La réintégration des enfants-soldats en Centrafrique : quelles perspectives pour penser l’adieu aux armes ?

Clémence CoulangeClémence est étudiante en Master 1 Action Humanitaire Internationale à l’IEP de Fontainebleau. Elle est diplômée d’une licence de droit et de science politique de l’Université de Tours. Actuellement en stage de communication à France terre d’asile, elle est particulièrement intéressée par les enjeux de plaidoyer, les questions migratoires, et la défense des droits humains. Elle a notamment pu approfondir ces sujets suite à un bénévolat à Calais et une année en tant que Jeune Ambassadrice au sein de l’ONG « ONE ».

Publié le 24 mai 2024

Dans le cadre de notre partenariat avec le Master Science Politique, parcours Action Humanitaire Internationale de l’Institut d’Etudes Politiques de Fontainebleau de l’Université Paris-Est Créteil, nous vous présentons le premier article de la série 2024 Le Campus d’AH. Dans cet article, Clémence Coulange analyse les obstacles à la démobilisation des enfants-soldats centrafricains, incitant à repenser les mécanismes de réintégration à la société civile.


Depuis le début des années 1990, le recrutement des enfants-soldats est devenu une caractéristique majeure des conflits. En République centrafricaine (RCA), la situation est qualifiée d’endémique en raison des recrutements quasi-systématiques des garçons comme des filles[1]Arte, « Centrafrique : le retour des filles-soldats », 2020, https://www.arte.tv/fr/videos/095967-000-A/centrafrique-le-retour-des-filles-soldats. Dans ce pays, en effet, et depuis 2013, le nombre d’enfants enrôlés dans des groupes armés est passé d’environ 2 500 à 13 000[2]Plan International, « Filles soldats, les invisibles des conflits armés », 2019, https://www.plan-international.fr/actualites/filles-soldats-les-invisibles-des-conflits-armes/. À l’échelle mondiale, 250 000 enfants soldats sont recensés dans 23 pays, et 52 % d’entre eux sont en Afrique[3]Plan International, « Filles soldats… », op. cit.. Cet article vise ainsi à montrer les obstacles à la démobilisation des enfants-soldats centrafricains, incitant à repenser les mécanismes de réintégration à la société civile.

Entre promesses et désillusions : les impasses à la démobilisation

Les Principes du Cap[4]Principes de Paris, 2007, https://childrenandarmedconflict.un.org/wp-content/uploads/2012/05/Les-Principes-de-Paris-Fr-1.pdf définissent la démobilisation comme la rupture avec la force armée. Face à la systématisation des recrutements en RCA, les processus de démobilisation se heurtent à de nombreux obstacles.

Tout d’abord, les multiples rôles endossés par les enfants-soldats (cuisiniers, porteurs, messagers…) compliquent leur identification. De plus, le recrutement au sein des groupes armés résulte généralement de violences et de méthodes d’endoctrinement visant à renforcer le sentiment d’appartenance au groupe et à entraver la volonté de séparation[5]Philippe Chapleau, « Enfants-soldats, ces armes de destruction pas très mineures », Inflexions, 2018/1 (N° 37), p. 13-23.. Les enfants se retrouvent également souvent piégés au sein de leur propre communauté, transformée en milices d’auto-défense, ne rendant la démobilisation possible que par la séparation avec la communauté d’origine[6]Child Soldier International, Des milliers de vies à réparer, 2016, https://www.ecoi.net/en/file/local/1118040/1226_1471512387_car-report-2016-e-version.pdf.

Pour y faire face, des négociations ont été menées avec les groupes armés au Forum de Bangui (2015), permettant la libération de près de 11 000 enfants. Cependant, les obstacles persistants ont entraîné des remobilisations, sans parvenir à prévenir de nouveaux recrutements[7]Ghislain Toundam, « Les enfants-soldats, des générations sacrifiées », RFI, 30 août 2017, https://www.rfi.fr/fr/medias-partenaires/20170829-rca-enfants-soldats-generations-sacrifiees.

Cet échec peut tout d’abord s’expliquer par le facteur socio-économique. Les enfants issus des milieux les plus modestes sont considérés comme plus vulnérables au recrutement, alors que près de la moitié de la population vit dans l’urgence humanitaire en RCA[8]OCHA, Central African Republic – Rapport de situation, 6 mars 2024, … Continue reading. En fournissant un logement et de la nourriture aux enfants qui les rejoignent, les groupes armés apparaissent souvent comme une solution de dernier recours. L’effondrement des services publics favorise également l’enrôlement en raison de l’impunité généralisée, amenant les enfants démobilisés en recherche de protection à se réengager[9]Arte, « Centrafrique, le retour… », op. cit.. Enfin, le rejet et la marginalisation subis par les jeunes filles victimes de violences sexuelles au sein des groupes armés agissent également comme facteurs de remobilisation[10]Gaël Grilhot, « L’accord de paix en Centrafrique permet la libération d’enfants-soldats prisonniers des milices », Le Monde, 20 mars 2019, … Continue reading.

Devant l’ampleur des recrutements, des renégociations ont été menées lors de l’accord de Khartoum (2019)[11]Ibid.. Depuis 2020, le pays connait néanmoins une recrudescence du conflit, entraînant une nouvelle vague de recrutements[12]Nations unies, « RCA : les enfants paient un prix élevé face à la reprise des hostilités avertit l’ONU », 2021, https://news.un.org/fr/story/2021/11/1108692. Face à ce cercle vicieux, des alternatives apparaissent primordiales pour repenser une réintégration durable dans la société civile.

Repenser la réintégration face à l’urgence 

La réinsertion s’entend ici comme « le processus d’accompagnement à la vie civile », et n’est généralement considérée comme effective qu’à partir du retour des enfants démobilisés au sein de leur famille[13]Carel Makita Kongo, « Les enfants associés aux forces et groupes armés démobilisés face aux contraintes d’une réinsertion sociale », 7 février 2019, … Continue reading. En RCA, le gouvernement et les institutions internationales telles que le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) avaient initialement recours à des programmes fondés sur des « Centres de Transit et d’Orientation » (CTO). L’objectif était d’apporter une aide psychologique et une orientation professionnelle aux enfants avant la réinsertion. Face à des coûts considérés comme trop importants, une nouvelle stratégie a été adoptée, privilégiant le placement direct des enfants dans des familles d’accueil au sein de leur communauté d’origine[14]Child Soldier International, Des milliers de vies…, op. cit..

La pertinence de cette approche peut toutefois être questionnée, dans la mesure où les CTO offraient une transition plus progressive vers la réinsertion[15]Aboubacar Sidiki Diomandé, « L’enfant soldat confronté au processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) », Études Internationales, vol. 44, numéro 4, 2013, p. 567–595. Le placement direct des enfants au sein de leur communauté apparaît alors contradictoire, le milieu social d’origine pouvant agir comme un facteur de remobilisation. Afin de faciliter cette réintégration communautaire, certains acteurs préconisent un accompagnement par des processus de justice transitionnelle tels que la médiation, afin de réintroduire le dialogue et rétablir les liens familiaux[16]Violaine Dujardin, « La lutte contre l’utilisation des enfants-soldats », 2017, http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:12759. Le manque d’appui financier limite cependant le déploiement de ce type de programmes. En 2022, un enfant démobilisé sur cinq n’était pas accompagné par un programme de réinsertion[17]OIT, Cas individuel (CAS) – Discussion : 2022, Publication : 110e session CIT, 2022, https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:13101:0::NO::P13101_COMMENT_ID:3187463.

En effet, la crise traversée par la RCA a conduit à un effondrement des finances étatiques, si bien que les programmes de réinsertion sont souvent entièrement financés par les fonds humanitaires[18]Emmanuel Chauvin, « Pour une poignée de ressources. Violences armées et pénurie des rentes en Centrafrique », Les Cahiers d’Outre-Mer, n° 272, 2015, p. 481-500.. Paradoxalement, certains acteurs internationaux tels que les Nations unies ne se voient que comme « un niveau complémentaire » d’aide, et appellent à la responsabilité des États pour la protection des enfants[19]Jean-Manuel Larral, op. cit. L’incapacité de l’État centrafricain à administrer les fonds a par ailleurs conduit à une diminution de l’appui financier. En 2022, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont annoncé des coupes budgétaires de 40 à 60 %, craignant des détournements à des fins militaires[20]« En Centrafrique, les finances publiques sont dans le rouge », RFI, 4 mai 2022, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220504-en-centrafrique-les-finances-publiques-sont-dans-le-rouge.

En conclusion, l’appui soutenu de la communauté internationale semble indispensable pour faire face au défi de la réinsertion. Facteur clé du processus de paix et de la réconciliation nationale, la démobilisation définitive des enfants-soldats nécessite d’être repensée par l’instauration d’un environnement protecteur, adapté aux réalités locales.


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References

References
1 Arte, « Centrafrique : le retour des filles-soldats », 2020, https://www.arte.tv/fr/videos/095967-000-A/centrafrique-le-retour-des-filles-soldats
2 Plan International, « Filles soldats, les invisibles des conflits armés », 2019, https://www.plan-international.fr/actualites/filles-soldats-les-invisibles-des-conflits-armes/
3 Plan International, « Filles soldats… », op. cit.
4 Principes de Paris, 2007, https://childrenandarmedconflict.un.org/wp-content/uploads/2012/05/Les-Principes-de-Paris-Fr-1.pdf
5 Philippe Chapleau, « Enfants-soldats, ces armes de destruction pas très mineures », Inflexions, 2018/1 (N° 37), p. 13-23.
6 Child Soldier International, Des milliers de vies à réparer, 2016, https://www.ecoi.net/en/file/local/1118040/1226_1471512387_car-report-2016-e-version.pdf
7 Ghislain Toundam, « Les enfants-soldats, des générations sacrifiées », RFI, 30 août 2017, https://www.rfi.fr/fr/medias-partenaires/20170829-rca-enfants-soldats-generations-sacrifiees
8 OCHA, Central African Republic – Rapport de situation, 6 mars 2024, https://reports.unocha.org/fr/country/car?_gl=1%2a4v9met%2a_ga%2aNDcwMzA1NDQ5LjE2Njc1MDA0NzM.%2a_ga_E60ZNX2F68%2aMTY2NzUwMDQ3Mi4xLjAuMTY2NzUwMDQ3Mi42MC4wLjA
9 Arte, « Centrafrique, le retour… », op. cit.
10 Gaël Grilhot, « L’accord de paix en Centrafrique permet la libération d’enfants-soldats prisonniers des milices », Le Monde, 20 mars 2019, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/20/l-accord-de-paix-en-rca-permet-la-liberation-d-enfants-prisonniers-des-milices_5438905_3212.html
11 Ibid.
12 Nations unies, « RCA : les enfants paient un prix élevé face à la reprise des hostilités avertit l’ONU », 2021, https://news.un.org/fr/story/2021/11/1108692
13 Carel Makita Kongo, « Les enfants associés aux forces et groupes armés démobilisés face aux contraintes d’une réinsertion sociale », 7 février 2019, https://hal.science/hal-02010351/document
14 Child Soldier International, Des milliers de vies…, op. cit.
15 Aboubacar Sidiki Diomandé, « L’enfant soldat confronté au processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) », Études Internationales, vol. 44, numéro 4, 2013, p. 567–595
16 Violaine Dujardin, « La lutte contre l’utilisation des enfants-soldats », 2017, http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:12759
17 OIT, Cas individuel (CAS) – Discussion : 2022, Publication : 110e session CIT, 2022, https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:13101:0::NO::P13101_COMMENT_ID:3187463
18 Emmanuel Chauvin, « Pour une poignée de ressources. Violences armées et pénurie des rentes en Centrafrique », Les Cahiers d’Outre-Mer, n° 272, 2015, p. 481-500.
19 Jean-Manuel Larral, op. cit
20 « En Centrafrique, les finances publiques sont dans le rouge », RFI, 4 mai 2022, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220504-en-centrafrique-les-finances-publiques-sont-dans-le-rouge

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