Publié le 15 août 2022
Dans le cadre de notre partenariat avec la Maîtrise en gestion du développement international et de l’action humanitaire de la Faculté des Sciences de l’Administration de l’Université Laval, elle-même partenaire de la revue depuis sa création en 2016, nous vous présentons ici un article écrit par une étudiante de la promotion 2021. Marion Reinosa questionne ici les liens entre droit au logement et changement climatique.
Le changement climatique affecte de nombreux droits humains, dont celui au logement[1]Assemblée générale des Nations unies, Lignes directrices relatives à la réalisation du droit à un logement convenable : Rapport de la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant … Continue reading. La manière actuelle de réaliser ce droit joue un rôle non négligeable dans les émissions de gaz à effet de serre, alors même qu’il pourrait devenir un levier d’opportunités pour mieux protéger les populations vulnérables et accélérer la résilience[2]United Nations, “Cities: a ‘cause of and solution to’ climate change”, UN News, 18 September 2019, https://news.un.org/en/story/2019/09/1046662. Souvent instrumentalisé à des fins de développement économique et conduisant paradoxalement au déplacement de communautés, ce droit peine à devenir une priorité.
Cet article tend à questionner les liens entre droit au logement et changement climatique, le recours à la réinstallation planifiée et à son instrumentalisation politique, ainsi que le rôle des acteurs humanitaires dans la préservation du droit au logement dans le contexte de la crise climatique.
Le droit au logement, entre crise complexe et pressions climatiques
Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant, y compris à un logement convenable[3]Le droit à un logement convenable fait ici référence à la définition de Jean-François Tribillon : « le droit d’accéder à un logement décent, convenablement situé, suffisamment desservi … Continue reading. Aujourd’hui, pourtant, le monde fait face à une crise aigüe du logement : le quart de la population mondiale vit dans des quartiers dits « informels » ou n’a pas accès à un logement convenable[4]The Shift, The right to housing for residents of informal settlements, 2021, https://www.make-the-shift.org/wp-content/uploads/2021/07/THESHIFT-plainreport-v2_compressed.pdf.Dans ce contexte, le changement climatique tend à exacerber ces vulnérabilités – qui elles-mêmes reposent sur des inégalités socio-économiques, l’insécurité foncière, la marchandisation des terres et du bâti, ainsi que sur l’inadéquation des bâtiments avec leur environnement[5]Assemblée générale des Nations unies, Lignes directrices…, art. cit..
La cohérence entre les politiques climatique et de logement est aujourd’hui essentielle. Les États sont incités à intégrer le droit au logement dans les stratégies locales d’adaptation et à travailler avec les communautés pour développer des logements socialement et écologiquement durables. De nombreux efforts restent encore à faire pour limiter la marchandisation des logements et des terres, préférer la transformation ou la rénovation de bâtiments existants à leur démolition, ou encore généraliser l’emploi de matériaux durables. Même si les déplacements de populations, les migrations forcées ou encore la réinstallation restent parfois inévitables dans certains contextes[6]Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, Rapport de la Conférence des Parties sur sa vingt et unième session, tenue à Paris du 30 novembre au 13 décembre 2015, 29 … Continue reading, de nombreux défis sont encore à relever pour une prévention des risques plus équitable et durable.
La réinstallation planifiée : un instrument politique au détriment de la résilience et de la justice climatique
Entre 2008 et 2013, près de 165 millions de personnes ont été identifiées comme des « déplacés environnementaux »[7]Børge Brende and Didier Burkhalter, “Foreword: Disasters and displacement in a changing climate”, Forced Migration Review, vol. 49, May 2015, pp. 4–5.. Malgré ce constat, force est de constater que la résilience climatique doit souvent être négociée. Dans de nombreux pays, une préférence pour des formes de développement économique rapide et sans vision à long terme constitue, tout comme le manque de compréhension des enjeux relatifs au changement climatique par les décideurs locaux, un frein au développement de stratégies de résilience climatique durables.
En termes de droit au logement, cela se traduit par le fait que la réinstallation planifiée des populations est devenue un outil privilégié de prévention des risques – et ce malgré les nombreux exemples qui illustrent les impacts avant tout négatifs de telles pratiques. Le droit au logement est parfois instrumentalisé à des fins politiques et économiques pour contrôler des populations ou récupérer des terres. Le changement climatique est quant à lui utilisé pour déresponsabiliser les États des pressions anthropiques exercées sur les environnements. Sur le terrain, ces manœuvres ont des conséquences terribles pour les populations, augmentant les vulnérabilités et pouvant mener jusqu’au sans-abrisme. Souvent non-consultées, les communautés ciblées sont généralement peu associées au processus de déplacement et nombre de logements fournis ne garantissent pas le respect des normes de sécurité minimales, l’accès à des services de base ni celui à des opportunités d’emploi ou d’assimilation culturelle[8]Office of the United Nations High Commissioner for Human Rights, The right to adequate housing, 2009, https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/FS21_rev_1_Housing_en.pdf.
En guise d’exemple, aux Philippines, de nombreuses opérations de réinstallation planifiée de communautés vivant dans des zones vulnérables ont permis de légitimer la récupération de terres précédemment occupées à des fins commerciales, tout en omettant le développement en parallèle de services de base sur les sites de réinstallation[9]Misereor, Local struggles for housing rights in the context of climate change, urbanization and environmental degradation, 2020, … Continue reading. Au Bangladesh, des évaluations socio-économiques conduites sur la capacité d’adaptation et de récupération des personnes déplacées ont révélé que la réinstallation avait tendance à appauvrir, marginaliser et augmenter l’insécurité des communautés en n’offrant qu’un accès limité au foncier et aux ressources naturelles locales[10]David Hutton, et C. Emdad Haque, “Human vulnerability, dislocation and resettlement: adaptation processes of river-bank erosion-induced displaces in Bangladesh”, Disasters, vol. 28, no. 1, Mars … Continue reading. Au Vietnam, des initiatives similaires ont montré que les nouveaux villages ainsi créés étaient eux aussi climatiquement peu adaptés (maisons non-surélevées en zone inondable, manque de ventilation naturelle…), obligeant les actifs à migrer vers les villes et laissant enfants et personnes âgées sur place[11]Kuei-Hsien Liao, Anh Tuan Le and Kien Van Nguyen, “Urban design principles for flood resilience: Learning from the ecological wisdom of living with floods in the Vietnamese Mekong Delta”, … Continue reading.
Le rôle des humanitaires dans la préservation du droit au logement
Le secteur humanitaire travaille depuis longtemps à protéger les personnes déplacées. Face aux opérations de réinstallation planifiée, de plus en plus d’acteurs humanitaires accompagnent les populations dans la défense du droit au logement et s’impliquent dans la création de mécanismes alternatifs. Grâce à leur expérience de terrain et aux principes de neutralité et d’impartialité qui guident leurs actions, ils sont des alliés de choix pour le développement d’approches axées sur les besoins des populations et les réalités locales[12]Elizabeth Ferris, “Humanitarian Silos: Climate Change-Induced Displacement”, Population-Environment Research Network Cyberseminar, November 2011, … Continue reading.
Aux Philippines, des organisations non-gouvernementales (ONG) locales ont par exemple accompagné plusieurs communautés de Manille dans le développement d’un « plan du peuple » afin de contrer des expulsions forcées. En mettant à leur disposition des experts scientifiques et techniques ayant effectué des recommandations pour un processus de réinstallation équitable (site en ville, accès aux services…), cette initiative a permis d’engager un processus de négociation avec les autorités locales. Dans d’autres contextes, les acteurs humanitaires œuvrent aussi à ce que la réinstallation reste la dernière option envisagée et incitent les États à s’impliquer dans l’amélioration et la rénovation des logements existants. Certaines ONG ont accompagné le développement de systèmes de résilience localisés en aidant les communautés à obtenir des titres de propriété ou à développer des systèmes d’alerte précoce pour la prévention des risques leur permettant de conserver leur logement actuel[13]Misereor, Local struggles for housing rights… art. cit..
Les impacts du changement climatique sur le droit au logement sont complexes. Mais la réinstallation planifiée en tant que solution privilégiée face aux risques peut s’avérer, dans certains contextes, tout aussi dévastatrice pour ce droit. Dans une perspective d’amélioration des conditions d’existence et de justice climatique, le rôle des humanitaires est aujourd’hui crucial pour accompagner les communautés à faire valoir leurs droits et à accéder à un logement convenable et adapté à son environnement.