquième proportion la plus élevée de population confrontée à une insécurité alimentaire aiguë, mais c’est également le pays dont l’indice de la faim dans le monde est le plus élevé : en effet, 48,7 % de la population souffre de sous-nutrition, ce qui révèle une incapacité constante à satisfaire les besoins énergétiques alimentaires minimaux[14]Klaus von Grebmer, Jill Bernstein, Miriam Wiemers et al., 2023 Global Hunger Index: The Power of Youth in Shaping Food Systems, … Continue reading, et une insécurité alimentaire chronique. En septembre 2023, environ deux millions d’habitants du pays ont eu besoin d’une assistance alimentaire urgente et de moyens de subsistance (phase 3 de l’IPC et plus), avec une augmentation de 10 % de la population en phase 3, et plus élevée en avril 2024, au début de la période de soudure[15]Partenaires de l’IPC, République centrafricaine – Classification de l’insécurité alimentaire aiguë, 2023, https://www.ipcinfo.org/ipc-country-analysis/en/?country=CAF.

L’étude de la carte de la dernière analyse de l’insécurité alimentaire aiguë en République centrafricaine de l’IPC révèle que treize des dix-sept préfectures sont classées en phase 3, ce qui n’informe pas directement les parties prenantes sur les emplacements prioritaires. De 2018 à aujourd’hui, les classifications d’insécurité alimentaire aiguë de la population au niveau national n’ont que légèrement fluctué au cours des dernières années (fig. 1). La combinaison de chiffres de l’insécurité alimentaire aiguë quelque peu statiques et la gravité des mesures chroniques sous-entend des complexités cachées, ce qui empêche une analyse plus complète de sa gravité et de son ampleur. La qualité et la disponibilité des données peuvent constituer un défi, en raison des problèmes d’accès que rencontre toujours la population, qui doivent être pris en compte et qui influencent incontestablement toute analyse. Cependant, il faut faire davantage d’efforts pour révéler les zones chaudes localisées et les facteurs sous-jacents, afin de garantir une compréhension exacte de la crise.
La santé publique en République centrafricaine
Une étude récente à l’échelle nationale[16]Karume Baderha Augustin Gang, Jennifer O’Keeffe, Les Roberts et al., “Cross-sectional survey in Central African Republic finds mortality 4-times higher than UN statistics: how can we not know … Continue reading menée dans le pays (qui a également couvert des zones non contrôlées par le gouvernement) a mis au jour des taux de mortalité plus élevés en 2022, correspondant à plus du double des estimations concernant n’importe quel autre pays du monde[17]Karume Baderha Augustin Gang, Jennifer O’Keeffe, Les Roberts et al., “Cross-sectional survey in Central African Republic finds mortality…” art. cit.. Selon une analyse de la Banque mondiale[18]Banque mondiale, Additional Financing to the Central African Republic (CAR) Emergency Food Crisis Response Project, 2023, https://projects.worldbank.org/en/projects-operations/project-detail/P180996, l’insécurité alimentaire est également une des principales causes de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans, avec 84,3 décès pour 1000 enfants. L’insécurité, le déplacement et les épidémies étant identifiés comme des facteurs clés de l’insécurité alimentaire, comprendre leur implication dans la santé publique pourrait donner lieu à une meilleure hiérarchisation entre les préfectures, au-delà du simple nombre de « personnes ayant besoin » d’une assistance alimentaire et de moyens de subsistance.

Identifier les facteurs communs et les facteurs contributifs des crises sanitaires et alimentaires, et y remédier, peut mener à une amélioration de nombreux résultats, par une approche intégrée pour une gestion efficace des crises. La santé d’une population nécessite une combinaison de services de santé préventifs et thérapeutiques. L’accessibilité, la disponibilité et la qualité de ces services peuvent être affectées par des lacunes existantes ou des facteurs externes. Les principaux indicateurs à étudier doivent permettre d’évaluer les besoins en matière de soins de santé non satisfaits dans les trois mois précédents, en plus de la couverture en soins élémentaires de santé reproductive, de la vaccination pentavalent (5 vaccins combinés en une injection, Ndlr) et contre la rougeole pour les enfants, et des obstacles perçus à l’accès aux soins de santé. En septembre 2023, les préfectures de Ouham-Pendé et de Vakaga avaient toutes les deux été le témoin d’événements conflictuels graves affectant la sécurité alimentaire, 5 % de la population de Ouham-Pendé se trouvant dans la phase 4 d’insécurité alimentaire aiguë de l’IPC, et 10 % des habitants de la préfecture de Vakaga ayant besoin d’une assistance humanitaire d’urgence. Néanmoins, comme le montre le Tableau 1, le pourcentage de ménages qui ont déclaré des besoins non satisfaits en matière de soins de santé était plus élevé dans la préfecture de Ouham-Pendé, tandis que l’accès à des sources d’eau sûres (principalement des puits de forage) et à un assainissement amélioré (principalement des latrines à fosse simple sans dalles) était inférieur à celui de Vakaga, ce qui met potentiellement au jour de moins bons résultats de santé publique pouvant aggraver les lacunes existantes en matière d’alimentation et de moyens de subsistance. Si les préfectures de Ouham-Pendé et de Vakaga sont toutes deux touchées par le conflit, on peut toutefois avancer qu’il est possible que ce conflit ait un impact plus grand sur la concomitance des crises alimentaires et sanitaires à Ouham-Pendé, et donc y être plus préoccupant.
Les domaines aggravés de la sécurité alimentaire et de la santé publique peuvent s’exacerber mutuellement et détériorer davantage la situation de la population, que ce soit en aggravant sa vulnérabilité ou en atténuant sa résilience. L’anticipation d’une détérioration supplémentaire au cours d’une crise alimentaire pourra bénéficier de l’apport d’une analyse de santé publique, ce qui améliorerait la hiérarchisation. Par exemple, l’accès physique et financier à de l’eau potable, mais également à un assainissement amélioré, est essentiel pour relier la sécurité alimentaire aux résultats sanitaires et pour anticiper toute détérioration potentielle de la situation de santé, ce qui aurait pour conséquence d’aggraver la malnutrition. Dans la préfecture de Ouaka, un tiers de la population se trouve en phase 3 et au-dessus, tandis que dans celle de Mbomou, environ la moitié de la population est confrontée à des lacunes en matière de consommation alimentaire et de moyens de subsistance. Il semblerait évident d’affecter davantage d’assistance à cette dernière ; toutefois, en examinant les taux de mortalité et les résultats de santé dans les deux préfectures, on constate que la population de Ouaka est confrontée à des conditions bien plus graves. Ainsi, donner priorité à l’assistance alimentaire de Ouaka par rapport à Mbomou pourrait sans doute permettre de sauver davantage de vies, étant donné la gravité des résultats en matière de santé publique, bien que la proportion de la population confrontée à des lacunes identifiées en matière de consommation alimentaire soit inférieure. Les vulnérabilités sous-jacentes qui sont affectées et détériorées par les multiples crises atténueront la résilience de la population et se renforceront mutuellement, augmentant ainsi l’exposition aux risques de santé publique.
Explorer le(s) système(s) alimentaire(s)
La concomitance d’une crise sanitaire et d’une crise alimentaire aura une incidence sur la suite des processus de hiérarchisation au sein d’une crise, à partir des multiples lacunes rencontrées par une population donnée. Pour optimiser l’affectation des ressources dans une intervention de crise, il est essentiel de procéder à une analyse des limitations structurelles qui contribuent aux crises alimentaires. L’identification des obstacles à différentes échelles devrait pousser divers acteurs à renforcer les interventions d’urgence dans les situations où les populations sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë.
« Bien que le conflit constitue l’un des principaux facteurs d’insécurité alimentaire en République centrafricaine, la baisse de la résilience du système alimentaire du pays est un facteur d’insécurité alimentaire tout aussi important. »
Bien que le conflit constitue l’un des principaux facteurs d’insécurité alimentaire en République centrafricaine, la baisse de la résilience du système alimentaire du pays est un facteur d’insécurité alimentaire tout aussi important[19]Il convient de tenir compte du fait que deux nouvelles dimensions de la sécurité alimentaire ont été proposées récemment : le « développement durable » et l’« autonomie décisionnelle ». … Continue reading. Un exemple éclairant à ce titre est la sous-performance du secteur agro-alimentaire, et son rôle de contributeur essentiel à l’insécurité alimentaire chronique et aux lacunes en matière de moyens de subsistance. Une écrasante majorité des ménages actifs dans le secteur (90 %)[20]REACH, Multi-sectoral Needs Assessment: Central African Republic, 2023. est confrontée à des difficultés, y compris la faiblesse de la productivité et de la production, celle-ci découlant notamment d’un accès limité aux intrants, l’insuffisance des infrastructures et la faiblesse des systèmes de marché externes et internes. Toutefois, comme l’a mis en avant l’analyse de l’insécurité alimentaire aiguë de l’IPC, le pays est doté d’un fort potentiel agricole, la majorité (69 %)[21]Organisation internationale du travail. ILO Modeled Estimates (ILOEST database), ILOSTAT, 2021. de la population dépendant du secteur par l’intermédiaire de systèmes de moyens de subsistance multiples, ainsi que d’un environnement agro écologique favorable à la production. Par conséquent, donner la priorité à l’aide au rétablissement des infrastructures et des systèmes de marché (entre autres lacunes structurelles), outre l’appui au niveau des ménages, dans les endroits caractérisés par l’insécurité alimentaire aiguë la plus marquée, pourra être nécessaire pour mieux lutter contre les facteurs chroniques, à moyen comme à long terme, qui contribuent à la récurrence de l’insécurité alimentaire aiguë, aggravée par les dynamiques de conflits.
Il est intéressant de noter que si les affectations de fonds pour le développement (secteurs alimentaires et non-alimentaires inclus) dépassent souvent les affectations pour les fonds humanitaires dans le pays, les financements dirigés directement vers les secteurs alimentaires constituent pour la plupart une proportion importante du portefeuille humanitaire[22]GNAFC, 2023 Financing Flows and Food Crises Report – Analysis of humanitarian and development financing flows to food sectors in food crisis countries, 2024, … Continue reading. Les approches d’urgence et de plus long terme quant à l’assistance peuvent être complémentaires, mais doivent se fonder sur une compréhension similaire des lacunes prioritaires afin de maximiser leur impact. À cette fin, une analyse intégrée améliorée qui inclurait les facteurs chroniques et aigus d’insécurité alimentaire et les systèmes alimentaires pourrait être adaptée pour rendre compte des lacunes à différentes échelles aux différentes parties prenantes simultanément.
L’analyse actuelle de la sécurité alimentaire sur laquelle repose l’intervention humanitaire concernant les crises alimentaires s’appuie principalement sur la classification de l’IPC, un cadre analytique robuste qui permet de dresser des comparaisons entre les différentes crises et d’évaluer la gravité des crises alimentaires. Le choix d’axer l’information de l’intervention humanitaire sur la sécurité alimentaire pourrait empêcher l’analyse actuelle d’élargir le périmètre et de donner à voir une vision plus complète des lacunes concomitantes, qui pourrait pourtant contribuer au perfectionnement du processus de hiérarchisation. Parallèlement, l’analyse des crises alimentaires est très majoritairement centrée sur une seule échelle, celle des besoins aigus en nourriture, alors que la prise en compte de la nature multi-échelle des systèmes dans lesquels surviennent les crises alimentaires permettrait peut-être de proposer une hiérarchisation améliorée des lacunes, commune aux différents acteurs de l’intervention. Les approches fondées sur la santé publique et les systèmes alimentaires ne sont pas définies aussi clairement que l’est l’analyse de la sécurité alimentaire, mais plusieurs options prometteuses émergent, qui pourraient par ailleurs mieux refléter ce que les personnes et les systèmes en question recherchent pour parvenir à la sécurité alimentaire et au bien-être global.
Traduit de l’anglais par Anna Brun