Devant l’intensification des crises humanitaires liées au changement climatique, cet article propose une refonte du secteur humanitaire autour d’un « nouvel humanisme » qui intègre l’humain et les écosystèmes. Les auteurs, issus d’Action contre la Faim, défendent une approche combinant atténuation, adaptation et restauration pour une action humanitaire plus durable et holistique.
Les crises humanitaires se multiplient et s’intensifient, en particulier du fait de la crise climatique, ce qui rend l’action des organisations non gouvernementales (ONG) plus complexe et nécessaire que jamais. Dans ce contexte en forte évolution, comment les ONG peuvent-elles s’adapter pour répondre aux besoins immédiats tout en anticipant les impacts de long terme sur les populations et les écosystèmes ? Cet article explore les transformations nécessaires, en s’appuyant sur les origines humanistes de l’humanitaire, sur le concept de « Nexus humanitaire-développement-paix » avant de recommander, en se basant sur l’idée d’un nouvel humanisme, l’exploration de nouvelles voies pour dessiner les contours d’un modèle d’intervention durable et plus holistique.
La place insuffisante accordée à l’environnement dans l’histoire de l’humanitaire
Si l’on remonte aux sources – relativement lointaines – du concept d’humanitaire, on rencontre le courant de pensée humaniste qui émergea au xive siècle et qui plaçait l’humain au centre de ses préoccupations. L’ambition était de connaître ce dernier et de le comprendre afin d’assurer son épanouissement, à rebours de la vision centrée autour de Dieu qui avait dominé jusqu’alors[1]Jacques Dufresne, « Humanisme », L’agora, une agora, une encyclopédie, 13 septembre 2020, http://agora.qc.ca/Dossiers/Humanisme. Cette pensée humaniste perdure, évidemment, dans le mouvement humanitaire actuel, lequel s’est constitué pour venir en aide aux victimes sans attendre l’intervention d’une quelconque instance divine. Et tant les femmes et les hommes ayant besoin d’assistance que ceux qui se mobilisent sont au coeur du dispositif. Par la suite, lorsqu’au xixe siècle Henry Dunant pose les bases de ce qui deviendra l’humanitaire moderne, aucune place n’est encore accordée aux aspects environnementaux, comme si seul le sort de l’être humain importait.
Certes, les organisations de développement se sont entretemps inscrites dans la durée. Mais ce n’est qu’à partir des années 1980[2]Parlement européen, Linking relief, rehabilitation and development: Towards more effective aid, Policy Briefing, July 2012, … Continue reading que l’on commence à penser l’humanitaire, non plus sur le registre de la seule urgence, mais sur le temps long, avec l’idée de soutenabilité des réponses aux crises, à travers les questions de pérennité de l’action humanitaire, introduites via le concept « Associer l’aide d’urgence, la Réhabilitation et le Développement » (Linking relief, rehabilitation and development – LRRD en anglais). On trouve seulement une mention explicite du changement climatique en 2012, dans une note d’information politique du Parlement européen[3]Parlement européen, Linking relief, rehabilitation and development…, op. cit., tandis que le concept de LRRD sera quant à lui enfin consacré lors du Sommet humanitaire mondial de 2016 sous le prisme du double (humanitaire et développement), puis du triple « nexus »[4]Parlement européen, Linking relief, rehabilitation and development: Towards more effective aid, Policy Briefing, July 2012, … Continue reading (humanitaire, développement et paix) en 2019. Durant cette décennie, le changement climatique est mentionné comme un facteur aggravant des crises humanitaires qui justifie cette continuité des interventions (humanitaire-développement). Cependant, il n’est pas encore d’actualité de prendre largement en compte les aspects de vulnérabilité climatique et environnementale dans la programmation des organisations.
À partir du début des années 2020, la prise de conscience par les acteurs humanitaires de l’importance des crises environnementales et climatiques dans leur travail se matérialise. Est-ce la suite logique de la décennie précédente, est-ce accéléré par les résultats de la COP 21 de 2015 ou de la crise du Covid-19 ? Des actions concrètes se manifestent : on peut citer, entre autres, les politiques récentes de bailleurs sur la limitation des impacts négatifs du secteur sur l’environnement[5]Réseau Environnement Humanitaire, Analyse des politiques environnementales des bailleurs de fonds par ACF, août 2023, 7 septembre … Continue reading, la multiplication d’initiatives telle que la Charte sur le climat et l’environnement[6]Secrétariat de la Charte climat et environnement pour les organisations humanitaires, Charte sur le climat et l’environnement pour les organisations humanitaires, mai 2021, … Continue reading signée par plus de 150 organisations, ou encore la création au sein des clusters sectoriels de groupes de travail dédiés à ces thématiques.
Enfin les acteurs humanitaires commencent à s’approprier des approches plus holistiques telles celles de « Une seule santé »[7]Zinsstag, E. Schelling, D. Waltner-Toews et al., “From ‘one medicine’ to ‘one health’ and systemic approaches to health and well-being”, Preventive Veterinary Medicine, vol. 101, no. 3-4, … Continue reading, ou de santé planétaire[8]Sarah Whitmee, Andy Haines, Chris Beyer et al., “Safeguarding human health in the Anthropocene epoch: report of The Rockefeller Foundation–Lancet Commission on planetary health”, The Lancet, … Continue reading qui donnent à leurs interventions un cadre incluant réellement les écosystèmes, et ce, dans l’objectif d’augmenter la résilience aussi bien communautaire qu’écologique. Cette dernière, longtemps ignorée dans le monde humanitaire, gagnerait à être pleinement reconnue comme partie intégrante de la résilience des populations. Il nous semble en tout cas, au terme de cette histoire rapidement esquissée – et donc simplifiée –, que ce que l’on pourrait appeler un « nouvel humanisme » émerge, dont certains acteurs humanitaires commencent à se saisir.
Nouvel humanisme et réforme de l’approche humanitaire
On trouve ainsi trace de cette idée de « nouvel humanisme » dès 2010, dans un discours de Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO, qu’elle définit ainsi :
« Le nouvel humanisme, c’est […] mieux comprendre notre environnement, comprendre et anticiper les conséquences du changement climatique pour des millions d’êtres humains, touchés par la sécheresse, la désertification, la montée des eaux. C’est protéger la biodiversité, en lien avec la diversité culturelle.[9]Irina Bokova, Un Nouvel humanisme pour le xxie siècle (adapté d’un discours prononcé par la directrice générale de l’UNESCO à Milan (Italie), 7 septembre 2010), UNESCO, octobre 2010, … Continue reading »
Les acteurs humanitaires sont aujourd’hui invités à reconnaître l’interdépendance entre les humains et leur environnement afin que leurs programmes placent systématiquement les communautés et leur écosystème au coeur des réponses proposées. Cette vision, pas si nouvelle que cela pour eux, renforce la nécessité de ne plus seulement répondre aux besoins des populations (de façon ponctuelle tout comme en renforçant leur résilience), mais aussi de restaurer leur écosystème, sans lequel leur survie se retrouvera, à terme, menacée.
« Cette réforme du secteur humanitaire vise à adopter ce que l’on pourrait donc appeler un “nouvel humanisme” associant l’humain et son milieu. »
Cette réforme du secteur humanitaire vise à adopter ce que l’on pourrait donc appeler un « nouvel humanisme » associant l’humain et son milieu. Elle implique en outre d’accélérer la localisation de l’aide, l’humain – dans toute sa diversité – ne pouvant être dissocié de son environnement. La localisation implique de mobiliser les savoirs et savoir-faire locaux, ce qui permet de reconnecter les actions humanitaires aux populations ciblées. Ces pratiques, trop souvent négligées, sont pourtant porteuses de solutions techniques ; leur accorder l’importance qu’elles méritent est une marque de respect pour les cultures des populations et pour leur environnement. Conjuguées aux recherches et avancées récentes d’origines multiples – régionales et globales –, elles permettront de mettre en oeuvre des solutions durables.
À l’heure où six des neuf limites planétaires sont dépassées[10]Katherine Richardson, Will Steffen, Wolfgang Lucht et al., “Earth beyond six of nine planetary boundaries”, Science Advances, vol. 9, no. 37, 13 September 2023, … Continue reading, et pour tendre au mieux vers ce « nouvel humanisme », l’humanitaire doit continuer à mettre en oeuvre son grand principe – « d’abord ne pas nuire » –, aujourd’hui décliné par des mesures d’atténuation de son impact dans sa programmation, mais aussi se réformer en combinant ces mesures d’atténuation à d’autres, dites d’adaptation et de restauration.
Stratégies d’adaptation, d’atténuation et de restauration
Pour concrétiser cette transition, l’atténuation, l’adaptation et la restauration forment un continuum : agir sur l’une de ces voies d’actions sans tenir compte des autres limiterait grandement l’impact de chacune.
Atténuation : réduire les impacts négatifs des interventions
L’atténuation n’est plus seulement une recommandation : elle est devenue un prérequis, aussi bien pour les bailleurs que pour les ONG signataires de la Charte sur le climat et l’environnement pour les organisations humanitaires. Évaluer l’impact environnemental d’un projet afin de réduire ses empreintes négatives est une pratique largement recommandée qui, certes, s’amplifie, mais demeure insuffisamment obligatoire pour devenir un nouveau standard opérationnel. Pour réduire ces effets néfastes sur les écosystèmes et la biodiversité – dont leurs propres émissions de gaz à effet de serre –, les ONG peuvent recourir à des changements de pratique à court terme, comme l’utilisation de matériaux locaux issus de productions durables, écologiques, ou encore la limitation drastique du recours aux énergies fossiles.
Cependant, au-delà de ces changements les plus intuitifs, pour garantir un niveau de service constant aux usagers, voire en augmentation, l’atténuation ne pourra pas se mettre en oeuvre en conservant les modes de fonctionnement du passé, issus d’une construction thermo-industrielle de l’aide : les organisations font face à une exigence de transformation de leurs modus operandi afin de concilier résilience des populations, résilience écologique et exemplarité.
L’exemplarité trouve d’autant plus son sens quand on considère la part très réduite du secteur humanitaire au sein des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Si cette faible part ne doit pas devenir une justification à une forme d’inaction[11]Thomas Wagner, « Climat : les 12 excuses de l’inaction, et comment y répondre. Excuse 4 : Whataboutisme », Bon Pote, 16 juillet 2020, … Continue reading, force est de constater que pour avancer efficacement vers l’atténuation, ce sont les comportements des pays dits développés qui sont la clé de la réussite. Faute d’interpeller les pays réellement à l’origine de ces impacts sur le climat, les organisations humanitaires continueront, certes, d’assister des populations qui subissent les conséquences sans être à l’origine de ces changements climatiques, mais elles ne traiteront pas la source du problème : plaidoyer et actions concrètes dans les pays du « Nord » sont clairement à envisager.
Adaptation : intégrer la résilience dans les programmes humanitaires
Si les catastrophes dites naturelles ont toujours été au coeur de l’action humanitaire, elles ne font qu’augmenter en fréquence et en intensité du fait des crises climatique et environnementale. Ainsi, le nombre de tempêtes tropicales les plus puissantes (catégories 3-5 sur l’échelle de Saffir-Simpson) a augmenté de 25 % en 40 ans[12]James P. Kossin, Kenneth R. Knapp, Timothy L. Olander et al., “Global increase in major tropical cyclone exceedance probability over the past four decades”, Proceedings of the National Academy of … Continue reading, tandis que la désertification et la dégradation des terres ne cessent de s’étendre, affectent déjà plus de 40 % des terres émergées[13]Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, L’état des ressources en terres et en eau pour l’alimentation et l’agriculture dans le monde : des systèmes au bord de … Continue reading et touchent les moyens d’existence de plus de 1,3 milliard de personnes[14]Edward B. Barbier and Jacob P. Hochard, “Land degradation and poverty”, Nature Sustainability, vol. 1, no. 11, 13 November 2018, pp. 623–631.. Les risques s’amplifiant, il faut désormais s’y préparer (les acteurs de l’humanitaire comme les populations) et s’adapter à ce nouveau paradigme qui génère non seulement plus de catastrophes, mais aussi des effets du changement climatique qui deviennent chroniques.
« L’adaptation à la crise climatique, bien qu’elle nécessite l’ajout de nouvelles expertises et de nouvelles compétences, doit devenir une nouvelle norme et non un ajout ponctuel. »
L’adaptation consiste à ajuster les programmes et leurs modalités de délivrance pour réduire les impacts négatifs actuels ou anticipés sur les populations, les écosystèmes et les économies. Cela inclut également la création de nouveaux programmes pour renforcer la résilience des communautés. L’adaptation à la crise climatique, bien qu’elle nécessite l’ajout de nouvelles expertises et de nouvelles compétences, doit devenir une nouvelle norme et non un ajout ponctuel, au même titre que d’autres thématiques transversales comme le genre et la protection. Dans le secteur humanitaire, l’adaptation peut passer par l’utilisation de semences locales identifiées comme résistantes à la sécheresse, ou par une inclusion systématique de la gestion des ressources en eau, notamment via la surveillance des aquifères, la collecte d’eau de pluie, ou encore l’intégration de l’agroforesterie pour limiter l’érosion et maintenir l’humidité des sols.
L’adaptation consiste par ailleurs à mieux anticiper et gérer ces risques : constructions plus résilientes face aux tempêtes, aux inondations ou à l’élévation du niveau de la mer, mise en place de systèmes d’alerte précoce pour les cyclones, plans d’évacuation lors d’inondations ou d’incendies. Le monde de l’humanitaire, qui a pour habitude de répondre à des situations d’urgence, a déjà commencé à travailler sur la préparation, mais il doit encore systématiser cette approche. Les populations déjà vulnérables sont aussi les plus exposées à la crise climatique et cela constitue également un enjeu de justice climatique.
L’adaptation est donc un élément essentiel de la réponse mondiale aux crises climatiques pour protéger les populations, leurs moyens d’existence et les écosystèmes. Plus les efforts d’adaptation seront retardés, plus il sera coûteux de répondre aux impacts de la crise climatique[15]Selon le Rapport Stern sur l’économie du changement climatique, publié le 30 octobre 2006, le coût de l’inaction serait nettement supérieur au coût de la prévention ; 5 à 20 % du PIB … Continue reading. Et plus ces efforts seront basés sur des connaissances scientifiques conjuguées aux savoirs traditionnels et réalisés en consultation avec les communautés et les autorités locales, plus ils seront efficaces sur le long terme.
Préservation et restauration : aller au-delà de la réduction d’impact
Préserver les écosystèmes et restaurer les écosystèmes dégradés représente la troisième voie d’action pour concrétiser la transition écologique nécessaire au secteur humanitaire. S’il est, a priori, légitime de se demander si la préservation et la restauration doivent faire partie des activités du secteur humanitaire, l’interdépendance entre les enjeux écologiques et l’aide humanitaire existe bel et bien. Les écosystèmes jouent un rôle crucial dans le maintien des moyens d’existence, de la santé, de l’accès à l’eau et à l’alimentation, ou encore du bien-être des populations. Les services d’approvisionnement, de régulation, de support et culturels fournis par la biodiversité à la société – appelés services écosystémiques – nécessitent d’être préservés. La pollinisation, la fertilité des sols, et même le stockage du carbone qui constituent de tels services écosystémiques sont directement associés aux co-bénéfices de l’agroécologie, une pratique agricole souvent promue dans le secteur humanitaire.
Les activités de préservation viennent également renforcer et améliorer les moyens de subsistance pour les communautés et contribuer à les extraire de situations de vulnérabilité chronique en accédant à un niveau de revenu plus élevé et plus pérenne, et donc à un meilleur niveau de développement. Ainsi, le secteur humanitaire a toute sa légitimité dans la mise en oeuvre de projets de restauration des écosystèmes.
Cette légitimité se trouve renforcée, comme en effet miroir, par l’insuffisante prise en compte de l’humain dans certains programmes de conservation de la nature. Historiquement, en effet, au travers de projets qui cherchaient à protéger des espèces ou des écosystèmes, des communautés se sont retrouvées privées d’un accès à leurs terres – perdant leurs moyens d’existence –, menacées dans leur droit à l’alimentation, ou même déplacées de force, marginalisées ou privées de leurs droits culturels et ancestraux[16]Jenny Springer, “Addressing the social impacts of conservation: lessons from experience and future directions”, Conservation and Society, vol. 7, no. 1, 2009, pp. 26–29.. Le résultat inverse de celui escompté a alors pu survenir : braconnage dans une zone protégée et contamination des terres. Au-delà des dégâts environnementaux que de telles interventions peuvent engendrer, les dommages sociaux sont énormes : perte d’emploi, appauvrissement, exclusion…[17]William M. Adams and Jon Hutton, “People, parks and poverty: political ecology and biodiversity conservation”, Conservation and Society, vol. 5, no. 2, 2007, pp. 147–183. Depuis les années 1990, les organisations de conservation ont donc évolué vers des approches communautaires (« community-based conservation ») qui prennent mieux en compte les moyens d’existence et la sécurité alimentaire ; elles se basent notamment sur des données montrant que de telles approches permettent de mieux atteindre leurs objectifs de conservation[18]David Western, Michael R. Wright (eds.) and Shirley Carol Strum, Natural Connections: Perspectives in Community-Based Conservation, Island Press, 1994.. Ces projets restent cependant limités par le manque de moyens, les réduisant à une échelle d’impact souvent restreinte aux zones clés pour la biodiversité (couvrant rarement des zones agro-pastorales), ne leur permettant pas de travailler dans des zones de conflit, et incorporant rarement des interventions sur la nutrition et la santé. Il est donc tout à fait dans l’ordre des responsabilités humanitaires de soutenir ces organisations afin d’assurer que les communautés soient informées, incluses et accompagnées dans les projets de préservation et de restauration de l’environnement, en s’orientant par exemple vers des moyens d’existence alternatifs ou en veillant à une gestion efficace des ressources naturelles[19]Fikret Berkes, “Rethinking community based conservation”, Conservation Biology, vol. 18, no. 3, 10 May 2004, pp. 621–630 ; Enrique Calfucura, “Governance, land and distribution: A discussion … Continue reading. Un projet de restauration de la mangrove permettra non seulement de créer de nouvelles activités génératrices de revenus (création d’une pépinière, plantations d’arbres…), mais aussi de réduire les risques de catastrophes en renforçant la protection côtière offerte par la mangrove. De plus, un tel projet contribuera à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition en augmentant les ressources halieutiques disponibles. Cela implique en conséquence de collaborer avec des partenaires locaux ayant une connaissance approfondie pour protéger l’environnement, voire même pour régénérer des sols, replanter des forêts ou restaurer des zones humides. C’est ainsi, en travaillant à la fois auprès des communautés et de l’ensemble des acteurs engagés dans la conservation, que l’aide humanitaire pourra déployer des projets porteurs de résultats servant les meilleurs intérêts humains et écologiques.
Tendre vers une réponse durable aux crises
Pour répondre efficacement aux crises humanitaires actuelles et futures, et fort de ce nouvel humanisme basé sur le continuum atténuation-adaptation-restauration, le secteur humanitaire doit réformer en profondeur ses pratiques et ses savoirs, et sortir d’une logique de réponse immédiate, centrée uniquement sur les personnes, pour y inclure les problématiques liées au climat et à l’environnement.
« Certains acteurs du secteur sont moteurs de ce changement et se regroupent pour le faire advenir, comme l’illustrent les réalisations du Réseau Environnement Humanitaire. »
Les obstacles peuvent certes sembler nombreux : manque de compétences techniques au sein des ONG, mais aussi de partenaires ayant ces compétences, difficulté à mobiliser des financements sur des projets intégrant des volets environnementaux, temporalités variables, ou résistance au changement de la part des bailleurs et parfois des travailleurs humanitaires eux-mêmes. Pour autant, certains acteurs du secteur sont moteurs de ce changement et se regroupent pour le faire advenir, comme l’illustrent les réalisations du Réseau Environnement Humanitaire[20]Face à l’urgence et la gravité des enjeux climatiques et environnementaux, le Réseau Environnement Humanitaire oeuvre à une meilleure compréhension et prise en compte de ces enjeux par les … Continue reading en France. Il en va ainsi de l’engagement souscrit en 2020 par des ONG humanitaires de réduire de 50 % leur empreinte carbone d’ici 2030, ou de créer des contenus, supports et échanges entre pairs sur des sujets allant des achats durables à la gestion des déchets, en passant par les évaluations environnementales des programmes.
D’autres initiatives pionnières montrent la voie, comme celle du fond « pertes et dommages », établie lors de la COP 27, mise en œuvre lors de la COP 28 en 2023[21]United Nations, Operationalization of the new funding arrangements, including the fund, for responding to loss and damage referred to in paragraphs 2–3 of decisions 2/CP.27 and 2/CMA.4, 29 November … Continue reading, et issue de la montée en puissance des concepts de justice climatique, des réparations climatiques et du droit au développement. Ce fond représente une avancée vers la reconnaissance de la responsabilité des pays riches dans la crise climatique et du besoin de financements durables, non créateurs de dette pour les pays du Sud, même si les sommes nécessaires ne sont, à ce jour, pas encore mises à disposition.
À l’heure du changement climatique, tendre vers une réponse durable aux crises consistera en trois voies d’actions complémentaires et simultanées. Il s’agira de réduire les impacts de nos propres actions et de s’inscrire dans une démarche de réduction des impacts des pays du Nord – à travers l’incitation à la transformation des pratiques de nos partenaires – aussi bien que d’entreprendre un plaidoyer commun au secteur à l’échelle internationale. Il faudra également adapter nos programmes aux conditions environnementales et climatiques actuelles et anticipées. Et il conviendra en outre de reconnaître le lien entre résiliences humaine et écosystémique, et le rôle à part entière des ONG humanitaires dans la préservation et la restauration de l’environnement.
Cela passera par une réforme de l’humanitaire, qui permettra l’adoption de ce « nouvel humanisme » que nous appelons de nos vœux, liant les êtres humains aux écosystèmes, impliquant davantage les communautés du Sud dans les prises de décisions, et incitant les acteurs du Nord à prendre réellement leurs responsabilités. Cette réforme devra surmonter de nombreux défis tels ceux liés aux financements nécessaires, au partage des connaissances et pratiques entre acteurs humanitaires et environnementaux, et à la reconnaissance même de son bien-fondé par l’ensemble des acteurs – humanitaires comme politiques.
Nous tenons à remercier Sophie Allebone-Webb, Marie Cosquer et Camille Evain pour la relecture de notre manuscrit. Nous tenons également à signaler que
la rédaction de cet article a été finalisée avant la coupe budgétaire du gouvernement américain sur les fonds USAID, qui a depuis grandement changé le paysage de l’humanitaire et affectera sans doute son fonctionnement.
Credit photo : © Fabeha Monir pour Action contre la Faim