S’il est une exigence sanitaire autant qu’une cause d’inégalité que la pandémie a mis cruellement en lumière, c’est bien celle qui a trait au logement. Pour l’auteur, les acteurs humanitaires doivent intégrer cette exigence.
La pandémie de coronavirus a mis en évidence la façon dont une crise sanitaire peut avoir un effet radical sur tout ce que nous faisons. Elle a montré l’importance absolue d’un logement sûr et stable pour nous protéger du danger. Alors que la Covid-19 a submergé le monde entier, nous avons découvert que notre arme la plus puissante pour nous défendre contre le virus était notre capacité à garder nos distances par rapport aux autres et à arrêter sa propagation. Les pays, les États et les villes ont tous donné l’ordre, sous des formes diverses, de rester chez soi. Avec des systèmes de santé au maximum de leurs capacités et en l’absence de vaccin, nos habitations sont notre meilleure défense contre cette maladie mortelle.
Pour ceux d’entre nous qui ont un logement stable, cela a rappelé l’importance d’avoir un environnement intérieur confortable dans lequel vivre, travailler et se détendre. Cela a également montré comment une crise sanitaire telle que la Covid-19 peut pénétrer tous les aspects de nos vies. Ce n’est pas seulement une crise sanitaire, mais une crise économique, politique et sociale. C’est aussi, pour de nombreuses personnes dans le monde en situation de déplacement ou installées de façon informelle, une crise du logement.
Pour celles qui par le monde se retrouvent dans des conditions de logement précaires, la menace de la Covid-19 – et de nombreuses autres menaces sanitaires, économiques et sociales – s’accroît de façon exponentielle. Comme le montre le recours gouvernemental aux confinements pour aider à contenir le virus, nos habitations constituent notre plus grand allié dans la lutte contre la propagation des maladies. Cela n’est vrai, cependant, que si nous concevons nos logements et nos lieux de vie de manière appropriée.
Repenser la résilience ?
Lorsque l’on parle de résilience dans l’environnement bâti, cela fait souvent référence à ce que je nommerais la « résilience dure », ou la capacité d’une structure à résister à des facteurs de stress externes. S’il est touché par un tremblement de terre ou un ouragan, le bâtiment restera-t-il debout ? Les constructeurs, les architectes, les ingénieurs et ceux qui travaillent dans le secteur humanitaire sont devenus très bons pour construire des structures résilientes dans ce sens traditionnel. Il existe de nombreuses directives disponibles pour tous ceux qui travaillent dans l’environnement bâti destinées à s’assurer que les normes de résilience rigoureuses sont respectées et que les bonnes pratiques sont suivies. Cependant, lorsqu’il s’agit d’envisager la résilience dans un sens plus large – par exemple, la résilience sociétale aux facteurs de stress externes tels que les déplacements massifs de population (comme c’est le cas avec l’urbanisation mondiale), les troubles politiques ou les crises de santé publique (comme la Covid-19) –, l’impact que l’environnement bâti peut avoir sur notre capacité à résister à la tempête est moins bien compris.
Par exemple, les chiffres de Our World in Data montrent qu’au cours des deux dernières décennies, les tremblements de terre se sont révélés être de loin le type de risque naturel le plus meurtrier en termes de pertes de vies humaines dans le monde, avec plus de 700 000 décès entre 2000 et 2018[1]Hannah Ritchie and Max Roser, “Natural Disasters”, Our world in data, November 2019, … Continue reading. Cependant, cela est en grande partie le résultat d’importants événements ponctuels qui augmentent considérablement le bilan de ces catastrophes. Par exemple, en 2010, le tremblement de terre dévastateur d’Haïti, l’un des pires jamais enregistrés, aurait tué jusqu’à 316 000 personnes à lui seul (bien que ce chiffre élevé soit contesté) et en aurait déplacé 1,5 million de plus, une catastrophe humanitaire totale sur une échelle à peine appréhendable[2]Juliette Benet, “Behind the numbers: the shadow of 2010’s earthquake still looms large in Haiti”, International Displacement Monitoring Centre, January 2020, … Continue reading. Cependant, l’année suivante, 20 000 personnes ont été tuées par des tremblements de terre dans le monde et, en 2012, ce nombre est tombé à seulement 718 personnes[3]Hannah Ritchie and Max Roser, “Natural Disasters”, art. cit..
En revanche, les principales menaces pour la santé tuent souvent un nombre beaucoup plus grand de personnes, et alors qu’un tremblement de terre dévastateur comme celui d’Haïti peut être un événement unique sur une génération, le chaos causé par les épidémies de maladies se reproduit d’année en année. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les maladies transmissibles telles que les infections respiratoires, les diarrhées et la tuberculose ont tué plus de 5 millions de personnes dans le monde rien qu’en 2016[4]World Health Organization, “Causes of death”, The Global Health Observatory, 2016, https://www.who.int/gho/mortality_burden_disease/causes_death/top_10/en. Lorsqu’une épidémie importante survient, ces chiffres peuvent augmenter de façon exponentielle. Par exemple, à peine sept mois après que la crise de la Covid-19 a été qualifiée de pandémie, les meilleures estimations sont que ce nouveau virus a augmenté de près de 1 300 000 le bilan mondial des décès par maladie[5]Bilan Worldometer des décès du coronavirus, 11 novembre 2020, https://www.worldometers.info/coronavirus/coronavirus-death-toll. Comparez cela à la moyenne estimée de 35 000 décès annuels dus aux tremblements de terre – qui tuent beaucoup plus de personnes que d’autres catastrophes naturelles, telles que les ouragans et les inondations – et l’ampleur de la menace sanitaire devient plus claire.
La question de savoir ce qui constitue un environnement domestique résilient fait partie de celles ayant reçu une attention particulière dans le secteur humanitaire avant la pandémie.
Dans ce contexte, il devient important de se demander si un bâtiment qui peut survivre à un grave tremblement de terre ou à un important ouragan, mais qui n’a pas été construit pour faire face à la menace de propagation de la maladie, peut vraiment être considéré comme résilient. La question de savoir ce qui constitue un environnement domestique résilient fait partie de celles ayant reçu une attention particulière dans le secteur humanitaire avant la pandémie, mais la Covid-19 a accéléré le besoin pour les humanitaires, les acteurs du développement et les citoyens de saisir l’interaction entre nos environnements de vie et notre santé[6]UK Shelter Forum 24, “Health and Shelter”, agenda and presentations, 10 May 2019, http://www.shelterforum.info/uk-shelter-forum-24-presentations.
Protéger la santé dans un monde qui s’urbanise
Le lien entre l’urbanisation et la propagation des maladies contagieuses est clair. Alors que la population urbaine mondiale devrait atteindre 6,3 milliards de personnes d’ici à 2050, contre 4,2 milliards aujourd’hui, les professionnels de santé sont éminemment conscients de la nécessité de prendre en compte les menaces sanitaires dans l’aménagement urbain en vue de lutter contre le risque accru de propagation de maladies dans un monde encore plus urbain[7]Émilie Alirol et al., “Urbanisation and infectious diseases in a globalised world”, The Lancet, 11/2, February 2011, p.131-141..
L’impact que le logement peut avoir sur notre santé est encore sous-estimé.
La prévention des maladies dans les villes nécessite une approche large (qui dépasse le cadre de cet article) pour aborder des problèmes tels que la surpopulation, l’eau et l’assainissement, la gestion des déchets et les comportements dans l’espace public. Un message de santé publique fort, tel que celui observé dans les pays du monde entier, encourageant les gens à éviter les grands groupes et à rester chez eux, doit nous conduire à aller plus loin. Il devient en effet très difficile de rester chez soi si ce logement ne répond pas à nos besoins.
Conditions de logement et effets sur la santé
La dernière protection contre une multitude de menaces pour la santé est le logement lui-même. Le foyer a pris une nouvelle importance en cette période de confinement et de distanciation sociale, mais l’impact que le logement peut avoir sur notre santé est encore sous-estimé. Les premières données au Royaume-Uni suggérant que le manque d’accès à un logement de qualité est un facteur aggravant de la pandémie de coronavirus, ce lien doit être abordé par les responsables politiques, les chercheurs et les médecins afin de garantir que nous fournissons des solutions de logement appropriées pour répondre aux besoins de santé mondiaux[8]Brent Poverty Commission, “A fairer future: ending poverty in Brent. Recommendations from the Brent poverty commission”, July 2020, … Continue reading. Le Building Research Establishment a déjà entrepris des recherches sur le coût des logements de mauvaise qualité au Royaume-Uni, estimant que la non-réfection des logements délabrés en Angleterre représentait un coût pour la société de 18,6 milliards de livres sterling, auquel s’ajoute 1,4 milliard dépensé chaque année par le Service national de santé du Royaume-Uni pour des maladies et blessures liées à la précarité du logement[9]Mike Roys et al., The full cost of poor housing, BRE Press, 2016, https://www.brebookshop.com/details.jsp?id=327671. Avec le coût supplémentaire de la Covid-19, ce poids social des logements de mauvaise qualité est appelé à augmenter.
Dans le contexte humanitaire, les coûts associés aux logements de mauvaise qualité sont plus difficiles à déterminer, mais les tendances semblent similaires. Un rapport récent d’InterAction a révélé que la privation de logement augmente le risque d’invalidité ou de maladie grave de 25 % au cours de la vie[10]Fiona Kelling, “The wider impacts of humanitarian shelter and settlements assistance key findings report”, InterAction, 2020, … Continue reading. À l’opposé, des interventions de bonne qualité dans les lieux d’hébergement peuvent avoir un effet positif sur la santé physique et mentale[11]Ibid., p.7-8.. Des interventions très basiques, telles que l’ajout de revêtements de sol ou l’utilisation de systèmes de ventilation passive appropriés, peuvent réduire la probabilité de maladies respiratoires et de maladies à transmission vectorielle. L’aménagement de logements qui respectent ou dépassent les normes de taille minimale et permettent l’accès à des installations sanitaires appropriées peut réduire la contagion des maladies infectieuses et diminuer la probabilité de diarrhées. Toutes ces solutions simples sont bien comprises dans la pratique humanitaire, mais méritent d’être priorisées à la suite de la Covid-19, car les mesures protectrices contre les menaces sanitaires préexistantes permettront également de se défendre contre celle-ci.
Cependant, les effets en aval de la prise en compte de la santé dans les solutions de logement sont peut-être moins bien articulés. Nous savons que l’accès à un logement stable et sécurisé est l’un des déterminants majeurs du bien-être mental mais, au-delà de la simple sécurité d’occupation, l’environnement intérieur du domicile peut avoir un impact immense sur la santé mentale des habitants[12]Ibid., p.10.. Alors que, dans le monde entier, nombre d’entre nous passons plus de temps à l’intérieur que jamais, la qualité de l’environnement dans lequel nous vivons, travaillons, nous socialisons et nous relaxons n’a jamais été aussi importante.
Pour les humanitaires qui travaillent avec des ressources limitées dans des conditions difficiles, transformer un abri en logement ou un logement en chez-soi peut sembler une tâche incroyablement complexe, potentiellement hors de portée. Cependant, en considérant le logement de qualité comme un allié dans la lutte pour des communautés en meilleure santé, les priorités humanitaires changent.
Le rapport “Towards healthier homes in humanitarian settings” (Vers des foyers plus sains dans les contextes humanitaires) donne un aperçu détaillé de la compréhension actuelle de la santé dans le secteur du logement[13]Sue Webb, Emma Weinstein Sheffield and Bill Flinn, Towards healthier homes in humanitarian settings: proceedings of the multi-sectoral shelter & Health learning day 14 May 2020, Care … Continue reading. L’une des principales recommandations émises est la nécessité d’une plus grande collaboration entre les disciplines dans les domaines liés à la santé[14]Ibid., p.42..
Cette démarche collaborative représente l’un des enjeux actuels du secteur en matière de développement de logements sains répondant aux besoins des habitants. Le système de cluster encourage le travail cloisonné, nécessaire pour réunir les compétences sur des problèmes spécifiques rencontrés dans les contextes humanitaires, mais qui se traduit aussi par la difficulté que les clusters ont parfois à nouer le dialogue avec des acteurs en dehors de leur propre domaine d’expertise. Cela pourrait expliquer l’intérêt historique pour la « résilience dure » discuté ci-dessus, et le fait que, alors que le développement de solutions qualitatives pour des problèmes de logement plus traditionnels est assuré, il puisse être plus difficile de trouver des interventions répondant aux préoccupations sociales, économiques ou sanitaires. Alors, comment le secteur humanitaire peut-il collaborer plus efficacement pour partager l’expertise entre les disciplines ?
Collaborer pour des foyers sains
Concevoir et construire, dans un cadre humanitaire, des habitations qui protègent les habitants des menaces sanitaires, tout en offrant aux ménages la possibilité de s’épanouir, est un défi difficile. Nous savons que de meilleurs environnements intérieurs non seulement améliorent la santé physique, mais peuvent avoir des effets réels sur le bien-être mental. Malgré cela, les directives en matière de développement de logements favorables à la santé mentale des habitants restent encore limitées. Pour ceux d’entre nous qui avons vu leurs foyers devenir des bureaux de substitution, des espaces sociaux et des zones de loisirs pendant la pandémie, l’importance d’aimer notre intérieur n’a jamais été aussi claire. Pour les personnes déplacées en raison de crises humanitaires, le besoin de se sentir en sécurité et heureuses chez elles peut être plus important qu’une effective sécurité physique.
De meilleurs environnements intérieurs non seulement améliorent la santé physique, mais peuvent avoir des effets réels sur le bien-être mental.
Comprendre cette différence est essentiel pour s’assurer que le logement répond aux besoins de ses habitants. La dimension psychologique ne constitue qu’un élément de la dimension sanitaire du logement. Et la dimension de la santé n’est qu’une des dimensions réclamant de l’attention aux côtés des problèmes sociaux, économiques, environnementaux et d’une multitude d’autres problèmes auxquels un ménage en crise est confronté. Très vite, la tâche à accomplir devient écrasante. Comme cela est indiqué dans le rapport InterAction et a été démontré lors de la réponse à la pandémie de coronavirus, le lieu d’hébergement peut constituer un catalyseur pour l’amélioration de nombreux problèmes lorsque ceux-ci sont explicitement pris en charge dans les programmes de mise à l’abri.
La collaboration entre les disciplines, les secteurs et les cultures est essentielle pour garantir que chaque projet individuel atteigne ces objectifs élevés. Le rapport déjà évoqué propose la formation d’un groupe de travail inter-cluster « Santé environnementale », comprenant l’expertise des clusters logement, santé et eau, assainissement et hygiène[15]Sue Webb, Emma Weinstein Sheffield and Bill Flinn, “Towards healthier…”, op. cit., p.41. pour tenter de lutter contre les effets négatifs du logement sur la santé. Il existe plusieurs initiatives qui visent à appréhender les problèmes environnementaux, sociaux et de logement de manière globale (l’outil d’évaluation de durabilité QSAND de BRE Trust en est une), mais elles ne parviennent pas à surmonter la difficulté de la collaboration intersectorielle.
Les experts des différentes disciplines utilisent souvent des langages professionnels très différents, et les diverses priorités des programmes se traduisent par de multiples méthodes de collecte et d’évaluation des données très différentes. En tentant d’utiliser la méthode Cost of Poor Housing (coûts liés à la précarité des logements) pour examiner les résultats en matière de santé et d’hébergement du camp de réfugiés de Moria en Grèce, BRE Trust a constaté que les données accessibles étaient très limitées. Les données pertinentes sont probablement collectées, mais ne sont pas partagées de façon effective[16]Anna Gatti, “The cost of poor camp design on refugee health”, BRE Trust, https://www.bretrust.org.uk/knowledgehub/the-cost-of-poor-camp-design-on-refugee-health. Ce qu’il faut, c’est un moyen plus systématique de partager les données entre les organisations, d’une façon qui en assure leur utilisation efficace par les différents clusters prenant en charge différents éléments de la réponse.
Le développement de mécanismes efficaces de collecte et de partage de données permettra une approche plus rationalisée pour s’attaquer aux problèmes affectant les bénéficiaires, mais le temps et les ressources nécessaires pour y parvenir dépassent largement les capacités des organisations humanitaires. BRE Trust a réussi à apporter ses connaissances et son expertise au secteur humanitaire en vue de soutenir les opérations, mais a également rencontré de nombreux défis et continue de travailler avec des partenaires pour améliorer nos capacités dans ce domaine. Notre expérience n’est pas unique. Un précédent rapport d’InterAction examinant les obstacles à la collaboration entre universitaires et praticiens met en évidence les difficultés des partenariats intersectoriels[17]Mohamed Hilmi, “Academic-practitioner forum actions and recommendations”, InterAction, 2019..
Nous n’avons peut-être pas encore les solutions pour surmonter les obstacles à la collaboration, mais la Covid-19 peut, espérons-le, fournir un catalyseur pour y parvenir. A minima, il est devenu clair que la santé et le logement ne sont pas des problèmes devant être traités par des médecins et des ingénieurs, mais des problèmes aux multiples facettes qui nécessitent une contribution élargie afin d’obtenir des résultats positifs.
La Covid-19 a révélé que le logement était un allié majeur pour nous protéger contre les risques sanitaires. L’optimisation de sa capacité à le faire nécessite l’expertise non seulement de spécialistes de l’hébergement et de la santé, mais aussi de chercheurs universitaires, d’acteurs de terrain et d’habitants. Ce défi sera difficile à relever, mais la Covid-19 a démontré qu’il est vital que nous le fassions.
Traduit de l’anglais par Thérèse Benoit
ISBN de l’article (HTML) : 978-2-37704-731-4 |