Le présent article illustre deux des ambitions de notre revue. D’abord, susciter et encourager la production de savoir de la part du milieu humanitaire lui-même qui n’en manque pas, trop souvent cantonné au rôle « d’acteur » : les acteurs réfléchissent, et bien, qu’on se le dise ! Ensuite, explorer et dévoiler des thématiques trop peu mises en valeur. C’est le cas ici avec cette analyse, effectuée à l’approche de la fin de l’épidémie, du projet de plate-forme Ambulances et décontamination initié par l’ONG Handicap International en Sierra Leone.
Handicap International (HI) est présent en Sierra Leone depuis 1996 auprès des victimes de la guerre civile et des personnes en situation de handicap, principalement dans les districts de l’ouest (Freetown), de Bo et Kono au centre et à l’est du pays. Jusqu’à la survenue de l’épidémie d’Ebola dans ce pays en mai 2014[1]Les données épidémiologiques datées du 29 novembre 2015 font état de 28 637 cas Ebola (suspectés, probables ou confirmés), dont 11 315 décès sur l’ensemble des pays touchés. La Sierra … Continue reading, les interventions menées par l’organisation étaient axées sur l’appareillage et la rééducation, la promotion des droits des personnes handicapées, leur inclusion dans le tissu communautaire, l’accès aux services pour tous et des activités de soutien psychosocial. Ces activités, caractérisées par un renforcement des capacités des acteurs locaux, ont été pratiquement interrompues du fait de l’épidémie, laissant la place à des activités d’information et de prévention auprès des partenaires de l’organisation.
En août 2014, la décision est prise de contribuer à l’effort de lutte contre la propagation de l’épidémie qui se traduira notamment par la mise en place du projet de plate-forme Ambulances et décontamination dans le district de Freetown. Le parc de véhicules de ce système centralisé est composé de cinquante ambulances et véhicules de décontamination dédiés aux interventions communautaires. Depuis le début du projet, 3 827 patients suspectés ou confirmés ont été transportés vers des centres de diagnostic ou de traitement Ebola et 1 834 maisons individuelles ont été décontaminées. Jusqu’à 300 employés nationaux ont apporté leur savoir-faire et leur remarquable engagement à ce projet, malgré les risques. Au plus fort de l’épidémie, les équipes ont effectué jusqu’à 65 transports par jour. 50 % des interventions communautaires ont lieu en milieu urbain, sur un périmètre qui comprend notamment sept bidonvilles de Freetown. Mais au-delà des enjeux de technicité liés à cette intervention, l’organisation s’est retrouvée confrontée aux difficultés à maintenir l’indispensable environnement d’acceptation et d’humanité.
Repousser nos limites et s’impliquer au plus près des patients Ebola
Il est assis devant sa maison, manifestement affaibli, amaigri et le regard inquiet. Sa femme et sa petite fille sont à ses côtés. L’ambulance et les équipes de décontamination ont été appelées pour transporter cet homme, souffrant de symptômes concordant avec la maladie d’Ebola, vers un centre de diagnostic et d’isolement. Les intervenants ont aussi pour mission de décontaminer la maison afin d’éviter toute propagation du virus. « L’armada » de véhicules et de professionnels qui « débarquent » a de quoi impressionner et effrayer cette famille ainsi que les dizaines de voisins et membres de la communauté rassemblés. Avec l’accord de la famille, effectuant des gestes lents et précis dans une combinaison singulière aujourd’hui tristement célèbre, appelée équipement de protection individuel (EPI), les intervenants accompagnent cet homme vers l’ambulance. S’ensuit alors un processus prédéfini, d’une rigueur absolue, afin d’éliminer le matériel souillé (son matelas, ses effets personnels) et de décontaminer sa maison, pièce par pièce, en insistant sur les endroits où il a séjourné. Cette technicité extrême, dénuée de toute spontanéité et l’impersonnalité de la combinaison ne sauraient permettre cette intervention si une dose importante d’humanité et d’empathie n’était distillée en permanence par l’équipe d’intervention. Au cœur de la communauté en effet, comment réussir à enrayer la propagation de cette épidémie, rompre les chaînes de transmission et protéger les équipes, tout en conférant un visage humain à l’intervention ? Ou comment essayer de rendre l’impossible possible…
Tout commence fin juin 2014, quand Médecins Sans Frontières (MSF) a lancé son premier appel à la mobilisation internationale – suivi le 8 août de la déclaration d’urgence de santé publique de portée internationale par l’OMS. Cela a eu pour conséquence la mise en « stand-by » des projets réguliers et la protection des équipes d’Handicap International, comme ce fut le cas pour la plupart des ONG présentes. Après d’intenses discussions internes pour débattre de la valeur ajoutée de la présence de l’organisation face à cette crise et sur son éventuel retrait, Handicap International fait alors le choix de rester et de s’engager dans différents projets, mettant notamment à profit le réseau de ses partenaires communautaires pour des actions de sensibilisation à la prévention et à la protection. Encouragé par les appels de MSF, qui ont nourri « l’audace » et l’acceptabilité de la prise de risque nécessaires, cet engagement s’est fait en respectant les limites de l’expertise de l’organisation sur le plan médical, ce qui excluait alors la prise en charge directe de patients.
Début décembre 2014, l’épidémie d’Ebola est toujours à son pic en Sierra Leone ; Freetown et sa péninsule sont sévèrement affectées. Dans ce contexte où l’urgence est avant tout d’enrayer la propagation de la maladie, et à l’invitation du DFID (UK Department for International Development), Handicap International décide de s’impliquer directement, au plus près des patients, dans la lutte contre cette épidémie. La compréhension qu’une nouvelle crise sanitaire et humanitaire est en train de se jouer et l’évidence d’un besoin non couvert – intrinsèquement lié au contrôle des chaînes de transmission – incitent l’organisation à intervenir en misant sur les savoir-faire logistiques de sa direction de l’action d’urgence. Sur Freetown et son district, il n’existe en effet aucun système centralisé d’ambulances dédiées à Ebola, c’est-à-dire en capacité de transporter vers les centres appropriés les centaines de personnes qui présentent chez elles, dans la communauté, des symptômes de la maladie. De surcroît, les maisons des patients qui arrivent en centre de traitement par leurs propres moyens ne sont pas décontaminées systématiquement, comme l’exigent pourtant les protocoles nationaux et internationaux.
C’est ainsi qu’est né le projet de plate-forme Ambulance et décontamination, financé par le DFID Ebola Emergency Response Fund (DEERF). L’expertise de l’organisation dans la gestion de plates-formes logistiques en urgence – comprenant la gestion d’importantes flottes de véhicules – n’est plus à démontrer et cette compétence constitue le socle du projet. Mais il était tout aussi clair qu’un nouveau champ d’expertise, ainsi que de nouveaux savoir-faire devaient être parallèlement développés, notamment en termes de processus de décontamination et de contrôle et prévention de l’infection (IPC) et ce dans des délais extrêmement courts. Forte d’une expertise ancienne et consciente des apprentissages indispensables, Handicap International a certes vu sa possible valeur ajoutée dans cette réponse, sans pouvoir toutefois mesurer l’ampleur de l’adaptation que la mise en œuvre allait demander. Cette crise, sa nature et ce projet spécifique vont en effet obliger HI à repenser de fond en comble l’organisation interne du programme et les modalités d’appui du siège.
Une exigence de qualité technique
Une fois identifié le lieu d’implantation du projet, les équipes ont travaillé avec acharnement à monter la nouvelle plate-forme Ambulance et décontamination de Freetown. Une plate-forme où les appels en provenance du centre de commande (coordinateur de la réponse dans le district) sont reçus et traités par l’équipe de régulation. Une plate-forme d’où partent simultanément vers les villages du district les ambulances, les véhicules de décontamination des maisons et les véhicules chargés du matériel contaminé. Une plate-forme en capacité d’assurer aux véhicules, suite à chaque intervention, un processus de décontamination exigeant. Une plate-forme capable de maintenir et de réparer une flotte de véhicules importante. Une plate-forme qui peut accueillir et former simultanément les centaines d’employés dédiés à ce nouveau projet. La construction et l’aménagement logistique de ce site furent donc de grande ampleur. Le support logistique de plusieurs acteurs (MSF, coopération allemande, Programme alimentaire mondial, Unicef, armée britannique) fut aussi très précieux.
Mais le plus grand défi fut la mise en place et la structuration – sans précédent chez Handicap International – d’un processus rigoureux de décontamination des ambulances, impliquant de prévoir un découpage par zone selon le risque de contamination ; une gestion appropriée des flux de personnes, de matériels et de véhicules à travers ces zones ; un protocole particulier pour traiter les déchets contaminés ainsi qu’un approvisionnement en eau chlorée aux différentes dilutions. Bref, une plate-forme d’ambulance répondant pratiquement aux mêmes principes et aux mêmes exigences qu’un centre de traitement Ebola (CTE) où chaque détail, chaque geste comptent. Un tel niveau d’expertise technique n’aurait pu être atteint sans la formation continue des équipes au processus de décontamination. Pour cela, il a fallu également recruter de nouveaux profils d’expatriés, experts dans ce domaine, afin d’accompagner les équipes nationales. Si le contexte épidémique et la gravité de la menace ont généré des difficultés de recrutement pour l’ensemble des acteurs, trouver ces profils spécifiques prêts à partir pour une organisation dont ce n’est pas l’expertise habituelle représentait une véritable gageure. La pertinence du projet, son caractère techniquement attractif et sans doute la bonne réputation de l’organisation ont permis de réunir les compétences nécessaires.
Ce type d’intervention au sein de la communauté requiert également une grande rigueur technique, un suivi irréprochable des protocoles et un niveau de formation tout aussi exigeant. Rompre une chaîne de transmission en isolant un patient de son foyer, en l’évacuant et en décontaminant sa maison, tout en assurant un haut niveau de protection des équipes – le premier devoir d’un employeur – représente un défi permanent de technicités intriquées et diversifiées. Chaque contexte d’intervention en communauté est unique par ses données géographiques, climatiques ou sociales, appelant de fait d’autres niveaux d’expertise, ceux de l’innovation, de l’autonomie des équipes, de l’analyse et de l’adaptation à chaque situation inhabituelle : un patient ou une maison inaccessible aux véhicules ; un foyer situé dans un ravin en dessous de la route ; une intervention dans un bidonville où les rues sont si étroites et les maisons si petites qu’un homme peut difficilement s’y faufiler avec un brancard et en équipement de protection ; une foule rassemblée sur la zone d’intervention qu’il faut « contrôler » pour éviter tout risque de propagation voire d’hostilité ; une pluie incessante ou des bourrasques si typiques de la saison des pluies à Freetown… L’habillage, le déshabillage et même le processus de décontamination des maisons sont alors rendus presque impossibles. Face à ces défis techniques, des protocoles particuliers ont été progressivement élaborés pour les interventions à risque, notamment dans les bidonvilles ou sous la pluie, fruits de l’expérience acquise. Parallèlement, des prototypes de tentes gonflables ont été développés spécifiquement pour l’habillage et le déshabillage sous la pluie. Accompagnées de différents matériels et équipements imperméables, ces tentes sont maintenant utilisées régulièrement, avec des équipes spécifiquement entraînées à leur utilisation, démontrant ainsi que la prise en charge du patient est possible en presque toute circonstance.
Agir sur la chaîne de transmission, mais être aussi un vecteur de réassurance
Une intervention en communauté est commencée lorsqu’un nouveau patient est identifié et rapporté aux autorités comme suspecté d’avoir contracté le virus Ebola (c’est-à-dire présentant les symptômes de la maladie). Une intervention standard ne comprend pas moins de quatre véhicules : l’ambulance servant au transport du patient vers le centre de diagnostic et de traitement ; la voiture de décontamination transportant le matériel et les équipes qui décontamineront la maison ; la voiture chargée du matériel souillé à évacuer ; et celle transportant les effets systématiquement fournis en remplacement du matériel évacué (matelas, draps, moustiquaires). Les douze équipiers sont répartis dans les quatre véhicules, chacun avec un rôle précis à jouer (prise en charge du patient, déploiement du matériel, pulvérisation de la maison à l’eau chlorée…). Plusieurs d’entre eux, au minimum six, s’habillent avec les équipements de protection. Le patient est évacué en moins d’une heure, mais l’opération dans son entièreté représente en moyenne trois heures de présence sur place. Même avec le support du leader communautaire, il est aisé de comprendre la crainte – parfois même la défiance des populations – que ce déploiement massif peut susciter. Face à ce convoi de voitures et aux nombreuses personnes déployées, face à ces équipements de protection qui ne permettent pas de voir les visages, face aux pulvérisations intrusives d’eau chlorée dont ils ne comprennent pas toujours l’objectif, la famille et les proches sont dans l’angoisse et parfois sur la défensive. Ces craintes, cette défiance sont une source de pression pour les équipes en intervention ; pression qu’il faut gérer au cas par cas, en fonction du contexte de chaque village ou quartier de bidonville.
C’est avant tout une histoire de personnes et de savoir-être. Les équipes nationales, engagées depuis décembre 2014 dans cette entreprise, sont largement dévouées à leur mission. Sans relâche, sept jours sur sept, elles interviennent. Elles ont acquis une connaissance irremplaçable de chaque lieu et la reconnaissance des communautés qui y vivent, et ce d’autant plus qu’elles en sont parfois issues. Le travail de la relation avec la communauté est central pour que l’intervention soit non seulement acceptée mais aussi portée par le patient s’il le peut, la famille et la communauté elle-même. Dans cette optique, deux personnes au sein de chaque équipe d’intervention – un promoteur de santé et le leader d’équipe – sont spécialement dédiées à l’explication de l’intervention et au dialogue avec la communauté, la famille et le patient. Ne portant pas les équipements de protection, elles gardent « un visage humain » et entretiennent un lien permanent avec la communauté durant toute la durée de l’intervention.
Ce dialogue permet aussi d’effectuer une bonne analyse de situation et de faire, auprès de la famille, la part des choses entre nécessité de santé publique et respect du patient et de ses droits (confidentialité, respect de ses choix…). L’équipe est alors à même de proposer, en fonction de chaque contexte, des protocoles d’intervention plus acceptables pour tous : comment évacuer le patient (à pied ou sur brancard) ; quelles limites poser à la zone d’intervention (non accessible à la foule) pour que la communauté perçoive l’action comme transparente, tout en préservant un peu de confidentialité et d’intimité quand, par exemple, les effets personnels de la personne seront sortis et exposés au soleil ou chlorés devant sa maison, sous le regard de ses voisins rassemblés ?
L’humanité et l’empathie mises dans ce dialogue, que ce soit à travers les échanges confidentiels avec la famille ou dans le discours public à l’égard de la communauté, sont tout à fait primordiales. Des formations en continu sont dispensées en ce sens aux équipiers, dont les comportements sont vecteurs de préservation du lien social. Des acteurs de la réponse des différents piliers[2]La réponse Ebola est subdivisée et coordonnée par piliers thématiques (une organisation qui s’apparente à un fonctionnement en « clusters »). Il existe ainsi les piliers « Isolation et … Continue reading, notamment les piliers « mobilisation sociale » et « protection », sont largement impliqués dans les formations ainsi que dans les démonstrations[3]Ces démonstrations permettent de simuler une fausse intervention dans certains villages et de commencer un dialogue afin de préparer les communautés à ce type d’intervention. Sont ciblées … Continue reading organisées dans différentes communautés. Dans ce domaine également, les équipes ont bénéficié du support initial de MSF, organisation grâce à laquelle des formations ad hoc et de coaching ont pu être mises en place sur plusieurs semaines en début d’année 2015.
Des patients perçus par la communauté comme victimes, héros ou menace
Ce savoir-être, cette humanité, ce dialogue sont essentiels pour déjà préparer « l’après ». Il a tant été dit sur la stigmatisation endurée par les patients guéris, mais aussi par leurs familles et les personnes mises en quarantaine. Cette situation est tout autant subie par les patients dits « suspects », transportés selon le même protocole dans un centre de diagnostic. Lorsqu’il s’avère, suite à une consultation et des examens de laboratoire, qu’ils souffrent d’une autre maladie (par exemple le paludisme), et même s’ils sont rapidement de retour chez eux avec un traitement spécifique, ils rencontrent parfois des difficultés une fois dans leur communauté. Travailler sur « l’après » est donc nécessaire dès la prise de contact avec la famille et la communauté. C’est le rôle du promoteur de santé de prendre le temps de passer les messages adéquats, de susciter les échanges, de répondre aux questions et ainsi préparer le terrain pour le retour au sein de la communauté, favorisant ainsi la compréhension et le soutien envers le patient et sa famille.
S’il est rendu bien visible, ce travail dans la communauté, en allant à la rencontre des gens, peut être un formidable levier pour générer la confiance des populations envers le système de réponse dans son ensemble, asseoir sa crédibilité et son sérieux ; c’est une occasion unique pour engendrer un impact qualitatif global à travers des interventions techniquement maîtrisées et humainement assumées. La recherche de cet équilibre reste encore aujourd’hui un véritable enjeu. Handicap International n’est d’ailleurs pas exempte des critiques qui visent les interventions communautaires menées par l’ensemble des acteurs de la réponse : de véritables leçons restent à tirer de ces longs mois d’une intervention très intense. Ce processus est en cours, sous la forme d’une réflexion dynamique afin d’améliorer les pratiques. D’ores et déjà, il apparaît clairement que c’est l’acquisition de la capacité et de la maîtrise techniques qui permet de recentrer les efforts et l’attention sur la qualité humaine et l’approche de la relation au patient, à sa famille et à la communauté. Les équipes en intervention sont tout à la fois confrontées à la peur du patient, à l’angoisse de la famille de perdre l’être cher et aux regards de défiance que pose la communauté sur le patient et sa famille… À cet égard, suite aux récentes informations autour de la possible transmission du virus par des patients guéris, la perception des « survivants » évolue et soulève de nouvelles difficultés et des questionnements antagonistes : volontiers mis en avant par les autorités comme des héros ayant réussi à surmonter une terrible épreuve, ils peuvent rebasculer brutalement dans le statut de victimes ou faire figure de nouvelles menaces. Cette résurgence de la crainte et du rejet suscités par les anciens patients et leurs familles pose un nouveau défi aux interventions communautaires qui doivent, plus que jamais, gérer avec habileté cette dialectique entre technicité et humanité. L’efficacité des intervenants dans la reconstruction et la préservation du lien social est à ce prix.
Pour rompre les chaînes de transmission, s’inscrire dans la coordination
On sait qu’une prise en charge précoce du patient dans la communauté, son isolement rapide et son traitement dans un centre spécialisé ont un impact direct, tant sur le contrôle des chaînes de transmission que sur le pronostic vital. C’est l’ensemble des acteurs de la réponse qui se doit d’être réactif et rapide. Le projet de plate-forme d’ambulances ainsi que les interventions en communauté ne peuvent donc pas se faire de façon isolée. S’inscrire dans une coordination prend tout sens quand on sait à quel point la surveillance, l’alerte, la notification des cas, la régulation par le 117 (le numéro d’urgence Ebola en Sierra Leone), la gestion et le partage des données épidémiologiques sont primordiales. Un système centralisé coordonné est donc une nécessité, et un système d’ambulances centralisé une plus-value dans ce système coordonné de réponse. Cela évite qu’un patient se déplace jusqu’à une structure saturée, voire éventuellement fermée. Cela permet de s’assurer que chaque patient suspecté est bien pris en charge et que chaque maison qui le nécessite est décontaminée.
Ainsi, c’est l’appel du centre de commande de la coordination Ebola du district qui déclenche chaque intervention dans la communauté, fournissant les détails sur la localisation et le statut du patient, ainsi que l’indication de la structure vers laquelle le diriger. Et c’est au centre de commande que la plate-forme d’ambulances fait son rapport une fois l’intervention finalisée. Enfin, c’est encore le centre de commande qui planifie les étapes suivantes (suivi des cas contacts, lien avec la famille, déclenchement d’alerte de protection…).
Mise en perspective
Ce projet Ambulances et décontamination s’est imposé comme un maillon essentiel pour rompre les chaînes de transmission et participer au contrôle de la propagation de la maladie d’Ebola. Un système centralisé et coordonné est absolument crucial pour permettre une couverture totale du territoire. Il demande aux intervenants un dosage difficile entre les impératifs de technicité rigoureuse et d’humanité pour assumer le fait d’être tout à la fois vecteurs de la rupture (« extraction » autoritaire du patient de son environnement) et du maintien du lien social (réassurance et confiance de la communauté dans le système global et bienveillance de la communauté au retour des patients guéris). Le dispositif doit être adapté continuellement en fonction de l’évolution de l’épidémie. Aujourd’hui, même si le nombre de cas confirmés est proche de zéro, le dispositif en Sierra Leone continue de faire face à un volume d’activité important, la saison des pluies favorisant une incidence élevée de maladies aux symptômes similaires, comme le paludisme. Pour l’heure, en effet, toutes les personnes « suspectes » de la maladie d’Ebola doivent continuer à être prises en charge par ce système centralisé.
Les prochains mois seront déterminants dans la lutte contre cette épidémie : parvenir – et rester – à zéro cas est l’enjeu majeur. Mais le risque de réintroduction ou de réémergence de l’épidémie est bien réel, et les incertitudes liées aux nouvelles connaissances de cette maladie en matière de transmission représentent une menace encore insuffisamment documentée. Les intervenants sont donc confrontés à deux défis essentiels. Le premier est la définition et le maintien d’un dispositif résiduel sur Freetown et sa péninsule, avec des ambulances et des équipes capables de se redéployer rapidement si nécessaire, comme en atteste la réémergence de cas Ebola en juin 2015 au Liberia. Le second est la capitalisation de l’expertise acquise en vue d’une réplication qui ne manquera pas de se produire. Pour Handicap International, il s’agit d’une capitalisation à visée interne à l’organisation (nouveaux savoir-faire à conserver, enjeux de coordination, leçons apprises) afin d’être en capacité de déployer immédiatement une action efficace lorsqu’une épidémie se reproduira. Mais il s’agit également d’une capitalisation à visée externe, pour permettre à l’organisation de s’inscrire dans un système de réponse globale, pour y contribuer et promouvoir la recherche immédiate du meilleur équilibre possible entre une rigueur technique exigeante et la préservation de liens communautaires forts. C’est en répondant à ces exigences que l’organisation sera en mesure d’aider les populations affectées à surmonter et dépasser les crises engendrées par la survenue d’épidémies à virus Ebola.