Publié le 14 avril 2020
Troisième article de la série « Le Campus d’AH » en partenariat avec le Master Développement et Aide Humanitaire du département de science politique de Paris 1 Panthéon Sorbonne.
Depuis novembre 2019, les demandeurs et demandeuses d’asile doivent attendre trois mois à compter de la date de dépôt de leur demande d’asile avant de pouvoir accéder au système de santé publique garanti par l’Aide Médicale d’État (AME)[1]France Terre d’asile, CP/ Délai de carence pour les demandeurs d’asile : une bien mauvaise idée, 7.11.2019 : … Continue reading. Seuls les soins qualifiés de prioritaires et vitaux pourront leur être prodigués durant cette période. Cette mesure, qui participe au durcissement de la politique migratoire française, témoigne d’un désengagement de l’État vis-à-vis de la santé des étranger·e·s en France. La santé mentale des exilé·e·s dans le contexte de lutte contre le COVID-19 reste un impensé qui aggrave la précarité et la marginalisation de ces personnes.
Pourtant, la souffrance psychique liée à l’exil est fréquemment à l’origine de pathologies mentales chez les personnes migrantes. Pour la plupart, elles présentent des traumatismes ou troubles psychiques graves, pouvant résulter de violences vécues dans le pays d’origine ainsi que sur les routes migratoires. Le psychotraumatisme en est la forme la plus courante. Il se manifeste entre autres par des comportements amnésiques, des troubles de la concentration et des confusions temporelles. Ces symptômes interfèrent dans les procédures de demande d’asile.
L’attribution de l’asile repose principalement sur une mise en récit du parcours migratoire. Les exilé·e·s sont tenu·e·s de se raconter, de décrire les persécutions subies et les raisons ayant motivées leur voyage qui justifient la demande de protection en France. Élise Pestre évoque « l’impératif de véracité absolue[2]PESTRE Élise, La vie psychique des réfugiés, Payot & Rivages, Paris, 2010, 320 p. » qui incombent à ces personnes. Les agent·e·s de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFRPA) jugent la solidité du récit selon des critères supposément objectifs comme les repères temporels, l’itinéraire et l’identité de la personne. Le choix des mots est capital puisque la véracité induit la conformité. Tant la conformité du parcours d’exil avec le réel qu’avec les attentes des agent·e·s de l’OFRPA sur ce qui constitue une souffrance légitime ou non. La perte de repères et l’incapacité à comprendre son environnement impactent la qualité de la preuve permettant d’obtenir l’asile. La logique de suspicion qui plane sur le processus de demande d’asile en France interroge sur la compréhension des traumatismes liés à la migration. La mise en récit du parcours implique pour les exilé·e·s de revivre les violences, dans des cadres qui ne sont pas forcément sécurisants. Les structures récipiendaires des demandes sont soumises à des impératifs d’efficacité et de rapidité, incompatibles avec la mise en récit d’un parcours devenu indicible. Les exilé·e·s n’ont, de surcroît, pas systématiquement la possibilité de choisir la langue dans laquelle ils ou elles s’expriment.
Pour cette raison le Comité pour la santé des exilés, le Comede et le centre Primo Levi se mobilisent sur ces questions en organisant des permanences téléphoniques, des actions de plaidoyer et des formations des professionnel·le·s sur la prise en charge médico-psychosociale[3]Comede, Le centre de formation du comede, 29.03.2019, https://www.comede.org/les-formations/. La recherche-action est centrale, puisqu’elle permet d’obtenir des chiffres précis sur l’état de la santé psychique des exilé·e·s. Ils sont indispensables pour pouvoir mener un plaidoyer efficace et témoignent des carences et insuffisances des dispositifs d’accueil en France.
La recontextualisation sociale et culturelle de la souffrance est nécessaire pour garantir une prise en charge adaptée à chaque exilé·e. C’est dans cette perspective que l’approche interculturelle fait sens. L’accès aux soins pour les cas de souffrances psychiques est donc à étudier au regard de la psychiatrie coloniale développée par Frantz Fanon, qui nous rappelle le risque de double aliénation des patient·e·s racisé·e·s. D’une part par leur pathologie ; d’autre part par le regard que posent les soignant·e·s sur eux et elles. À ce titre et face au contexte politique actuel, il convient de considérer la santé mentale des exilé·e·s comme une priorité de santé publique[4]Centre Primo Levi, La souffrance psychique des exilés, une urgence de santé publique, 19.06.2019, … Continue reading. C’est d’ailleurs le cri d’alarme lancé par les associations venant en aide aux populations migrantes, notamment dans le contexte de crise du COVID-19. Elles appellent l’État à faire face à ses responsabilités en respectant des obligations d’information, de mise à l’abri et de protection sanitaire, nécessaires au respect de la dignité humaine.
Noumidia Bendali Ahcene, 22 ans, est étudiante en Master 2 de Développement et Aide humanitaire à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Après avoir obtenu une double licence en droit et sciences politiques à l’Université de Lyon III, elle s’est spécialisée en Droit international à l’Université de Aix-Marseille. Au cours de cette dernière année, elle s’est davantage familiarisée aux questions migratoires à l’issue d’un séjour à Calais aux côtés de la Cabane Juridique et de l’Auberge des Migrants.
Louise Larnaudie, 24 ans, est diplômée d’une licence en Anthropologie à l’Université Paris 10 Nanterre et d’un Master en Relations Internationales à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Elle a souhaité se spécialiser dans le secteur de la solidarité internationale et termine actuellement le Master 2 Développement et Aide Humanitaire de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Son stage au Centre Primo Levi a renforcé sa sensibilité concernant la situation des personnes exilées en France et en particulier en matière de santé mentale et de souffrances psychiques liées à la migration.
Marion Luc, 23 ans, originaire de Dijon, est étudiante en Master 2 dans le parcours Développement et Aide Humanitaire de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Elle est diplômée d’une licence de Relations Internationales et Traduction de l’université Lumière Lyon II et d’un Master à Sciences Po Toulouse, dans le parcours Politiques, Discriminations et Genre. Elle est particulièrement intéressée par les questions de genre, qu’elle a notamment pu mettre en pratique à l’occasion de stages au sein de Médecins du Monde et Equipop.