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Comprendre l’histoire, la dynamique et le fonctionnement des épidémies

Jean Freney
Jean FreneyProfesseur émérite des universités, Jean Freney a accompli toute sa carrière professionnelle au sein de l’Université Claude Bernard Lyon I et des Hospices Civils de Lyon où il a exercé son activité dans le domaine de la bactériologie médicale. Ses principaux centres d’intérêt ont concerné l’identification et la description de nouvelles espèces bactériennes, l’étude d’agents antiseptiques et désinfectants, les textiles à propriétés anti-infectieuses et les biofilms bactériens. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages techniques comme le Précis de bactériologie médicale, Antisepsie et désinfection ou Legionella, mais aussi d’ouvrages plus généraux consacrés à l’histoire des sciences (Des bactéries et des hommes, Dictionnaire des bactériologistes, La Guerre des microbes, etc.). Depuis quelques années, il consacre ses ouvrages à l’histoire des infections à Lyon (Peste, choléra… et autres calamités. Une histoire des infections à Lyon ou Typhoïde, choléra, paludisme… Les infections liées à l’eau, ayant frappé Lyon et sa région).

D’où viennent les épidémies, comment se propagent-elles et de quelle manière agissent-elles ? Pour ouvrir ce dossier, il fallait resituer la pandémie de la Covid-19 dans la longue lignée de celles qui l’ont précédée et mieux comprendre celles qui viendront. Jean Freney s’est attelé de manière magistrale à cet exercice.

Les épidémies récentes de grippe porcine H1N1 et aviaire H5N1, du coronavirus responsable du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), du virus Ebola en Afrique et aujourd’hui de la Covid-19 nous rappellent de manière insistante notre vulnérabilité face aux menaces nouvelles pour la santé humaine et notre incapacité actuelle à prévoir ou à prévenir de tels événements.

Pendant  99 % de son existence, l’homme a été chasseur-cueilleur. On estime que la population mondiale était d’un million d’hominidés il y a 300 000  ans, de 3 millions 25 000 ans avant notre ère, de 5 millions juste avant la révolution agricole il y a 12 000 ans, de 300 millions au début de notre ère. Elle est actuellement de l’ordre de 7,5 milliards d’individus[1]Norbert  Gualde, Comprendre les épidémies. La coévolution des microbes et des hommes, Le Seuil, 2006..

Entre 200 000 et 15 000 ans avant notre ère, l’espèce humaine s’est répartie sur l’ensemble de la planète suivie par un cortège de parasites, de virus et de bactéries. Certaines maladies devaient exister chez le chasseur-cueilleur comme celles causées par les poux de tête et de corps (typhus des broussailles, fièvre récurrente), les oxyuroses, le pian, la tularémie, la leptospirose et la schistosomiase. Il est probable que les premiers hommes se sont infectés lors de la consommation de carcasses contaminées (toxoplasmose, trichinose), mais également par des blessures infligées par des animaux ou lors de contacts avec des germes telluriques (tétanos). Ils ont certainement été aussi contaminés par des piqûres d’insectes ou des morsures de tiques leur transmettant des infections comme la fièvre jaune ou la dengue. Néanmoins, les infections devaient être rares et peu de maladies infectieuses virulentes étaient en mesure de se maintenir du fait de la taille des groupes sociaux, composés de quelques dizaines d’individus vivant en faible densité sur des territoires importants. Cette situation a peu évolué jusqu’à la survenue de la révolution agricole[2]Serge Morand, La prochaine peste. Une histoire globale des maladies infectieuses, Fayard, 2016..

Une brève histoire des épidémies

La révolution agricole constitue un tournant majeur dans l’histoire humaine, car le développement de l’agriculture a permis la sédentarisation et la formation de villages, puis de villes. Elle s’est déroulée entre 10 000 et 2 500 ans av. J.-C. et a débuté au bord du Nil en Égypte et du Tigre et de l’Euphrate en Mésopotamie formant le Croissant fertile. Ce phénomène s’est développé ensuite indépendamment dans plusieurs régions du globe, le long des grands fleuves comme le Gange, l’Indus et le fleuve Jaune.

Les principales maladies infectieuses des zones tempérées semblent être apparues en très grande majorité dans l’Ancien Monde (Afrique, Asie et Europe), souvent à partir de micro-organismes (bactéries, virus, parasites) hébergés par de grands mammifères domestiqués qui, à la suite de mutations, se sont adaptés à l’homme en lui transmettant de nombreux agents infectieux (Tableau 1). En Amérique du Sud, le lama qui vivait en semi-liberté – contrairement aux animaux domestiqués de l’Ancien Monde – semble avoir été responsable de très peu d’infections chez l’homme[3]Serge Morand, K. Marie McIntyre, Matthew Baylis, “Domesticated Animals and Human Infectious Diseases of Zoonotic Origins: Domestication Time Matters”, Infection, Genetics and Evolution: Journal … Continue reading.Des animaux domestiques indésirables tels que les rongeurs se sont également multipliés formant des habitats permanents dans et autour des habitations. Les progrès récents de la génétique et de la phylogéographie ont montré que certains agents infectieux comme celui de la tuberculose, Mycobacterium tuberculosis, étaient beaucoup plus anciens et existaient il y a 2,6 à 2,8 millions d’années, soit bien avant les premiers humains[4]M. Cristina Gutierrez et al., “Ancient Origin and Gene Mosaicism of the Progenitor of Mycobacterium Tuberculosis”, PLoS pathogens, vol.1, 1, 2005.. Néanmoins, la révolution agricole du fait de la densification des populations et des progrès de l’agriculture et de l’élevage a constitué un puissant accélérateur des maladies infectieuses transmises par les animaux ou zoonoses (Tableau 1).

Lorsque l’homme était chasseur-cueilleur et qu’il se déplaçait sans cesse, il était difficile pour un moustique de s’adapter à cet hôte nomade. Lorsque l’homme se sédentarisa, certaines espèces d’insectes s’habituèrent à se nourrir exclusivement sur ce nouvel hôte. C’est ainsi que furent sélectionnés certains moustiques manifestant une anthropophilie stricte comme Anopheles gambiae, vecteur du paludisme, et Aedes aegypti, vecteur d’arboviroses (fièvre jaune, dengue)[5]Jean-François Saluzzo, Des hommes et des germes, PUF, 2004.. La pratique de l’irrigation et le développement des plans d’eau ont élargi les sites de reproduction potentiels des moustiques vecteurs de la fièvre jaune et de la filariose et également permis le contact avec des cercaires – larve de parasites qui vit dans un hôte intermédiaire – responsables de la bilharziose uro-génitale (hématurie d’Égypte). L’utilisation de matières fécales comme engrais a dû provoquer diverses infections (douves intestinales, bactéries entéropathogènes…).

Tableau 1 – Domestication des grands mammifères et des rongeurs et leurs rôles dans les zoonoses d’après Morand et al.[6]Serge Morand, K. Marie McIntyre, Matthew Baylis, “Domesticated Animals…”, art. cit. et Diamond[7]Jared Diamond, Guns, Germs, and Steel: the Fates of Human Societies, New York, Norton, 1997.

L’accroissement considérable de la population au Moyen-Orient et en Asie a favorisé des infections produites par des virus (rubéole, rougeole, oreillons, varicelle…) qui ne possèdent pas de réservoir animal : les maladies contagieuses de masse (crowd diseases). Elles survenaient localement sous la forme de brèves épidémies. Ces maladies ne pouvaient se maintenir qu’au sein de populations denses, ce qui était possible dans les grandes concentrations humaines rencontrées en Mésopotamie, en Égypte et en Asie. Il faut en effet un nombre d’habitants compris entre 250 000 et 500 000 personnes et que le virus rencontre en permanence des individus non protégés(nouveau-nés et jeunes enfants) à raison de 40 000/an pour pouvoir persister.

Les conquistadors espagnols ont bénéficié, si l’on peut dire, d’un « avantage décisif » lorsqu’ils partirent à la conquête du Nouveau Monde à la fin du XVe siècle. Non seulement ils étaient protégés contre de nombreuses infections acquises dès leur enfance (rougeole, variole…), mais ils amenèrent avec eux des germes que ne connaissaient pas les populations précolombiennes, ce qui contribua à l’affaiblissement de ces dernières, voire à leur disparition.

Il y a 200 ans, la plupart des gens ne s’éloignaient jamais à plus de trente kilomètres de leur lieu de naissance. Cela signifiait que les maladies avaient tendance à se déplacer lentement et généralement dans une zone climatique spécifique. Aujourd’hui, depuis que la mondialisation a fait de la Terre un village et que se sont développé les voyages de masse, les schémas de migration des maladies ont radicalement changé. Conjugués au changement climatique, les agents pathogènes se sont répandus loin des zones où ils sont nés, si bien que de nouvelles maladies infectieuses sont décrites régulièrement.

Comment émergent les épidémies ?

Pour qu’un agent infectieux soit à l’origine d’une épidémie, il faut d’abord qu’il puisse se transmettre rapidement d’un individu à l’autre, ensuite qu’il rencontre à un moment donné un nombre suffisant de sujets non immuns et enfin, si possible, qu’il soit transmis par aérosol comme dans le cas de la rougeole, de la rubéole, des oreillons, de la grippe ou de la Covid-19. La peste est devenue une pandémie dès lors qu’est apparue la peste pulmonaire[8]Jean-François Saluzzo, Des hommes…, op.cit..

Depuis que la mondialisation a fait de la Terre un village et que se sont développé les voyages de masse, les schémas de migration des maladies ont radicalement changé.

 

La transmission d’un agent pathogène peut être directe ou indirecte. Elle est dite directe lorsque l’agent infectieux passe directement d’une personne à une autre par la parole, la toux, l’éternuement (rhinovirus, Covid-19), l’alimentation (choléra, agents entéro-pathogènes), le sang (VIH, hépatite C), le sperme (VIH) ou par contact cutané (herpès). À l’inverse, elle est dite indirecte quand elle a lieu par le biais d’un vecteur (insecte ou acarien) qui transporte l’agent pathogène jusqu’à l’hôte, d’un véhicule inerte (aliments, eau, objets, linge), de particules contenues dans l’air, ou encore lorsque son site comporte un hôte intermédiaire.

L’adaptation d’un virus d’origine animale à l’homme est probablement un processus rare et tout à fait aléatoire. Pour qu’il puisse franchir la barrière d’espèce, il faut que le virus soit excrété massivement par l’animal, qu’il s’adapte à l’homme et finalement qu’il présente un tropisme tissulaire (cutané, pulmonaire) nécessaire à sa transmission interhumaine[9]Ibid.. Cette étape requiert également un certain nombre d’adaptations permises par la plasticité des génomes viraux. Les virus se multiplient rapidement. Et comme c’est le cas pour tout être vivant, ces multiplications sont l’occasion de modifications aléatoires de leur matériel génétique, car la réplication n’est pas toujours parfaite. Or les virus ne possèdent pas les systèmes de réparation de leur génome comme c’est le cas pour l’ADN humain par exemple. Ces erreurs de réplication ont pour effet de donner des mutations qui font qu’un virus présent chez un animal devient de façon imprédictible adapté un jour à l’humain[10]Les mutations sont d’autre part plus fréquentes quand le support génétique est de l’ARN plutôt que de l’ADN, ce qui est le cas pour les coronavirus.. Une fois transmis à l’hôte, le virus continue d’évoluer à son avantage ou à son désavantage. Ainsi lors de l’épidémie de SRAS, le virus avait subi une mutation qui l’a rendu moins virulent.  Mais le risque existe que le virus devienne plus adapté encore à l’humain et que sa virulence augmente.

À partir de son réservoir naturel – le plus souvent une espèce animale comme la chauve-souris –, le virus peut être transmis directement à l’homme (comme le virus de la rage) ou faire intervenir plusieurs espèces hôtes qui sont alors qualifiées d’espèces intermédiaires. Le SRAS a atteint les humains par l’intermédiaire de la civette de palmier asiatique présente sur les marchés humides de la Chine du Sud, le MERS par les chameaux, le virus Ebola par les gorilles et les chimpanzés, le virus Nipah par les porcs, le virus Hendra par les chevaux, le virus Marburg par les singes verts africains et la Covid-19 peut-être par le pangolin.

Pour qu’un agent infectieux animal devienne un pathogène efficace chez l’homme, il doit être capable non seulement de l’infecter, mais aussi de maintenir une transmission interhumaine à long terme sans qu’il soit nécessaire de le réintroduire à partir de l’animal hôte d’origine. Des chercheurs[11]Nathan D. Wolfe, Claire Panosian Dunavan, Jared Diamond, “Origins of Major Human Infectious Diseases”, Nature, vol.447, 42, 2007, p.279-83, puis Brian L. Pike et al., “The Origin and Prevention … Continue reading ont défini cinq stades dans la transformation d’un agent infectieux animal en un pathogène humain (voir Figure ci-dessous). Le stade 1 comporte des microbes animaux qui ne sont pas présents chez l’homme dans des conditions naturelles et qui, pour certains, ne se transmettront jamais à l’homme (fièvre aphteuse, peste bovine). Lorsqu’un agent pathogène évolue de telle sorte qu’il peut être transmis à l’homme dans des conditions naturelles, mais ne peut supporter une transmission interhumaine durable, il entre dans le stade 2. Parmi les exemples de tels agents pathogènes, on peut citer le virus de la rage et le virus du Nil occidental (West Nile). Le passage du stade 2 au stade 3 est défini par la transmission secondaire entre humains. Le stade 3 comprend les agents pathogènes qui ne subissent que quelques cycles de transmission secondaire entre les humains, tels que les virus Ebola et Marburg qui infectent périodiquement des hôtes humains, mais ne parviennent pas à s’établir dans les populations humaines. Le stade 4 comprend les maladies, comme la grippe A et le choléra, qui existent chez les animaux, mais subissent de longues séquences de transmission secondaire d’homme à homme sans l’intervention d’hôtes animaux. Le stade 5, en revanche, représente les maladies qui sont exclusives à l’homme et comprennent des agents pathogènes tels que le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), la variole et la tuberculose[12]Ibid..

La compréhension de l’émergence de virus humains repose sur l’étude des différents types de réservoirs et de leurs contacts avec l’homme, des mécanismes de variabilité des génomes viraux, ainsi que de nombreux facteurs écologiques, économiques et sociaux. La probabilité d’infection d’un individu augmente avec l’abondance de l’hôte existant et la fréquence des « rencontres » avec l’agent infectieux, ainsi qu’avec la probabilité de transmission. Cette dernière probabilité est également liée aux caractéristiques du microbe, comme sa capacité à surmonter les barrières moléculaires de l’hôte (par exemple les défenses humorales et cellulaires) ou l’absence de récepteurs de membrane cellulaire essentiels à l’entrée des microbes dans les cellules hôtes. Cela explique les raisons pour lesquelles une espèce animale donnée peut devenir la source d’infections chez l’homme. Par exemple, malgré la très faible abondance des chimpanzés et leurs rencontres peu fréquentes avec l’homme, ils ont engendré des maladies humaines établies telles que le sida, et peut-être l’hépatite B, en raison de leur étroite relation phylogénétique avec l’homme. Ainsi les primates, qui ne représentent pourtant que 0,5 % de toutes les espèces de vertébrés, ont-ils contribué à environ 20 % des principales maladies humaines[13]Nathan D. Wolfe, Claire Panosian Dunavan, Jared Diamond, “Origins of Major Human Infectious Diseases…”, art. cit.. À l’inverse, bien que la distance phylogénique avec l’homme soit importante, les rongeurs – du fait de leur abondance et de leur proximité avec l’homme – lui ont transmis des infections majeures telles que la peste ou le typhus. Il en est de même avec le bétail domestique en raison de sa grande abondance et des contacts quotidiens avec l’homme. En revanche, les chauves-souris sont connues pour ne pas donner de zoonoses chez l’homme du fait de leur éloignement phylogénique et de leur rareté de contact avec lui. Dans le cas des chauves-souris qui constituent le principal réservoir de virus tels que ceux de la rage, du SRAS, d’Ebola, et aujourd’hui de la Covid-19, les infections chez l’homme sont principalement acquises à partir d’hôtes intermédiaires qui rencontrent fréquemment l’homme, comme le chien ou le renard pour la rage ou des animaux sauvages vendus pour l’alimentation dans le cas du SRAS (la civette) ou de la Covid-19 (le pangolin, sans que l’on sache vraiment encore s’il est ici en cause). Les rares cas de rage transmis directement par des chauves-souris sont dus au fait que l’infection rabique modifie leur comportement, qu’elles peuvent dans ce cas mordre l’homme et lui transmettre le virus.

La capacité d’adaptation à l’homme a bien été démontrée lors de l’épidémie de grippe d’origine aviaire qui survint à Hong Kong en 1997 et se révéla redoutable parmi les élevages de volailles. Elle toucha également dix-huit personnes dont six (30 %) décédèrent. Pour endiguer le fléau, les autorités hongkongaises pratiquèrent la destruction de 1,2 million de poulets et de 400 000  oiseaux, ainsi que la fermeture des marchés. L’enquête épidémiologique révéla que les cas humains résultaient de contacts directs avec les volailles et démontra l’absence de transmission interhumaine. Le virus avait bien franchi la barrière d’espèce animal-homme à plusieurs reprises, mais n’avait pas été capable de s’adapter à l’homme pour permettre sa diffusion. L’abattage massif du réservoir du virus en mettant fin à la circulation du virus aviaire a certainement évité son évolution et peut-être son adaptation à l’homme, ce qui aurait pu être alors à l’origine d’une épidémie dramatique[14]Jean-François Saluzzo, Des hommes…, op.cit..

Figure – Quelques exemples de transmission d’agents infectieux de l’animal-homme et de leur adaptation d’après Wolfe et al. et Pike et al.[15]Nathan D. Wolfe, Claire Panosian Dunavan, Jared Diamond, “Origins of Major Human Infectious Diseases…”, art. cit., puis Brian L. Pike et al., “The Origin…”, art. cit.

Les critères d’évaluation d’une épidémie

L’épidémie prend en compte des critères spécifiques du micro-organisme, en particulier sa contagiosité et sa virulence, lesquelles influent sur la manière dont un agent infectieux interagit avec son hôte.

La contagiosité se définit comme la possibilité pour un agent de déterminer une infection chez un hôte sensible. Un des critères les plus importants pour mesurer l’efficacité d’une transmission est le taux de reproduction de base d’un virus ou R0 qui correspond au nombre moyen de nouvelles infections générées par un individu infecté lorsque la population est entièrement réceptive à la maladie. R0 dépend donc non seulement de l’agent infectieux, mais également des caractéristiques de la population hôte (nombre de contacts par exemple) dans une période de temps donnée. R0 peut varier de 12 à 18 pour la rougeole ou la coqueluche, de 2 à 5 pour le VIH, de 2 à 4 pour le SRAS, de 2 à 3 pour la grippe saisonnière et la Covid-19, et de 1 à 2 pour Ebola. Selon la valeur du R0, les instituts de veille sanitaire pourront déterminer si une maladie est susceptible de se propager et de provoquer une épidémie :

Un des critères les plus importants pour mesurer l’efficacité d’une transmission est le taux de reproduction de base d’un virus ou R0.

 

La virulence est le premier déterminant de la gravité d’une épidémie que l’on mesure avec le nombre de cas graves ou de décès. Il est possible de classer les agents infectieux sur la base de leur contagiosité et de leur virulence. Par exemple, le virus Ebola présente une virulence très élevée, mais une contagiosité faible, ce qui ne l’empêche pas d’être un redoutable prédateur.

La Covid-19

 

Les coronavirus appartiennent à la famille des Coronaviridae comprenant des virus à ARN habituellement bénins responsables de rhumes ou de syndromes grippaux, mais quelquefois d’infections beaucoup plus graves à tropisme pulmonaire comme le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). Le virus comporte sur sa surface externe un ensemble de petites protéines pointues ou spicules qui lui donnent un aspect en couronne (corona en latin), d’où son nom. Ces spicules jouent un rôle fondamental, car elles permettent aux virus de « s’accrocher » aux cellules de l’hôte et d’y entrer pour y injecter leur matériel génétique.

Trois coronavirus responsables de SRAS ont été décrits : le SRAS-CoV-1 en 2002 dans le Guangdong en Chine, puis le MERS-CoV responsable du syndrome respiratoire du Moyen-Orient détecté en avril  2012 en Arabie saoudite et aujourd’hui le SRAS-CoV-2 également appelé Covid-19. Ce dernier apparaît hautement transmissible et pathogène. Il est apparu en novembre 2019 à Wuhan en Chine et s’est répandu dans le monde entier. L’analyse génomique a révélé que la Covid-19 était phylogénétiquement liée aux virus des chauves-souris. Il est donc fortement probable qu’elles en constituent le réservoir primaire. La source intermédiaire d’origine et de transfert à l’homme n’est pas connue même si le pangolin, une espèce de mammifère insectivore, est fortement suspecté. Il n’existe pas à l’heure actuelle (3  juin 2020) de médicaments ou de vaccin antiviral cliniquement approuvés pour être utilisés contre la Covid-19.

 Les facteurs favorisant les épidémies

Outre la capacité du micro-organisme, des facteurs externes peuvent intervenir pour de déterminer une infection chez l’homme.

Surpopulation

La nécessité de nourrir durablement la population mondiale représente l’un des principaux défis écologiques et de santé publique du XXIe siècle. Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), le nombre d’habitants sur terre devrait passer de quelque 7,5 milliards aujourd’hui à 9,7 milliards en 2050, et pourrait atteindre près de 11 milliards de personnes en 2100. La population mondiale est devenue majoritairement urbaine en 2007.

Afin que tous les humains aient accès à la nourriture, il faudra accroître considérablement la production végétale et animale, ce qui devrait entraîner une augmentation de l’utilisation d’eau, de pesticides, d’engrais ou d’antibiotiques, ainsi que des taux de contact encore plus fréquents entre l’homme et les animaux tant sauvages que domestiques, le tout avec des conséquences sur l’émergence et la propagation des agents infectieux[16]Jason R. Rohr et al., “Emerging Human Infectious Diseases and the Links to Global Food Production”, Nat Sustain., vol. 2, 6, 2019, p.445-456.. Les taux de mortalité dus aux infections respiratoires aiguës, à la diarrhée, au paludisme et à la rougeole – maladies qui tuent en moyenne plus d’un enfant toutes les trente secondes (un million par an)[17]D. Webster, “Malaria Kills One Child Every 30 Seconds”, Journal of Public Health Policy, vol.22, 1, 2001, p.23-33. – sont beaucoup plus élevés chez les enfants qui souffrent de malnutrition[18]Pedro A. Sanchez, M.S. Swaminathan, “Hunger in Africa: The Link between Unhealthy People and Unhealthy Soils”, The Lancet,  vol.365, 9457, 2005, p.442-444..

Déplacements

La mobilité des humains s’est accrue de 1 000  fois entre  1800 et  2000 ! L’émergence de nouveaux agents pathogènes est désormais facilitée par les déplacements modernes qui exposent davantage de victimes humaines potentielles. Par exemple, la grande peste noire de 1348 a mis six mois pour arriver à Marseille depuis son foyer de Caffa en Crimée. En 2003, l’épidémie de SRAS a diffusé vers l’ensemble de la planète en moins d’une semaine.

Réchauffement climatique

De nombreuses études ont rapporté le rôle du changement climatique dans la survenue d’infections. La surface de la Terre étant constituée à 70 % d’eau, le réchauffement climatique entraîne beaucoup plus d’évaporation et, par voie de conséquence, des événements pluvieux beaucoup plus intenses, augmentant ainsi l’incidence des infections diarrhéiques dans le monde entier. D’ici 2030, on s’attend à une augmentation de 10 % des maladies diarrhéiques, qui toucheront principalement les jeunes enfants. D’autre part, les températures ambiantes élevées augmentent les cycles de réplication de la plupart des pathogènes d’origine alimentaire et hydrique.

Le phénomène El Niño (El Niño-Southern Oscillation ; ENSO) est un événement climatique qui prend naissance dans l’océan Pacifique, mais qui a des conséquences de grande envergure sur le climat dans le monde entier. Au niveau mondial, il est lié à un impact accru des catastrophes naturelles et il est particulièrement associé aux sécheresses et aux inondations, ainsi qu’à la transmission de maladies infectieuses, de maladies hydriques et de maladies à transmission vectorielle. El Niño est responsable d’une augmentation des précipitations en Afrique de l’Est et à une diminution des précipitations en Afrique australe, en Afrique de l’Ouest et dans certaines parties du Sahel. En raison du rôle clé de l’approvisionnement en eau dans la transmission du choléra, une relation entre les manifestations d’El Niño et l’incidence du choléra a été démontrée[19]Sean M. Moore et al., “El Niño and the Shifting Geography of Cholera in Africa”, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America,  vol.114, 17, 2017, … Continue reading.

Le réchauffement climatique accentue la dissémination des maladies infectieuses transmises par les moustiques hors de leur foyer tropical telles que le West Nile, la dengue, le chikungunya, Zika et également le paludisme. La comparaison de la maturation des moustiques dans des huttes en zone forestière et dans des zones déboisées où il y avait une différence de quelques degrés a permis d’estimer le pourcentage d’insectes qui passaient de la forme larvaire à la forme adulte de 65 à 82 % et la réduction de la période nécessaire au développement de neuf à huit jours dans les zones plus chaudes[20]P.  Reiter, “Climate change and mosquito-borne disease”, Environmental health perspectives, vol.109, suppl. 1, 2001, p.141-161 ; Antonella Rossati, “Global Warming and Its Health … Continue reading. Par exemple, Aedes albopictus, le moustique tigre, devient une menace sérieuse de transmission de maladies virales comme le chikungunya ou la dengue en Italie et dans le Sud de la France.

L’augmentation de la température accélère le cycle de développement des tiques, leur production d’œufs, ainsi que leur densité et la distribution de leur population. On assiste à une augmentation des populations de tiques dont Ixodes ricinus, vecteur d’infections virales telles que l’encéphalite à tiques et bactériennes comme la maladie de Lyme en Europe[21]Abdelghafar A. Alkishe, A. Townsend Peterson, Abdallah M. Samy, “Climate Change Influences on the Potential Geographic Distribution of the Disease Vector Tick Ixodes ricinus”, PLoS One, 5 … Continue reading.

Tableau 2 – Relations entre réchauffement climatique et maladies infectieuses, d’après Cavicchioli et al.[22]Ricardo Cavicchioli et al., “Scientists’ Warning to Humanity: Microorganisms and Climate Change”, Nature reviews. Microbiology, vol.17, 9, 2019, p.569-586.

Déforestation

Il est bien établi que le défrichement des forêts peut entraîner la transmission de zoonoses en augmentant le contact avec les animaux sauvages. Les contacts plus fréquents des populations humaines avec les agents pathogènes forestiers auxquels elles n’avaient jamais été exposées et l’adaptation de ces agents à l’homme ont été démontrés pour le VIH, la fièvre jaune, la dengue, le chikungunya, Ebola, Nipah, le SRAS, la rage, le paludisme, la leishmaniose ou la maladie de Lyme.

Épidémies de bactéries résistantes aux antibiotiques

Le recours massif aux antibiotiques par l’homme dans la deuxième moitié du XXe siècle, leur mauvaise utilisation, les prescriptions abusives, la dégradation des antibiotiques soumis à la chaleur et à l’humidité lors du stockage et du transport ont engendré un phénomène extrêmement important de résistance des bactéries, en particulier dans les pays en développement où l’automédication est très courante. De plus, de nombreux médicaments, dont les antibiotiques, sont contrefaits dans ces pays. La Food and Drug Administration (FDA) estime que la contrefaçon représente 10 % du chiffre d’affaires mondial de l’industrie pharmaceutique. Estimée à plus de 55 milliards d’euros par an, l’ampleur du trafic de faux médicaments varie d’un pays à l’autre. Elle peut représenter jusqu’à 60 % des médicaments dans certains pays en développement contre 1 % dans les pays industrialisés dotés d’un circuit de distribution réglementé et contrôlé. La résistance des bactéries aux antimicrobiens qui en découle entraîne une morbidité importante dans le monde entier, et certaines estimations indiquent que la mortalité attribuable pourrait atteindre jusqu’à dix millions d’individus par an en 2050 et constituerait la première cause de mortalité sur la planète[23]Carl Nathan, Otto Cars, “Antibiotic Resistance – Problems, Progress, and Prospects”, The New England Journal of Medicine vol.371, 19, 2014, p.1761-1763 ; Jim O’Neill, “Tackling … Continue reading !

Le monde d’après ?

L’impact de l’homme sur les écosystèmes l’a progressivement mis en contact étroit avec la faune sauvage. En 2008, Kate Jones et ses collègues de l’University College de Londres ont montré que 335 maladies infectieuses nouvelles entre  1940 et  2004 avaient été caractérisées et que 60  % des maladies émergentes décrites entre 1980 et  2013 étaient d’origine animale et parmi elles 70 % avaient été transmises par des animaux sauvages[24]Kate E. Jones et al., “Global Trends in Emerging Infectious Diseases”, Nature, vol.451, 7181, p.990-993.. Depuis un peu plus d’un siècle, le monde a assisté à l’émergence de multiples infections, toutes des zoonoses : diverses grippes (espagnole, asiatique, russe, de Hong Kong, H5N1, grippe porcine H1N1…), sida, SRAS, MERS, fièvre de Lassa, Ebola, virus du Nil occidental, Zika, chikungunya ou Covid-19, sans compter le retour de la dengue, de la fièvre jaune, du paludisme et même de la peste.

Il semble hautement prévisible que d’autres épidémies telles que celle qui frappe actuellement la planète surviendront dans un futur proche.

 

Du fait de l’accroissement vertigineux de la population humaine au niveau planétaire au cours des dernières décennies, de l’empreinte inexorable de l’homme sur la nature (déforestation, diminution de la biodiversité, élevage intensif, antibiothérapie non contrôlée, changement climatique…), de la fréquence des déplacements des hommes et des marchandises, il semble hautement prévisible que d’autres épidémies telles que celle qui frappe actuellement la planète surviendront dans un futur proche. Il faudra alors se souvenir de l’avertissement de la fameuse éthologue et anthropologue anglaise Jane Goodall à propos de la Covid-19 : « Si nous ne tirons pas cette leçon de cette pandémie, alors peut-être que nous ne le ferons jamais ».

 

L’auteur remercie François Renaud, Bernard Duchêne et Robert Abraham pour leur aide précieuse dans la préparation de cet article.

  


ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-664-5

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References

References
1 Norbert  Gualde, Comprendre les épidémies. La coévolution des microbes et des hommes, Le Seuil, 2006.
2 Serge Morand, La prochaine peste. Une histoire globale des maladies infectieuses, Fayard, 2016.
3 Serge Morand, K. Marie McIntyre, Matthew Baylis, “Domesticated Animals and Human Infectious Diseases of Zoonotic Origins: Domestication Time Matters”, Infection, Genetics and Evolution: Journal of Molecular Epidemiology and Evolutionary Genetics in Infectious Diseases, 15 March 2014, 24, p. 76-81.
4 M. Cristina Gutierrez et al., “Ancient Origin and Gene Mosaicism of the Progenitor of Mycobacterium Tuberculosis”, PLoS pathogens, vol.1, 1, 2005.
5 Jean-François Saluzzo, Des hommes et des germes, PUF, 2004.
6 Serge Morand, K. Marie McIntyre, Matthew Baylis, “Domesticated Animals…”, art. cit.
7 Jared Diamond, Guns, Germs, and Steel: the Fates of Human Societies, New York, Norton, 1997.
8 Jean-François Saluzzo, Des hommes…, op.cit.
9 Ibid.
10 Les mutations sont d’autre part plus fréquentes quand le support génétique est de l’ARN plutôt que de l’ADN, ce qui est le cas pour les coronavirus.
11 Nathan D. Wolfe, Claire Panosian Dunavan, Jared Diamond, “Origins of Major Human Infectious Diseases”, Nature, vol.447, 42, 2007, p.279-83, puis Brian L. Pike et al., “The Origin and Prevention of Pandemics”, Clinical infectious diseases: an official publication of the Infectious Diseases Society of America, vol.50, 12, 2010, p.1636-1640.
12 Ibid.
13 Nathan D. Wolfe, Claire Panosian Dunavan, Jared Diamond, “Origins of Major Human Infectious Diseases…”, art. cit.
14 Jean-François Saluzzo, Des hommes…, op.cit.
15 Nathan D. Wolfe, Claire Panosian Dunavan, Jared Diamond, “Origins of Major Human Infectious Diseases…”, art. cit., puis Brian L. Pike et al., “The Origin…”, art. cit.
16 Jason R. Rohr et al., “Emerging Human Infectious Diseases and the Links to Global Food Production”, Nat Sustain., vol. 2, 6, 2019, p.445-456.
17 D. Webster, “Malaria Kills One Child Every 30 Seconds”, Journal of Public Health Policy, vol.22, 1, 2001, p.23-33.
18 Pedro A. Sanchez, M.S. Swaminathan, “Hunger in Africa: The Link between Unhealthy People and Unhealthy Soils”, The Lancet,  vol.365, 9457, 2005, p.442-444.
19 Sean M. Moore et al., “El Niño and the Shifting Geography of Cholera in Africa”, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America,  vol.114, 17, 2017, p.4436-4441.
20 P.  Reiter, “Climate change and mosquito-borne disease”, Environmental health perspectives, vol.109, suppl. 1, 2001, p.141-161 ; Antonella Rossati, “Global Warming and Its Health Impact”, The International Journal of Occupational and Environmental Medicine, 2017, vol.8, 1, p.7-20.
21 Abdelghafar A. Alkishe, A. Townsend Peterson, Abdallah M. Samy, “Climate Change Influences on the Potential Geographic Distribution of the Disease Vector Tick Ixodes ricinus”, PLoS One, 5 December 2017.
22 Ricardo Cavicchioli et al., “Scientists’ Warning to Humanity: Microorganisms and Climate Change”, Nature reviews. Microbiology, vol.17, 9, 2019, p.569-586.
23 Carl Nathan, Otto Cars, “Antibiotic Resistance – Problems, Progress, and Prospects”, The New England Journal of Medicine vol.371, 19, 2014, p.1761-1763 ; Jim O’Neill, “Tackling drug-resistant infections globally: final report and recommendations”, UK: Government and Wellcome Trust, 2016.
24 Kate E. Jones et al., “Global Trends in Emerging Infectious Diseases”, Nature, vol.451, 7181, p.990-993.

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