Publié le 24 avril 2025
Les décisions de la nouvelle administration américaine de mettre un terme à l’aide internationale et de démanteler l’USAID, organe de financement du développement international des États-Unis, ont déclenché des ondes de choc dans l’ensemble du secteur. Les États-Unis sont les premiers bailleurs d’aide au développement bilatérale et cette récente décision a déjà de lourdes conséquences, tant dans le pays (pertes d’emplois, coupes budgétaires de programmes nationaux) qu’à l’étranger (certaines communautés ne reçoivent plus d’aide médicale, des organisations non gouvernementales [ONG] locales doivent cesser leurs activités, des pays pauvres et fragiles s’attendent à un impact économique majeur).
D’autres bailleurs ont pris de semblables mesures : les Pays-Bas ont réduit de 30 % leur aide et choisi de réorienter leurs fonds vers des projets qui servent directement les intérêts du pays. La Belgique a diminué son aide de 25 %, tandis que la France a baissé son budget de 37 %. L’agence suédoise SIDA a, quant à elle, aligné sa stratégie d’aide internationale sur les intérêts nationaux et interdit l’utilisation de ses financements à des fins de plaidoyer politique dans les pays bénéficiaires. Plus récemment, le Royaume-Uni a décidé de réduire son aide internationale de 40 %, tout en augmentant ses dépenses militaires. Et le nouveau gouvernement allemand, qui doit considérablement augmenter son budget de la défense et se préparer financièrement à l’éventualité d’accueillir encore davantage de réfugiés d’Ukraine, pourrait bien suivre cette tendance.
Le lien entre baisse de l’aide et augmentation des dépenses militaires n’est qu’un élément de l’équation, mais il pose problème. On constate également la forte instrumentalisation de l’aide étrangère en matière de sécurité, de politiques étrangères et d’intérêts économiques des pays donateurs. En outre, la coopération au développement « basée sur les valeurs » ou « basée sur les droits » est dans la ligne de mire des tenants d’une vision du monde régressive et chauviniste, vision dans laquelle les ONG et la société civile sont les principales opposantes.
Tout en reconnaissant que les victimes de ces transformations seront, d’abord et avant tout, les personnes les plus démunies et les plus vulnérables de notre monde, nous devons prendre la mesure de leur impact à long terme sur « le secteur ». Que signifient ces changements pour la société civile en général, et pour les organisations de la société civile internationales (OSCi) en particulier ?
Trois mois après les premiers décrets exécutifs du président Trump, certaines conséquences sont déjà concrètes :
- On peut supposer, sans crainte de se tromper, qu’il y aura moins d’aide étrangère disponible dans le monde entier, pendant de longues années.
- L’aide sera plus étroitement liée aux relations géopolitiques et commerciales internationales, aux préoccupations d’ordre sécuritaire et à quelques menaces mondiales immédiates (bien que ce dernier point puisse être remis en question au regard des mesures ambivalentes prises lors de la pandémie). Le changement climatique et la perte de biodiversité pourraient faire l’objet d’encore moins d’attention.
- L’aide pourrait être « régionalisée », centrée sur des sphères d’influence directe de grands pays financeurs par exemple (les États-Unis pourraient notamment se centrer sur l’Amérique centrale).
- L’aide pourrait chercher à soulager les crises humanitaires, surtout les plus médiatisées, en mettant l’accent sur les catastrophes naturelles plutôt que sur les conflits et les guerres.
- L’ONU et d’autres institutions multilatérales, mais également des ONG, chercheront à se positionner pour défendre leurs valeurs, leur légitimité et leur efficacité, ainsi que la pertinence de leur action.
- Le programme de « localisation » fera l’objet d’incitations – nouvelles et imprévues – à la réduction des coûts, l’appropriation locale et la collecte de fonds/le financement local. Cela permettra non seulement de soutenir les parties prenantes locales, mais également de mettre de côté les organisations de la société civile nationales et internationales de plus grande ampleur.
- Les pays bénéficiaires pourraient interpréter cela comme un appel à davantage d’autosuffisance (le scénario positif) ou à laisser les communautés les plus vulnérables de côté (le scénario négatif).
Les OSC(i) sont au centre de tout cela : les valeurs sur lesquelles reposent leurs actions font l’objet d’attaques, notamment par les antidroits qui pourraient vouloir les pointer du doigt, par crainte de leur puissance politique et de leur visibilité. Leurs modèles économiques, surtout celui des ONG fortement subventionnées par des gouvernements, sont menacés. Et la légitimité des parties prenantes internationales est remise en question par de nombreuses parties. Ainsi, l’incitation à « localiser » et à déplacer le pouvoir vient de la société civile des pays du Sud, mais également de gouvernements du Nord et du Sud.
Depuis sa création, le Centre international pour la société civile a pour slogan « Bousculer et innover » (Disrupt and innovate). En effet, en période de bouleversements et de faible résilience, les choses doivent changer. Il est évident que le secteur connaît des défaillances fondamentales, malgré les très bonnes actions menées grâce au système d’aide depuis sa mise en place. Voici quelques idées qui permettront de mettre à profit la crise actuelle :
- Les flux d’aide du Nord vers le Sud augmentent (ou perpétuent) la dépendance. Est-il possible de soutenir plus fermement celles et ceux qui veulent dépasser cette dépendance ? Par le biais d’un appui à la collecte de fonds locale, d’une aide au transfert de pouvoir décisionnel dans la planification des projets, de la valorisation des initiatives autofinancées, d’un investissement dans la mise en place d’institutions ou la création de fonds de solidarité, par exemple ?
- Les ONG(i) se préoccupent avant tout de la réussite de leur organisation. Pourraient-elles développer l’ambition (et l’habitude) de viser systématiquement la passation de pouvoir ? Quelle signification cela aurait-il en matière de définition de la réussite de leurs dirigeantes et dirigeants ?
- La redevabilité en matière d’utilisation des fonds est sacrée pour celles et ceux qui ne veulent pas de passation du pouvoir décisionnel. Pourrions-nous prioriser les dimensions non monétaires de la redevabilité ? Et pourrions-nous faire pression sur les bailleurs de fonds afin qu’ils traduisent leurs attentes en termes moins fiscaux et plus orientés sur l’impact ?
- Les doublons sont nombreux à l’échelle du secteur : ne devrait-il pas y avoir davantage de fusions, de tâches administratives conjointes, de présences régionales combinées, de partages d’emploi et de collaborations intersectorielles ? Pouvons-nous avoir une vision plus rigoureuse de la valeur ajoutée apportée par chaque organisation ?
- Il n’y a pas lieu de distinguer le social business, l’investissement à impact social et la philanthropie active d’un côté, et le travail des OSC de l’autre. Mettons-nous suffisamment d’intention dans de telles initiatives ? Dans l’intégration des entreprises dans notre écosystème ?
- Le système d’aide internationale coûte cher. Les structures de bureaux de pays et le personnel expatrié qui vit et travaille dans les pays du Sud global coûtent cher, réduisent les espaces permettant le développement de talents locaux et sapent les systèmes fiscaux équitables. N’est-il pas possible de travailler avec davantage de personnel et de fournisseurs locaux ?
- Dans de nombreux cas, ce sont les partenaires qui mettent en œuvre ou sous-traitent le travail. Comment les relations de partenariat peuvent-elles être redéfinies et vécues autrement pour que le volant passe entre d’autres mains ?
- Les appels à renverser le système pour remettre le secteur sur pied se multiplient. Est-ce que les directions (et les conseils d’administration) des organisations de la société civile sauront considérer ce défi comme une chance ? Et croient-ils dans la quête de changement au sein du système d’aide internationale ?
Ces exemples sont tirés de quelques-uns des domaines dans lesquels il est nécessaire de mener des discussions et des actions plus approfondies. Le secteur a d’ores et déjà mis en place des initiatives prometteuses, telles que RINGO, Pledge for Change et le Dynamic Accountability Framework (Cadre pour une redevabilité dynamique), qui nécessiteront probablement d’être fortement soutenues pour parvenir à de réels engagements. Dans quels autres domaines les dirigeantes et dirigeants du secteur pourraient-ils s’investir collectivement, afin que la crise actuelle serve à quelque chose ? Les mois à venir nous le diront.
Traduit de l’anglais par Morgane Boëdec
Crédit photo : CICR